Le bail à usage professionnel à l’épreuve de la procédure collective du bailleur en droit OHADA

En vue d’asseoir la sécurité juridique et judiciaire indispensable à un cadre attractif pour l’investissement, les pays membres de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des affaires (OHADA) se sont inscrits dans une logique d’intégration de leur droit par le biais de l’adoption d’Actes uniformes et de règlements . Ces normes suscitent un intérêt de plus en plus important de la part de la doctrine . L’originalité de la démarche du législateur communautaire est perceptible à travers la fixation d’une liste non exhaustive de disciplines juridiques considérées comme en ressortissant en lieu et place d’une définition du droit des affaires. Au titre de celles-ci, le droit des procédures collectives d’apurement du passif à l’importance avérée lorsque l’on sait que l’entreprise, dont la création est encouragée par une démarche incitative, peut être confrontée, à un moment donné de son existence, à des difficultés. C’est donc, de façon opportune, que l’OHADA s’est intéressée à cette branche du droit qui appréhende les difficultés de l’entreprise en organisant, d’une part, les procédures dont elle peut faire l’objet et, d’autre part, les sanctions relatives à la défaillance du débiteur et des dirigeants de l’entreprise débitrice.
La discipline est complexe en raison, entre autres, de la pluralité de droits auxquels elle fait appel et des objectifs visés qui ne sont pas toujours compatibles. Au souci de protection des créanciers impayés et de sanction du commerçant, préoccupation initiale, s’est agrégée la sauvegarde de l’entreprise en difficulté.

Les procédures collectives peuvent être définies comme celles plaçant toute personne physique ou morale de droit privé exerçant une activité économique en cessation des paiements , sous le contrôle de la justice et la faisant bénéficier de la suspension des poursuites. Bien que l’Acte uniforme institue trois procédures, seuls le redressement judiciaire et la liquidation des biens doivent être considérés comme en étant véritablement . En principe, le règlement préventif n’en ressortit pas puisqu’intervenant avant la cessation des paiements, à l’initiative du débiteur qui veut en bénéficier .

Avant l’avènement de la réglementation commune des procédures collectives d’apurement du passif , les législations nationales des pays membres de l’OHADA étaient disparates. Certaines reprenaient, pour l’essentiel, les dispositions de la loi française du 13 juillet 1967 , alors que d’autres intégraient des réformes postérieures comme la loi n°85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises . Bien des Etats demeuraient régis par la législation du Code du commerce, telle que modifiée par les lois du 28 mai 1838 et 4 mars 1889 et du décret-loi du 8 août 1935 qui consacrait deux procédures : la faillite avec pour conséquence la disparition de l’entreprise par la réalisation de l’intégralité de son actif et l’apurement de son passif et la liquidation judiciaire . L’Acte uniforme représente un tournant important en ce qu’il marque le passage d’un objectif principal d’apurement du passif à celui surtout de sauvetage de l’entreprise . Par la même occasion, les Etats-Parties consacrent une nouvelle conception de la défaillance des entreprises avec pour ambition de sauvegarder les entreprises qui pouvaient l’être et de limiter au maximum la perte de richesses résultant de leurs difficultés et, éventuellement, de leur disparition .

Dans cette perspective, la question du bail à usage professionnel, élément fondamental dans la poursuite de l’activité et la compétitivité de l’entreprise, représente un enjeu majeur . C’est que l’entreprise dont les difficultés sont appréhendées consécutivement à la cessation de paiement n’est pas toujours propriétaire des locaux abritant son activité. Elle peut en obtenir la jouissance dans le cadre d’une convention. A la lumière de l’article 103 de l’Acte uniforme portant Droit commercial général (AUDCG), le bail à usage professionnel se définit comme le contrat, écrit ou non, entre une personne investie par la loi ou une convention du droit de donner en location tout ou partie d’un immeuble à usage commercial, et une autre personne physique ou morale, permettant à celle-ci, le preneur, d’exercer dans les lieux et avec l’accord de celle-là, le bailleur, une activité commerciale . Dès lors il ressort que le bail à usage professionnel est une convention synallagmatique à titre onéreux puisque, moyennant le paiement d’un loyer, le bailleur laisse au preneur la jouissance de ses locaux.
L’importance du lieu de localisation de l’entreprise explique, en grande partie, la protection particulière dont le preneur fait l’objet lorsqu’il n’est pas propriétaire des lieux d’exploitation de son entreprise. Le droit au bail, qui confère au fonds l’assise territoriale stable indispensable pour la clientèle, constitue un élément essentiel du fonds de commerce. D’ailleurs, outre les stipulations relatives à la location, le bail à usage professionnel peut contenir un pacte de préférence au profit du locataire pour le cas de vente de l’immeuble.

Le droit au renouvellement du bail à durée déterminée ou indéterminée est acquis au preneur qui justifie avoir exploité conformément aux stipulations contractuelles, l’activité prévue, pendant une durée minimale de deux (2) ans. Aucune clause ne peut y faire échec . Il est vrai que la stabilité des relations contractuelles constitue le droit le plus fondamental que le preneur tire du statut du bail à usage professionnel. Avec la crise économique et financière persistante, beaucoup d’entreprises se trouvent confrontées à des difficultés pouvant les conduire à une cessation de paiement. Ce faisant, la question de l’impact de la procédure collective sur ce régime se pose. Elle a, d’ailleurs, fait l’objet de nombreux travaux qui, pour l’essentiel, se sont limités aux difficultés du preneur, occultant celles du bailleur.
Or, avec l’exode rural et son corollaire la spéculation foncière, dans bon nombre de villes, des sociétés civiles immobilières, dont l’activité consiste à investir dans l’immobilier locatif, ont fait irruption. De sorte que, de plus en plus, le bailleur revêt la forme d’une société civile qui, comme les sociétés commerciales, n’est pas à l’abri de difficultés économiques . Avec le développement de l’investissement locatif, le bailleur n’est pas à l’abri d’une procédure collective, d’autant que le placement immobilier n’est pas une sinécure. Le bailleur qui évalue mal les risques financiers liés à cette opération spéculative peut être confronté à une situation de cessation de paiement ou, à tout le moins, justifier de difficultés de nature à y conduire . Manifestement, le législateur communautaire n’a pas expressément envisagé un tel cas de figure. Il est pourtant opportun de considérer l’hypothèse en se posant la question de savoir s’il faut, pour juguler les lacunes de la loi, appliquer au bailleur en difficulté les règles édictées pour la procédure collective du preneur au risque de priver celui-ci de la protection du statut du bail à usage professionnel. Plus précisément, il s’agit de déterminer l’incidence de la procédure collective du bailleur sur le bail commercial en cours.

L’étude d’une telle question est profitable à plusieurs titres. Tout d’abord, il représente, devant les atermoiements de la jurisprudence , l’occasion de clarifier la situation du bailleur et du preneur dans l’hypothèse d’ouverture d’une procédure collective concernant le premier. Ensuite, il permettra de révéler l’importance du bail à usage professionnel dans l’activité de l’entreprise notamment à travers l’analyse des règles gouvernant la continuation ou la résiliation de ce contrat en cas d’effondrement du crédit du bailleur.

La réflexion s’impose d’autant qu’il faut faire cohabiter les dispositions d’ordre public que sont, d’une part, celles relatives aux procédures collectives et, d’autre part, certaines régissant le bail à usage professionnel. A priori, les deux corps de règles participent, essentiellement, du souci de protection du preneur et non du bailleur en difficulté dont il convient, pourtant, de préserver l’outil de production. Par conséquent, dans l’hypothèse de soumission du bailleur à une procédure collective, toute la difficulté est d’assurer l’articulation entre le droit spécial des procédures collectives avec celui du bail commercial. L’opération est ardue car la contradiction est avérée entre le souci de protection de l’entreprise du bailleur et le statut du bail commercial qui est surtout protecteur du preneur ou de son fonds. Le risque que le bailleur use du droit des procédures collectives pour s’affranchir de ses obligations relativement au bail commercial est réel.
De façon générale, quelle que soit la partie frappée par la cessation de paiement, le régime érigé en direction des contrats en cours a vocation à recevoir application. Il reste, entre autres, à savoir si le droit d’option qui le caractérise est pertinent rapporté au bail commercial lorsque c’est le bailleur qui est assujetti à une procédure collective. En principe, la question appelle une réponse négative. Dans sa relation au locataire, le propriétaire de l’immeuble est, sans aucun doute, le maillon fort. D’où la protection spécifique dont fait l’objet le preneur dans le cadre du bail à usage professionnel. Il est dès lors difficilement envisageable que l’assujettissement du bailleur à une procédure collective se traduise par une remise en cause de cette préoccupation .
En tout état de cause, les questions liées au bail à usage professionnel diffèrent selon que congé a été donné au preneur avant la procédure collective du bailleur ou non. Dans la première hypothèse, les enjeux concernent surtout l’indemnité d’éviction(II). La seconde, quant à elle, interpelle plutôt le sort du contrat de bail lui-même (I).

I. Le sort du bail à usage professionnel en cas de procédure collective du bailleur

Le bail commercial envisagé à l’ouverture de la procédure collective du bailleur, pose surtout la question de l’application du régime des contrats en cours tel qu’il est décliné. D’abord, par l’article 108 de l’AUPC qui dispose que : « Le syndic conserve seul, quelle que soit la procédure ouverte, la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours à charge de fournir la prestation promise à l’autre partie ». Ensuite, par l’article 97 de l’AUPC, qui offre au débiteur assisté du syndic ou à ce dernier, en fonction des cas, la possibilité de continuer ou non le bail. De la combinaison de ces dispositions, il ressort que l’ouverture de la procédure collective n’entraîne pas la résiliation du bail. Néanmoins, elle est de nature à provoquer la fragilisation du lien contractuel.

A/ Le maintien du contrat en dépit de la cessation de paiement du bailleur

Le bailleur peut y trouver son intérêt dans le cas où il est confronté à un redressement judiciaire puisque les revenus générés par les loyers peuvent contribuer à juguler les difficultés auxquelles il se trouve ponctuellement confronté. Par ailleurs, le souci de sauvetage de l’entreprise en difficulté, viable économiquement, doit pouvoir également expliquer que le droit des procédures collectives fasse échec à certaines clauses contractuelles visant à se prémunir contre les difficultés éventuelles. La continuation du contrat de bail s’oppose à la résolution du contrat, dans une certaine mesure. Elle emporte, en même temps, le respect de ses termes.

1. L’indifférence de la procédure collective sur l’existence du contrat

A la lumière de l’article 107 de l’AUPCAP : « Hormis pour les contrats conclus en considération de la personne du débiteur et ceux prévus expressément par la loi de chaque Etat-Partie, la cessation des paiements déclarée par décision de justice n’est pas une cause de résolution et toute clause de résolution pour un tel motif est réputée non écrite» . La règle de l’inefficacité des demandes en résolution fondées sur la cessation de paiement ne vaut qu’en direction des contrats qui ne sont pas conclus en considération de la personne .

a) La nature du contrat de bail

Les contrats intuitu personae sont ceux dont la considération de la personne a été décisive dans leur conclusion comme le mandat, les contrats de compte courant et d’ouverture de crédit, le contrat de cautionnement, la commission, les contrats de franchise et les concessions d’exclusivité . Leur conclusion requiert une certaine relation de confiance entre les cocontractants.

De manière générale, le bail ne peut pas être considéré comme ressortissant de cette catégorie . En effet, celui-ci se poursuit même si le preneur ou le bailleur décède en vertu de l’article 111 de l’AUDCG qui précise que le bail ne prend pas fin par le décès de l’une ou l’autre des parties. L’analyse est confortée par l’article 118 du même Acte uniforme qui permet au preneur de céder le bail . La cession s’impose au bailleur lorsqu’elle se fait avec la totalité des éléments permettant l’activité dans les lieux loués .

En réalité, le bailleur s’intéresse moins à l’identité de son locataire qu’au versement régulier de son loyer. Ce faisant, le bail à usage professionnel profite de la règle de l’inefficacité des demandes en résolution fondées sur la cessation de paiement.

b) L’inefficacité des demandes en résolution fondées sur la cessation de paiement

En droit commun des contrats, chaque contractant, pour éviter de devoir recourir au juge aux fins de résolution de la convention, dans certaines conditions, peut veiller à l’insertion d’une clause résolutoire . L’OHADA s’inscrit dans cette logique et ne s’oppose pas, de façon systématique, à ce type de clause. Elle écarte uniquement celles qui trouveraient leur justification dans les difficultés économiques du débiteur ou de son entreprise. Leur opportunité ne pose donc pas de difficulté lorsqu’elles sont exprimées en termes généraux, le juge se réservant un pouvoir d’appréciation dans le cas où elles sont formulées de manière équivoque .

L’interdiction vaut pour toute la procédure puisqu’elle s’applique une fois que la cessation de paiement a été judiciairement constatée et une procédure d’apurement du passif ouverte. La législation communautaire a pu être inspirée par le principe d’égalité des créanciers chirographaires en vertu duquel il serait impossible à l’un d’entre eux d’améliorer sa situation au détriment des autres par le biais d’une convention particulière .

La dérogation au droit commun se justifie par des considérations pratiques. Si la validité de la clause résolutoire était admise, la clause deviendrait une clause de style parce qu’elle présente l’avantage de procurer une solution simple et rapide au cocontractant. Ce dernier pourrait se libérer aisément de son engagement en invoquant ladite clause .

L’interdiction s’inscrit dans la logique du nouveau système de valeur, essentiellement, d’ordre économique, qui sous-tend la législation des procédures collectives. Elle n’a vocation, cependant, à opérer que lorsque la clause conditionne la résolution du contrat à l’ouverture de la procédure. Ce faisant, les clauses reposant sur d’autres considérations devraient pouvoir jouer en dépit de l’ouverture de la procédure.
Par ailleurs, les contrats synallagmatiques se caractérisent par l’interdépendance des obligations réciproques qu’ils imposent aux cocontractants. Deux conséquences majeures découlent de l’inexécution de telles conventions. Si l’un des partenaires contractuels réclame l’exécution de sa créance, sans s’être acquitté de sa dette, l’autre peut refuser de payer en invoquant l’exception d’inexécution. Si l’une des parties ne satisfait pas à ses engagements, l’autre pourra demander la résolution du contrat . Dans la même logique, l’article 133 de l’AUDCG relatif au bail à usage professionnel dispose que le preneur et le bailleur sont tenus, chacun en ce qui le concerne, au respect des clauses et conditions du contrat sous peine de résiliation .
A priori, ces principes se concilient difficilement avec les objectifs de maintien de l’activité. Assurer la survie de l’entreprise implique qu’il soit procédé à la préservation des liens contractuels dont le réseau conditionne la marche . Dans le but de rencontrer cette exigence, le législateur communautaire maintient en force exécutoire, dans une certaine mesure, les contrats en cours en entravant notamment leur résolution lorsqu’elle est fondée sur l’ouverture d’une procédure collective.

Le droit des procédures collectives s’oppose à toute action judiciaire tendant à obtenir la résolution, motif pris de l’ouverture d’une procédure collective. L’article 107 de l’AUPCAP est on ne peut plus clair : « La cessation des paiements déclarée par décision de justice n’est pas une cause de résolution ». Elle ne saurait nullement être regardée comme un manquement susceptible d’entraîner l’anéantissement du contrat de bail.

En raison des objectifs assignés au droit des procédures collectives, il est difficile d’envisager qu’une action en résolution d’un contrat fondé sur le déclenchement d’une procédure puisse aboutir. Il y a donc lieu de circonscrire le champ d’application de ce dernier texte en dehors des considérations relatives aux difficultés de l’entreprise. Autrement dit, de la lecture conjointe desdits articles, on peut déduire, qu’en principe, toutes les actions en résolution d’un contrat sont admises à l’exception de celles justifiées expressément par l’ouverture de la procédure collective . La solution trouve sa raison d’être dans le fait que l’ouverture de la procédure collective ne doit pas être un obstacle à l’anéantissement judiciaire des contrats non exécutés .

Par rapport au droit français qui constitue pourtant sa source d’inspiration, le législateur OHADA fait preuve d’originalité . Le droit français n’admet pas d’action en résolution fondée sur une inexécution antérieure au jugement d’ouverture à condition toutefois qu’elle concerne le paiement d’une somme d’argent.

2. La continuation du bail en dépit de la survenance de la cessation de paiement

L’ouverture d’une procédure collective à l’endroit du bailleur ne le dispense pas de ses obligations découlant du bail à usage professionnel. En cas de continuation du contrat, chacune des parties est tenue de l’exécuter conformément aux clauses et conditions existant au jour du jugement d’ouverture. La poursuite du contrat doit s’effectuer selon les termes initialement convenus par les cocontractants. Par ailleurs, la résurgence des conditions initiales du contrat ne se traduit pas seulement par le maintien des stipulations voulues par les parties, mais encore par l’application des règles de droit commun applicables au contrat de bail. Ainsi lorsqu’il est à durée indéterminée, la règle fondamentale de la faculté de résiliation unilatérale a vocation à s’appliquer.

Ainsi, il ressort de l’article 108 AUPCAP que, dans l’hypothèse où la continuation est préférée à la rupture, le syndic a la charge de fournir la prestation promise. Tant que le preneur s’acquitte de son loyer, le bailleur ou le syndic est tenu de lui garantir la jouissance paisible des locaux. La même position est adoptée par le législateur français à travers l’article L 622-13 du code de commerce. L’administrateur ayant exigé l’exécution du contrat en cours a l’obligation de fournir la prestation promise au contractant qu’est le preneur. Le bailleur placé en redressement judiciaire ne saurait s’affranchir des obligations de droit commun qui pèsent sur lui et spécialement de son obligation d’entretenir la chose louée en procédant à toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives .

Le même principe de respect des stipulations contractuelles s’applique en cas de cession du contrat. La cession réalisant un remplacement du cédant par le cessionnaire, elle nécessite corrélativement le maintien des stipulations initiales . Toutefois, la succession de contractants qui se trouve réalisée, sur la base de la relation contractuelle d’origine, rend ardue la transposition pure et simple de cette dernière. Cette particularité rend nécessaire certaines adaptations .

Le système dérogatoire de continuation des contrats en cours trouve ses limites dans la logique de l’adage speciala generalibus derogant. Dès lors, les actions en résolution fondées sur des causes antérieures à la procédure collective restent possibles conformément à l’article 97 de l’AUPC qui intègre la possibilité pour le bailleur de demander ou de faire constater la résiliation pour des causes antérieures à la décision d’ouverture.

La continuation du contrat ne doit pas se faire au détriment du créancier du bailleur. Le preneur est créancier d’une occupation paisible et d’une pleine jouissance des locaux loués. Il reste tout de même qu’en cas de liquidation des biens, inévitablement, l’immeuble fera l’objet d’une vente. Pour obtenir un bon prix, le liquidateur peut être tenté de se libérer du contrat de bail commercial dont il doit assurer la continuation, au mépris des exigences du statut régissant ce dernier.

B/ La fragilité du lien contractuel en raison de l’ouverture de la procédure collective

Elle est attestée par la consécration par le législateur communautaire d’un droit d’option, à la portée générale, concernant les contrats en cours au jour d’ouverture de la procédure. Il résulte, expressément, de l’article 108 . Si son existence ne pose pas de difficulté particulière, il importe tout de même de cerner la manière dont le syndic exerce la faculté de résiliation.

1. Le droit d’option du syndic

Il importe d’en déterminer non seulement les justifications mais également le champ d’application.

a) Les justifications du droit d’option du syndic

La question de l’option est rendue délicate par le fait que deux corps de règles, d’ordre public, s’enchevêtrent. Tout d’abord, le droit des procédures collectives qui vise plutôt la sauvegarde de l’outil de production et le statut du bail professionnel particulièrement protecteur du supposé maillon faible dans la relation contractuelle, à savoir le preneur dont la propriété commerciale doit être sécurisée.

La poursuite du bail ne pose pas véritablement de difficultés pour le preneur in bonis puisqu’il est maintenu dans les locaux où il continue à exercer son activité. Seulement, en cas de redressement judiciaire ou de liquidation des biens, l’intérêt pour le bailleur d’obtenir la résiliation du bail est réel. Dans le premier cas, il peut souhaiter se débarrasser du preneur aux fins d’obtenir une augmentation de loyer avec un autre preneur. Dans le second, le liquidateur peut être tenté de se libérer du bail dans le souci d’obtenir le meilleur prix dans la perspective de la vente inévitable de l’immeuble consécutivement à liquidation des biens de l’entreprise propriétaire. Face à cette réalité deux options sont envisageables.

La première consiste à privilégier les impératifs de la procédure collective. Le liquidateur pourra alors faire libérer les locaux afin d’en obtenir un meilleur prix dans le but d’apurer le passif. Ce faisant, le preneur ne pourra prétendre qu’au paiement de dommages et intérêts à déclarer au passif du bailleur. Il est cependant difficilement acceptable que le syndic puisse, par sa seule volonté, mettre fin au bail au mépris du statut des baux commerciaux qui vise à garantir au preneur en règle une certaine stabilité dans sa situation. S’il n’est pas douteux que la dénonciation anticipée d’un bail soumis à ce statut profiterait au bailleur et à ses créanciers, il est tout aussi sûr qu’il constituerait quasiment une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique . L’objectif même du droit des procédures collectives qui est de sauver, tant qu’il est possible, l’outil économique s’accommode difficilement du fait que la liquidation des biens de l’entreprise du bailleur puisse un tant soit peu entrainer celle du preneur irréprochable.

La seconde consisterait à faire prévaloir la protection statutaire du bail commercial sur le droit d’option, auquel cas le syndic sera tenu d’exécuter le bail. Mais le preneur doit éviter de prendre le risque de le mettre en demeure, par lettre recommandée ou par tout moyen laissant trace écrite, d’exercer son option ou de fournir la prestation promise. En effet, en cas de silence ou de réponse négative, le bail serait résilié de plein droit . Ce faisant, le preneur ne pourrait prétendre ni à une indemnité d’éviction ni au droit de se maintenir sur les lieux.
Les garanties de paiement qui diffèrent dans les deux cas constituent un enjeu décisif. Alors que le preneur qui a droit à l’indemnité d’éviction peut se maintenir dans les locaux jusqu’à son paiement, il en va autrement du preneur dont le contrat a été résilié. Non seulement, il ne bénéficie pas de la priorité de paiement mais, en plus, à l’instar des autres créanciers antérieurs, il doit déclarer la sienne au passif de la procédure collective . Avec deux solutions envisageables, la détermination du champ d’application du droit d’option s’impose.

b) Le champ d’application du droit d’option du syndic

A prime abord, lorsque l’entreprise du bailleur est soumise à une procédure collective rien ne permet dans la loi d’évincer le régime général des contrats en cours et donc d’écarter le droit d’option du syndic ou du liquidateur. Pourtant la détermination du champ d’application du droit d’option divise la doctrine. D’aucuns , se fondant sur le particularisme du bail soumis au statut des baux commerciaux, soutiennent que le mandataire à la procédure collective du bailleur ne saurait tirer profit du droit d’option. Selon eux, penser autrement équivaudrait tout simplement à accepter le sacrifice de l’entreprise saine du preneur in bonis en permettant la résiliation du bail au mépris des conditions posées par le statut des baux commerciaux. D’autres, par contre, estiment que, concernant le bail commercial, il n’existe pas au regard des procédures collectives de réglementation spéciale de nature à justifier l’éviction du régime général .

A travers l’article 97 , l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif dispose que : « L’ouverture de la procédure collective n’entraine pas, de plein droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’activité professionnelle du débiteur, y compris les locaux qui, dépendant de ces immeubles, servent à l’habitation du débiteur ou de sa famille. Toute stipulation contraire est réputée non écrite. Le syndic, en cas de liquidation des biens, ou le débiteur assisté du syndic, en cas de redressement judiciaire, peut continuer le bail ou le céder aux conditions éventuellement prévues au contrat conclu avec le bailleur et avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent… »

Sans aucun doute, il s’agit de dispositions ayant vocation à s’appliquer dans le cas où le preneur est confronté à des difficultés économiques conduisant à sa cessation d’activités. L’analyse est confortée par la raison d’être du droit d’option qui participe du souci de permettre à l’entreprise en difficulté de renoncer aux contrats dont l’exécution s’avère trop onéreuse . Elle est donc surtout pertinente dans le cas où cette exécution a un coût financier. Or, si l’on considère le bail à usage professionnel, le coût financier est à la charge du preneur. Contre le paiement du loyer convenu, son entreprise profite de la jouissance des lieux. Ce n’est que de façon exceptionnelle, c’est-à-dire lorsqu’il est appelé à procéder à de grosses réparations dans les lieux loués que le bailleur supporte les frais. En pareille occurrence, le contrat de bail coûterait plus à l’entreprise en difficulté du bailleur qu’il ne lui rapporterait. Dès lors, on peut raisonnablement envisager que ce dernier, malgré les conséquences fâcheuses pour le preneur, puisse se dégager d’un contrat dont l’exécution s’avère particulièrement onéreuse pour lui. La solution serait conforme à la raison d’être du régime des contrats en cours et ne serait pas particulièrement choquante lorsque l’on sait que le législateur lui-même a érigé la possibilité pour le preneur, certes en difficulté, d’opter pour la résiliation du bail.

Tel qu’il est rédigé actuellement, l’article 97 est centré surtout sur la situation du preneur en difficulté et ignore, quelque peu, celle du bailleur. L’explication réside, probablement, dans le fait que, jusqu’ici, dans les pays de l’espace OHADA, les procédures collectives concernent, pour une large part, le preneur. Avec la présence actuellement des sociétés civiles immobilières dans le milieu locatif, il urge que le législateur communautaire se positionne clairement pour contribuer à éclaircir davantage le régime juridique de l’option.
Le fait que le droit d’option concernant le bail ne bénéficie pas, a priori, au bailleur confronté à une procédure collective ne signifie aucunement que ce dernier est privé de la possibilité de demander la résiliation du bail à usage professionnel. La protection aménagée par l’Acte uniforme portant organisation des procédures d’apurement du passif signifie uniquement que la survenance d’une procédure collective ne peut être constitutive de faute et, par conséquent, ne saurait entraîner la fin de contrat. C’est dire que l’article 133 de l’AUDG qui permet à l’une des parties de demander, en cas de manquement de l’autre à ses obligations, la résiliation du contrat de bail n’est pas écartée. Aussi le bailleur est légitimé à demander la résiliation du contrat pour des manquements antérieurs ou postérieurs à l’ouverture de la procédure. D’ailleurs, selon toujours l’article 97 de l’AUPC, le bailleur qui entend demander ou faire constater la résiliation pour des causes antérieures à la décision d’ouverture, doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans le mois suivant la deuxième insertion au journal d’annonces légales prévue par l’article 36 ou l’insertion au journal officiel prévue par l’article 37 alinéa 3 . Le bailleur qui entend former une demande en résiliation du bail pour des causes nées postérieurement à la décision d’ouverture doit l’introduire dans un délai de quinze jours à dater de la connaissance par lui de la cause de résiliation. Celle-ci est prononcée lorsque les garanties offertes sont jugées insuffisantes par la juridiction compétente pour garantir le privilège du bailleur.

2. L’exercice par le syndic de la faculté de résiliation

En principe, il revient au syndic le soin d’opter ou non pour la continuation du contrat. Devant son inertie ou de non manifestation de sa volonté de poursuivre le contrat, l’article 108 de l’AUPC offre au cocontractant la possibilité de le mettre en demeure de se prononcer dans un délai de trente jours. La mise en demeure se fait par lettre recommandée ou tout autre moyen laissant trace écrite. S’il ne s’exécute pas dans les délais impartis, il s’en suit la résolution de plein droit du contrat . A la lumière de l’article 109 de l’AUPC, le fait pour le syndic de ne pas user de sa faculté d’option ou de ne pas fournir la prestation promise dans le délai imparti par la mise en demeure entraine, en outre, le paiement de dommages et intérêts dont le montant sera produit au passif au profit de l’autre partie. Le cocontractant ne peut compenser les acomptes reçus pour des prestations non encore fournies par lui avec les dommages et intérêts dus pour la résolution. Cependant la juridiction compétente saisie de son action en résolution contre le syndic, peut prononcer la compensation ou l’autoriser à différer la restitution des acomptes jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts.
Malgré que le bailleur en difficulté ne puisse pas, en principe, se prévaloir du droit d’option concernant le contrat de bail professionnel, il se peut que le syndic ne poursuive pas la relation contractuelle. Dès lors, se pose la question de savoir si le contrat est automatiquement résilié. De la lettre de l’article 108 on ne peut tirer de réponse positive. A contrario, le contrat auquel renonce l’organe de la procédure, en dehors de toute mise en demeure, n’est pas automatiquement résilié. Il appartient au cocontractant, et à lui seul, de saisir le juge pour obtenir la résolution du contrat. Le problème c’est qu’en cas de difficulté du bailleur, le preneur n’a nullement intérêt à demander la résiliation de son contrat . Finalement, en l’absence d’initiative de ce dernier le contrat est censé suivre son cours. Seule cette solution est respectueuse des droits du preneur. Or, selon l’article 97 de l’AUPC, si le syndic ou le débiteur assisté du premier, en fonction des cas, décide de ne pas poursuivre le bail, celui-ci est résilié sur simple congé formulé par acte extrajudiciaire. La résiliation prend effet à l’expiration du délai de préavis notifié dans cet acte, qui ne saurait être inférieur à trente jours. En raison des objectifs assignés au statut des baux commerciaux la solution est difficilement concevable dans le cas de l’ouverture d’une procédure contre le bailleur . La problématique est tout à fait différente lorsque le preneur n’avait pas reçu congé avant l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du bailleur.

II. Le sort de l’indemnité d’éviction en cas de congé donné au preneur antérieurement à la procédure collective

Le bailleur peut, conformément à l’article 123 de l’AUDCG, faire échec au droit au renouvellement en acceptant de verser une indemnité d’éviction. C’est cette dernière qui est en jeu lorsque congé a été donné par le bailleur avant qu’il ne soit confronté à une procédure collective. Si sa naissance ne pose pas de difficultés particulières (A) il n’en reste pas moins nécessaire de préciser les modalités de son paiement (B).

A/ La détermination de la créance du preneur

L’indemnité d’éviction est intrinsèquement liée au droit au renouvellement reconnu au preneur dont il sanctionne le non respect. Elle constitue, en quelque sorte, pour le bailleur, le prix à payer pour reprendre sa liberté et, pour le preneur, la réparation du préjudice qu’il subit pour le non renouvellement de son bail. Il importe dès lors de préciser, tour à tour, les conditions et la date de sa naissance.

1. Une naissance assujettie à l’inexistence de motifs légitimes

L’importance du droit au renouvellement du bail commercial est telle que la pratique la désigne sous le nom de propriété commerciale. Elle est la contrepartie du droit du bailleur de refuser le renouvellement du bail arrivé à expiration. Elle est due à tout preneur ayant satisfait aux conditions posées à l’article 91 de l’Acte uniforme relatif au Droit commercial général. Le locataire doit justifier avoir exploité conformément aux stipulations du bail, l’activité prévue à celui-ci, pendant une durée minimale de deux ans. Mais en dépit de l’importance qu’elle revêt pour le preneur, l’indemnité d’éviction n’est pas due, dans certaines situations particulières qui lui sont, soit propres, soit étrangères.

La première est liée à son comportement fautif. Le bailleur n’est pas tenu lorsqu’il dispose d’un motif grave et légitime tenant à l’inexécution par le locataire d’une de ses obligations essentielles ou encore à la cessation de l’exploitation de son activité. Le bailleur ne peut invoquer ce motif que si les faits se sont poursuivis ou renouvelés plus de deux (2) mois après une mise en demeure de sa part, par signification d’huissier de justice ou notification par tout moyen permettant d’établir la réception effective par le destinataire, d’avoir à les faire cesser.
La solution est de nature à entraîner des difficultés. En raison du nombre important de clauses pouvant figurer dans le contrat de bail professionnel, il est probable que les parties ne s’entendent pas sur les dispositions pouvant être regardées comme fondamentales. De sorte que lorsque l’employeur invoque le non respect d’une clause pour se soustraire à l’indemnité d’éviction, en ce qu’il la considère comme essentielle, seul le juge en cas de désaccord sera amené à trancher le litige.

La seconde situation tient à la décision du bailleur de procéder à la démolition de l’immeuble comprenant les lieux loués aux fins de reconstruction . Il doit justifier de la nature et de la description des travaux projetés, dans un souci de protection du preneur. Les conditions requises sont cumulatives et leur non respect devrait se traduire par la continuation du bail tiré de l’inopposabilité du refus.
Il ne serait nullement acceptable que le bailleur profite de la possibilité qui lui est offerte par la loi pour mettre fin, en réalité, au bail en détournant le droit qui lui est reconnu de sa raison d’être. D’ailleurs, le souci de ne pas laisser le preneur à la merci du bailleur explique qu’il puisse non seulement demeurer dans les locaux jusqu’au commencement des travaux mais aussi bénéficier d’un droit de préemption pour se voir attribuer un nouveau bail dans l’immeuble reconstruit. L’indemnité d’éviction lui est due en cas de changement de destination des locaux reconstruits ou s’il ne lui est pas offert un bail dans les nouveaux locaux . Quoi qu’il en soit, il est important de déterminer précisément le moment de la naissance de l’indemnité d’éviction puisque les chances pour qu’elle soit payée en dépendent grandement.

2. La date de naissance de l’indemnité d’éviction

Selon l’article 78 de l’AUPCAP, à partir de la décision d’ouverture et jusqu’à l’expiration d’un délai de trente (30) jours suivant la deuxième insertion dans un journal d’annonces légales prévu par l’article 36 , ou suivant celle faite au Journal officiel prévue par l’article 37 , lorsque celle-ci est obligatoire, tous les créanciers chirographaires ou munis de sûretés composant la masse doivent, sous peine de forclusion, produire leurs créances auprès du syndic. Le délai est de soixante (60) jours pour les créanciers résidant en dehors du territoire national ou la procédure collective est ouverte. Cette exigence, préalable à la vérification du passif , permet non seulement de procéder éventuellement à la contestation des créances produites , mais également au cas où la situation du débiteur permettrait qu’il soit envisagé un redressement de l’entreprise, de préparer le concordat.
L’enjeu de la détermination du moment de la naissance de l’indemnité d’éviction, dans ces conditions, est perceptible. Si la créance est antérieure à l’ouverture de la procédure, le preneur est tenu de la déclarer à peine de forclusion et il vient en concours avec tous les autres créanciers, y compris ceux dotés de sûretés. Si, par contre, la créance est considérée comme née postérieurement au jugement d’ouverture, aucune déclaration n’est nécessaire et le créancier est prioritaire. Au titre des dettes régulièrement nées, après la décision d’ouverture, de la continuation de l’activité ou de toute activité régulière du débiteur ou du syndic, elle devient une créance contre la masse, conformément à l’article 117 de l’AUPCAP.

La créance d’indemnité d’éviction naît du congé avec refus de renouvellement délivré par le bailleur. Elle existe donc dès le jour du congé. La Cour de cassation française s’est prononcée dans ce sens malgré la reconnaissance au bailleur d’un droit de repentir .
Des auteurs se sont offusqués de la démarche. Ainsi, Martin rappelle à la Cour que lors de la signification, la créance n’est ni certaine ni liquide puisque le bailleur peut renoncer à la payer en vertu de son droit de repentir . Ce faisant, la créance est donc seulement conditionnelle. Un tel argument peut difficilement prospérer et dénote une confusion entre la naissance de la créance et son exigibilité. La créance existe bien au jour du congé, il reste que son exigibilité est ultérieure et peut se situer à un moment où le bailleur est déjà soumis à une procédure collective. En pareil cas, il convient de procéder à sa déclaration, aux fins d’obtenir son paiement.

B/ Le paiement du preneur

La question du paiement de l’indemnité pose bien des difficultés, dont la détermination de ses modalités, les conséquences de la vente de l’immeuble et, enfin, celle de sa défaillance.

1. Les modalités du paiement du preneur

Il est assujetti à l’intégration du créancier dans la masse de la procédure collective du bailleur qui est alors payé comme créancier de la masse de la procédure du bailleur.

a) L’intégration du créancier dans la masse de la procédure collective du bailleur

L’ouverture d’une procédure collective découle de l’impossibilité pour l’assujetti de faire face aux dettes exigibles avec le passif disponible. Elle constitue les créanciers en une masse représentée par le syndic qui, seul agit en son nom et dans l’intérêt collectif et peut l’engager. La masse est constituée par tous les créanciers dont la créance est antérieure à la décision d’ouverture, même si l’exigibilité de cette créance était fixée à une date postérieure à cette décision à condition que cette créance ne soit pas inopposable en vertu des articles 68 et 69 .

Or, selon l’article 78 de l’AUPC, tous les créanciers chirographaires ou munis de sûretés composant la masse doivent, sous peine de forclusion, produire leur créance auprès du syndic . Si l’on accepte que la créance d’indemnité d’éviction naît au jour du congé, l’obligation de la déclarer s’impose.

Le délai imparti aux créanciers pour procéder à la déclaration de leurs créances est en principe de trente (30) jours à compter de la publication de la décision d’ouverture de la procédure collective. Tous les créanciers connus, notamment ceux inscrits au bilan et ceux bénéficiant d’une sûreté ayant fait l’objet d’une publicité, qui n’ont pas produit leurs créances dans les quinze(15) jours de la première insertion de la décision d’ouverture dans un journal d’annonces légales, doivent être avertis personnellement par le syndic d’avoir à le faire, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par tout moyen laissant trace écrite, adressé s’il ya lieu à domicile élu. Faute de production de leurs créances ou de leurs revendications dans le délai de quinze jours suivant la réception de l’avertissement, ou au plus tard dans le délai de trente jours prévu par l’article 78, les créanciers sont forclos . A défaut de production dans les délais prévus, les défaillants ne peuvent être relevés de leur forclusion par décision motivée du juge-commissaire qu’à la double condition que l’état des créances n’ait pas été arrêté et déposé dans les conditions requises et de démontrer que leur défaillance n’est pas fautive.

Tout se passe comme en matière d’inopposabilité où le droit existe mais est ignoré par la masse. La créance pourra faire l’objet d’une réclamation ultérieure contre le débiteur une fois la procédure clôturée mais la réclamation ne sera utile que si le débiteur a acquis de nouveaux biens .

En cas de redressement judiciaire, la forclusion éteint les créances. La solution est fondée au regard du droit des procédures collectives. La justification de la sanction tient à la sauvegarde du concordat. Il s’agit d’éviter que le succès du concordat ne soit ruiné par la réclamation de créances non produites et donc inconnues lors de l’élaboration du concordat. La sanction peut être adoucie si le concordat a prévu une clause de retour à meilleure fortune par laquelle le débiteur s’oblige à régler toutes ses créances, y compris celles frappées de forclusion, dès lors que sa situation patrimoniale connait une amélioration notable . Elle est tout de même particulièrement sévère pour le preneur qui perd son fonds de commerce sans recevoir la moindre contrepartie financière, ce qui est contraire aux intentions des rédacteurs du statut des baux commerciaux .

A l’expiration du congé, le preneur ne pourra nullement se maintenir dans les locaux étant donné que seule l’exigibilité de l’indemnité d’éviction pouvait la justifier . S’il ne quitte pas les locaux, il risque l’expulsion avec les risques qui s’y attachent notamment l’obligation de payer une indemnité d’occupation sur la base des règles de la responsabilité civile.

Les délais retenus peuvent être regardés comme particulièrement courts quand on sait que les procédures de fixation des indemnités peuvent tirer en longueur. C’est au preneur que revient le soin de procéder à la déclaration de la créance d’indemnité d’éviction consécutive à un congé notifié antérieurement au jugement d’ouverture du bailleur. Il doit remettre au syndic directement ou par pli recommandé une déclaration indiquant le montant de la créance due au jour de la décision d’ouverture. Or, s’il est possible que les parties s’entendent sur le montant de cette indemnité, le contraire est tout à fait envisageable. L’irruption du juge appelé, dès lors, à en fixer le montant en tenant compte notamment du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement imposés par le non renouvellement du bail, est de nature à poser problème. En effet, le juge n’est pas forcément outillé pour évaluer cette indemnité de sorte que le recours à un expert peut s’imposer . Mais la situation n’est gênante qu’en apparence puisque même les créances conditionnelles doivent être produites.

L’exigence de rapidité bute également sur la tendance de la jurisprudence à demander que l’évaluation de l’indemnité d’éviction se fasse à une date aussi proche que possible de la restitution des locaux . Le fait que le preneur déclare sa créance ne lui garantit pas forcément son paiement en raison des incertitudes liées aux difficultés du bailleur.

b) Le preneur payé comme créancier de la masse de la procédure collective du bailleur

La question est importante lorsque l’on sait que le bailleur confronté à une procédure collective se retrouve le plus souvent avec un nombre important de créanciers. Ces derniers, bien que formant une seule et même masse, ne sont pas traités de façon identique. Ainsi la distribution des deniers provenant de la réalisation des immeubles, se fait dans un ordre bien déterminé. Les créanciers de frais de justice, engagés pour parvenir à la réalisation du bien vendu et à la distribution elle-même du prix, sont payés en premier lieu pendant que les créanciers chirographaires arrivent en 6ème et dernière position . Le principe d’égalité de traitement des créanciers, caractéristique des procédures collectives, n’opère qu’en direction de ceux qui ressortissent de la même catégorie.

Le souci de protection du locataire évincé est difficilement compatible avec le fait de considérer sa créance d’indemnité d’éviction comme étant simplement chirographaire. Seulement, il reste qu’il n’y a point de privilège sans texte. C’est dire, qu’en l’état actuel des choses, le législateur OHADA n’a pas entendu, si ce n’est délibérément, faire de cette indemnité autre chose qu’une simple créance chirographaire. Dans la détermination des différents ordres de paiement n’apparaît nullement, de façon explicite, le créancier de l’indemnité d’éviction. Il convient donc, ce faisant, de le rattacher à la catégorie résiduelle des créanciers chirographaires, autrement dit celle qui a le moins de chance d’être payée en cas d’insuffisance d’actif.

La situation fait grief d’autant que l’article 126 de l’AUPCAP, en disposant que le bailleur peut s’opposer au droit au renouvellement du bail en réglant au preneur une indemnité d’éviction dont le montant, à défaut d’accord entre les parties, est fixée par le juge en tenant compte notamment du montant du chiffre d’affaires, des investissements réalisés par le preneur, de la situation géographique du local et des frais de déménagement, montre clairement l’importance qu’elle revêt pour le locataire. Pour certains auteurs , d’ailleurs, la loi présume que le refus de renouvellement emporte disparition du fonds de commerce. L’indemnité d’éviction doit permettre au preneur de remplacer le fonds qu’il a perdu et qui constitue, le plus souvent, sa seule source de subsistance. Il est donc possible de considérer que la créance d’éviction est de nature alimentaire . Par conséquent, à l’instar de la partie alimentaire du salaire, elle devrait pouvoir faire l’objet d’un privilège. Cette option serait tout à fait conforme à l’attitude du législateur OHADA qui fait de son paiement une disposition d’ordre public .

En attendant une éventuelle évolution législative, le preneur, créancier d’une indemnité d’éviction, ressortit de la catégorie des simples créanciers chirographaires. Par conséquent, il intervient au dernier rang. En cas de pluralité de locataires, surtout dans l’hypothèse d’une procédure collective concernant le bailleur et d’insuffisance des deniers pour les désintéresser tous, ils concourent aux répartitions dans la proportion de leurs créances totales, au marc le franc.

La vente de l’immeuble, objet du bail, inévitable dans l’occurrence de la liquidation des biens, est de nature également à impacter sur le paiement de la créance d’indemnité d’éviction.

2. Le paiement du preneur en cas de vente de l’immeuble

Le bail professionnel conclu entre le bailleur et le preneur en raison de l’effet obligatoire des contrats n’engage qu’eux. De ce fait, en principe, l’acquéreur de l’immeuble dans le cadre d’une procédure de liquidation des biens est étranger à ce contrat. Mais, comme en droit du travail où la modification dans la situation juridique de l’employeur ne remet nullement en cause les contrats en cours, le statut des baux commerciaux particulièrement protecteur du preneur déroge aussi au droit commun. En vertu de l’article 110 de l’AUDCG le bail ne prend pas fin par la cessation des droits du bailleur sur les locaux donnés à bail. Le nouveau bailleur est substitué de plein droit dans les obligations de l’ancien bailleur et doit poursuivre l’exécution du bail. Autrement dit, le changement de bailleur ne met pas fin au bail à usage professionnel. Le législateur communautaire vise une situation bien déterminée.
Donc la règle n’a pas vocation à s’appliquer lorsque l’ancien bailleur, conformément à la loi, avait dans le respect de la procédure requise donné congé au preneur. Le nouvel acquéreur n’est tenu qu’au respect du délai du préavis du congé s’il s’avère que ce dernier court toujours au moment où le changement de bailleur intervient .
Le problème qui se pose est qu’en raison de ses difficultés financières, le cédant s’est retrouvé dans l’impossibilité de payer l’indemnité d’éviction. L’irruption d’un nouveau bailleur ne se traduit pas par une remise en cause du processus de rupture qui a été initié convenablement. Le preneur n’est créancier de cette indemnité que vis-à-vis du cédant . La charge du paiement de cette indemnité incombe normalement au vendeur . Néanmoins, le maintien dans les lieux du locataire met l’acquéreur dans une situation délicate. Soit, il règle l’indemnité pour pouvoir jouir totalement du bien. D’ailleurs, il n’est pas exclu qu’une clause du contrat de vente le spécifie clairement. Soit il se résout à revenir sur la volonté du vendeur et à continuer tout simplement le bail. Dans tous les cas, le non paiement partiel ou total de l’indemnité d’éviction ne manque pas de poser le problème de la possibilité de maintien du preneur sur les lieux loués.

3. Le défaut de paiement

La perception de l’indemnité d’éviction prive le preneur de la possibilité de se maintenir dans les lieux. Par contre, il importe de savoir si, à défaut d’avoir obtenu son indemnité, le preneur peut se maintenir dans les lieux. Le législateur OHADA n’a pas appréhendé cette question mais il reste, tout de même, qu’il convient de répondre par l’affirmative. Le locataire doit pouvoir se maintenir dans les lieux loués aux conditions du bail expiré jusqu’au paiement effectif de l’indemnité d’éviction. C’est ce qu’il est d’usage d’appeler le droit de rétention du locataire ou encore le droit de maintien dans les lieux . En effet, l’indemnité d’éviction doit permettre au locataire de retrouver d’autres locaux pour abriter son fonds de commerce. Il est difficilement acceptable, dans ces conditions, qu’il parte sans obtenir les moyens qui doivent lui permettre de conclure le nouveau bail indispensable à la survie de son entreprise. En contrepartie, il devra payer une indemnité d’occupation . En France, par exemple, non seulement il est admis que seule la valeur locative doit servir de base de fixation mais en plus la compensation est envisageable entre la créance d’’indemnité d’éviction et la dette d’indemnité d’occupation .

Pour conforme qu’elle soit au statut des baux commerciaux, particulièrement protecteur du preneur, la solution n’en est pas moins susceptible de poser problème. Elle reviendrait à considérer que tant que le preneur n’a pas été complètement désintéressé, il peut rester dans les lieux. C’est qu’en cas de liquidation des biens, le montant de l’actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation des biens, ainsi que des secours qui auraient été accordés au débiteur ou à sa famille, est réparti entre tous les créanciers dont la créance est vérifiée et admise . Néanmoins, dans l’hypothèse d’insuffisance des deniers pour désintéresser totalement les créanciers de l’une des catégories désignées venant à égal rang, ceux-ci concourent aux répartitions dans la proportion de leurs créances totales, au marc le franc . Dans ce cas, le preneur ne recevra probablement pas l’intégralité de sa créance d’indemnité d’éviction. Donc, on peut se retrouver devant une situation de blocage résultant de ce que le liquidateur ne peut faire face aux conséquences financières découlant de la fixation de l’indemnité d’éviction.

En définitive, l’étude du bail commercial dans la procédure collective du bailleur montre que la difficulté majeure réside dans l’articulation entre la propriété du bailleur et le protectionnisme contractuel caractérisé par la reconnaissance d’une propriété commerciale au preneur. Il apparaît que le sort du contrat de bail ne pose pas de difficulté particulière lorsque congé a été donné au preneur avant l’ouverture à l’encontre du bailleur d’une procédure. Il suffit seulement au preneur de procéder à la déclaration de son indemnité d’éviction, au même titre que les autres créanciers, lorsque son exigibilité intervient après.

Par ailleurs, lorsque le débiteur en difficulté est le bailleur et non le preneur, rien ne permet, a priori, d’évincer le régime général des contrats en cours et donc d’écarter le droit d’option. En effet, le bailleur est tout à fait fondé à tirer bénéfice du dispositif protecteur du droit des entreprises confrontées à certaines difficultés. Néanmoins, cette prérogative voit son champ d’application restreint par des considérations liées à la nécessaire protection du maillon faible dans la relation contractuelle qu’est le preneur. L’importance avérée de la propriété commerciale pour le preneur où son entreprise, explique largement que, sur ce plan précis, le statut du bail commercial soit privilégié.

A prime abord, le constat n’est pas choquant lorsque l’on sait que la solution va dans le sens du droit des procédures collectives qui cherche, autant que faire se peut, à sauver l’entreprise. En procédant de la sorte, on évite que la faillite de l’entreprise du bailleur n’entraîne, en même temps celle saine du preneur. Toutefois, la démarche dénote une perception biaisée des rapports locatifs qui fait fatalement du preneur le maillon faible dans la relation contractuelle. Elle pouvait prospérer tant que seule l’entreprise du preneur faisait l’objet d’une procédure collective.

L’avènement, certes récent, de sociétés civiles immobilières intervenant dans le domaine locatif et les risques attachés à cette activité expliquent, aujourd’hui, que les procédures collectives ne soient plus l’apanage des seuls preneurs et concernent également le bailleur. Nonobstant cette évolution, il est patent, qu’en l’état actuel des choses, le droit OHADA des procédures collectives continue à être centré uniquement sur les difficultés du preneur.