Le Juge d’appui dans l’Arbitrage OHADA

Qu’il soit ad hoc ou institutionnel, l’arbitrage est un mode de règlement des litiges qui a vocation à se dérouler, de la requête initiale à la sentence finale, sans l’intervention du juge étatique.

Il arrive, cependant, que ce juge soit amené à intervenir dans le processus arbitral, pour une raison ou pour une autre. On a ainsi pu dire qu’il n’y a pas de bon arbitrage sans bon juge .

Bien que l’intervention du juge étatique doive rester exceptionnelle en matière d’arbitrage, il importe que ledit juge soit identifié, d’autant qu’il n’est pas le même selon la phase à laquelle il intervient et peut varier d’une organisation judiciaire à une autre.

A l’image des législations modernes qui expriment une faveur généralisée des Etats pour l’arbitrage, traduisant ainsi un changement d’attitude desdits Etats à l’égard de l’institution arbitrale, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, ci-après l’AUA, qui régit l’arbitrage de droit commun dans l’espace OHADA , utilise l’expression « juge compétent dans l’Etat partie », pour désigner ce juge étatique qui doit coopérer à l’arbitrage, tant par ses actions d’assistance que de contrôle.

Inspirée du droit suisse , l’expression « juge d’appui » renvoie au rôle d’assistance que doit fournir le juge étatique à l’arbitrage avant et pendant l’instance arbitrale. Il s’agit alors de préciser la compétence d’attribution de ce juge d’appui (I) avant de déterminer en même temps le mode de sa saisine (II).

I. LA COMPETENCE MATERIELLE DU JUGE D’APPUI

Cette compétence est différente selon que l’on se trouve avant (A) ou après l’instance arbitrale (B).

A. AVANT LE DEMARRAGE DE L’INSTANCE ARBITRALE

Il est possible de solliciter le juge étatique avant la constitution du tribunal arbitral, pour l’octroi des mesures provisoires ou conservatoires, que l’on soit en arbitrage ad hoc ou institutionnel, sauf convention contraire des parties.

Par ailleurs, lors de la constitution du tribunal arbitral, notamment dans le cadre de l’arbitrage ad hoc, le juge étatique peut également être amené à intervenir pour compléter le nombre d’arbitres. A cet égard, l’AUA énonce à son article 8 que « le tribunal arbitral est constitué soit d’un seul arbitre, soit de trois arbitres. Si les parties désignent les arbitres en nombre pair, le tribunal est complété par un arbitre choisi, soit conformément aux prévisions des parties, soit en l’absence de telles prévisions, par les arbitres désignés, soit à défaut d’accord entre ces derniers, par le juge compétent dans l’Etat partie… ».

Il en résulte que l’Acte uniforme ayant institué le principe de l’imparité dans la constitution du Tribunal arbitral, celui-ci doit être constitué d’un seul ou de trois arbitres ; dès lors, si les parties désignent les arbitres en nombre pair, le Tribunal arbitral doit être complété selon les modalités précisées plus haut.

Outre cette intervention du juge étatique pour compléter le nombre d’arbitres devant constituer le tribunal arbitral conformément au principe de l’imparité posé par l’article 8 suscité, l’AUA prévoit également que le juge étatique puisse intervenir pour désigner un arbitre aux lieu et place d’une partie défaillance à cet effet.

Ainsi, après avoir indiqué que les arbitres sont nommés conformément à la convention des parties, l’article 5 de l’AUA précise qu’ « en cas d’arbitrage par trois arbitres, chaque partie nomme un arbitre et les deux arbitres ainsi nommés choisissent un troisième arbitre ; si une partie ne nomme pas un arbitre dans le délai de trente jours à compter de la réception d’une demande à cette fin émanant de l’autre partie ou, si les deux arbitres ne s’accordent pas sur le choix du troisième arbitre dans un délai de trente jours à compter de leur désignation, la nomination est effectuée, sur demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat partie ; en cas d’arbitrage par un arbitre unique, si les parties ne peuvent s’accorder sur le choix de l’arbitre, celui-ci est nommé, sur la demande d’une partie, par le juge compétent dans l’Etat partie ».

Bien qu’il soit possible de solliciter le juge étatique avant la constitution du tribunal arbitral pour l’octroi des mesures provisoires ou conservatoires comme indiqué plus haut, il importe de mentionner que ledit juge peut aussi être amené à octroyer ces mesures alors même que le tribunal arbitral est déjà constitué.

B. L’INTERVENTION DU JUGE ETATIQUE EN COURS D’INSTANCE ARBITRALE

Le juge étatique peut être sollicité pour l’octroi des mesures provisoires, tant en arbitrage ad hoc qu’institutionnel et aussi bien l’AUA que le Règlement d’arbitrage CCJA confirment cette assertion.

En effet, d’une part, il résulte de l’article 13 de l’AUA que du Règlement d’arbitrage CCJA que : « Lorsqu’un litige, dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente.

Si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étaique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle.

En tout état de cause, la juridiction étatique ne peut relever d’office son incompétence.

Toutefois, l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas d’obstacle à ce qu’à la demande d’une partie, une juridiction, en cas d’urgence reconnue et motivée ou lorsque la mesure devra s’exécuter dans un Etat non partie à l’OHADA, ordonne des mesures provisoires ou conservatoires, dès lors que ces mesures n’impliquent pas un examen du litige au fond, pour lequel seul le tribunal arbitral est compétent».

D’autre part, l’article 10.5 du Règlement d’arbitrage CCJA énonce qu’ « Sauf stipulation contraire, la convention d’arbitrage donne compétence à l’arbitre pour se prononcer sur toute demande provisoire ou conservatoire pendant le cours de la procédure arbitrale.

Les sentences prononcées dans le cadre de l’alinéa qui précède sont susceptibles de demande d’exequatur immédiate, si l’exequaturi est nécessaire pour l’exécution de ces sentences provisoires ou conservatoires.

Avant la remise du dossier à l’arbitre, et exceptionnellement après celle-ci au cas où l’urgence des mesures provisoires et conservatoires demandées ne permettrait pas à l’arbitre de se prononcer en temps utile, les parties peuvent demander de telles mesures à l’autorité judiciaire compétente.

De pareilles demandes, ainsi que les mesures prises par l’autorité judiciaire, sont portées sans délai à la connaissance de la Cour qui en informe l’arbitre ».

On précisera simplement que lorsque le Tribunal arbitral a déjà été constitué, le juge étatique et l’arbitre disposent d’une compétence concurrente pour l’octroi des mesures provisoires ou conservatoires, la partie demanderesse desdites mesures ayant le choix de porter sa demande devant l’arbitre déjà saisi ou devant le juge étatique compétent.

Cela étant, il convient de ne pas perdre de vue que les juridictions étatiques sont, à cet égard « …jugées plus efficaces tant en raison de la possibilité de les saisir d’urgence qu’en raison du caractère exécutoire des décisions qu’elles sont susceptibles de rendre… » .

Cela s’applique d’autant aisément que l’arbitre étant dépourvu de l’imperium, les mesures provisoires qu’il ordonne nécessitent l’exequatur du juge étatique pour leur exécution forcée, au cas où ces mesures ne sont pas spontanément exécutées ; il peut donc être plus avantageux de recourir à ce juge étatique plutôt qu’à l’arbitre, pour l’octroi des mesures provisoires ou conservatoires alors même que le tribunal arbitral est déjà constitué, en raison du caractère exécutoire des décisions dudit juge étatique.

En cours d’instance arbitrale, l’arbitre pourrait être sollicité dans certain nombre d’autres d’hypothèses.

L’AUA évoque ces hypothèses en précisant que le juge étatique compétent devra statuer sur les requêtes en récusation formulées par les parties contre les arbitres (article 7 de l’AUA) ; il devra statuer, soit pour proroger le délai légal ou conventionnel de l’arbitrage à la demande de l’une des parties ou du tribunal arbitral (article 12 de l’acte uniforme), soit encore pour aider le tribunal arbitral à obtenir des preuves (article 14 alinéa 7 de l’acte uniforme) .

L’AUA utilisant l’expression « juge étatique compétent dans l’Etat partie », il convient de préciser ce juge d’appui dans les Etats parties à l’OHADA.

II. LA DETERMINATION DU JUGE D’APPUI

Bien qu’il semble judiciaire d’insister sur la nécessité de déterminer ce juge d’appui (B), il convient de préciser ceux des pays de l’espace OHADA qui ont souscrit à cette obligation découlant de l’expression « juge compétent dans l’Etat partie » (A).

A. LES PAYS DE L’OHADA AYANT DETERMINE LE JUGE D’APPUI

Outre la précision de la compétence matérielle du juge d’appui, comme cela a été fait plus haut, il convient de préciser également la compétence territoriale, ou compétence ratione loci du juge d’appui.

Seul le juge étatique du siège de l’arbitrage apparaît indiqué pour accomplir les actes d’assistance à l’arbitrage précisés plus haut, comme on a eu à le dire à l’arbitrage fort opportunément .

En effet, le juge d’appui est « le juge naturel de l’arbitrage dont la compétence territoriale de principe n’est pas déterminée par les domiciles des parties mais par sa proximité avec le lieu où se déroule l’arbitrage » .

La loi camerounaise n°2003/009 du 10 juillet 2003 désignant le juge étatique visé dans l’AUA et précisant les modes de saisine dudit juge désigne le Président du Tribunal de Première Instance du lieu de l’arbitrage ou le juge que celui-ci désigne à cet effet comme étant le juge étatique compétent pour appuyer l’arbitrage avant ou après la constitution du Tribunal arbitral, dans les différentes hypothèses précisées plus haut.

C’est en effet, ce juge qui est compétent pour, le cas échéant, compéter le Tribunal arbitral compétent au principe de la parité, pour aider à la constitution du Tribunal arbitral en cas de défaillance d’une partie ou de mésentente des deux arbitres déjà nommés sur le choix du troisième arbitre, pour ordonner des mesures conservatoires ou provisoires avant ou après la constitution du Tribunal arbitral, pour statuer sur les requêtes en récusation formulées par les parties contre des arbitres, pour proroger le délai légal ou conventionnel de l’arbitrage à la demande de l’une des parties ou du Tribunal arbitral ou, enfin, pour aider le tribunal arbitral à obtenir des preuves.

La loi camerounaise sus-indiquée précise, s’agissant du mode de saisine du juge d’appui dans les différentes hypothèses précisées plus haut, que le juge est saisi « comme en matière de référé » .
Ainsi, qu’on l’a déjà affirmé, «… le législateur camerounais entend associer toutes les parties, et non plus seulement le demandeur, à l’élaboration de la décision que va prendre le juge étatique dans chacune de ses hypothèses d’intervention. En effet, contrairement au caractère unilatéral de la procédure gracieuse qui est introduite par la requête de la partie demanderesse, la procédure de référé permet d’informer la partie adverse de l’action du demandeur et de faire comparaître les deux parties devant le juge étatique; ce qui constitue une garantie procédurale importante pour la partie adverse, qui va pouvoir faire valoir ses moyens de défense dans le cadre d’un débat contradictoire.

Afin d’éviter les recours dilatoires contre la décision prise aux termes du débat contradictoire sus-évoqué, l’article 3 alinéa 1 de la loi camerounaise prévoit que la décision du juge étatique dans chacune des hypothèses sus-citées (constitution du tribunal arbitral, récusation d’un arbitre, prorogation du délai de l’arbitrage, rectification et/ou interprétation d’une sentence arbitrale) « n’est susceptible d’aucun recours ». Cette disposition de la loi camerounaise doit être approuvée d’autant qu’en fermant la voie aux recours dilatoires, le législateur camerounais se conforme à une tendance internationale qui veut d’une part, que le recours au juge étatique reste exceptionnel en matière d’arbitrage et, d’autre part, que cet appel au juge étatique ne soit pas un prétexte pour donner lieu à des recours susceptibles d’allonger inutilement la procédure arbitrale, dont l’une des caractéristique doit demeurer la rapidité.

Outre la loi camerounaise sus-évoquée, on mentionnera utilement la loi ivoirienne n° 93-671 du 9 août 1993 relative à l’arbitrage, le décret sénégalais n° 98-492 du 5 juin 1998 relatif à l’arbitrage interne ou international, l’ordonnance tchadienne du 28 juillet 1967 portant promulgation partielle du Code de procédure civile (art. 373 al 2), le Code de procédure applicable au Togo (art. 283) et au Congo (art. 310) .

Même si ces textes ont le mérite d’exister, ils présentent cependant l’inconvénient d’être antérieurs à l’AUA et de désigner qu’implicitement le juge étatique d’appui à l’arbitrage ; d’où l’intérêt qu’il y aurait pour les pays en cause et tous les autres de l’espace OHADA, déterminer avec précision ce juge d’appui et son mode de saisine.

B. LA NECESSITE DE DETERMINER LE JUGE D’APPUI A L’ARBITRAGE.

On a eu à indiquer qu’avant l’avènement de l’AUA, tous les Etats parties à l’OHADA ne disposaient pas d’un texte sur l’arbitrage et que cet AUA tenant lieu de loi relative à l’arbitrage dans lesdits Etats , ceux-ci ont dorénavant un texte interne sur l’arbitrage.

Cela étant, l’application efficace de l’AUA dans les Etats parties et, plus généralement, l’expansion de la culture puis de la pratique de l’arbitrage dans l’espace OHADA, qui constitue l’un des objectifs majeurs du Traité du même nom, nécessite que tous les Etats parties prennent effectivement un texte national en complément de l’AUA pour lui assurer une meilleure efficacité, ledit texte devant préciser quelle est, au regard de l’organisation judiciaire de chacun desdits Etat, le juge étatique compétent pour coopérer à l’arbitrage, non seulement en qualité de juge d’appui, mais également à la phase-post arbitrale dans le cadre d’un contrôle éventuel de la sentence arbitrale intervenue.

A part le Cameroun dont le législateur national a formellement adopté la loi n° 2003/009 du 10 juillet 2003, l’on mentionne les autre Etats dans lesquels les textes cités et antérieurs à l’AUA, qui complètent celui-ci tant par ses dispositions non identiques ou non contraires audit AUA, permettent de déterminer le juge d’appui à l’arbitrage.

La vétusté de ces textes et des « accords-parties » qu’ils imposent pour permettre de déterminer tant le juge d’appui que le juge de contrôle ne facilitent pas toujours l’application aisée de l’AUA dans lesdits Etats.

Aussi, tant dans ces Etats que dans tous les autres pays de l’espace OHADA qui ne disposaient pas de textes sur l’arbitrage avant l’adoption de l’AUA, il semble à la fois judicieux et urgent d’y compléter le cadre juridique de l’arbitrage par l’adoption d’un texte national qui, à l’image de la loi camerounaise n° 2003/009 du 10 juillet 2003 précise le juge étatique compétent visé par l’AUA aux différentes phases du processus arbitral et précisant les modalités de saisine dudit juge étatique compétent pour coopérer à l’arbitrage.

Dans le cadre de l’élaboration de ladite loi, l’idée de réserver la fonction de juge d’appui et de contrôle à un seul juge expérimenté (par exemple le Président du Tribunal de Grande Instance de la plus importante ville du pays » , pour judicieuse qu’elle puisse apparaître, ne semble pas compatible avec le souci légitime des pouvoirs publics de l’espace OHADA de rapprocher la justice des justiciables.

A cet égard, il ne semble pas superflu de relever qu’au regard de la règle selon laquelle le juge d’appui est naturellement celui du siège de l’arbitrage et que, dans la mesure où l’AUA ayant vocation à s’appliquer à tout arbitrage lorsque le siège de celui-ci se trouve situé dans l’espace OHADA, toutes les juridictions étatiques, là où elles existent, ont vocation à coopérer à l’arbitrage.

Dès lors, il apparaît indispensable, pour ne pas dire plus, de former tous les magistrats, où qu’ils résident dans l’espace OHADA, afin de les habiliter à assister les parties à l’arbitrage, le cas échéant.

Au demeurant, il ne semble pas intéressant de donner l’impression que l’arbitrage et, plus généralement, les Modes Alternatifs de Règlement des Conflits (MARC), doivent être l’affaire d’une certaine élite car, ce serait le meilleur moyen de faire échec à la promotion et à la vulgarisation de cette institution qui, avec la justice étatique, contribuent à la construction de l’Etat de droit nécessaire à l’amélioration du climat des affaires dans l’espace OHADA.

En tout état de cause, l’élaboration par les Etats parties OHADA d’un texte complémentaire à l’AUA permettrait d’éviter des situations comme celle survenue au Bénin, où un Tribunal de Première Instance a dû statuer comme juge d’annulation d’une sentence arbitrale.

Pour valider cette décision du juge béninois en l’espèce, la CCJA a dû écrire « qu’il est établi en droit positif béninois qu’aucun texte particulier n’est intervenu depuis l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage pour préciser le juge compétent devant lequel doit être porté le recours en annulation ; que l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage n’ayant pas précisé le juge compétent devant lequel le recours en annulation doit être porté, il y a lieu de se reporter à la loi nationale de chaque Etat partie pour cette détermination ; qu’en République du Bénin, Etat partie, la loi n°2001-37 du 27 août 2002 portant organisation judiciaire dispose en son article 49 que « les Tribunaux de première instance sont juges de droit commun en matière pénale, civile, commerciale, sociale et administrative» ; qu’en droit processuel, toutes les fois qu’un texte particulier n’attribue pas à une juridiction déterminée la connaissance exhaustive de certaines matières, ladite connaissance de celle-ci échoit aux juridictions de droit commun ; qu’en conséquence, il échet de dire que le Tribunal de Première Instance hors classe de Cotonou est, en l’espèce, le juge compétent pour connaître du recours en annulation de la sentence arbitrale du 9 mars 2008 » .