Redécouvrir la technique du Build, Operate and Transfer (BOT) pour une réalisation optimale de projets publics et privés en Afrique

Introduction

La technique du Build, Operate and Transfer (ci-après BOT) est une modalité de réalisation de projets tant publics que privés dans différents domaines socio-économiques. Empruntant des traits du modèle concessif, le BOT repose principalement sur le modèle du « project financing/project finance » qui est en substance une technique de financement où les prêteurs acceptent de financer un projet en se basant uniquement sur sa rentabilité et sa valeur propres. En pratique, le remboursement du prêt dépend principalement du cash-flow généré par le projet lui-même, de sorte que la capacité du projet à générer des revenus qui serviront au remboursement du prêt constitue la pierre angulaire du project financing. Le BOT repose essentiellement sur ce mécanisme.

L’objet de cette contribution est de revenir brièvement sur les potentialités liées à l’utilisation de cette technique, laquelle fait l’objet d’une analyse systématique dans un ouvrage que nous lui avons consacré . De fait, celle-ci est susceptible de permettre la réalisation optimale de nombreux projets publics et privés en Afrique. Il s’impose toutefois de souligner que cette technique n’est pas une nouveauté sur le continent. A titre d’exemple en effet, la Côte d’Ivoire et le Mozambique ont connu des projets assis sur ce modèle et certains Etats africains lui ont consacré des législations spécifiques, à l’instar du Sénégal et de la Guinée Conakry . Après une brève présentation de l’économie générale du BOT (I), les potentialités liées à son utilisation en Afrique pour la mise en œuvre de projets seront exposées (II). Toutefois, seule l’application du BOT aux projets publics sera ici envisagée.

I- Brève présentation de l’économie générale du BOT

Dans le cadre d’un BOT de manière générale, un Etat d’accueil sélectionne une entité privée dans le but de la conception, du financement et de la construction d’une infrastructure et accorde à cette entité le droit de l’exploiter commercialement durant une période déterminée, à l’expiration de laquelle l’infrastructure est transférée à l’Etat.

En principe, la structuration d’un projet public en BOT se traduira par l’absence de recours des prêteurs tant à l’encontre des promoteurs du projet (pas de garantie financière des promoteurs privés) qu’à l’encontre de l’Etat d’accueil (pas de garantie de remboursement des promoteurs publics). Les choses sont cependant nuancées en pratique car, il faut souvent trouver un juste équilibre entre rentabilité et utilité du projet, c’est-à-dire entre le soutien et/ou les garanties de l’Etat aux fins d’utilité sociale du projet et le retour sur investissement attendu par les partenaires privés.

Le BOT demeure néanmoins une solution innovante et une alternative non négligeable par rapport à l’approche traditionnelle de réalisation de projets publics dans la mesure où, la conception, le financement et la réalisation du projet incombent ici à ses promoteurs privés, de sorte que le remboursement des prêteurs sera principalement assuré par les recettes générées par ledit projet.

A cet égard, le BOT constitue une modalité des partenariats public-privé (ou PPP), lesquels présentent l’avantage d’offrir aux personnes publiques de nouvelles alternatives de financement et de gestion privés tout en leur permettant de garder la haute main tant sur l’orientation stratégique des projets que sur la propriété des biens qui en sont issus .

Le schéma d’un montage contractuel classique de BOT correspond à la figure ci-après :

Schéma d‟un montage contractuel classique de BOT

Tel qu’il peut être constaté à partir du schéma ci-dessus, une opération BOT implique une multitude de partenaires : Etat d’accueil ou une de ses composantes ou un de ses démembrements, investisseurs privés (promoteurs) intervenant généralement par le biais de la société du projet, prêteurs sur projet (pool de banques internationales/nationales avec, le cas échéant, le concours des institutions financières internationales), le constructeur (souvent un consortium d’entreprises) et enfin l’utilisateur final du produit/service ou de l’infrastructure.

Les opérations de BOT permettent la réalisation de projets dans des domaines divers et variés tels que les centrales électriques ou thermiques, les usines de production d’eau potable ou d’assainissement d’eaux usées, les ponts, les tunnels (le projet Eurotunnel entre la France et le Royaume-Uni en est une illustration marquante), les autoroutes, les réseaux de télécommunications, les infrastructures portuaires et aéroportuaires etc.

A cette variété des domaines d’application du BOT correspond une adaptation du schéma du montage du projet, mais surtout également plusieurs variantes du concept dont notamment : le BOO (« Build, Own, Operate), le BOL (« Build, Operate, Lease »), le BOOT (Build, Own, Operate, Transfer), le BTO (« Build, Transfer, Operate »), le DBFO (« Design, Build, Finance, Operate »), le ROO (« Rehabilitate, Own, Operate »), le ROT (« Rehabilitate, Own, Transfer »), le TOT (« Transfer, Operate, Transfer »).

En ce sens, les opérations de BOT recèlent d’énormes potentialités pour la réalisation de projets en Afrique.

II- Potentialités liées à l’utilisation du BOT pour la réalisation de projets en Afrique

Le BOT présente un certain nombre d’avantages pour les Etats d’accueil de ce type d’opérations : il peut par exemple permettre de réaliser de nouvelles infrastructures dans des délais relativement courts, sans augmenter la pression fiscale sur les contribuables ni aggraver le déficit budgétaire national . Pour certains projets, il peut même permettre de faire supporter le coût de réalisation, non par l’ensemble des contribuables de manière indifférenciée, mais par ses seuls usagers. En outre, tout en étant un instrument de promotion des investissements étrangers, le BOT permet également, dans une certaine mesure, un transfert de technologie.

De manière significative, le contrat de BOT peut assurer à l’Etat d’accueil l’acquisition d’une certaine maîtrise juridique qui lui permet, au fur et à mesure où il acquiert les connaissances techniques nécessaires, de soumettre son cocontractant étranger à un contrôle que celui-ci a accepté à l’avance. En résumé, le BOT peut être un instrument de coopération équilibrée et dynamique susceptible d’entraîner un gain mutuel pour les parties.

Le succès d’un projet BOT passe néanmoins par l’implication et le soutien que l’Etat d’accueil peut (ou veut) donner au projet, notamment en créant un environnement politique et économique stable ainsi qu’un cadre institutionnel et réglementaire clair, dynamique, performant et adapté à l’approche BOT (et plus généralement aux PPP).

De telles conditions participent de la réduction des risques qui sont susceptibles d’affecter ce type d’opérations à savoir notamment, d’une part, les « risques pays » c’est-à-dire les risques liés au contexte politique, économique et juridique de l’Etat d’accueil et, d’autre part, les « risques projet » c’est-à-dire ceux relatifs notamment aux paramètres techniques, managériaux et financiers du projet lui-même.

Le risque pays – en particulier le risque politique – n’est dans la réalité des choses que la « valorisation » du cadre institutionnel et réglementaire de l’Etat hôte du projet. De fait, la valeur du pouvoir d’Etat, dans ses formes pertinentes et entre les mains d’organes appropriés, peut se voir attribuer un prix dans de nombreuses situations pouvant être comparées (ce que font en partie les agences de notation). Un tel prix peut alors être négatif, si l’exercice possible du pouvoir d’Etat est perçu comme portant atteinte à la chose promise, par exemple, à cause de la crainte d’une confiscation. Des études ont ainsi démontré que le risque lié à un cadre institutionnel et réglementaire inapproprié peut – en fonction des pays et des secteurs – accroître de 2 à 6% le coût du capital, ce qui entraîne en général une compensation par des prix de service élevés ou un montant faible à verser à l’Etat concédant au titre de droit de concession (de nombreux pays d’Amérique latine ont connu cette difficulté) .

Plus généralement, le traitement des différents risques susceptibles d’affecter l’opération BOT est crucial pour assurer son succès. Aussi, faut-il dans le cadre d’une étude minutieuse de faisabilité (économique, financière, juridique, sociale et environnementale) examiner si le projet peut être viable c’est-à-dire utile et rentable. Pour cette raison, le BOT peut également constituer un outil inhibiteur de projets de prestige et forcer à une certaine éthique des affaires.

D’un autre côté, le BOT impose d’instaurer des procédures tendant à sa légitimation, de telles procédures devant organiser une concurrence véritable entre les futurs partenaires privés et assurer tant une transparence qu’une gouvernance sans failles du projet dans son ensemble, et ceci, même si la sélection du partenaire privé impose en pratique de combiner l’exigence de transparence et l’impératif de choix individualisé.

L’avantage des procédures de légitimation est de contribuer à lutter efficacement contre la corruption, laquelle sévit particulièrement au moment de l’attribution du projet aux candidats concessionnaires.

A cet égard, Hong-Kong s’érige en modèle à suivre pour la réalisation de projets BOT, ce pour au moins deux raisons : non seulement la quasi-totalité des projets BOT réalisés dans ce pays ont connu un succès incontesté, mais également une commission indépendante anti-corruption (Independent commission against corruption ou ICAC en abrégé) y assure la supervision de tout le processus de sélection des partenaires privés, ce qui y a sensiblement réduit le niveau de corruption .

Le BOT offre par ailleurs une méthode pour inverser la fragmentation des fonctions qui a jadis caractérisé la réalisation de grands projets conduisant à une confrontation – généralement basée sur la méfiance – entre divers participants au projet. Cette technique constitue en réalité un changement de paradigme dans la réalisation de grands projets, de sorte que ses mécanismes et procédures peuvent constituer une source d’inspiration pour améliorer les modalités classiques de réalisation de projets publics.

La Chine semble avoir procédé de la sorte. Elle a su notamment combiner méthodes classiques de réalisation de projets publics et projets BOT. Dans la mise en œuvre de ses nombreux projets BOT, elle a procédé étape par étape, précisément à partir d’une série de projets pilotes conçus pour servir de modèles et attirer les investisseurs, d’abord dans les domaines de l’eau, de l’énergie, des transports et, par la suite, dans d’autres projets d’infrastructures .

Le BOT ne constitue toutefois pas la panacée. Il n’est pas propice à la réalisation de n’importe quel projet public, fût-il d’envergure. Il se recommande notamment pour les projets dont la qualité ou les performances (des produits/services attendus) sont susceptibles d’être mesurées et peuvent en conséquence être contractualisées. A l’évidence, la seule participation du secteur privé n’entraîne pas automatiquement le succès d’un projet en assurant qualité, efficacité et service au public

A cet égard, un des arguments le plus souvent avancé contre le BOT est celui de son coût élevé. Toutefois, si cet argument s’avère pertinent, il ne convainc pas et ne suffit pas à entamer le crédit de cette technique alternative :

Tout d’abord en effet, parce que le BOT n’est qu’une alternative au financement classique de projets publics, il revient à l’Etat d’accueil du projet de comparer les formules de financement établies et de choisir la plus appropriée pour l’opération projetée. Cependant, rien ne doit empêcher un Etat de choisir la formule la plus onéreuse si les avantages qu’elle présente paraissent globalement le mériter. Mme Dambisa Moyo a ainsi pu très justement s’interroger: “How much better if a country pays the higher financial rate, and gets quality investment and an improved standing in the world?” .

De manière décisive ensuite, faire une bonne affaire pour un Etat consiste moins à obtenir les prix les plus bas qu’à obtenir la meilleure valeur possible, laquelle se mesure essentiellement en termes d’efficience, d’effectivité, d’équité, de réactivité et de responsabilité.

Enfin par ailleurs, le BOT peut constituer un formidable outil de distinction ou signalling en affichant et en augmentant la capacité d’un Etat (« capacity building ») à accueillir, structurer et réaliser des projets d’envergure .
Conclusion

L’objet de cette brève contribution était de présenter, tout aussi brièvement, les potentialités liées à l’utilisation en Afrique de la technique du BOT pour la réalisation de projets publics. Si cette technique peut susciter des controverses et critiques, c’est parce qu’elle tente d’apporter une solution à la délicate question de l’équilibre entre l’intérêt général que sont censés protéger les Etats et l’intérêt des investisseurs privés, lesquels sont en droit d’attendre un retour sur leurs investissements.

Opération inscrite sur une longue durée, la clé du succès du BOT réside dans la coopération fructueuse des secteurs privés et publics. Ceci implique, au-delà d’une étude minutieuse de faisabilité multidimensionnelle et un transfert équilibré des risques aux différentes parties aux projets, un encadrement juridique adéquat dans un environnement institutionnel et réglementaire clair, dynamique et performant, toutes choses qui participent de la réduction des risques et des coûts de transaction.

Le BOT apparaît comme un outil de politique publique susceptible de permettre la réalisation optimale – assortie d’une réelle sécurité juridique – de nombreux projets publics partout en Afrique. Cela suppose qu’au-delà de la quête de l’aptitude des partenaires privés à réaliser concrètement les projets, les Etats africains se dotent à tout le moins d’une double capacité à savoir, d’une part, celle de rédiger adéquatement les contrats qui permettront la réalisation des projets et, d’autre part, celle d’assurer une correcte exécution desdits contrats.