Heurs et malheurs de l’article 4 de l’acte uniforme Ohada portant organisation des suretés

La méfiance de ceux qui prêtent a conduit au développement de nombreuses techniques de réduction du risque d’impayé. Il s’agit des garanties. Ces mécanismes qui accompagnent le crédit ou en facilitent l’obtention sont devenus d’incontournables instruments économiques. Le développement économique et technologique, la fluctuation des biens et patrimoines ont contribué à leur diversification et à leur adaptation aux activités, incitant les législateurs à intervenir afin de concilier soutien du crédit et impératif de protection .

L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) ne s’est pas faite priée. Le 15 décembre 2010, elle a opéré une réforme d’envergure de son droit des sûretés, domaine dans lequel les leitmotive contemporains d’accessibilité et de lisibilité du droit sont particulièrement importants . L’objectif de la réforme était moins de limiter le morcellement de la matière que de fixer ses principes directeurs et de les moderniser. Le droit des sûretés en vigueur était en effet sujet à un certain nombre de critiques tant sur le plan théorique que sur le plan pratique. Sur le plan théorique, il lui a été reproché l’éparpillement de ses dispositions entre plusieurs actes uniformes ou entre plusieurs sections, la désuétude des terminologies employées, l’inexploitation des biens du débiteur . Sur le plan pratique, l’on décriait un excès de formalisme, une ignorance des grandes évolutions en matière de garantie , l’ignorance de certaines garanties très prisées dans la pratique, un manque de fiabilité dans les mesures de publicité des sûretés réelles, notamment du fait des défauts de fonctionnement des registres du commerce et du crédit mobilier (RCCM), des difficultés chroniques lors de la réalisation de la garantie. Ces éléments ont été présentés comme les obstacles à la réalisation des objectifs du droit des sûretés, qui sont d’inciter les prêteurs et les fournisseurs de crédits à octroyer des financements par un système efficace de garantie, et arriver à la prospérité économique de l’Etat par la création et la croissance des entreprises au moyen des financements sécurisés.

Le nouvel acte uniforme est entré en vigueur le 16 mai 2011 et a abrogé l’acte uniforme portant organisation des sûretés du 17 avril 1997. Le régime des sûretés est profondément remanié, avec des innovations certaines. La garantie des créanciers se trouve presque partout renforcée, tant en matière de sûretés personnelles que de sûretés réelles. L’on assiste à l’introduction de nouvelles sûretés jusque-là ignorées de l’AUS en vigueur, ainsi que de l’agent des sûretés. La réforme s’étend à la modification de la définition de certaines sûretés ; la modification de la structuration formelle de l’AUS pour prendre en compte les nouvelles sûretés introduites ; l’ajout de nouvelles dispositions pour préciser un régime juridique ou prévoir un nouveau régime ; le déplacement de certaines dispositions pour assurer la mise en cohérence d’un domaine ; la suppression d’articles devenus sans objet ; l’organisation des renvois internes ou externes pour préciser le champ d’application d’une disposition ou faire un renvoi à une définition.

Sur le plan structurel, l’AUS s’articule autour de 5 titres : Sûretés personnelles, Sûretés mobilières, Hypothèques, Distribution des deniers et classement des sûretés, Dispositions transitoires et finales. Ils sont précédés d’un titre préliminaire consacré aux définitions et domaine d’application de la réglementation. Ce titre comporte la nouvelle définition de la sûreté, aux reflets de la conception fonctionnelle actuellement en vogue . Ainsi, aux termes de l’article 1, la sûreté est « l’affectation au bénéfice d’un créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine afin de garantir l’exécution d’une obligation ou d’un ensemble d’obligations, quelle que soit la nature juridique de celles-ci et notamment qu’elles soient présentes ou futures, déterminées ou déterminables, conditionnelles ou inconditionnelles, et que leur montant soit fixe ou fluctuant » . L’acte uniforme précise ensuite les sûretés qu’il entend régir en son article 4 en ces termes : « Les sûretés personnelles, au sens du présent Acte uniforme, consistent en l’engagement d’une personne de répondre de l’obligation du débiteur principal en cas de défaillance de celui-ci ou à première demande du bénéficiaire de la garantie.

Sauf disposition contraire du présent Acte uniforme, les seules sûretés réelles valablement constituées sont celles qui sont régies par cet Acte. Elles consistent soit dans le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d’un bien affecté à la garantie de l’obligation de son débiteur, soit dans le droit de recouvrer la libre disposition d’un bien dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation.

Les sûretés réelles peuvent être constituées par le débiteur lui-même ou un tiers en garantie de l’obligation sous réserve des dispositions particulières du présent Acte uniforme.

Les sûretés propres au droit fluvial, maritime et aérien, les sûretés légales autres que celles régies par le présent Acte uniforme, ainsi que les sûretés garantissant l’exécution de contrats conclus exclusivement entre établissements de financement, peuvent faire l’objet de législations particulières ».

Dans son contenu, cet article ne saurait, à première vue, surprendre. En effet, il est classique, après avoir définit la sûreté de façon générale, de préciser ce que c’est qu’une sûreté personnelle ou réelle et quel est le champ d’application de la réglementation. L’ancien acte uniforme l’avait déjà fait dans son article 2. L’aspect nouveau est la mise en commun de la classification traditionnelle des sûretés et de ce qui antérieurement pouvait être considéré comme le domaine d’application de la réglementation. Ce qui nous conduit sur le chemin de l’identification du fil conducteur de cet article.

Au regard de la minutie avec laquelle l’acte uniforme a été préparé, il est difficile de penser que la structure de l’article 4 soit un fait du hasard. Comme toute réglementation digne de ce nom, l’AUS est l’aboutissement de longs travaux où chaque article a été soumis aux cribles d’experts les plus aguerris. L’ambition est d’en faire un modèle de réglementation en matière de sûretés et surtout de formuler des solutions novatrices et équilibrées . Ainsi, au-delà du contenu, la qualité formelle de la rédaction n’a pas été négligée. Pourtant, l’analyse des travaux préparatoires révèle que l’attention n’a pas été portée sur la coordination des alinéas de l’article 4. On peut se demander si celui-ci ne serait pas le grain de sable qui viendrait entacher la qualité de notre réglementation. Ne vient-il pas affecter la clarté et la cohérence de différentes sûretés si chères à notre législateur ?

Les analyses exégétique et comparative de l’AUS peuvent nous aider à apprécier l’originalité de l’article 4. Si l’assemblage des alinéas ne se justifie a priori pas, leur signification s’avère très intéressante. On peut tenter l’élaboration des grandes catégories de sûretés. L’article 4 donne ainsi le ton de la réglementation par les catégories qu’il identifie. A ce titre, on peut distinguer les sûretés selon la technique et selon l’origine. Dans un cas on a la classique opposition sûretés réelles et personnelles, dans un autre, on distinguera les sûretés générales et particulières ainsi que les sûretés constituées par le débiteur et un tiers ; l’acte uniforme s’appliquant à toutes ces sûretés.

En soi, les classifications annoncées par l’article 4, ainsi que les définitions qui en émanent se veulent à l’image des évolutions récentes des sûretés. Comme quoi, nul besoin de recourir à des inventions si les vielles outres peuvent contenir du vin nouveau . Seulement, la suite de la réglementation n’est pas aux couleurs annoncées par l’article 4. Ce qui fait penser à l’inutilité de la distinction fondée sur la technique (I), alors même que celle fondée sur l’origine s’avère d’un intérêt certain par le dynamisme que lui a impulsé le législateur (II).

L’inutilité de la distinction classique sûreté personnelle – sûreté réelle
La distinction entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles comporte des enjeux qui vont au-delà du simple droit des sûretés. Cela pourrait justifier la réticence du législateur à l’abandonner. Cette distinction est cependant de plus en plus critiquée, et l’AUS ne semble pas avoir arrangé les choses en la laissant inachevée.

Les enjeux dépassés

Les sûretés sont variées et susceptibles d’une multitude de classification. Elles peuvent être réparties en fonction de leur source ou de leur évolution. Selon la source, on oppose les sûretés légales, judiciaires et conventionnelles. Selon l’évolution, on oppose aujourd’hui les sûretés traditionnelles aux sûretés nouvelles . A côté de ces classifications, la classification généralement retenue et consacrée est celle des sûretés réelles et des sûretés personnelles.

La sûreté personnelle est ainsi désignée parce qu’elle fait naître, au profit du créancier, un droit personnel contre un tiers. Sa définition est restée inchangée, la proposition d’élargissement du champ des sûretés personnelles pour intégrer la lettre d’intention n’ayant pas été retenue . Elle n’emporte ni affectation de bien, ni rang préférentiel. Aussi, le créancier se voit adjoindre un second débiteur et de fait un second patrimoine sur lequel il a un droit de gage général.

Il existe deux grandes catégories de sûretés personnelles. D’une part, les sûretés personnelles accessoires, dont le cautionnement est le modèle. D’autre part, les sûretés personnelles autonomes, qui portent ce nom parce qu’elles font peser sur le garant un engagement plus ou moins indépendant de celui du débiteur principal. L’AUS n’envisage que la garantie et contre-garantie autonomes.

La sûreté réelle est celle qui a subi une profonde modification afin d’intégrer les nouvelles sûretés. A ce titre, la catégorie intègre non seulement le critère d’affectation d’un bien, mais également celui de rang préférentiel ou de libre disposition du bien dont on est propriétaire. L’on range dans cette catégorie les diverses sûretés mobilières à savoir le droit de rétention, le gage des meubles corporels, le nantissement des meubles incorporels, les garanties-propriétés, l’hypothèque immobilière et les privilèges.

L’opposition entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles a toujours été présentée comme une summa divisio. Elle présente l’avantage de rassembler la pléthore des sûretés en deux blocs seulement, de nature et de régime distincts. Elle fait par ailleurs écho à l’opposition entre le droit personnel et le droit réel . L’intérêt pratique de la distinction est de rechercher la reine des sûretés, la sûreté idéale. Seulement, la garantie idéale n’existe pas. « Tous les débiteurs ne peuvent offrir les mêmes sûretés et tous les créanciers n’ont pas besoin des mêmes sûretés». Aussi, il est difficile d’opposer sur le plan de l’efficacité les sûretés personnelles aux sûretés réelles, chacune présentant des avantages et des inconvénients. La meilleure sûreté ne dépend donc pas de cette subdivision, mais d’autres critères .
L’intérêt de la classification tendant à s’estomper, les critères même de distinction se trouvent ébranlés . L’on note que certaines sûretés sont à la fois réelles et personnelles, tel le cautionnement réel, tandis que d’autres ne sont ni réelles, ni personnelles, tels les privilèges généraux. A l’intérieur de chacune des catégories, l’existence des sûretés spéciales fragilise les subdivisions. Si la différence entre l’hypothèque et le gage est fondée sur l’assiette, on aura du mal à classer l’hypothèque mobilière. Si le critère essentiel de la sûreté réelle est le paiement préférentiel, le droit de rétention pourrait n’en être pas une.
La doctrine propose d’abandonner cette summa divisio qui ne permet plus de rassembler les sûretés. Certains avancent l’existence d’une troisième catégorie, celle des sûretés mixtes . La classification jugée révolutionnaire est celle élaborée par Crocq. Pour sa part, il identifie deux critères de distinctions pour obtenir quatre catégories de sûretés. Ainsi, selon le droit préférentiel ou l’affectation d’un bien, on peut avoir les sûretés sans droit préférentiel ni affectation, les sûretés avec droit préférentiel et affectation, les sûretés avec droit préférentiel et sans affectation et les sûretés sans droit préférentiel et avec affectation .
Cette classification a le mérite de mettre fin aux sûretés mixtes. Mais elle a été largement ignoré tant en droit français qu’en droit OHADA. Peut-être est-on habité, comme l’a suggéré un auteur, par la crainte du travail fastidieux qu’est la réécriture des textes et traités . Même si l’on peine à se détacher de la tradition, il faut reconnaitre que le maintien de cette subdivision n’a plus d’intérêt dans notre contexte. Les différentes contradictions que laisse apparaître la structure des sûretés renforcent cette conviction.

Les contradictions rencontrées

L’AUS n’arrive plus à concilier la classification bipartite et toute la gamme des sûretés, toute chose qui concoure à dire qu’elle devrait être abandonnée comme summa divisio. Concrètement, deux arguments démontrent le forçage vain qui tente d’être opéré. Ils sont relatifs à la structure formelle que l’AUS adopte et à la définition de la sûreté réelle qu’il donne.

L’inadéquation de la distinction à la structure des sûretés
Comme antérieurement, l’acte uniforme n’a pas consacré un titre aux sûretés réelles comme il l’a fait avec les sûretés personnelles. Ce qui n’est pas le cas en droit français où la distinction reste clairement établie. Le législateur OHADA, lui, a consacré plusieurs titres, à la suite de celui relatif aux sûretés personnelles, qui traitent respectivement des sûretés mobilières et des hypothèques.

Sur le plan de la présentation formelle, un tel choix ne se justifie pas, sauf à dévoiler les réticences à regrouper toutes les sûretés sous un même titre. On peut penser que cela relève d’un choix de politique législative, et, à cet effet, relativiser la portée de la situation. Ce qui n’est plus le cas lorsqu’on aborde les définitions des différentes catégories.

L’inadéquation de la définition de la sûreté réelle au droit de rétention
L’article 4 alinéa 2 définit la sûreté réelle comme le droit du créancier de se faire payer par préférence sur le prix de réalisation d’un bien affecté à la garantie de l’obligation de son débiteur, ou le droit de recouvrer la libre disposition d’un bien dont il est propriétaire à titre de garantie de cette obligation. Cette définition est novatrice en ce sens qu’elle intègre les nouvelles propriétés-garanties consacrées par l’OHADA, à savoir la réserve de propriété, la cession de créance à titre de garantie, le transfert fiduciaire de somme d’argent.

Le critère de rang préférentiel, cher à la sûreté réelle a été maintenu . Dans l’ancienne rédaction, la liste des sûretés réelles qui suivaient comportaient toutes un droit de préférence. L’originalité de l’AUS résidait surtout dans sa réglementation du droit de rétention. En effet, alors qu’en droit français le droit de rétention place le rétenteur dans une situation d’exclusivité qui lui permet d’échapper au concours de tous les autres créanciers de son débiteur, l’art. 43 de l’AUS prévoyait, lui, que  » si le créancier ne reçoit ni paiement ni sûreté, il peut, après signification faite au débiteur et au propriétaire de la chose, exercer ses droits de suite et de préférence comme en matière de gage « . A la différence du droit français, l’acte uniforme faisait du droit de rétention une sûreté complète, tranchant ainsi avec les multiples débats que soulevait cette sûreté .

L’option du législateur de supprimer le droit de suite et le droit de préférence au créancier rétenteur, nous replace dans la situation du droit français. Pour soutenir ce revirement, l’on fait valoir les avantages du droit de rétention et le contexte économique de son utilisation. S’agissant des avantages que confère le nouveau droit de rétention, ils sont importants, même s’ils demeurent critiquables . Le créancier rétenteur a un pouvoir réel sur la chose, puisqu’il peut s’opposer à sa restitution. La doctrine lui reconnaît même un pouvoir d’action, qui peut être assimilé à un privilège . Le droit de rétention retrouve toute l’efficacité que le classement prioritaire avait atténuée, notamment en période de procédures collectives. Il s’éteint néanmoins en cas de destruction ou de perte matérielle de la chose, et ne peut se reporter sur l’indemnité d’assurance. Sur le plan pratique, on a relevé que le droit de rétention était très utilisé . Dès lors, il est préférable, pour les besoins du crédit, d’avoir un droit de rétention au domaine étendu mais qui ne produise pas plus d’effet qu’un gage qu’un droit de rétention au domaine d’application plus restreint mais qui confère au rétenteur une véritable situation d’exclusivité.

L’ambition est aujourd’hui très clairement affirmée de faire du droit de rétention une véritable sûreté et de ne pas prendre les effets classiques d’une sûreté pour un critère de qualification . Pourtant, la définition que donne l’article 4 place le droit préférentiel au premier rang de la qualification de la sûreté réelle.

Pour résoudre la contradiction entre la définition de la sûreté réelle et celle du droit de rétention, deux possibilités s’offrent au législateur. Il peut revenir sur le régime antérieur du droit de rétention, ou aménager une nouvelle définition de la sûreté réelle. La première option nous semble illusoire, même si nous militons en faveur d’un retour à l’ancienne rédaction en ce qui concerne les droits du créancier rétenteur. La seconde option est la plus probable, encore qu’au regard de la structuration de l’acte uniforme, il n’est plus opportun de consacrer un article à la classification des sûretés réelles si on ne peut la suivre par la suite.

L’article 4 pourrait tout simplement s’en tenir aux seuls alinéas relatifs au domaine d’application de la réglementation qui a été habillé de couleurs nouvelles

La dynamisation des distinctions complémentaires

En regroupant le domaine d’application de l’acte uniforme sous la définition des différentes sûretés qu’il régit dans un même article, l’acte uniforme a, à notre avis, favorisé d’autres distinctions entre les sûretés fondée sur leur origine. Tel n’était peut-être pas l’objectif recherché. Mais au regard de leurs avantages, nous ne pouvons que féliciter le législateur. Il nous permet ainsi de nous appesantir sur des distinctions généralement négligées. Il s’agit de la distinction fondée sur le droit applicable et de celle fondée sur le constituant.

L’intérêt de la distinction sûretés de droit commun – sûretés de droit spécial

Une différence doit être établie, à notre avis, entre le droit commun des sûretés et les sûretés de droit commun. S’agissant du droit commun des sûretés, le foisonnement actuel des sûretés laisse penser qu’il ne puisse plus exister de principes généraux applicables à toutes les sûretés, mais une multitude de droits spéciaux. Ce ne serait là qu’une autre manifestation de la tendance à la spécialisation des droits décriés par les auteurs . L’on a néanmoins pu démontrer qu’il existait encore un véritable droit commun des sûretés . Celui-ci serait constitué de l’ensemble des règles applicables à toutes les sûretés. C’est à ces principes généraux qu’il est ajouté les règles propres à chaque sûreté.
Les sûretés de droit commun seraient quant à elles l’ensemble des sûretés habituellement étudiées dans le cadre du droit civil. Ces sûretés pourraient être utilisées dans tous les domaines de la vie, civile ou commerciale. A côté d’elles, le droit commun a toujours reconnu l’existence de sûretés particulières, relevant de législations spéciales, adaptées à un domaine particulier.

Pendant longtemps, ces sûretés étaient expressément exclues du droit commun. Ce qui favorisait leur délaissement par les études consacrées aux sûretés. L’article 4 de l’acte uniforme vient en quelque sorte les restaurer. En effet, il se fait moins radical et précise que certaines sûretés « peuvent » faire l’objet de législations spéciales. Il s’agit de sûretés propres au domaine fluvial, maritime, aérien, qui, jusqu’ici, se limitent aux privilèges et hypothèques mobilières. Il s’agit aussi de certaines sûretés légales, tel que le crédit-bail. Une mention importante est consacrée pour la première fois aux sûretés constituées par les établissements de financement.

Pour certains, ce ne sont pas les sûretés exclues, mais les biens particuliers sur lesquels portent ces sûretés qui ont été ramenées dans l’acte uniforme. Ainsi, « le financement d’un avion, d’un navire et les garanties y afférentes ne se trouvent plus exclus du droit créé par le Traité de l’OHADA ». Ce qui « constitue un éventail supplémentaire au profit des banquiers et des établissements de financement » .
On peut aussi affirmer que l’article 4 de l’AUS établit un pont entre les sûretés de droit commun et les sûretés relevant de législations spéciales. En effet, il signifie que si de telles sûretés ne sont pas réglementées, on peut leur appliquer, dès lors qu’elles sont reconnues, les dispositions de l’acte uniforme. Un doute aurait pu être émis à la lecture de l’alinéa 2 de l’article 4 qui fait état de ce que l’acte uniforme s’applique aux seules sûretés réelles qu’il énumère. Il faut plutôt comprendre dans cet article un effort de mettre un frein à ce qui tend à être une véritable anarchie en matière de création de sûreté. Dès lors, l’autonomie de la volonté ne saurait créer de sûretés réelles. De tels mécanismes seraient des garanties, et non pas des sûretés, au sens de la conception intermédiaire.

Pour finir, la nouvelle formulation de la distinction entre les sûretés de droit commun et les sûretés spéciales invite la doctrine à accorder un peu plus d’attention, dans leurs ouvrages, à ces sûretés particulières, au même titre que les différentes sûretés énumérées par l’acte uniforme. Une place de choix sera également accordée à la nouvelle distinction sûreté soi-même et sûreté pour autrui.

L’opportunité de la distinction sûreté pour soi-même – sûreté pour autrui

L’article 4 ne manque pas d’intriguer. Il mentionne expressément que la sûreté réelle peut émaner du débiteur ou d’un tiers, alors que cela ne faisait l’ombre d’aucun doute. Seulement, la nature de l’engagement du tiers n’était pas précisée. Au sein de la doctrine et de la jurisprudence, notamment françaises, les positions divergeaient sur la question de savoir si l’engagement du tiers était constitutif d’un cautionnement, d’une sûreté réelle ou d’une construction sui generis. Certes la qualification de cautionnement réel était retenue, même par les textes, mais le régime n’était pas établi. Ce qui a conduit à parler de la nature juridique mixte du cautionnement réel , pour justifier l’application concomitante des règles du cautionnement et de la sûreté réelle.
Par un arrêt du 02 décembre 2005, la cour de cassation a clairement spécifié que la constitution par le tiers d’une sûreté n’impliquait aucun engagement personnel de sa part . Cette position est confortée par l’ordonnance du 23 mars 2006, qui consacre le gage pour autrui.
En droit OHADA, le législateur avait déjà pris le parti de faire du cautionnement dit réel une modalité du cautionnement. Cette option a été maintenue dans la réforme. Aux termes de l’article 22, « la caution peut garantir son engagement en consentant une sûreté réelle sur un ou plusieurs biens. Elle peut également limiter son engagement à la valeur de réalisation du ou des biens sur lesquels elle a consenti une telle sûreté ». Ces dispositions sont annonciatrices du régime juridique mixte de cette modalité du cautionnement. Elle combine alors les techniques des sûretés personnelles car la personne s’engage d’abord comme caution et les techniques des sûretés réelles car le bien peut être affecté en garantie suivant diverses modalités telles que l’hypothèque ou le gage . L’on a certes relevé les difficultés de cette combinaison, mais non sans avoir félicité l’audace du législateur OHADA .
La réglementation du cautionnement réel ne permettant néanmoins pas de se prononcer sur le sort de la sûreté constitué en dehors de tout contrat de cautionnement, la réforme a remédié à cette lacune. Elle entend lever tout obstacle à la constitution de la sûreté réelle pour autrui. Ce qui permet de distinguer, à côté de la sûreté personnelle qu’est le cautionnement assorti d’une sûreté réelle, la sûreté réelle constitué par un tiers. Ainsi, toute sûreté réelle peut être constituée par le débiteur ou par un tiers.

Pour certain, il faut voir dans la nouvelle réglementation une suppression du cautionnement réel . En réalité, c’est l’expression qui est supprimée, et certaines équivoques sur le régime levées. La sûreté peut être constituée par un tiers sans que cela ne constitue un cautionnement réel. Autrement dit, la sûreté réelle peut être constituée par un tiers sans engagement personnel de sa part. Le tiers ici n’est pas l’agent de sûreté, nouvelle institution consacrée par la réforme . Les raisons de son engagement sont fort diverses. Il peut rendre un service d’ami ou être en relation d’affaires avec le débiteur.

La distinction entre la sûreté réelle constituée par le débiteur et la sûreté réelle constituée par un tiers vient, tout comme celle relative aux sûretés spéciales, élargir l’éventail des possibilités de crédit. La consécration de la sûreté pour autrui participe également de la simplification des formalités de constitution des sûretés. Le tiers ne sera pas soumis au formalisme de la caution. Mais pratiquement, pour sa sécurité, étant donné qu’il ne bénéficie pas des mécanismes de protection de la caution, relativement à la mise en demeure et à l’obligation d’information, il est à craindre qu’il puisse être dépossédé de son bien à un moment où il ne s’y attendait pas. Si l’on soutient que le législateur OHADA a privilégié à ce sujet la liberté contractuelle, il faudrait penser que les tiers constituants seraient assez conscients de la précarité de leur situation et s’aménageraient des techniques conventionnelles de protection.

En définitive, l’article 4 est à lui seul un complexe. Un complexe de dispositions sans lien apparent ; un complexe d’avancées et de reculées du législateur OHADA. Le choix de l’envisager sous le prisme de la classification des sûretés nous a permis de nous rendre compte de l’inopportunité actuelle de la distinction entre sûreté réelle et sûreté personnelle. Par ailleurs, l’étude des autres distinctions, très intéressantes, nous ramène essentiellement au domaine des sûretés. A ce titre, nous pensons que l’article 4 devrait être simplifié, pour se limiter à la précision des sûretés que l’acte uniforme régit, qu’elles relèvent du droit commun ou du droit spécial, ou qu’elles soient constituées par le débiteur ou par un tiers.

Ce ne sont là que des propositions d’améliorations, qui viennent s’ajouter au travail de clarté et de précision qu’a opéré le législateur OHADA. Nous sommes en effet de l’avis de Jestaz que le droit des sûretés sera par la force des choses, très touffu, compliqué et encombré . Mais pas « toujours ».