Les orientions du législateur OHADA dans l’AUSCGIE révisé

1. Aucun droit n’évolue en vase clos et ce depuis l’avènement de la mondialisation et de l’influence réciproque des disciplines , même si également l’unification du droit, et notamment du droit privé est pour le moment utopique. Cependant, chaque droit subit l’influence d’autres droits, ce qui peut amener le législateur concerné à orienter son droit.

Le droit OHADA n’échappe guère à cette influence. En effet, depuis belle lurette, un important mouvement de réforme du droit des affaires OHADA a vu le jour en vue de faciliter l’activité juridique et s’adapter à son rythme . Ces réformes entreprises qui sont la préoccupation fondamentale des juristes de l’espace OHADA témoignent de l’adaptation du droit au fait qui se dérobe au fil des années . On serait tenté de se poser la question suivante : en reformant son droit des sociétés , quelles orientations le législateur OHADA a-t-il pris ? Celles-ci sont-elles conformes à la marche du monde ?

2. De façon générale, l’orientation prise par le législateur OHADA est l’attractivité du droit , en vue d’attirer les investisseurs. Ainsi, il s’avère nécessaire de livrer aux lecteurs, sans prétendre à l’exhaustivité, les idées forces des 920 articles de l’AUSCGIE révisé, de découvrir à travers ces dispositions, le fil conducteur de la nouvelle législation .
3. Une fois les orientations du législateur décelées, d’autres questions s’imposent : n’a-t-on pas ignoré des questions importantes-ce qui est évident vu l’immensité de la tâche et les dangers de vouloir tout prévoir -d’où sa probable amélioration. C’est dire que codifier est un art difficile et qu’il n’y a aucun droit des affaires figé.

4. Les orientations s’inscrivent dans l’innovation et dans la consolidation . Il s’agit également d’une codification à droit constant , d’une codification d’imitation . Ainsi, le mode de financement de la société anonyme a été facilité avec les valeurs mobilières composées et subordonnées. De même, la nullité a tendance à prendre le pas sur les clauses réputées non écrites. En effet, une telle manière de procéder montre bien que, même si la société résulte d’un acte de volonté, la théorie institutionnelle [révélée du reste par l’article 1832 du code civil] prédomine dans le droit des sociétés contemporain . En réalité, la liberté contractuelle est fortement restreinte par le caractère impératif et détaillé des dispositions légales, au point que, pour lui redonner vigueur, il a fallu instituer une autre forme de société, la société par actions simplifiée

5. En revanche, on peut se poser la question de savoir si le capital social est gage des créanciers sociaux ou si le droit de vote est un attribut des associés, si le tracé des pouvoirs du Conseil d’administration et du Président directeur général est si clair qu’on serait porté à le croire ?

6. Avec l’AUSCGIE révisé, le législateur OHADA s’est inscrit dans une dynamique d’ouverture voire de sensibilité aux autres systèmes juridiques certes , mais sans aller jusqu’au bout. Ainsi, si l’analyse des nouvelles dispositions permet de comprendre la direction empruntée par le législateur OHADA (I), des incertitudes demeurent néanmoins, d’où par souci de cohérence, inciter le législateur OHADA à achever l’œuvre entamée (II).

I/ Les orientations affirmées

7. Le législateur OHADA a cherché à associer les travailleurs à la gestion et au résultat de l’entreprise [A]. De plus, il s’oriente vers l’instauration de plus de démocratie dans le fonctionnement de la société [B].

A/ Modification de la relation capital- travail dans le fonctionnement de la société

8. « Rendre le prolétariat propriétaire et l’ouvrier boursicoteur, voilà une vieille lune qui a la vie dure ». Voila un bien lointain souhait car les démocraties sont des régimes égoïstes, qui ne se préoccupent pas de l’intérêt des non-citoyens, hier les esclaves, aujourd’hui les étrangers .
Partenaires qui participent étroitement au devenir de l’entreprise, ils se trouvent pourtant aux marchés de la société qui l’organise. Il s’agit de leur reconnaitre une vocation à y entrer mais pour réaliser une plus-value . En effet, l’ouvrier est, par là même hors de l’entreprise dans laquelle il travaille. Il n’est ni copropriétaire de l’entreprise ni associé dans l’entreprise. Il ne participe ni à la propriété ni à la gestion de l’entreprise. Le contrat de travail qui lie le salarié à l’entreprise, est un contrat de subordination ; ce n’est pas un contrat d’association . Est-ce la justice ? La dignité du travailleur est-elle respectée ? L’équilibre entre les éléments qui collaborent à l’entreprise : capital et travail, est-il réalisé ? En effet, dans un monde extrêmement concurrentiel, dans lequel les capitaux ne sont pas en eux-mêmes créateurs de richesses, et ou les différentiations concurrentielles entre les entreprises et les créateurs de valeur dépendent principalement de l’innovation, de la créativité, des idées et du travail des équipes des entreprises, l’apport du capital humain est essentiel .

9. Le législateur OHADA est sensible à la situation des salariés qui concourent au développement de la société commerciale. Cela s’est manifesté d’abord par la possibilité pour ces derniers d’être membre du conseil d’administration, ensuite, le rachat de ses propres actions par la société pour les attribuer aux salariés et enfin avec la réforme, la possibilité pour les salariés de se voir attribuer de façon gratuite des actions. Cette démarche est symbolisée par ce que les économistes appellent la « valeur partenariale » de l’entreprise . Ce terme élargit les préoccupations des dirigeants aux autres parties prenantes .

10. Les salariés attributaires d’actions gratuites acceptent-ils les risques auxquels les associés sont exposés ? Au regard de l’article 626-1 de l’acte uniforme relatif au droit des sociétés , il faut répondre par la négative. En effet, l’attribution gratuite d’actions est une mesure de fidélisation et d’intéressement des salariés. On cherche à les impliquer davantage dans la « famille entreprise » à savoir les sociétés anonymes. Mais la contrepartie c’est la stricte réglementation de la procédure d’attribution gratuite car le nombre d’actions possédées ne doit être supérieur à 10%. De même, on ne peut attribuer à un salarié ayant plus de 10% du capital social des actions gratuites. Plus encore, les actions attribuées ne donnent pas droit aux dividendes.

11. Si l’attribution gratuite d’actions permet de faire participer les salariés à la gestion de la société commerciale, elle peut néanmoins susciter des réserves et ce, eu égard à l’expression « certaines catégories d’entre eux » contenue à l’article 626-1 précité, à propos des salariés. Sur quel critère se baser pour discriminer certains salariés au profit d’autres. Cette discrimination si justifiée soit-elle peut elle apaiser le climat social ? Rien n’est moins sûr.

12. De plus, les salariés n’ont pas le droit, comme en France, à travers le comité d’entreprise, de demander une expertise de gestion, de déclencher l’alerte, la désignation d’un mandataire chargée de convoquer une assemblée générale des actionnaires en cas d’urgence.

13. Ils ne bénéficient pas non plus du wistleblowing ou alerte professionnelle, éthique. Une doctrine en a proposé la définition suivante : « un dispositif d’alerte professionnelle est un ensemble de règles organisant la possibilité pour un salarié ou toute autre personne exerçant une activité dans une entreprise de signaler au chef d’entreprise ou à d’autres personnes désignées à cet effet :

– des actes contraires à des dispositions législatives ou réglementaires, aux dispositions des conventions et accords collectifs de travail applicables à l’entreprise ou à des règles d’origine éthique ou déontologique, qui nuisent gravement au fonctionnement de l’entreprise ;

– des atteintes aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnelle au but recherché ;

– des atteintes à la santé physique et mentale des salariés ».

14. Quelle est la position de la Cour de cassation française et de la CNIL sur la question ?
Dans un arrêt rendu le 8 décembre 2009, la Cour de cassation s’est prononcée sur le contenu de l’un de ces codes élaborés dans la mouvance de la loi américaine Sarbanes-Oxley, adoptée après les scandales Enron et Worldcom. L’affaire concerne Dassault Systèmes, une filiale française du groupe Dassault cotée au Nasdaq et qui, en octobre 2004, a résolu de faire signer à ses salariés un document intitulé Code de conduite des affaires. Destiné à faciliter le déclenchement d’alertes pour prévenir les malversations ou des cas de corruption, ce texte soumettait les salariés employés en France à une obligation de réserve drastique et prévoyait notamment que, au-delà de l’interdiction classique de divulgation d’informations « confidentielles » (processus, recherches, contrats en discussion, etc.), un salarié ne pouvait diffuser des « informations à caractère interne » qu’après « autorisation préalable » de la direction. Ce même code instaurait un dispositif d’« alerte professionnelle », afin de permettre à tout salarié de rapporter anonymement, via une plate-forme sur l’Intranet de l’entreprise, des faits qui, en définitive, pouvaient ne pas se révéler délictueux puisque le salarié disposait du choix de cocher, sur cette page, une case : « corruption », « délit d’initié », « malversations »… ou « autres ». « Craignant à la fois le bâillon et la délation », et estimant qu’un tel document portait atteinte aux libertés fondamentales des salariés, un syndicat saisit avec succès le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre d’une demande visant à l’annuler. Censurée par la cour d’appel de Versailles, la position des premiers juges a cependant été confirmée par la Cour de cassation, dont la décision conforte, nous semble-t-il, l’opinion selon laquelle – loin d’échapper à toute analyse juridique -, le concept de responsabilité sociale des entreprises (RSE), au nom de laquelle sont donc adoptés codes et autres normes, s’exerce aujourd’hui dans un cadre juridiquement contraignant .

Pour la CNIL, l’alerte doit remonter jusqu’aux dirigeants et faire intervenir d’autres organes tels que le commissaire aux comptes et les représentants du personnel. C’est ainsi que le 26 mai 2005, elle a refusé d’autoriser deux projets de « lignes éthiques » destinées au signalement par des salariés de comportements fautifs imputables à leurs collègues de travail au motif que ces projets pourraient conduire à un système organisé de délation professionnelle

15. Enfin, l’épargne salariale n’est pas prévue. Celle-ci s’inscrit dans une logique de participation financière . Cette notion regroupe l’intéressement des salariés à l’entreprise, la participation aux résultats de l’entreprise, les plans d’épargne et les plans d’épargne collectif.
L’intéressement et la participation ont pour objet d’associer les salariés aux résultats et performances de la société, tandis que l’épargne salariale est un outil de gestion des sommes ainsi perçues.
Aux Etats Unis, il existe des fonds de pension qui réunissent les retraites des entreprises par un système de capitalisation . L’introduction de ceux-ci s’est posée en France où le système de retraite comporte deux étages ; notamment celui de la sécurité sociale et des cotisations des professionnelles gérées par des représentants des salariés et employeurs .

16. Le mutisme du législateur OHADA concernant la participation financière des salariés et les fonds de pension peut s’expliquer en partie par l’absence d’un Acte uniforme sur le droit du travail .
Au-delà de l’amoindrissement de la fracture capital et travail, le législateur OHADA s’est donné pour objectif de promouvoir plus de démocratie dans le fonctionnement de la société.

B/ La promotion d’un fonctionnement plus démocratique de la société

17. Selon certains auteurs, le pouvoir dans la société n’appartiendrait pas au peuple des actionnaires réuni en assemblées générales . En réalité, il serait exercé par les dirigeants, qui l’ont confisqué, de telle sorte que le fonctionnement de ces sociétés serait plus technocratique que démocratique .
Peut-on transposer les techniques de la démocratie aux sociétés commerciales ? Pour un auteur, cela n’est pas possible d’abord à cause des objectifs poursuivis par la société , ensuite à cause de la qualité des personnes en présence à savoir les actionnaires et le vote du budget de la société . Mais l’auteur précité n’exclut pas toute idée d’analogie entre la société anonyme et le régime démocratique. A son avis, si dans les sociétés anonymes, la démocratie n’est pas une fin, elle est le moyen pour l’actionnaire de s’assurer que la société est administrée et dirigée d’une manière conforme à ses intérêts . Les manifestations de la démocratie sont la loi de la majorité, la séparation des pouvoirs, la protection des minorités, la diversification des modes de prises de décisions , la transparence, le renforcement des règles du gouvernement d’entreprise, la liberté contractuelle et l’intervention du juge.

1. Renforcement des règles du gouvernement d’entreprise

18. La notion de « gouvernement d’entreprise » désigne les relations entre le conseil d’administration, les actionnaires et la direction de l’entreprise . Elle pose avec acuité la question de la répartition du pouvoir au sein du conseil d’administration plus particulièrement et de la société commerciale de façon générale. Il ne faut pas se méprendre car la notion de pouvoir est multiforme et difficile à cerner. Ce qui a fait dire à un auteur qu’en droit privé, le terme pouvoir recouvre des sens si variés qu’il parait vain de prétendre en faire une quelconque théorie générale .
La démocratie suppose que des contrôles permettent de s’assurer que le pouvoir s’exerce bien dans l’intérêt de tous . A titre d’exemples de contrôle, nous pouvons citer l’expertise de gestion et la présence du commissaire aux comptes.
a. L’abaissement du pourcentage requis pour demander l’expertise de gestion.
19. L’expertise de gestion est prévue à l’article 159 de l’AUSCGIE modifié. Avant la révision de l’Acte uniforme, seuls les associés représentants les 1/5 du capital social pouvaient demander la désignation d’un expert de gestion. Aujourd’hui, ce sont les associés représentant le 1/10 du capital social qui ont ce privilège. Il s’agit d’une action attitrée comme prévue à l’article 1-2 du décret 2001-1151 du 31 décembre 2001 modifiant le Code de Procédure civile au Sénégal . Si en droit français, la mise en œuvre de l’expertise de gestion n’est envisagée que dans les SARL et les sociétés par actions , en droit OHADA, l’expertise de gestion est possible dans toutes les formes de sociétés. Le rapprochement entre le droit OHADA et le droit français que l’on peut noter au delà de la mise en place de l’institution, c’est la condition de recevabilité de l’expertise de gestion notamment dans les SARL françaises .
20. L’information est-elle le seul critère de la demande d’expertise de gestion ?
Un équilibre doit être trouvé à la manière des juges parisiens dans un arrêt du 9 décembre 1994: « si l’absence d’informations suffisantes sur la gestion d’importantes réserves et la dissolution d’une filiale justifient une demande d’information complémentaire, l’actionnaire minoritaire ne fournit aucun élément susceptible de faire présumer que la gestion était soit irrégulière, soit contraire à l’intérêt social. Aussi, n’y a-t-il pas lieu d’ordonner l’expertise sollicitée sur ce fondement ». Au regard de cette jurisprudence, il apparait que le juge français fait de l’intérêt social le critère déterminant de la recevabilité de la demande d’expertise de gestion . De même, l’expertise de gestion ne peut être demandée que si elle est utile pour le demandeur. C’est pourquoi le juge français a estimé que tel n’est pas le cas si le demandeur est suffisamment informé sur les opérations critiquées .
21. Un auteur a relevé des ambigüités de l’expertise de gestion prévue dans l’AUSCGIE version ancienne. La dénonciation est loin de connaitre un épilogue étant entendu que les modes de saisine du juge devant autoriser la mesure ne sont pas précisés. Ce dernier doit-il être saisi par requête aux fins de désignation d’un expert de gestion ou une assignation ? En l’absence de précision de la part du législateur OHADA, doit-on conclure qu’il s’agit d’une assignation en référé en vue d’obtenir une expertise de minorité comme en droit français vu l’identité des conditions de mises en œuvre de l’expertise de gestion entre les deux droits ? Le Tribunal Régional Hors classe estime que son Président ne peut être saisi que par requête ; par conséquent, la procédure d’expertise de gestion n’est pas en soi une procédure d’urgence . Ce faisant, le recours au juge des référés n’est envisageable que lorsqu’on est en présence d’une urgence
Ce qui demeure certain c’est l’existence d’une urgence à saisir le juge aux fins de désignation d’un expert de gestion.
b. La généralisation de la présence du commissaire aux comptes dans les sociétés commerciales
22. Depuis l’AUSCGIE révisé, la désignation d’un commissaire aux comptes est envisageable de façon expresse dans des sociétés de personnes. Ainsi, aux termes de l’article 289-1 de l’AUSCGIE, les sociétés en nom collectif qui remplissent, à la clôture de l’exercice social, deux des conditions suivantes, sont tenues de désigner au moins un commissaire aux comptes. Il s’agit du total du bilan supérieur deux cent cinquante millions (250.000.000), du chiffre d’affaires annuel supérieur à cinq cent millions (500.000.000) et d’un effectif permanent supérieur à 50 personnes. L’associé ou les associés représentant un dixième du capital social peuvent également designer un commissaire aux comptes. Cette règle s’applique également aux sociétés en commandite eu égard à l’article 293-1 . La nature de l’obligation qui pèse sur le commissaire comptes est déterminée par la doctrine ; il s’agit d’une obligation de moyens
23. Ces différentes dispositions viennent combler un vide : est-il obligatoire dans les sociétés de personnes (SNC et SCS) de désigner un commissaire aux comptes ? Le mutisme du législateur OHADA avant la réforme en la matière a poussé à croire que la désignation est loin d’être obligatoire sauf clause contraire des statuts. Avec le nouvel Acte uniforme, si les conditions prévues par la loi sont remplies, la désignation est obligatoire et aucune clause statutaire ou extrastatutaire ne peut y déroger. On remarque que le besoin de transparence par le contrôle exercé par le commissaire aux comptes sur l’exercice du pouvoir n’est pas l’apanage exclusif des sociétés à responsabilité limitée , dont d’ailleurs les conditions de désignation d’un commissaire aux comptes (CAC) ont évolué, et des sociétés par actions .
c. La transparence concernant les rémunérations
24. L’importance en valeur absolue ou en valeur relative de la rémunération des dirigeants a, dit-on, pour contrepartie, la précarité du statut des dirigeants des sociétés, révocables ad nutum dans la société anonyme de type classique . Les rémunérations sont nombreuses : jetons de présence , rémunérations exceptionnelles , indemnité de fonction remboursement des frais , le salaire découlant du contrat de travail .
Le conseil d’administration élit un président et détermine sa rémunération. Or, on trouve fréquemment la pratique suivante : le conseil délègue au comité de rémunération tous pouvoirs pour ce qui est de la rémunération du président, aux fins de fixer cette rémunération . Au surplus, aucun procès-verbal ultérieur ne porte approbation formelle du conseil sur le montant de cette rémunération, pas même un bref compte rendu des accords intervenus. Tant et si bien que le commissaire aux comptes ne dispose d’aucun élément juridique pour contrôler si les rémunérations servies sont régulières .
25. En France, sous l’empire de l’article 40 de la loi de 1867, l’accord sur la rémunération des dirigeants par le conseil d’administration était une convention passée entre la société et un administrateur. Mais aujourd’hui, c’est un acte unilatéral et institutionnel. C’est le cas en droit OHADA .
26. Les comités peuvent-il fixer la rémunération ? Il est logique que le comité des rémunérations soit appelé à jouer un rôle important en déterminant la part variable de la rémunération des mandataires sociaux et en appréciant aussi l’ensemble des rémunérations et avantages perçus par les dirigeants et éventuellement les avantages en matière de retraite . Seulement les avis des comités ne s’imposent pas au conseil d’administration. Cela est compréhensible, vu que c’est le conseil qui fixe la composition et les attributions des comités. Ces derniers exercent leur activité sous sa responsabilité . La chambre commerciale de la Cour de cassation française a refusé de valider la procédure suivie qui avait consisté à faire fixer la rémunération par une Commission ad hoc . Pour le juge, il appartenait au Conseil d’administration de se prononcer sur la question
27. Qui doit avoir des informations sur la rémunération des organes de direction ? En la matière, il y a une constante : les pesanteurs du secret des affaires et des rémunérations. En effet, le secret est une « liberté » fondamentale, plus que l’ « obligation » de transparence. Après tout, l’homme n’est transparent que devant Dieu . Pourtant, afin de répondre à cette seconde question, il convient d’envisager les rapports organes de direction et actionnaires et organes de direction et personnel de l’entreprise.
28. Dans le premier cas, le rapport spécial prévu dans l’AUSCGIE notamment en son article 432 alinéa 2 est destiné à l’assemblée des associés.
Si l’on devait se limiter à l’article précité, on peut dire que les rémunérations perçues par les dirigeants ne doivent pas être portées à la connaissance des salariés. De même, seules les rémunérations exceptionnelles, à l’exclusion de celles liées aux fonctions d’administrateurs doivent être connues des seuls associés. Mais c’est sans compter avec l’article 831-3 AUSCGIE qui exige la publicité du rapport rédigé par le président du conseil d’administration (PCA) contenant la composition du conseil d’administration, ses conditions de fonctionnement, les dispositions écartées et les raisons de cette exclusion lorsque la société se réfère volontaire à un code de gouvernement d’entreprise. C’est ce même rapport qui doit contenir les rémunérations allouées aux mandataires sociaux. Il s’agit non seulement des golden hello qui ne sont pas les bienvenus en droit français et des parachutes dorés voire des pensions de retraite.
29. Quelle devrait être la place des actionnaires en matière de rémunérations des mandataires sociaux : doivent-ils avoir un mot à dire ? C’est le fameux « say on pay », principe du vote consultatif des actionnaires sur la rémunération individuelle des dirigeants mandataires sociaux . Ce principe a été institué afin qu’il y ait une corrélation entre la rémunération et la performance des entreprises. Les golden hello, parachutes dorés et pension de retraite prévus à l’article 831-3 AUSCGIE doivent-ils être soumis à la procédure des conventions réglementées ? En permettant aux actionnaires d’avoir une voix consultative sur la rémunération des mandataires sociaux ne modifie-t-on pas le principe de hiérarchie ?
L’engagement-pour répondre à la première question-que prend la société au bénéfice de ses mandataires sociaux est une convention définie comme étant un accord de volonté destiné à produire un effet de droit quelconque . En acceptant le versement d’une prime d’arrivée ou d’un parachute doré, la société cherche quelques fois et respectivement à attirer les dirigeants compétents, à les motiver et à pallier les inconvénients de la révocation ad nutum. C’est donc d’accord-parties avec les dirigeants que ces primes sont versées. Il donc normal que la procédure de la convention réglementée soit respectée, d’où l’exclusion de toute idée de modification du principe de hiérarchie. Il faut noter que le législateur OHADA s’est inspiré de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie et les sociétés par actions dite « loi Breton » qui, de façon expresse, a consacré la soumission des rémunérations dues en raison de la cessation ou de la prise de fonctions accordées aux mandataires sociaux à la procédure des conventions réglementées. Seulement, le législateur OHADA est resté muet sur la procédure applicable. Il en est de même de son silence sur le rapport à établir entre la rémunération perçue et les performances de la société prévu en droit français par la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 relative au régime des rémunérations, indemnités et avantages à caractère différé en faveur des dirigeants de sociétés anonymes inscrites sur un « marché réglementé ».
30. En tout état de cause, le besoin de transparence est beaucoup plus pressant à l’égard des épargnants, c’est-à-dire ceux qui prêtent de l’argent à la société, sans avoir la qualité d’associés . Ces épargnants peuvent être qualifiés d’ « investisseurs » si l’on s’en tient à l’article 832 AUSCGIE.
d. La consécration du principe « appliquer ou expliquer ».
31. Sont concernées les sociétés qui font appel public à l’épargne. Si l’expression « appel public à l’épargne est supprimée en France, au profit de celle d’ « offre de titre au public », tel n’est pas le cas en droit OHADA. Les entreprises à la recherche de financements pour assurer leur développement ou leur permettre de surmonter leurs difficultés ont la possibilité de s’adresser à des organismes de crédit ou de se tourner vers les marchés financiers . Elles s’adressent souvent, pour des raisons de souplesse et de contraintes moindres, vers les marchés financiers ou elles placent, selon la politique qu’elles entendent suivre, des titres de capital ou de créances .
C’est dans ces sociétés où l’existence de transparence est la plus exigée. Ainsi, le principe comply or explain en droit OHADA est prévu à l’article le 831-2 AUSCGIE alinéa 2.
32. Deux hypothèses sont prévues. La première est celle où un code existe et la société décide certes de s’y référer mais en écartant certaines dispositions. La seconde est celle dans laquelle un code existe certes, mais la société décide de ne pas s’y référer. Dans le premier cas, la société met en évidence les dispositions exclues et les raisons de cette exclusion. Dans le second cas, la société indique les règles de substitution et les raisons de non application d’aucune disposition du code de gouvernement d’entreprise.
33. Ce principe repose essentiellement sur une démarche volontaire . Mais comment concevoir que ces principes soient essentiels et qu’ils puissent dans le même temps, avec parfois une justification sommaire, être substantiellement écartés ? C’est se demander si ce principe n’est pas un leurre . Doit-on faire comme en grande Bretagne à savoir rendre obligatoire la référence à un code de gouvernement d’entreprise ? Ne doivent être concernées par le principe « appliquer ou expliquer » que les sociétés faisant appel public à l’épargne ? Que peut faire le juge en la matière ? Et la problématique d’actualisation des codes ? Peut-on émettre des avis sur les explications proposées ? Si oui quel est l’organe habilité à le faire ?
Ces différentes questions non abordées par le législateur OHADA relance le débat de l’opportunité de ce principe en droit des sociétés. Il n’est pas exclu que la pratique professionnelle, voire le juge trouve des réponses à ces interrogations.
e. Revalorisation du rôle de l’administrateur : le droit individuel à l’information
34. La chambre commerciale de la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel qui, pour rejeter la demande d’une administratrice d’une société anonyme tendant à l’annulation de la délibération d’un Conseil d’administration, cette dernière faisait valoir qu’elle n’avait pas été mise à même d’exercer son mandat d’administrateur dans des conditions d’information suffisantes, a déclaré qu’aucun texte n’impose au PCA de joindre à la convocation qu’il adresse aux membres de celui-ci, son projet de rapport ou des documents économiques et financiers se rapportant à l’ordre du jour. Pour la Cour de cassation, le juge d’appel n’a pas recherchée si l’administratrice avait reçu au préalable et dans un délai suffisant l’information à laquelle elle avait droit. Le problème juridique est celui de savoir si un membre isolé du conseil a droit à l’information .
35. Mais si le droit individuel d’information de l’administrateur doit être protégé, une autre protection est due à la société, notamment contre les demandes de renseignements irrégulières ou abusives . De même, pour le juge français, un administrateur a le devoir, à partir du moment où il accepte d’assumer cette charge, de réclamer toutes les libertés et moyens de contrôle nécessaires à son accomplissement éclairé . Il a donc l’obligation de s’informer.
36. Quelles sanctions découlent du non respect du droit individuel à l’information de l’administrateur ? Si l’on se réfère à l’article 345 et 525 AUSCGIE, la sanction est la nullité de la délibération prise en violation de l’obligation de communication des documents exigés . Le juge statuant à bref délai peut sous astreinte, obliger la société à communiquer à l’actionnaire les documents demandés. Il s’agit d’une injonction de faire .

f. Amélioration du fonctionnement du conseil d’administration par la création des comités et administrateurs indépendants
37. Le respect des principes du gouvernement d’entreprise suppose la dynamisation des conseils d’administration par la création de comités spécialisés et des administrateurs indépendants . En effet, suite aux scandales financiers qui ont eu lieu dans les pays anglo-saxons, plusieurs conseils d’administration ont été indexés. Il leur a été reproché leur attitude de faiblesse vis-à-vis des mandataires sociaux qu’ils sont chargés de contrôler. Afin d’aider les conseils à mieux délibérer, l’idée a été émise de se faire assister par divers comités et des administrateurs indépendants.
La création des comités est à la fois une faculté et une obligation en droit OHADA. Le comité d’audit est composé d’administrateurs indépendants. Un administrateur est indépendant s’il n’a ni lien de subordination, ni mandat social qui pourrait le rendre redevable à l’égard de la société. Il doit avoir à la fois une indépendance d’esprit et une indépendance matérielle .
2. La liberté contractuelle
38. Les sociétés commerciales doivent-elles être régies par des normes uniformément définies par le législateur ou bien faut-il laisser aux associés une large liberté contractuelle pour aménager comme ils l’entendent l’organisation et le fonctionnement statutaire de leur entreprise ?
La liberté en droit des sociétés a existé traditionnellement dans les sociétés en nom collectif, en commandite simple et le GIE. Dans les SNC, les associés sont libres de prévoir, pour contourner l’unanimité requise en matière de cession des parts sociales, une procédure de rachat. En outre, dans les SCS, la liberté des associés est certes limitée quant à la mise en place des formules de cession, mais pas concernant le choix.
En effet, l’évolution vers la contractualisation et vers la souplesse des règles s’impose d’autant plus qu’à une époque ou se développe d’une façon accélérée la mondialisation des échanges et ou le créateur d’entreprise dispose de la plus grande liberté pour choisir son lieu d’implantation, il est bien évident que sera prise en considération l’importance des contraintes applicables au lieu du futur siège social . Le droit des sociétés est plus que jamais soumis à deux tendances contradictoires : d’un coté la prolifération d’une réglementation de plus en plus tatillonne, de l’autre l’aspiration a davantage de souplesse et de liberté dans l’organisation et le fonctionnement de ces personnes morales .
40. Avec le nouvel Acte uniforme, l’une des manifestations du libéralisme, c’est la création d’une SAS. Dans ce type de société, il y a des pactes d’associés. Les pactes d’associés ou d’actionnaires sont des conventions conclues par les associés ou les actionnaires d’une société ou par certains d’entre eux .
41. Le droit de retrait était prévu en France dans les sociétés civiles par la loi du 4 janvier 1978 notamment à l’article 1869. Mais dans les sociétés à capital variable régies par la loi du 24 juillet 1867, ce droit a également existé. Selon le juge français, les statuts sociaux peuvent limiter l’exercice de ce droit de retrait mais seulement dans la mesure compatible avec le respect de la liberté individuelle . Pourquoi le droit de retrait n’est pas admis dans les sociétés commerciales à capital fixe ? On parle principalement du caractère institutionnel des sociétés commerciales à capital fixe, une fois constituées. Permettre à des associés de se retirer librement, et par conséquent de récupérer leurs apports, ce serait laisser la société vivre ou mourir au gré des volontés individuelles, alors que le destin de celle-ci ne doit résulter que d’une volonté collective .
42. Le législateur OHADA semble être conquis par cet argument vu que la fluctuation du capital social du fait du retrait ou de la mise par les associés de leurs apports ou de l’admission de nouveaux associés n’est envisageable que dans les sociétés à capital variable qui ne peuvent revêtir que la forme de sociétés anonymes ne faisant pas appel public à l’épargne ou de sociétés par actions simplifiées. Le retrait d’associé peut être unilatéral ou statutaire . Qu’en est-il du juge ? L’AUSCGIE ne prévoit pas de façon expresse la possibilité pour le juge d’exclure un associé ; seule la révocation est admise. En droit français, l’article 1869 du Code civil prévoit la possibilité pour le juge d’autoriser le retrait de l’associé pour justes motifs dans les sociétés civiles. C’est le cas en présence d’un conflit entre associés en instance de divorce .
43. Le libéralisme en droit des sociétés se manifeste par la conclusion de pactes extrastatutaires qui, il faut le rappeler doivent être inferieurs aux statuts comme le précise l’article 2-1 AUSCGIE. La Cour de cassation française soutient que viole l’article R.522-3 du Code rural, la Cour d’appel qui pour apprécier la durée de l’engagement d’un coopérateur retient celle figurant dans le bulletin d’adhésion et non celle plus courte fixée par les statuts .
La consécration des différentes clauses dans les statuts des sociétés anonymes permet de se rendre compte que l’intuitu personae n’est pas absent dans les sociétés par actions . Du coup, cette notion n’est plus un critère suffisant pour distinguer les societes de personnes des sociétés par actions.
3. L’intervention du juge
44. Lorsqu’une société traverse une crise grave, les tribunaux se reconnaissent compétence pour désigner un administrateur provisoire qui remplace les dirigeants jusqu’à ce qu’une solution ait pu être trouvée . La crise doit être temporaire, soluble et actuelle . Ainsi, le juge statuant à bref délai peut, comme prévu à l’article 160-1 de l’Acte uniforme, désigner un administrateur provisoire. Une jurisprudence traditionnelle admet qu’en cas de carence d’un organe de société anonyme, un administrateur provisoire peut être désigné par le juge des référés si cette carence est préjudiciable aux intérêts sociaux et s’il y a urgence . Les conditions de désignation d’un administrateur provisoire sont déterminées par le législateur OHADA. Il s’agit d’un « fonctionnement normal de la société rendu impossible ». Cette expression est tout sauf claire et va susciter des problèmes d’interprétation. Il appartiendra au juge, au cas par cas, de dire si le fonctionnement normal de la société est impossible. Ainsi, au Sénégal, le juge des référés a nommé un administrateur provisoire après avoir constaté que la mésentente était grave et de nature à porter atteinte gravement aux intérêts de la société . Le juge sénégalais a même fait part de la disparition de l’affectio societatis dans cette affaire.
45. Pour le juge français, c’est à bon droit que, pour désigner un administrateur provisoire à une société anonyme, le juge des référés se fonde sur l’existence d’une mésintelligence grave et persistante entre administrateurs et actionnaires ainsi que sur la précarité des décisions prises à une infime majorité et sur la perte du capital social à concurrence de plus des trois quarts . Faisons remarquer à la suite de cette décision de justice que la simple mésintelligence n’est pas une cause de nomination d’un administrateur provisoire. Ce faisant, cette cause doit être rapprochée de celle concernant la dissolution de la société pour justes motifs . Le juge français, à travers la décision précitée met en évidence les critères d’appréciation de l’urgence notamment l’existence d’une contestation grave [action en dissolution, assemblées houleuses, accusations portées par certains actionnaires minoritaires]. Pour lui, l’urgence doit s’apprécier non dans la personne de celui qui agit mais dans celle de la personne morale en ce sens que celle-ci doit être exposée à un préjudice certain et imminent . L’autre critère est d’ordre financier plus particulièrement plus des trois quarts du capital nominal de 5.500.000 francs .
46. La nomination d’un administrateur provisoire peut également être motivée par la cession d’actions aboutissant à une fermeture d’usine. Malgré son importance, la désignation d’un administrateur provisoire soulève des questionnements. Une certitude existe quant à la personne de l’administrateur provisoire à savoir qu’il doit être obligatoirement une personne physique, la durée maximum des fonctions de l’administrateur provisoire .
47. D’abord la détermination des pouvoirs de ce dernier. Quels sont les actes que l’administrateur provisoire est habilité à accomplir : les actes de disposition, conservatoire ou d’administration ? Dans la jurisprudence française précitée , les pouvoirs de l’administrateur provisoire étaient limités aux actes d’administration et de gestion.
48. Ensuite, l’opposabilité aux tiers des clauses limitant les pouvoirs de l’administrateur. Etant donné que la désignation de l’administrateur provisoire dessaisit les organes sociaux, on leur appliquera la règle en vigueur. On peut se servir de la théorie du mandat apparent c’est-à-dire croyance légitime du tiers aux pouvoirs de l’administrateur provisoire.
49. Si la société est de nouveau gérée par ses dirigeants normaux, quel est le sort des mesures décidées par l’administrateur ? Il ne fait de doute que les dirigeants revenus aux affaires respecteront les mesures prises que celles-ci soient favorables ou pas à la société. C’est une sorte de continuité de l’intérêt de la société.
50. Le juge aussi peut designer un mandataire ad hoc pour représenter la société en justice en cas de conflits intérêts entre la société et ses dirigeants . Ce faisant, avec le nouvel acte uniforme, les associés ne sont plus les seuls habilités à exercer l’action ut singuli.
Le mandataire ad hoc peut intervenir en cas d’abus de minorité ou d’égalité. Mais celle-ci ne s’envisage t-elle que lors de l’exercice du droit de vote ? C’est dire que l’abus dont on parle consiste à s’opposer à ce que des décisions soient prises. Ainsi, il y a abus en cas de blocage par de minoritaires d’augmentation de capital indispensables à la société , de refus systématique et sans motivation valable par un associé égalitaire d’adopter les résolutions présentées par un coassocié gérant ; privant la société d’améliorer ses résultats . De notre point de vue, on peut parler d’abus d’égalité ou de minorité lorsque les associés concernés ne se présentent pour voter alors que celle-ci est obligatoire.
51. La sanction prévue en cas d’abus de minorité ou d’égalité est la responsabilité des associés. Mais elle n’est pas la seule. Ainsi, la présence du mandataire ad hoc s’apprécie en matière d’abus de minorité ou d’égalité. Le juge peut désigner un mandataire ad hoc pour représenter à une prochaine assemblée les associés minoritaires ou égalitaires les associés dont le comportement est jugé abusif . Ce faisant, le législateur OHADA fait sienne la jurisprudence Vitama et Flandin .
Le juge peut, à la demande de tout associé, révoquer le gérant pour juste motif. En la matière, il y a une modification de la nature du motif de révocation. On est passé dune révocation pour cause légitime à une révocation pour cause légitime. Qu’entendre par cause légitime ? En l’absence à notre connaissance, de jurisprudence OHADA et nationale sur la question, nous pouvons nous référer à celle française. Pour le juge français, la cause légitime renvoie à une faute intentionnelle de particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal des fonctions sociales à intérêt social .
52. Si l’examen des dispositions de l’AUSCGIE révisé permettent de savoir où va le législateur OHADA, quelle est sa philosophie en la matière voire quels sont les principes directeurs du droit des sociétés, il n’est pas inutile de faire remarquer que sur certaines questions le flou demeure.

II/ Les orientations envisageables
53. Allons-nous nous adonner à l’art de la divination en parlant de la direction que va emprunter le législateur OHADA dans les réformes qui vont venir ? Il semble que non pour une raison toute simple : on ne peut parler de gouvernement d’entreprise sans responsabilité sociale de celle-ci. De même, il ne sert à rien de chercher à rendre moins précaire le statut des dirigeants et des associés si on ne leur permet pas, lors de leur exclusion de la société ou de leur révocation, de se défendre.
A/ Vers une prise en compte plus pertinente de la valeur partenariale.
54. L’intitulé de cette sous-partie peut laisser perplexe vu les efforts déployés par le législateur OHADA pour prendre en compte les intérêts des parties prenantes. Seulement, il se justifie puisque certains auteurs soutiennent la prise en compte par le législateur OHADA des questions environnementales à travers la notion d’intérêt social , la possibilité pour les dirigeants des sociétés de capitaux d’engager la société même quand ils dépassent l’objet social , par les articles 8 alinéa 1 et 2, 29 et 30 de l’Acte uniforme portant organisation et harmonisation des comptabilités des entreprises. Il faut dire que le législateur OHADA ne doit pas se préoccuper que d’investissement.
1. De la nécessaire inclusion des éléments non financiers dans l’investissement
55. Tout pays a besoin d’investissement étranger pour financer son économie. En effet, l’investissement est à la base de toute activité économique. Par l’investissement privé, l’entreprise prépare son avenir en anticipant un surcroit de consommation, en constituant des stocks ou en recherchant une plus grande productivité, en développant ainsi ses activités de recherche. Par l’investissement public, l’Etat ou les collectivités décentralisées soutiennent la conjoncture, maintiennent en état les infrastructures publiques, développent l’éducation ou la santé publique . 56. Les gouvernements des pays en voie de développement, conscients de l’insuffisance de l’aide publique, se tournent de plus en plus vers les puissants groupes industriels et financiers internationaux qui peuvent leur apporter les capitaux nécessaires à leurs investissements . Il s’agit le plus souvent des multinationales.
57. La terminologie « multinationale » n’a pas fait l’unanimité au sein des économistes. Pour les uns une entreprise peut revêtir successivement le caractère international, multinational, transnational ou même supranational . Pour les autres, il y a des firmes ethnocentriques, tournées vers le pays d’origine, les firmes polycentriques, orientées le ou les pays d’accueil et les firmes géocentriques, totalement dénationalisées et d’orientation mondiale d’efforcent de dresser une typologie des firmes multinationales. D’aucuns définissent les multinationales comme toute société qui a des activités, autre que la vente, dans plus d’un pays ou bien toute firme qui réalise des investissements directs à l’étranger , d’autres soutiennent qu’il s’agit de toute entreprise qui accomplit ses principales opérations, de fabrication ou de fourniture de services, dans au moins deux pays .
La plupart des pays en voie de développement, demandeurs en capitaux étrangers, ont promulgué des codes des investissements étrangers subordonnant l’entrée des capitaux à certaines exigences . Nous pouvons citer le cas du Sénégal avec la loi n° 74-06 du 22 avril 1974 portant statut de la zone franche industrielle de Dakar .
58. Les modalités d’entente entre les multinationales et les Etats nationaux sont variées. Il peut s’agir de la joint-venture ou entreprise commune.
59. Cette formule a reçu tout spécialement des applications en matière pétrolière : en effet, elle permet à l’Etat producteur, associé à 50% avec le groupe pétrolier dans l’entreprise commune, de participer lui-même directement à la recherche, à l’extraction, voire à la commercialisation, des richesses du sous-sol .
60. Il peut également s’agir d’un partenariat public-privé qui lato sensu est défini comme toute forme de collaboration entre d’une part, les pouvoirs publics et d’autre part, les entreprises privées . Stricto sensu, le partenariat public-privé peut se définir comme la collaboration, autour de projets, de l’Etat ou de ses démembrements, d’une part, des entreprises privées, d’autre part .
61. De nombreuses critiques qui sont adressées aux multinationales. On leur reproche d’être l’instrument d’exploitation des pays pauvres par les pays riches, d’exporter vers ces mêmes pays pauvres les rapports de production capitalistes, d’accroitre la dépendance économique de ces pays en leur imposant une spécialisation étroite dans le cadre de la division internationale du travail .
En effet, l’une des difficultés avec les multinationales c’est que les droits et les obligations émanant du droit international classique s’appliquent aux seuls États – et aux organisations intergouvernementales créées par eux – et ne concernent pas l’action des entreprises multinationales .
Le législateur OHADA n’ignore guère ce fait économique qu’est la multinationale. On peut le constater à travers la notion de groupe de sociétés .
Comment lutter contre les abus des multinationales ? On peut utiliser des « armes du droit des sociétés » OHADA comme aller au delà.
2/ Les modalités d’inclusion des éléments en question
62. Ces modalités peuvent être tirées du droit des sociétés ou du droit des Etats parties.
63. Dans la première occurrence, on peut citer la jurisprudence Fruehauf qui peut servir de prétexte à la résistance contre les multinationales, la doctrine Maison rouge selon laquelle la firme doit se « comporter dans chaque pays comme un bon citoyen ».
64. On peut lutter contre les multinationales, en intégrant dans la législation OHADA, le concept de responsabilité sociale de l’entreprise , d’investissement socialement responsable. Il faut souligner d’emblée qu’il y a une difficulté à dissocier ces deux notions, même si un auteur affirme qu’il y a eu un passage de la responsabilité sociétale des entreprises à l’investissement socialement responsable ou qu’il existe des dynamiques de promotion de l’investissement socialement responsable internes aux marchés financiers notamment la gouvernance d‘entreprise, le capital immatériel [marques, image, réputation, brevets, systèmes d’information], les fonds éthiques [fonds socialement responsables, fonds de développement durable, fonds d’exclusion] et des dynamiques externes de la promotion de l’investissement socialement responsable aux marchés financiers à savoir le développement durable, le management de la qualité et la responsabilité sociale de l’entreprise . Si nous partons de cette dernière conception, nous pouvons affirmer que l’investissement socialement responsable englobe la responsabilité sociale de l’entreprise.
65. Fondamentalement, le concept de « responsabilité sociale de l’entreprise » est une coquille vide permettant aux entreprises de signifier aux États et aux organisations internationales qu’elles sont de bonne volonté et qu’il n’est nul besoin de règles hétéronomes, de contrôle juridictionnel et administratif . La responsabilité sociale de l’entreprise traduit très exactement l’idée d’entreprise citoyenne, d’une entreprise dont l’activité, au-delà des contraintes légales, peut et doit intégrer une dimension morale, une dimension éthique dans les domaines sociaux et environnementaux . Elle a plusieurs dimensions : environnementale, sociale notamment le respect des conditions de travail, droits fondamentaux notamment la prise en compte des droits de l’homme.
Si le droit des affaires englobe des questions qui relèvent, en principe, d’autres branches du droit, il semblait jusqu’à une période récente indifférent au droit de l’environnement . Ce que l’on constate, c’est un mutisme du droit OHADA sur les questions environnementales au point que l’on soit tenté de se poser la question de savoir si le droit de l’environnement fait partie du droit des affaires. Si l’on se réfère à l’article 2 du traité de l’OHADA, il faut exclure toute idée d’inclusion du droit de l’environnement dans le droit des affaires , à moins que le Conseil des Ministres en décide autrement.
66. Dans la seconde occurrence, il y a l’article 13 du décret n° 2004-627 du 7 mai 2004, décret d’application du code des investissements au Sénégal qui impose aux entreprises éligibles au Code des investissements de se conformer aux exigences environnementales. Il en est de même de l’article de la loi n° 98-05 portant code pétrolier au Sénégal , qui dispose que les opérations pétrolières doivent être conduites de manière à assurer la conservation des ressources nationales et à protéger l’environnement .
En droit français, la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) ne se résume plus en une démarche volontaire de l’entreprise . Cet exemple démontre que la RSE ne résulte pas exclusivement de la soft law et qu’elle peut puiser son fondement dans une règle de droit à valeur contraignante, la hard law . Ils témoignent corrélativement de la vocation des valeurs ou principes éthiques à accéder à la juridicité .

Pour faire respecter l’environnement, il faut que les consommateurs, les actionnaires réagissent [questions écrites aux dirigeants], les entreprises peuvent également signer des codes de bonne conduite . De même, on peut faire jouer le capital « réputation » et consacrer la responsabilité pénale des personnes morales
67. L’investissement socialement responsable est apparu aux États-Unis et s’est développé en Europe depuis quelques années. Il traduit une démarche d’investissement qui repose sur des critères négatifs : pas d’entreprises polluantes ou faisant travailler des enfants ; ou positifs : seulement des entreprises qui manifestent leur prise en compte de l’environnement, des droits fondamentaux. Se développe de la sorte un actionnariat spécifiquement responsable composé de fonds communs de placements qui revendiquent cette particularité .
68. Le législateur OHADA a cherché à protéger les dirigeants notamment ceux des sociétés anonymes avec conseil d’administration en consacrant une révocation à tout moment mais pour justes motifs. Seulement, pour l’instant, la procédure de la révocation n’est pas élucidée. Ce qui peut-être ne saurait tarder vu le mouvement de fondamentalisation du droit qui règne depuis un certain temps.

B/ Une probable intégration des principes juridiques processuels en droit des sociétés
69. La distinction droits matériels et droits processuels est toujours d’actualité. Parmi les droits matériels de l’associé, il y a le droit à la transparence, à l’information, aux dividendes, aux réserves et au boni de liquidation. Mais, l’associé ou le dirigeant jouit ou doit jouir de droits processuels. En effet, les droits fondamentaux ont envahi tous les droits et le droit des sociétés n’a pas échappé à cette règle. Cette influence peut s’apprécier en matière de révocation des dirigeants sociaux surtout dans les sociétés de capitaux notamment la société anonyme car dans la société en nom collectif, la société à responsabilité limitée et la société en commandite simple, les dirigeants sont révocables pour justes motifs. Ce statut est plus confortable car la référence à de justes motifs de révocation signifie que la décision de révoquer n’est pas discrétionnaire et que les associés doivent être en mesure de formuler des griefs à l’encontre du dirigeant, justifiant qu’il soit mis fin à ses fonctions . Le juste motif peut consister en une mésentente entre cogérant qui compromet l’intérêt social ou le fonctionnement de la société , une perte de confiance .
Avec l’exigence du respect du contradictoire dans la révocation du dirigeant, il se pose de plus en plus la question de la pertinence de la distinction révocation pour justes motifs et révocation ad nutum .
70. Dans une décision, le juge a précisé que la révocation du directeur général d’une société anonyme est abusive si l’intéressé n’a pas été en mesure de présenter préalablement ses observations .
Ainsi, non seulement lors de la révocation il faut se garder de commettre des fautes, mais également la révocation du dirigeant par l’assemblée ne doit pas se faire dans la précipitation sans audition préalable de l’intéressé . Faisons remarquer que de plus en plus, la révocation est négociée, encore faudrait-il qu’elle ne soit pas préjudiciable à la société .
71. Concernant l’exclusion de l’associé, la jurisprudence considère qu’il doit être convoqué par l’organe habilité à l’exclure, être mis en demeure de préparer sa défense . Viole la loi du 1er juillet 1901 et le principe du respect des droits de la défense une cour d’appel qui tient pour régulière l’exclusion d’un sociétaire au vu d’une lettre le convoquant pour qu’il soit statué sur son exclusion, alors que cette lettre ne faisait pas apparaitre les griefs précis formulés à son encontre, condition nécessaire pour lui permettre de présenter utilement sa défense devant l’organe disciplinaire de l’association . Malgré les arguments invoqués au soutien de l’application du principe du contradictoire en droit des sociétés, notamment la légitimation de la décision de révoquer ou d’exclure et le souci d’équité, un auteur a relevé l’incohérente application de ce principe en droit des sociétés. Pour lui, il y a une transposition des exigences du procès équitable à une pièce qui n’est pas un procès et qui n’a pas à être équitable . Les raisons, loi de la majorité, absence de motivation, le dirigeant ou l’associé ne comparaisse pas devant un tribunal. Ces raisons invoquées sont loin d’être satisfaisantes d’abord parce le contradictoire n’est pas exigé que dans les tribunaux ; ensuite la loi de la majorité n’est pas exclusive du respect du contradictoire.
Conclusion
72. Parmi les orientations du législateur OHADA à travers l’AUSCGIE révisé, il y a la facilitation de la création d’entreprise notamment de la SARL par la possibilité accordée aux Etats partie de déroger au capital social minimum , l’admission des apports en industrie. Mais cela ne manquera pas de soulever des difficultés . Le législateur OHADA à travers la reforme a réconcilié le capital et le travail. Nous sommes dans ce que le Doyen Ripert a appelé « l’entreprise post capitaliste ». En effet, le but poursuivi par l’actionnariat salarié est de substituer au « face à face », le « cote à cote », d’améliorer le climat social au sein de l’entreprise, d’y encourager le dialogue, d’y intéresser, mieux, d’y intégrer les salariés
73. Seulement, le droit OHADA, à l’instar de toute règle, doit certes être attractif, mais sans pour autant être instrumentalisé au service du marché . Osons le dire, le droit OHADA doit gérer le conflit de préférence entre la préférence commerciale et la préférence environnementale car la responsabilité sociale est plus que jamais une réalité juridique . Prendre en compte l’environnement, c’est faire mentir le Doyen Ripert qui soutenait que « ces personnes, dites morales, n’ont pas de vie morale ». Le droit fait l’objet de plusieurs analyses et une nouvelle analyse semble faire son apparition. C’est l’analyse écologique du droit qui peut être définie comme l’étude de l’efficacité de la règle de droit au regard de l’impératif de limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement . Le législateur OHADA est mieux imprégné de l’analyse économique qu’écologique du droit. Il en est de même de l’ignorance du devoir de loyauté du dirigeant . Au vu et au su de tous, le législateur OHADA reforme constamment son droit ; la question est arrêtera t-il un jour ? Il est néanmoins possible de méditer sur cette opinion : « l’avenir du capitalisme passe par la restauration de la « société de confiance » c’est-à-dire de cet ensemble d’institutions, de règles normatives ou étatiques, de contrats, sans lesquels la recherche du profit légitimé par tous n’aboutit qu’à l’enrichissement sans cause de quelques uns ».