« Les entreprises publiques congolaises (RDC) transformées en sociétés commerciales à l’épreuve de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique »

Résumé
L’Etat congolais a amorcé depuis 2008 une réforme dans le domaine des entreprises publiques en initiant le processus de son désengagement desdites entreprises. Le droit OHADA introduit en RDC depuis le 12 septembre 2012, est une nouvelle donne censée parfaire cette réforme dans la mesure où les entreprises de l’Etat œuvrant dans le secteur marchand sont appelées à revêtir la forme commerciale. Le législateur, ayant manifesté son attrait pour les sociétés par action à responsabilité limitée, il sera abordé ici la question du passage de cette forme de société à celle de société anonyme qui s’avère être sa correspondante en droit OHADA. Un accent particulier sera mis sur les avantages de cette mutation et ses implications notamment en termes de revers d’un actionnariat public unique, conséquence de la crainte des partenaires privés à collaborer avec l’Etat au sein des entreprises publiques ainsi transformées. L’actionnariat salarié serait un palliatif.

Plan

Introduction

I. Bref aperçu de la législation sur les sociétés commerciales d’avant le droit OHADA

A. La notion de société dans la législation congolaise sur les sociétés commerciales
B. La nomenclature des sociétés commerciales
II. Des innovations apportées par le Droit OHADA au droit congolais des sociétés commerciales

A. La nomenclature des sociétés commerciales
B. l’unipersonnalité des sociétés commerciales
B. La suppression de l’autorisation présidentielle pour les sociétés des capitaux
C. La revalorisation de l’institution « commissaire aux comptes »

III. L’impact du droit OHADA des sociétés commerciales et du GIE sur la forme et le fonctionnement des entreprises publiques congolaises transformées

A. L’impact sur la forme juridique des entreprises publiques transformées
B. L’impact sur le fonctionnement des entreprises publiques transformées
C. L’actionnariat des salariés : Un palliatif aux faiblesses d’un actionnariat public unique.

Conclusion

Introduction

En date du 11 Février 2010, après son adoption par l’Assemblée nationale et le Sénat, le Président de la République démocratique du Congo a promulgué la loi n° 10/002 autorisant l’adhésion de la RDC au traité de l’OHADA . Le 27 juin 2012, la RDC a parfait le processus de cette adhésion en déposant au Sénégal, l’Etat dépositaire du traité, les instruments d’adhésion à l’OHADA. Il devenait ipso facto le 17ème pays membre de cette organisation.
Conformément à l’article 52 alinéa 3 du traité du 17 octobre 1993 relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique, la RDC avait, dès cet instant, soixante jours pour la mise en application sur son territoire des actes uniformes de l’OHADA. Aujourd’hui donc, le Droit OHADA s’applique en République démocratique du Congo.
Cette adhésion intervient presque après quatre ans que l’Etat congolais ait entrepris le processus de son désengagement de ses entreprises publiques. Pour ce faire, un Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’Etat, « COPIREP » en sigle, a été créé. Il s’agit d’un établissement public à caractère technique créé en exécution de l’article 10 de la loi n° 08/008 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives au désengagement de l’Etat des entreprises du Portefeuille. COPIREP est chargé principalement de la gestion du processus de désengagement de l’Etat ainsi que du processus de la réforme du Portefeuille de l’Etat par la préparation ainsi que par le suivi et le contrôle de sa mise en œuvre. C’est cette structure qui a élaboré l’avant-projet de la réforme des entreprises publiques en proposant leur transformation les unes en établissements publics, les autres en services publics et d’autres encore en sociétés commerciales, le reste étant purement et simplement liquidé. C’est l’objet de la loi n° 08/007 du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques, qui dispose en son article 3 que « les entreprises publiques sont, selon le cas :
4. transformées en sociétés commerciales ;
5. transformées en établissements publics ou en services publics ;
6. dissoutes et liquidées.
Deux décrets du Premier ministre portant respectivement les numéros 09/11 et 09/12 du 24 avril 2009 prises en application de la loi précitée sont venus définir d’une part les mesures transitoires relatives à la transformation des entreprises publiques et d’autre part, la liste des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales, établissements publics et services publics. Le décret n° 09/13 s’est chargé, quant à lui, de la dissolution et de la liquidation de quelques entreprises publiques, en l’occurrence celles qui n’auront pas été transformées en sociétés commerciales, ni en établissements ni en services publics.
Ce qui nous intéresse ici ce sont les entreprises publiques transformées en sociétés commerciales car c’est cette catégorie qui est la seule concernée par les règles fixées par le nouveau Droit des sociétés commerciales du fait qu’elles opèrent dans le domaine des affaires.
En effet, comme l’écrit le professeur LUKOMBE NGHENDA paraphrasant Monsieur Roger Christen, ce consultant de la Banque mondiale qui avait gagné l’adjudication publique sur la réforme des entreprises publiques congolaises, « le Gouvernement de la RDC souhaite procéder à la réforme du statut juridique et réglementaire de ses entreprises publiques, et cela en vue notamment de créer un cadre institutionnel propre à insuffler un dynamisme nouveau aux entreprises publiques et à améliorer leur potentiel de production, et à faciliter la mise en place d’un droit conforme aux principes de bonne gouvernance, notamment dans la perspective de l’adhésion prochaine de la RDC à l’OHADA. »
Ce n’est donc pas par hasard que le législateur congolais, prenant en charge l’avant-projet élaboré par le COPIREP, a prévu que « les entreprises publiques du secteur marchand seraient transformées en sociétés commerciales soumises au régime de droit commun et aux dispositions abrogatoires de la présente loi et que la société commerciale dont question serait une société par actions à responsabilité limitée. »
C’est dans cette optique que les statuts révisés de chacune desdites entreprises prévoient que « lors de l’entrée en vigueur de la législation OHADA en République démocratique du Congo, la société sera transformée en société anonyme… »
Ayant depuis la loi précitée et ses mesures d’application, connu une première mutation quant à leur forme en devenant des sociétés par actions à responsabilité limitée, les entreprises publiques congolaises sont appelées à en connaître d’autres plus profondes suite à l’entrée en vigueur sur le territoire national du Droit de l’OHADA, spécialement l’acte uniforme du 17 avril 1997 relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, AUSCGIE en sigle.
Il sera donc question ici d’étudier l’impact de cet acte uniforme sur la forme et le fonctionnement de ces anciennes entreprises publiques récemment transformées en sociétés par actions à responsabilité limitée dans le but d’en dégager les avantages et les implications pour les entreprises ainsi transformées.

La nouvelle législation comporte évidemment d’importantes innovations. Il remplace quasiment de vieux textes coloniaux qui régissaient jusqu’alors les sociétés commerciales. Il est, en effet, de notoriété publique que la RDC, à l’instar de la plupart des autres pays africains de l’espace OHADA, disposait jusqu’alors d’une législation commerciale très vétuste et éparse, vecteur donc d’une insécurité juridique certaine. Nous y reviendrons dans la première partie du présent article.
Avant d’aborder l’étude des innovations apportées par le nouveau droit des sociétés commerciales et leur impact sur la forme et le fonctionnement des entreprises publiques congolaises transformées (III), nous aimerions rappeler en quelques lignes la législation sur les sociétés commerciales d’avant le droit OHADA en République démocratique du Congo (I) ainsi que les innovations apportées par le droit OHADA au droit congolais des sociétés commerciales (II).
B. Bref aperçu de la législation sur les sociétés commerciales d’avant le droit OHADA
La période pré-OHADA est caractérisée en RDC par une législation commerciale vétuste, éparse et lacunaire à l’instar de la plupart des Etats africains membres de l’OHADA. C’est ce qui a fait dire à Monsieur Joseph KAMGA que « la volonté politique principale de l’OHADA est de redonner confiance aux investisseurs qui, pendant longtemps, ont tourné le dos à l’Afrique à cause de l’insécurité juridique caractérisée par l’obsolescence, l’éparpillement et l’extrême hétérogénéité de ses législations de nature économique… »
Parlant de la RDC, le même auteur note que « l’ancien droit congolais des sociétés est encore plus symptomatique de l’inadaptation du droit congolais à la vie moderne des affaires . »
En RDC, en effet, la législation en matière des sociétés commerciales était constituée essentiellement des textes ci-après : le Décret du Roi souverain du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales , l’arrêté royal du 22 juin 1926 sur les sociétés par actions à responsabilité limitée , le décret du Roi souverain du 24 mars 1956 sur les sociétés coopératives , le décret du 23 juin 1960, sans oublier l’article 446 alinéa 1er du décret du Roi souverain du 30 juillet 1888 sur les contrats et les obligations conventionnelles (code civil livre III) qui définit le contrat de société .

A. La notion de société dans la législation congolaise des sociétés commerciales
La notion de société en droit congolais évolue selon qu’elle est formée entre les particuliers, entre les particuliers et l’Etat et par l’Etat seul en tant qu’actionnaire unique.
1. La société formée entre les particuliers
L’article 446.1 du décret du Roi souverain du 30 juillet 1888 relatif aux obligations, définissait la société comme .un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun, dans la vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter.
Dans ses études sur les sociétés congolaises parues dans la revue de doctrine et de jurisprudence coloniales, John VAN DAMNE a enrichi la définition légale en appréhendant la société comme « une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes conviennent de former un fonds commun au moyen de mises à fournir par chacune d’elles, dans la vue d’arriver à un résultat déterminé, ou de partager les bénéfices mais aussi les pertes . » Ainsi comprise, la société est à la fois un contrat et une institution :
En tant que contrat, la société est un acte juridique par lequel deux ou plusieurs personnes décident de mettre en commun des biens ou leur industrie (activité, compétence…) dans le but de partager les bénéfices, les économies ou les pertes qui pourront en résulter . Ce contrat se caractérise donc par la mise en commun des apports, la vocation au partage des bénéfices et contribution aux pertes et l’affectio societatis (la volonté d’être en société). Le droit congolais ne connaissait donc pas de société unipersonnelle.
En tant qu’institution, la société est la personne morale qui s’en suit et qui fonctionne avec des organes et un patrimoine propres.
Cette notion de société a connu une évolution par la suite avec la création des sociétés d’économie mixte et les sociétés créées par l’Etat congolais seul en tant qu’actionnaire unique.
2. la société formée entre l’Etat congolais et les particuliers : Société d’économie mixte
La société d’économie mixte ou société mixte est une société fondée sous un statut commercial et soumise aux règles du droit des affaires, mais associant dans des proportions très variables des capitaux d’origine publique toujours majoritaire (Etat, collectivités locales, établissements publics) et d’origine privée, et dont l’activité diffère profondément des unes aux autres.

Il s’agit, en d’autres termes, d’une société formée entre l’Etat et des particuliers. Elle fonctionne exactement comme une société formée entre particuliers mais avec cette particularité que l’Etat y détient une part dans le capital. C’est le cas notamment de la Cimenterie nationale (CINAT), de la société congolo-italienne des raffineries (SOCIR) et de la société des entreprises pétrolières du Congo (SEP-CONGO).
3. La société d’Etat
C’est avec la création de sociétés d’Etat que la notion de société définie comme contrat a connu une évolution. Par dérogation au droit commun des sociétés, le législateur a prévu la possibilité pour l’Etat d’être actionnaire unique dans ses entreprises.
Le terme « société d’Etat » a pris deux formes en droit congolais : D’abord, sous forme des sociétés nationalisées comme la Générale des carrières et des mines (GECAMINES). En effet, une ordonnance-loi du 02 janvier 1967 autorisa la constitution d’une Société d’Etat à 100 % dite la Générale des Carrières et des Mines du Congo (GECOMIN) et puis « GECAMINES ».
Ensuite, le terme « société d’Etat » a été utilisé par le législateur pour désigner des sociétés créées de toutes pièces par l’Etat et où il est l’unique actionnaire. C’est le cas de la Société nationale d’assurances (SONAS), par l’ordonnance-loi n° 66/622 du 23 novembre 1966. Il en est de même de la société zaïroise de commercialisation des minerais (SOZACOM).
Ces sociétés d’Etat, que le législateur congolais a désignées sous la dénomination « entreprises publiques », furent régies par la loi du 06 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques. Cette loi a été abrogée en 2008 par la loi n° 08/007du 07 juillet 2008 portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques.
B. la nomenclature des sociétés commerciales dans l’ancien droit congolais des sociétés
Selon l’article 3 du Décret du 2 août 1913, sont commerciales et soumises aux règles du droit commercial, toutes les sociétés à but lucratif, quel que soit leur objet, qui sont constituées dans les formes du code du commerce. Il s’agit de la théorie de la commercialité par la forme.
Et le Décret du 23 juin 1960 recommandait aux sociétés commerciales de prendre l’une des cinq formes ci-après : la société en nom collectif (SNC), la société en commandite simple (SCS), la société privée à responsabilité limitée (SPRL), la société par actions à responsabilité limitée (SARL) et la société coopérative (SC). L’ancienne SARL connue en droit congolais, qui était une société des capitaux n’est pas à confondre avec la SARL du droit uniforme qui est une société des personnes.

De notable à retenir par rapport à la suite de notre exposé c’est que, sous réserve de ce qui a été dit des entreprises publiques, l’ancien droit congolais des sociétés commerciales ne connaissait pas de société unipersonnelle et que la création d’une société par actions à responsabilité limitée était soumise à une autorisation présidentielle préalable et à la présence d’au moins sept actionnaires.
II. Des innovations apportées par le Droit OHADA au droit congolais des sociétés commerciales
En termes d’innovations, le droit OHADA a apporté beaucoup de nouveautés à l’ordonnancement juridique congolais du droit des sociétés commerciales. Il serait fastidieux de les répertorier toutes. Nous nous contenterons d’en énumérer les plus notables et qui cadrent avec la logique du thème abordé. Dans cette optique, quatre points essentiels retiendront notre attention, en l’occurrence la nomenclature des sociétés commerciales (A), la suppression de l’autorisation présidentielle (B), l’unipersonnalité des sociétés (C) et la revalorisation de l’institution « commissaire aux comptes » (D).
5. La nomenclature des sociétés commerciales
La typologie des sociétés commerciales en Droit OHADA se présente de la manière qui suit : La société en nom collectif, la société en commandite simple, la société à responsabilité limitée (SARL), la société anonyme (SA), le groupement d’intérêt économique (GIE), la société en participation et la société de fait.
En dehors de la société en nom collectif, de la société à commandite simple, de la société à responsabilité limitée et de la société anonyme qui ont existé en droit congolais mais sous une autre dénomination, le droit OHADA des sociétés commerciales a innové en prévoyant le groupement d’intérêt économique (article 869 de l’AUSCGIE), la société en participation (articles 864 à 868 de l’AUSCGIE ) et la société de fait (Articles 864 à 868 de l’AUSCGIE). La formalisation des notions comme le groupe et la prise de participation, jadis informelles en RDC, sont des innovations de taille dont le droit congolais est redevable du droit communautaire.
Longtemps prévue dans le cadre des sociétés par actions à responsabilité limitée, le préalable de l’autorisation présidentielle a été supprimé par le Droit OHADA.
6. La suppression de l’autorisation présidentielle pour les sociétés des capitaux
Avant l’entrée en vigueur du droit OHADA en RDC, l’article 6 du Décret du 27 février 1887 disposait que « nulle société par actions à responsabilité limitée ne pourra se fonder au Congo qu’après avoir été autorisée par décret. » Pour justifier cette condition, Deux thèses sont entrées en conflit : Pour les tenants de la première, cette autorisation était commandée par l’ordre public. On craignait, en effet, que des entreprises témérairement ou frauduleusement conçues ne tendissent un piège à la crédibilité des citoyens et n’exposassent même le crédit public… Pour les tenants de la seconde thèse, les raisons profondes sont à trouver dans la volonté du Roi souverain belge de contrôler la création de grandes sociétés de peur de voir se créer de véritables Etats dans l’Etat c’est-à-dire dans l’Etat indépendant du Congo et par la suite dans le Congo belge. »
Ce qu’il faut noter c’est qu’au-delà de ces deux savantes argumentations, la technique de l’autorisation a été détournée de ses objectifs nobles au point de s’ériger comme un véritable frein contre les investissements étrangers tellement elle alourdissait la procédure de création des sociétés par actions à responsabilité. Ce qui est plus grave c’est que le chef d’Etat n’a pas de compétence liée en ce sens qu’il peut accorder ou refuser l’adoption d’un décret d’autorisation en invoquant par exemple de simples motifs discrétionnaires voire d’opportunité. C’est ici le lieu de préciser que la décision de refus du Chef de l’Etat est souveraine, de sorte que son refus ne donne pas lieu à recours. Comme il est aisé de s’en rendre compte, ce fut une porte ouverte pour l’arbitraire. D’où la salvatrice option levée par le législateur communautaire d’y mettre fin.
7. L’unipersonnalité des sociétés commerciales
Parlant des innovations apportées par le Droit OHADA dans le domaine des sociétés commerciales, le Professeur Gilbert BOSSA écrit notamment que le Droit OHADA permet la création d’une société constituée par une seule personne appelée « associé unique ».
En RDC, l’article 446.1 du code civil livre III traitant des obligations en général, définissait la société comme « un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun, en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter » Instituant le principe de la pluripersonnalité du contrat de société et de son caractère contractuel, ce texte excluait absolument la possibilité de création de sociétés unipersonnelles sauf pour l’Etat congolais qui pouvait avoir la qualité d’actionnaire unique sur pied de la loi du 6 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques.
Le droit congolais des sociétés était déjà dépassé et inadapté sur ce point dans la mesure où les droits français et belges dont il est l’émanation connaissaient déjà les sociétés unipersonnelles. Cet état figé de la législation congolaise obligeait les fondateurs de sociétés à recourir aux associés « de paille » pour créer une entreprise. C’est ainsi qu’il était courant de trouver des sociétés privées à responsabilité limitée avec comme seuls associés un papa avec ses enfants et son épouse. La tâche devenait encore plus ardue quand il fallait créer une société par actions à responsabilité limitée car la présence de 7 actionnaires était une obligation légale. Le Droit OHADA est venu résoudre ce problème en apportant une innovation de taille : il prévoit expressis verbis la société unipersonnelle. C’est l’objet de l’article 5 de l’AUSCGIE. Et comme nous le verrons plus loin, c’est cette ouverture qui pourra permettre la survie juridique des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales avec l’Etat actionnaire unique.

8. La revalorisation de l’institution « commissaire aux comptes »
L’institution « Commissaire aux comptes » n’est pas une nouveauté en droit de la RDC. Elle a, en effet, existé tant dans les sociétés commerciales que dans les entreprises publiques bien avant leur transformation et l’entrée en vigueur du droit OHADA.
La mission du commissaire aux comptes a toujours été le contrôle et la surveillance de la société. L’article 71 du décret du 23 juin 1960 prévoyait déjà que « la mission des commissaires aux comptes consiste en la surveillance de la gestion. » Et l’article 75 du même texte d’expliciter que «le mandat de commissaire aux comptes consiste à surveiller et contrôler sans aucune restriction tous les actes accomplis par la gérance, toutes les opérations de la société et le registre des associés. »
La législation sur les entreprises publiques du 6 janvier 1978 reconnaissait les mêmes pouvoirs aux commissaires aux comptes. Quant à leur statut, ils étaient des agents de l’Etat provenant du Conseil permanent de la Comptabilité au Congo et de l’Inspection générale des finances . Il s’agissait-là des fonctionnaires de l’Etat dotés d’une expertise en matière de comptabilité et des finances publiques.
Mais pourquoi nos entreprises publiques ont-elles manqué de performance alors que ce n’est pas le contrôle qui a fait défaut ?
Le professeur LUKOMBE NGHENDA nous donne une piste de réflexion lorsqu’il écrit : « la surveillance, raison d’être du commissaire aux comptes au sein d’une société, ne peut s’exercer valablement que si celui-ci est non seulement muni d’autonomie et d’indépendance à l’égard de l’entreprise à contrôler, mais aussi si les bénéficiaires directs du contrôle (les associés, les entreprises publiques) ont les garanties de l’efficacité de ce contrôle. »
Le professeur se fait plus pragmatique en formulant le vœu de voir la profession de commissaire aux comptes être réglementée avec les précisions nécessaires, mais encore être instituée par une loi.
C’est pour répondre à ces préoccupations que le législateur communautaire a entendu revaloriser la profession de « commissaire aux comptes. » En effet, des garanties pour la compétence, l’indépendance et la probité morale du commissaire aux compétences ont été imaginées et trouvées avec le droit OHADA:
– le commissaire aux comptes est choisi sur la liste des personnes physiques ou morales qui sont inscrits au tableau de l’Ordre National des experts comptables Agréés de l’Etat partie (article 695 de l’AUSCGIE). A défaut d’existence d’un tel ordre, le commissaire aux comptes est désigné par une commission de quatre membres composés de la manière suivante : d’un magistrat de la Cour du siège avec voix prépondérante, d’un professeur de droit, de sciences économiques et de gestion, d’un magistrat de la juridiction compétente en matière commerciale et d’un représentant du trésor public (article 696 de l’AUSCGIE).
– le commissaire aux comptes exerce une profession libérale. C’est un indépendant qui est soumis à un régime très sévère d’incompatibilités (article 657 de l’AUSCGIE).
– L’indépendance que requièrent les fonctions de commissaire aux comptes explique qu’il soit généralement instauré un barème minimum de rémunérations des commissaires aux comptes.
– Tout obstacle au contrôle des commissaires aux comptes est répréhensible (articles 897 et 900 de l’AUSCGIE).
En schématisant, M. Aloune Dièye note que « le commissaire aux comptes contrôle la société. Ses contrôles doivent lui permettre d’émettre une opinion dans le rapport général annuel adressé aux actionnaires, sur la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes. »
Il se dégage de ce qui précède, que le législateur uniforme a pris toutes les précautions pour garantir la compétence technique, l’indépendance et la probité morale du commissaire aux comptes dans la perspective d’un contrôle efficient.

III L’impact du droit OHADA des sociétés commerciales sur la forme juridique et le fonctionnement des entreprises publiques congolaises transformées
Après le passage en revue de toutes ces dispositions d’ordre général, il convient de s’interroger à présent sur l’impact de l’entrée en vigueur du droit uniforme sur la forme juridique et le fonctionnement des entreprises publiques congolaises transformées.

3. L’impact de l’AUSCGIE sur la forme juridique des entreprises transformées
Les entreprises de l’Etat ont fonctionné jusqu’il y a peu sous le régime de la loi du 06 janvier 1978 portant dispositions générales applicables aux entreprises publiques. La donne de transformation des entreprises publiques venait de provoquer la révision de leurs statuts pour prendre la forme d’une SARL. C’est dans ces entrefaites que les entreprises publiques marchandes ont pris la forme des sociétés par action à responsabilité limitée. C’est ce que sous d’autres cieux on appelait déjà sociétés anonymes pour désigner les sociétés des capitaux. C’est ce qui ressort de la lecture des articles 4 et 5 de la loi n° 08/007 du 7 juillet 2008 portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques.

Avec l’entrée en vigueur du nouveau Droit, les statuts de ces entreprises devront nécessairement connaître une seconde revisitation pour qu’ils soient adaptés à cette nouvelle législation. Ces entreprises ont deux ans, à dater de l’entrée en vigueur du Droit OHADA en RDC, pour mettre leurs statuts en harmonie avec l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (article 915 de l’AUSCGIE). Ce délai de grâce va donc jusqu’au mois de septembre 2014.
Pour se rendre compte de la profondeur de la mutation dont elles sont l’objet, il y a lieu de retracer brièvement l’histoire des entreprises publiques de l’Etat en République démocratique du Congo.
1. les entreprises publiques de l’Etat à l’origine
Evoluant dans le cadre de l’ordonnance-loi n° 78-002 du 06 janvier 1978 précitée, les entreprises publiques de l’Etat étaient dotées des statuts sociaux portés par des actes règlementaires, en l’occurrence des ordonnances présidentielles. Ces entreprises présentaient les caractéristiques ci-après :
– Propriété exclusive de l’Etat ;
– Double tutelle ministérielle (le Ministère du secteur d’activité de l’entreprise pour la tutelle technique et celui du Portefeuille pour la tutelle administrative) ;
– Administration par un Conseil d’administration et un comité de gestion dirigé par un Délégué général, les deux organes étant composés de mandataires de l’Etat.
– contrôle et surveillance par des commissaires aux comptes, fonctionnaires de l’Etat ;
– Absence d’assemblée générale.
Ces entreprises ont fonctionné sous cette forme jusqu’à la promulgation de la loi n° 08/007 du 7 juillet 2008 suivi de la signature par le Premier Ministre, chef du Gouvernement du Décret n° 09/11 du 24 avril 2009 portant mesures transitoires relatives à la transformation des entreprises publiques. Le Décret n° 09/12 signé à la même date, a notamment répertorié les entreprises publiques devant prendre la forme de sociétés commerciales (SARL). Il s’agit exactement de 20 entreprises opérant dans les secteurs industriel, minier, financier, de service, de télécommunications, d’énergie et de transport.
Toutes ces entreprises ont dû prendre la forme d’une SARL en conformité non seulement avec la législation alors en vigueur en matière des sociétés commerciales mais surtout en application des articles 4 et 5 de la loi portant dispositions générales relatives à la transformation des entreprises publiques .

2. Transformation des entreprises publiques en sociétés par actions à responsabilité limitée.
En application des deux décrets susmentionnés, les entreprises publiques congolaises évoluant dans le secteur marchand ont toutes pris la forme d’une société par actions à responsabilité limitée, dotées des statuts notariés depuis le 24 décembre 2010 et immatriculé au nouveau registre de commerce. Nous devons ici vite préciser qu’il s’agit d’une SARL de type nouveau dans la mesure où elle ne répond pas aux conditions classiques prévues par la législation congolaise sur les sociétés commerciales notamment l’exigence d’au moins 7 actionnaires pour une SARL. C’est ce que le législateur a désigné par les termes « dispositions dérogatoires de la présente loi » . Ces SARL fonctionnent avec un actionnaire unique : l’Etat congolais.
Pourquoi seulement cette forme de sociétés ?
Dans son effort d’explications de l’attrait de l’Etat congolais pour la SARL ou société anonyme, le Professeur LUKOMBE note que « cette forme de société – société anonyme ou société par actions à responsabilité limitée, a été conçue au 19ème siècle comme un moyen de drainer les capitaux nécessaires à la constitution de grandes entreprises ; les caractéristiques de cette dernière permettent d’associer les épargnants au financement des entreprises. »
Abondant dans le même sens, George RIPËRT qualifie cette forme des sociétés comme étant un merveilleux instrument créé par le capitalisme moderne pour collecter l’épargne en vue de la fondation et de l’exploitation des entreprises.
Mais hélas, une nouvelle donne vient d’intervenir : c’est l’adhésion de la RDC à l’OHADA avec à la clé l’entrée en vigueur de l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et le Groupement d’intérêt économique.
Les statuts de ces anciennes entreprises publiques devenues SARL devront encore faire face à l’intransigeance de l’article 10 du traité de l’OHADA et à la supranationalité de ses actes uniformes. Elles doivent se transformer inévitablement en sociétés anonymes (SA).
3. Des SARL de l’Etat aux sociétés anonymes : Choix du législateur congolais
Comme nous l’avons dit plus haut, l’acte uniforme sur les sociétés commerciales et le groupement d’intérêt économique prévoit une classification des sociétés commerciales différente de celle qui prévalait jusqu’ici en droit positif congolais.
Ironie du sort, ce que le droit congolais appelait à l’époque SARL, pour dire société par actions à responsabilité limitée, signifie dans le Droit OHADA Société à responsabilité limitée, pour désigner en réalité les anciennes sociétés privées à responsabilité limitée. Les anciennes sociétés par actions à responsabilité limitée (SARL en droit congolais) équivalent à ce que le Droit OHADA nomme « sociétés anonymes ».
Les entreprises publiques RDCongolaises sont donc appelées de nouveau à changer de forme juridique. En application de l’article 919 de l’AUSCGIE, un délai de deux ans à dater de l’entrée en vigueur de la nouvelle législation est accordé aux sociétés commerciales pour adapter leurs statuts sociaux. Les entreprises publiques déjà transformées en SARL du régime de l’ancienne législation coloniale de la RDC, devront prendre la forme de sociétés anonymes (SA) du droit OHADA. Le droit OHADA étant entré en vigueur en RDC depuis le mois de septembre 2012, ces anciennes entreprises publiques devenues SARL ont jusqu’au mois de septembre 2014 pour conformer leurs statuts au nouveau Droit en changeant d’habits, sans changer de personnalité juridique bien entendu.
Doit-on parler de transformation de société ou de mise en harmonie des statuts ?
Rappelons d’entrée de jeu que la transformation d’une société commerciale est l’opération par laquelle cette société change de forme juridique par décision des associés. La transformation de la société commerciale suppose donc le passage d’une forme de société à une autre, les deux étant prévues dans la loi-cadre qui les organise. C’est ainsi qu’une société à responsabilité limitée peut devenir une société anonyme. La situation est différente dans le cas d’espèce. Le passage des sociétés par actions à responsabilité limitée de l’Etat congolais « actionnaire unique », sociétés des capitaux donc déjà sociétés anonymes, aux sociétés anonymes de droit OHADA donc également sociétés des capitaux, est plus à considérer comme une mise en harmonie des statuts, prévue par les articles 908 et 909 de l’AUSCGIE qu’une vraie transformation de société au sens de l’article 690 du même acte.
4. L’impact de l’AUSCGIE sur le fonctionnement des entreprises publiques transformées
L’objectif ici est celui de dégager le bénéfice que les entreprises transformées pourront tirer de l’application de nouvelles règles de gestion et de contrôle prévues par l’AUSCGIE. Il est, en effet, de notoriété publique que les anciennes entreprises publiques étaient des canards boiteux suite à la mauvaise gestion des mandataires de l’Etat et de la carence d’un contrôle efficient que le législateur était en droit d’attendre des commissaires aux comptes agents de l’Etat.
Il sied de préciser de prime abord que les avantages qu’apporte le droit OHADA des sociétés commerciales tant sur le plan de la gérance que du contrôle ne pourraient être effectifs dans une entreprise publique sous contrôle exclusif de l’Etat congolais actionnaire unique. L’Etat, seul maître à bord, demeurera ce gestionnaire unique et généralement inconséquent qui nomme, en plus de gestionnaires, des commissaires aux comptes parmi les fonctionnaires de l’Etat et souvent suivant un critérium aux contours ondulants et ondoyants. Il nous semble que ces avantages ne seront percevables que dans les entreprises où l’Etat ne sera pas actionnaire unique, obligé de partager les pouvoirs avec les partenaires privés sur le plan de la gérance et du contrôle des entreprises concernées.
t. Sur le plan de la gérance
Le Droit OHADA a mis en place un régime très strict concernant les personnes appelées à gérer les entreprises. Il va de leur choix à la panoplie des sanctions prévues contre leurs actes de gestion.
– le choix des dirigeants
Ce qu’il faut noter de prime à bord c’est qu’un dirigeant d’entreprise ce n’est pas n’importe qui. Il est le chef d’orchestre de toute l’organisation de la structure. C’est lui qui définit les stratégies globales de fonctionnement de l’entreprise à court et à moyen termes. Des compétences managériales sont indispensables au métier de dirigeant ainsi qu’une excellente capacité d’adaptation pour savoir faire face à des situations et des publics variés. Nous devons reconnaître que ces qualités ont toujours fait défaut dans le chef des mandataires publics de l’Etat dans ses entreprises.
Suite au partenariat public-privé dans le capital et/ou dans la gestion des entreprises publiques transformées, l’Etat, ce mauvais gestionnaire patenté ne sera plus le seul maître à bord. La rigueur et le sens des affaires des partenaires privés auront pour effet de mettre fin à la race des mandataires publics complaisants choisis sur base d’un critère politique et non managérial.
Les partenaires privés jouant au garde-fou, des personnes qui présideront désormais à la destinée des entreprises de l’Etat transformées seront des gérants responsables, expérimentés, rompus dans la science de la gestion des entreprises et dotés des capacités managériales éprouvées. Adieu le clientélisme politique, vive l’expertise dans les entreprises publiques transformées en sociétés anonymes.
– le régime des sanctions des dirigeants
L’acte uniforme sur les sociétés commerciales a mis en place un régime sévère de responsabilités des gérants des sociétés. C’est l’objet de la partie III. Il y est, en effet, prévu des sanctions pénales à charge des gérants de sociétés à l’occasion de la gérance, de l’administration et de la direction des sociétés . Le législateur uniforme incrimine toutes les pratiques actuellement courantes dans la gestion des entreprises publiques en RDC en dépit de leur mutation transitoire en sociétés par actions à responsabilité limitée, pratiques allant de la présentation des inventaires et des bilans falsifiés aux abus de biens sociaux. Les gérants inconséquents ne seront plus à l’abri des sanctions. Adieu l’impunité. Un contrôle sévère par un expert indépendant et compétent est un des moyens pour garantir un fonctionnement efficace du régime répressif ainsi mis en place par l’AUSCGIE.

u. Sur le plan du contrôle
L’objectif traditionnellement poursuivi par le législateur à travers le principe de désignation d’un commissaire aux comptes dans les entreprises repose sur l’idée de confier à des professionnels indépendants une mission générale et permanente de vérification des comptes et de contrôle du fonctionnement de l’entreprise.
J.F. Barbieri note à ce propos que « de 1867 à nos jours, le législateur n’a cessé d’étendre la mission et de renforcer l’indépendance des commissaires aux comptes…. Ce contrôle, destiné à protéger les actionnaires, est longtemps demeuré très illusoire, en l’absence de garantie d’indépendance et de capacité des commissaires, nommés pour un an seulement, mal rémunérés et dépourvus de réels pouvoirs d’investigation.
L’idéal serait donc de soumettre les commissaires aux comptes à un statut permettant à la fois de garantir leur indépendance et leur compétence, mais aussi de sanctionner tout manquement aux obligations légales ou professionnelles. C’est qui a manqué jusqu’ici dans les entreprises publiques de l’Etat. Heureusement que ces entreprises viennent d’être transformées en sociétés anonymes et que l’OHADA est arrivée avec son Droit des sociétés commerciales, mettant en exergue notamment des commissaire aux comptes d’un genre nouveau, toujours à l’affût pour dénoncer tout acte contraire à une gestion saine et responsable des biens sociaux. Ils doivent être des experts comptables. La garantie d’un contrôle efficient c’est leur expertise et, surtout, leur indépendance. On n’aura plus affaire à de simples fonctionnaires de l’Etat généralement inconscients et mal rémunérés, mais plutôt à des experts et à des professionnels exerçant librement leur profession dans le cadre d’un ordre professionnel dénommé Ordre national des experts comptables. Cet ordre aura donc pour objet, comme c’est le cas en France, le bon exercice de la profession, sa surveillance ainsi que la défense de l’honneur et de l’indépendance de ses membres.
Mais « qui custodiat custodem ? » .
L’AUSCGIE a renforcé la responsabilité du commissaire aux comptes tant sur le plan civil que pénal. En dehors donc de sa mission classique de certification de la régularité et de la sincérité des états financiers, le commissaire aux comptes a été rendu civilement responsable des conséquences dommageables des fautes et négligences commises lors de l’exercice de sa mission.
A l’instar des dirigeants des entreprises, les commissaires aux comptes sont soumis à un régime répressif sévère. Certains actes commis par eux à l’occasion de l’exercice de leur mission sont répréhensibles. Il s’agit notamment du non-respect des incompatibilités frappant leurs fonctions, de la confirmation des informations inexactes sur la situation de la société et le défaut de dénonciation au Ministère public des faits délictueux dont le commissaire aux comptes aura eu connaissance.

Eu égard à ce qui précède, il n’est pas faux d’affirmer que les sociétés anonymes qui seront issues des entreprises publiques transformées en sociétés par actions à responsabilité limitée, auront toutes les chances d’être mieux gérées et parce que mieux contrôlées qu’avant.
5. l’actionnariat des salariés : Un palliatif aux faiblesses d’un actionnariat public unique.
La question ici est celle de savoir si les employés des entreprises publiques transformées peuvent devenir des actionnaires au sein de leurs entreprises. Cette question vaut son pesant d’or dans la mesure où, alors que tous les espoirs étaient permis dès l’inauguration du processus de réforme des entreprises de l’Etat, il se constate aujourd’hui malheureusement que les partenaires privés ne se bousculent pas aux portillons des entreprises publiques congolaises transformées. C’est le cas notamment de la Société nationale d’assurances (SONAS) dont les anciennes sociétés courtières attendent impatiemment la libéralisation du secteur des assurances pour lui faire concurrence. Ces entreprises publiques transformées risquent donc de continuer à fonctionner, même après la libéralisation de certains secteurs aujourd’hui sous monopole public (électricité, eaux, assurances…) avec un actionnaire unique, l’Etat congolais, déjà réputé mauvais gestionnaire. Le droit OHADA prévoit d’ailleurs cette possibilité.
Plus grave encore, particulièrement en matière d’assurances, de nombreuses législations exigent que les sociétés d’assurance s’organisent sous forme des sociétés anonymes pluripersonnelles. C’est sans doute dans ce sens que doit pencher le projet du code congolais des assurances appelé à être en harmonie avec la législation de la majorité des Etats membres de l’OHADA faisant déjà partie du traité CIMA . Qu’adviendra-t-il alors de la Société nationale d’assurance (SONAS SARL) si aucun partenaire ne vient s’associer à l’Etat jusqu’ici actionnaire unique? Faudra-t-il procéder à sa liquidation ?
Il est donc opportun de se poser la question de savoir si les employés de ces anciennes entreprises publiques ne peuvent pas s’organiser pour obtenir des actions dans le patrimoine de la société et gérer avec l’Etat, non seulement en contrepoids mais aussi et surtout pour obtenir la mise en place d’une société anonyme pluripersonnelle s’agissant particulièrement de la SONAS par exemple. Il s’agit de ce qu’on appelle l’actionnariat salarié, qui se définit comme l’accès des salariés au capital d’une société. Ce peut être la société où ils sont employés (actionnariat dans l’entreprise) ou toute autre société (Capitalisme populaire). C’est, en d’autres termes, la participation des travailleurs au capital.

Il s’agit-là d’une pratique très utilisée en France, surtout avec la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation des salariés. Cette loi dispose notamment que lors d’une privatisation, 10 % des titres offerts par l’Etat sont réservés aux salariés. Les pays comme le Royaume-Uni et l’Irlande connaissent aussi cette pratique.
Loin de créer un conflit d’intérêt entre la qualité d’actionnaire et de travailleur, la pratique de « salarié actionnaire » présente des avantages ci-après :
C- Un contrepoids face aux actionnaires privés : ces derniers sont parfois sans scrupules dans leur prise de position ;
D- Un contrepoids face aux actionnaires publics : l’Etat, ou ses représentants, n’est pas nécessairement le meilleur allié des salariés. il a souvent ses propres intérêts à protéger et qui ne convergent pas toujours avec ceux des salariés ;
E- Un rendement avantageux dans le long terme ;
F- Une implication plus importante dans la stratégie de l’entreprise ;
G- Des administrateurs spécifiques pour les salariés actionnaires ;
H- Le droit d’agir en justice pour la défense de ses droits personnels, par exemple en cas d’abus de bien social ou d’abus de majorité ;
Quelle est la position du législateur congolais sur la question ?
Le législateur congolais a donné sa position à l’article 7 de la loi n° 08/010 du 07 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’Etat. Parlant, en effet, des modes de désengagement de l’Etat de ses entreprises, il fait allusion notamment à la cession d’actifs, d’actions ou de parts sociales aux salariés (article 7 point 3). Il est donc possible aux salariés des entreprises publiques transformées de prendre des participations dans leurs entreprises. C’est par ce moyen qu’ils pourront contrebalancer les effets pervers redoutés de l’actionnariat public unique de l’Etat et de sa conséquence inévitable qu’est la mauvaise gestion et la carence d’un contrôle efficace. Devenus actionnaires, les travailleurs pourront participer à la gestion de leurs entreprises à côté de l’Etat. Ils pourront ainsi participer au contrôle desdites entreprises non seulement par le mécanisme d’alerte mais aussi et surtout en prenant part au choix des commissaires aux comptes cette fois-ci indépendants.

Conclusion

Les développements qui précèdent nous ont démontré que le Droit OHADA a apporté d’importantes innovations dans le domaine du droit des sociétés commerciales. Ce nouveau droit constitue un outil efficace dont dispose désormais l’Etat congolais pour mener à bon port le processus de réforme de ses entreprises. Les innovations charriées par le droit uniforme sont des garanties légales suffisantes pour une gestion orthodoxe et efficiente des entreprises publiques congolaises transformées en sociétés commerciales.
Seulement, les statuts de ces entreprises qui ont déjà connu une première modification au moment de leur transformation en sociétés par actions à responsabilité limitée, devront encore être revisités en faveur de leur transformation en sociétés anonymes et en vue de la prise en compte éventuellement de l’entrée en jeu des partenaires privés.
Palliatif potentiel face aux hésitations des partenaires privés de collaborer avec l’Etat congolais dans la gestion des entreprises publiques transformées, l’actionnariat salarié pourra être utilement mis à profit pour éviter que l’avant-réforme des entreprises publiques soit égal à l’après-réforme, l’Etat congolais demeurant seul maître de la destinée des entreprises qu’il n’a pas pu bien gérer pendant plusieurs décennies de monopole. Il est donc souhaitable que comme dans d’autres cieux, une loi vienne organiser l’actionnariat salarié en République démocratique du Congo.
L’actionnariat salarié s’avérerait un palliatif indispensable pour éviter, par exemple, la liquidation de la société nationale d’assurances au cas où l’Etat ne trouverait pas d’autres partenaires pour faire revêtir à cette société une forme pluripersonnelle.
Par ailleurs, la rigueur des dispositions du droit uniforme quant aux actions des gérants des entreprises et quant au mécanisme de leur contrôle par un commissaire aux comptes d’un genre nouveau, aura pour effet d’accoucher des entreprises mieux gérées et mieux contrôlées donc bien parties pour des performances économiques certaines, la prise en compte de toutes ces innovations comportant un fil conducteur : Le souci de mettre les entreprises publiques congolaises transformées au diapason de celles qui prospèrent ailleurs en les rendant plus performantes par une gestion plus responsable et plus transparente et un contrôle interne et externe plus efficient.