L’insertion du droit de l’Ohada en RD Congo : les roses et les épines

INTRODUCTION

Beaucoup en Occident comme ailleurs prédisent que l’avenir du droit se jouera entre les systèmes juridiques de la Common Law et le système civiliste originaire de l’Europe continentale. La généralisation de ces deux systèmes serait même, selon certains observateurs, inéluctable. Certains auteurs affirment par ailleurs que la concurrence entre ces deux systèmes juridiques sera – est déjà – une préoccupation majeure aux yeux des juristes . Et pourtant, dans une logique de pragmatisme juridique, le besoin de sécurité juridique et d’attractivité des investissements étrangers a conduit certains pays d’Afrique à penser un autre système juridique. Ce dernier n’est ni de Common Law ni purement de droit civiliste. Désireux de faire de leurs territoires un « pôle de développement », ces États africains ont imaginé un système juridique sui generis fondé sur l’impérieuse préoccupation de promouvoir la sécurisation juridique et judiciaire des investissements. Le système juridique de l’OHADA a donc été créé à cette fin. Il est le fruit de l’imagination d’un peuple déterminé à penser et à concevoir un autre système de normes modernes, efficaces et adaptées à leurs réalités locales ainsi qu’à leurs besoins économiques et sociaux.
Pensé à l’origine pour éliminer les divergences législatives entre les États membres, accentuées depuis leurs indépendances par la balkanisation de leurs droits issus de la colonisation, ce système juridique, élaboré de l’Afrique et par l’Afrique , a depuis fait florès. Considéré au départ comme une curiosité juridique de peu d’importance, le droit de l’OHADA séduit au-delà de ses frontières. Du lancement officiel en 2007 du projet OHADAC par l’association ACP LEGAL à l’entrée en vigueur effective du droit de l’OHADA en République Démocratique du Congo, l’OHADA a fait du chemin. Droit des affaires pour les uns, droit des activités économiques pour les autres , le droit matériel de l’OHADA est présenté comme un outil révolutionnaire qui ne peut que contribuer à encourager les investisseurs à faire des affaires dans les États Parties. Rappelons que le Traité de l’OHADA impose la primauté de la sécurité juridique et judiciaire des investissements sur toute autre valeur. C’est justement cet argument qui a motivé les autorités publiques, les milieux d’affaires et la société civile de la République Démocratique du Congo à travailler d’arrache-pied, pendant une très longue période de transition, à insérer le droit de l’OHADA dans ce qui sera désormais le plus grand pays (en termes de superficie et de population) ayant intégré l’OHADA.
Ce pays au potentiel économique formidable avait énormément besoin de réformer sa législation de nature économique d’autant plus que l’essentiel des textes régissant le droit des affaires remontait à la période coloniale. De même, la source intellectuelle de son droit économique (le droit belge) avait perdu son identité sous l’effet et l’influence toujours croissante du droit européen des affaires. Le droit des affaires belge (expurgé de l’influence européenne), source d’inspiration du législateur congolais, était devenu l’expression d’une pensée inadaptée, voire obsolète. Le repère du législateur congolais se trouvait donc contrasté et il ne lui restait qu’à choisir entre l’adhésion au système juridique de l’OHADA ou se lancer dans une vaste entreprise cavalière de réforme de son droit économique. Cette dernière lui aurait coûté cher en temps, en efficacité, mais surtout en crédibilité. C’est justement pour éviter cet écueil que le Ministre congolais de l’économie a adressé au Secrétaire permanent de l’OHADA une lettre n° CAB/MIN-ECONAT/186/2004 du 17 février 2004 par laquelle il sollicitait des informations sur les conditions et modalités pratiques de l’adhésion. De la déclaration d’intention d’adhérer à l’OHADA au 13 juillet 2012, date de dépôt des instruments de ratification du Traité, beaucoup de résistances se sont levées mais quasiment toutes ont été dissipées par un minutieux travail des acteurs en charge du dossier tant dans le circuit officiel de l’OHADA et du gouvernement congolais que dans le milieu de la société civile qui a œuvré efficacement pour que l’objectif soit atteint.
Rien n’a été facile, mais au final, le droit de l’OHADA entrera donc en vigueur en RDC et l’impératif de sécurité juridique et judiciaire véhiculé par l’OHADA sera aux avant-postes de tout discours des différents acteurs congolais du droit économique. Toutefois, les joies et les propos élogieux qui ont suivi le dépôt des instruments d’adhésion par le Gouvernement de la RDC ne doivent pas faire perdre de vue les difficultés actuelles de ce système juridique sui generis . La « galaxie » OHADA s’est agrandie territorialement, en s’élargissant vers le Sud et l’Est de l’Afrique, elle s’est également renforcée en nombre de sujets de droit. Elle s’est enrichie d’un pays au fort potentiel économique .
L’insertion du droit de l’OHADA en RDC comporte des avantages multiples, c’est à ce titre qu’il s’agit d’une chance. Cependant, des inquiétudes demeurent et l’on peut s’interroger sur la nature et l’ampleur des difficultés réelles auxquelles sera confrontée l’application effective de cette nouvelle législation des affaires en RDC. Ces difficultés sont autant d’obstacles qui obligent l’observateur à utiliser un prisme de lecture différent pour apprécier l’entrée en vigueur de ce droit nouveau dans ce grand pays placé au cœur de l’Afrique. Si ce nouveau système juridique de l’environnement économique est donc une chance, il a en face de lui plusieurs obstacles qu’il faudrait surmonter pour qu’il atteigne sa vitesse de croisière en cours d’application.

Cette étude, consciente de l’arbitraire, a donc pour vocation à mettre en évidence les retombées de l’insertion du droit de l’OHADA en RDC en faveur des différents bénéficiaires : la RDC, l’OHADA et l’Afrique. Elle ambitionne également de mettre en évidence les obstacles auxquels devront faire face l’OHADA et la RDC pour tirer le meilleur parti de cette révolution juridique que cette dernière vient d’opérer. La présentation des chances (I) de l’insertion du droit de l’OHADA en RDC précédera celle des obstacles (II) à surmonter.

La triple chance de l’insertion du droit de l’OHADA en RDC

L’application du droit de l’OHADA représente une chance à trois égards. Elle bénéficie à la RDC (I.1), à l’OHADA (I.2) et à l’Afrique (I.3).

I.1- Une chance pour la République Démocratique du Congo

7. L’insertion du droit de l’OHADA en RDC est un formidable atout pour la sécurisation juridique et judiciaire des investissements dont elle a besoin pour enfin profiter des retombées qui seront dégagées de l’exploitation durable et écologique de ses énormes richesses minières et naturelles. Comme le remarquait déjà un éminent juriste congolais, « outre l’amélioration du climat des affaires, l’adhésion de la RDC à l’OHADA renforcera l’attractivité et satisfera l’objectif d’intégration régionale, clé du développement et de la paix en Afrique » . Cet auteur a d’ailleurs présenté l’OHADA comme une « opportunité à ne pas manquer » par la RDC . Son adhésion à ce système juridique permet au pays de faire l’économie d’un long et fastidieux processus de réformes législatives car « l’efficacité du droit des affaires OHADA ne fait donc plus l’ombre de doute » .

8. Le droit de l’OHADA est le complément substantiel et nécessaire à la loi du 3 juillet 2001 instituant les tribunaux de commerce au Congo . Il fallait donner un signal fort aux investisseurs d’autant plus que le Rapport Doing Business 2012 classe ce pays à la 178ème position (sur 183 économies analysées) au regard des facilités d’y faire des affaires . Les textes relatifs au droit des sociétés, au droit commercial général, au droit de la faillite étaient pour la plupart surannés . Le régime juridique de l’activité économique en vigueur dans ce pays était donc inadapté aux exigences de l’économie moderne et ce, à plusieurs titres. Le classement établi par la Société Financière Internationale (SFI) dans les rapports annuels Doing Business se fonde sur dix indicateurs (création d’entreprises, octroi des permis de construire, embauche des travailleurs, protection des investissements, paiement des impôts, commerce frontalier, exécution des affaires, fermeture des entreprises, etc…) censés déterminer la qualité de l’environnement juridique des affaires et classe le pays en fonction de la facilité d’y effectuer des affaires . Les exemples du droit commercial général et du droit des sociétés commerciales en témoignent à suffire.

9. Le statut du commerçant est emblématique de cette inadaptation de l’ancienne législation congolaise aux exigences modernes de la vie des affaires. En effet, élément primaire de l’encadrement de l’activité économique, le cadre général de l’activité économique était régi en RDC par un Décret du 2 août 1913 relatif aux commerçants et à la preuve des engagements commerciaux , et plusieurs dispositions de ce texte étaient incompatibles avec celles de l’Acte Uniforme révisé du 15 décembre 2010 portant droit commercial général. Le cas de l’incapacité juridique de la femme mariée de faire le commerce à défaut d’une autorisation maritale témoigne également à suffire de cette désuétude. De même, la restriction à l’encontre des étrangers de la possibilité de faire du commerce illustre l’archaïsme de cette ancienne législation .
Désormais, dès l’application effective du nouveau droit, s’il y a une incompatibilité avec certaines dispositions de l’ancienne législation, le conflit sera résolu, sur le fondement de l’article 10 du Traité de l’OHADA, en faveur des dispositions des Actes uniformes. Par ailleurs, l’entrée en vigueur du droit de l’OHADA dotera ce pays d’un régime moderne de bail à usage professionnel qui n’était pas régi par le Décret du 30 juillet 1888 relatif aux contrats et obligations conventionnelles. Enfin, alors qu’un arrêté du 12 octobre 1999 ne s’appliquait qu’à Kinshasa uniquement, les dispositions de l’Acte uniforme portant droit commercial général s’appliqueront sur tout le territoire de la République. De même, le nouveau statut particulier de l’entreprenant qui est une réponse de l’OHADA à la préoccupation d’encadrer les opérateurs du secteur informel apportera une batterie de dispositions attractives et adaptées à ces opérateurs informels qui sont de plus en plus nombreux en RDC. Toute chose qui facilitera ainsi leur intégration progressive dans le circuit formel.

10. L’ancien droit congolais des sociétés (naguère régi de manière fragmentée par les dispositions du Code civil, du Décret du Roi Souverain du 27 février 1887 sur les sociétés commerciales, de l’arrêté royal du 22 juin 1926 et du Décret du 24 mars 1956 sur les coopératives) est encore plus symptomatique de l’inadaptation du droit congolais à la vie moderne des affaires. En effet, avant l’entrée en vigueur du droit des sociétés de l’OHADA qui contient 920 articles (et dont la révision en cours portera très probablement le nombre d’articles à plus de mil), l’ancien droit congolais des sociétés reposait sur 129 articles du Décret du 27 février 1887 tel que complété en 1960. Aucune réforme n’avait été faite en plus d’un demi-siècle . La création d’une société par action à responsabilité limitée était soumise à une autorisation présidentielle préalable, et, lorsque l’autorisation était acquise, l’entrepreneur était obligé de s’associer avec d’autres actionnaires pour créer une société car le droit congolais définissait la société comme « un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent de mettre quelque chose en commun, en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter » . Ce texte met l’accent sur les aspects pécuniaire, contractuel et pluripersonnel. L’unique exception à cette règle n’était consacrée qu’en faveur de l’État congolais qui pouvait avoir la qualité d’actionnaire unique . Cette chape de plomb imposée par le législateur congolais obligeait les entrepreneurs locaux et étrangers à recourir aux associés « de paille » pour créer une entreprise. De nombreux entrepreneurs, qui rechignent à s’associer, recouraient à cette pratique uniquement pour remplir les exigences légales liées au nombre d’associés . À présent, l’insertion du droit de l’OHADA dont l’article 5 de l’Acte uniforme portant droit des sociétés commerciales prévoit expressément la société unipersonnelle viendra soulager cette catégorie d’entrepreneurs . De même, la création d’une entreprise par un investisseur étranger était soumise à de très lourdes contraintes. Il fallait justifier de la constitution d’une caution sur un compte indisponible sous le contrôle de la « Banque du Zaïre » et pour les personnes physiques, il était nécessaire, en addition, d’apporter la preuve d’un séjour ininterrompu en RDC d’au moins cinq années. La violation de ces dispositions par les personnes physiques ou morales étrangères était assortie d’une sanction pénale. À ce titre, non seulement le droit de l’OHADA permettra aux investisseurs désireux de faire des affaires en RDC, d’échapper à ces contraintes, mais également de pouvoir bénéficier des dispositions des articles 173 à 175 de l’AUSCGIE qui définissent les groupes de sociétés amplement utilisés dans la pratique sociétaire par les capitaines d’industries. Cette pratique n’était pas consacrée par le législateur congolais du 27 février 1887. Notons également que les formalités de publicité seront désormais effectuées, en application des articles 257 à 269 AUSCGIE, au registre du commerce et du crédit mobilier qui constitue une véritable avancée par rapport au Décret du 6 mars 1951 qui a institué le registre du commerce en RDC. L’informatisation et la centralisation en cours du registre du commerce et du crédit mobilier de l’OHADA constituent un signal fort en faveur de la sécurité juridique des investissements.

11. Le droit congolais des sociétés bénéficiera également d’un arsenal juridique complet en matière d’encadrement des sociétés anonymes qui était « le parent pauvre du droit congolais » des sociétés . Alors que l’Acte uniforme sur les sociétés commerciales y consacre 468 articles, l’ancien droit congolais des sociétés ne comportait que trois articles sur les sociétés anonymes . Compte tenu de l’ampleur des investissements nécessaires à ce pays pour retrouver le chemin du développement et de la croissance qu’il mérite, la visibilité renforcée des sociétés anonymes portée par l’AUSCGIE sera d’un incommensurable secours.

12. L’une des innovations de l’OHADA qui devrait essentiellement profiter au financement de l’économie de la RDC est l’appel public à l’épargne régi par les articles 823 à 853 de l’AUSGIE dont certaines dispositions ont été impactées par la réforme en cours concernant cet Acte . Ce procédé était inconnu du législateur congolais du 27 février 1887. Le Décret signé par celui-ci disposait à l’alinéa 2 de son article 39 qu’ « aucun emprunt ne peut être conclu par une société privée à responsabilité limitée par voie d’émission d’obligations à ordre ou au porteur ». La RDC pourra alors bénéficier des atouts de ces instruments qu’utilisent les sociétés anonymes pour lever les capitaux et financer leurs projets grâce aux émissions d’actions et d’obligations au profit d’investisseurs locaux et internationaux. Pour ce faire, l’économie congolaise devrait se connecter à l’un des systèmes boursiers de l’Afrique subsaharienne en rejoignant soit le marché financier de la CEMAC soit celui de l’UEMOA.

13. Sur le plan processuel, le droit congolais des affaires s’enrichira des procédés simplifiés et rapides de recouvrement des créances, lesquels étaient inconnus du droit congolais et du droit de l’arbitrage de l’OHADA. La mise en œuvre de toutes ces dispositions de nature substantielle et processuelle est sous le contrôle d’une Cour suprême commune à tous les États parties à l’OHADA : la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA. Celle-ci siège à Abidjan et ses décisions ont, outre la force obligatoire, une autorité définitive de la chose jugée et la force exécutoire sur le territoire de l’ensemble des États parties et ce, dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales . Par ailleurs, la compétence exclusive de la CCJA (article 14 du Traité) concernant les pourvois en cassation dans toutes les matières énumérées à l’article 2 du Traité est également un gage de sécurité judiciaire. Unique Cour suprême de l’espace OHADA au détriment des Cours suprêmes nationales, la Cour commune présente l’avantage d’unifier l’interprétation et les tendances d’application de ce droit. Cette compétence exclusive est de nature à renforcer la confiance des investisseurs dans le système judiciaire OHADA .

Par l’effet abrogatif, direct et obligatoire de l’article 10 du Traité de l’OHADA, le droit de l’OHADA entrera en vigueur en RDC et deviendra de plano son droit positif des affaires.

I.2- Une chance pour l’OHADA

14. L’insertion du droit de l’OHADA en République Démocratique du Congo apparaît comme un défi gagné, une épreuve réussie pour l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. Beaucoup d’esprits pessimistes avaient prophétisé l’échec de cette entreprise . Près de huit années se sont écoulées entre la déclaration d’intention d’adhérer à l’OHADA et le dépôt des instruments d’adhésion entre les mains du Gouvernement sénégalais. Les autorités officielles de l’OHADA et la société civile qui y ont travaillé ont fait confiance à la règle physique selon laquelle « le travail d’une force constante est indépendant du chemin parcouru ». L’expérience du processus d’adhésion de la RDC à l’OHADA inspirera l’Organisation pour la gestion des procédures d’adhésion à venir. Le principal avantage comparatif du droit de l’OHADA qu’est la sécurité juridique se trouve renforcé par son insertion en RDC. L’accessibilité matérielle et intellectuelle aux sources du droit qu’il procure est un formidable atout qui constitue une puissante réponse aux difficultés causées par le désordre juridique qui caractérisait les États membres (et la RDC) avant son entrée en vigueur . Cette accessibilité au droit des affaires de l’OHADA bénéficiera désormais à 68 343 178 d’habitants que compte la RDC et aux investisseurs qui rechignaient à y investir à cause de l’obsolescence de son système juridique. En vertu de toutes ces considérations, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que la contribution du droit de l’OHADA à la redynamisation de l’économie congolaise est un motif de satisfaction pour l’OHADA.

15. L’insertion du droit de l’OHADA en RDC est également une chance pour l’OHADA compte tenu de la situation centrale et stratégique de ce pays. L’OHADA avait jusqu’alors séduit principalement les États de la zone franc à laquelle n’a jamais appartenu la RDC. Les pays des grands Lacs dont certaines entreprises commercent avec la RDC s’approcheront directement ou indirectement sinon de l’Organisation du moins du droit qu’il secrète. Les Juristes du Burundi manifestent déjà un certain intérêt pour l’OHADA en général et son droit en particulier . Les pays comme le Rwanda qui connaissent un taux de croissance significatif côtoieront le droit uniforme de l’OHADA et pourront à l’avenir manifester leur intention d’y adhérer. Il pourra en être de même pour l’Ouganda.

16. L’insertion du droit de l’OHADA constitue également une opportunité pour l’Organisation de mobiliser des ressources auprès des bailleurs de fonds en faveur du renforcement des capacités opérationnelles de ses institutions. Compte tenu de l’ampleur des défis à relever en RDC, ces derniers seront plus enclins à consentir des soutiens financiers à l’Organisation afin de faire face à ces énormes défis. C’est également une occasion pour l’Organisation de repenser son système de financement qui ne semble guère efficace et à la hauteur des nouveaux enjeux auxquels elle fera face. L’argent étant le nerf de la guerre, l’article 43 du Traité qui énumère les ressources financières de l’OHADA devrait être repensé et adapté en conséquence .

I.3- Une chance pour l’Afrique

17. L’ambition affichée du législateur de l’OHADA est claire : contribuer à la construction de l’unité africaine par la voie de l’intégration juridique. La sécurité juridique qu’il véhicule à travers sa législation est donc un moyen (noble) pour parvenir à la fin ultime qu’est l’unité africaine. L’OHADA n’aura donc atteint son objectif que si l’unité de l’Afrique est réelle et réalisée. Les premier et deuxième considérants du préambule du Traité de l’OHADA sont assez significatifs à cet égard. Les pères fondateurs de l’OHADA ont pris le soin d’afficher cette ambition au fronton même du Traité institutif de l’Organisation. Ainsi, y est-il mentionné : « Déterminés à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine et à établir un courant de confiance en faveur des économies de leurs pays en vue de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ; réaffirmant leur engagement en faveur de l’institution d’une Communauté Économique Africaine… ». Pour concrétiser ce qui pourrait paraître seulement comme une déclaration d’intention, car mentionnée au préambule, les pères fondateurs ont prévu à l’article 53 du texte fondateur de l’Organisation qui précise expressis verbis que « Le présent Traité est, dès son entrée en vigueur, ouvert à l’adhésion de tout État membre de l’OUA et non signataire du Traité. Il est également ouvert à l’adhésion de tout autre État non membre de l’OUA invité à y adhérer du commun accord de tous les États Parties ». Il est très intéressant de remarquer à cet égard que l’Acte constitutif de l’Union Africaine adopté le 11 juillet 2000 au 36ème sommet de l’OUA à Lomé au Togo précise en son article 3 que l’un des objectifs de la nouvelle Organisation est de « réaliser une plus grande unité et solidarité entre les pays africains et entre les peuples d’Afrique ». Le Traité de l’OHADA qui poursuit également le même but ambitionne « de créer un nouveau pôle de développement en Afrique ». L’Union Africaine (UA) ambitionne pour sa part « de promouvoir le développement socio -économique de l’Afrique et de faire face de manière plus efficace aux défis de la mondialisation ». C’est dire que les deux objectifs sont complémentaires.

18. De même, les pères fondateurs de l’OHADA ont réaffirmé l’attachement et l’engagement des États membres de l’OHADA « en faveur de l’institution d’une communauté économique africaine ». Cette institution qui a vu le jour en 1991 à Abuja au Nigéria est entrée en vigueur le 12 mai 1994. Considérée comme une réponse aux exigences panafricanistes dont l’une des célèbres réclames « l’Afrique doit s’unir » du Président N’KRUMAH a depuis fait florès, l’unité africaine est redevenue l’exigence essentielle de l’Union Africaine. Celle-ci a intégré dans le corps même de son Acte constitutif (article 33) la réalisation de la Communauté Économique Africaine à laquelle est attachée l’OHADA. C’est dire que l’OHADA est un outil qui sert à la réalisation des objectifs de l’Union Africaine. C’est à ce titre que l’insertion de son droit en RDC peut être présentée comme une chance pour l’Afrique qui compte aujourd’hui, grâce à l’OHADA, 17 États qui parlent et partagent le même langage juridique et offre aux investisseurs les mêmes garanties de sécurité juridique. Ce qui représente un très grand avantage comparatif dans un continent qui a longtemps été critiqué pour sa balkanisation juridique, frein à son essor économique.

19. Par ailleurs, il convient de remarquer que parmi la kyrielle d’Organisations d’intégration que compte l’Afrique, l’OHADA est l’unique qui poursuit les mêmes finalités que la Communauté Économique Africaine (CEA) et l’Union Africaine (UA). Les vocations et les horizons sont les mêmes : l’échelle de l’Afrique et le bien de l’Afrique toute entière, ce qui n’est pas le but des autres Organisations d’intégration économique sous régionales (les plus nombreuses) dont les plus importantes sont la CEDEAO, l’UEMOA, la CEMAC, la CEEAC, la COMESA, la SADC, la CEPGL et l’UMA. En effet, ces Organisations ne poursuivent que des objectifs d’intégration sous régionale, ce qui est de nature à affaiblir la visibilité et l’efficacité de l’action de la Communauté Économique Africaine qui est une Organisation d’intégration économique à l’échelle de l’Afrique. En poursuivant son élargissement à l’échelle de l’Afrique, l’OHADA participe de la réalisation des objectifs de la Communauté Économique Africaine d’autant plus qu’elle réunit en son sein la plupart des États membres de ces différentes Organisations sous régionales . Les États membres de l’UEMOA , CEDEAO , CEMAC , de la SADC , de la CEEAC , de la COMESA et de la CEPGL sont partis au Traité de l’OHADA. L’adhésion de la RDC au Traité de l’OHADA fait de cette dernière l’unique Organisation d’intégration à même de réunir les différentes Organisations sous régionales et lui permet ainsi de se poser en véritable instrument de réalisation du rêve du président Kwame NKRUMAH: l’unité de l’Afrique. Le droit de l’OHADA est donc un instrument fédérateur de l’intégration et du développement économique de l’Afrique . Toutefois, malgré la démonstration qui précède, ces éléments de satisfaction présentés comme une chance ne doivent pas occulter la survivance des difficultés majeures dont au moins trois catégories sont les plus perceptibles.

La pluralité des obstacles de l’insertion du droit de l’OHADA en RDC

20. Si l’insertion du droit de l’OHADA en RDC peut être perçue comme une chance à plusieurs égards, de nombreux obstacles peuvent empêcher de la saisir. Ils sont énormes et la difficulté concerne la mesure de leur échelle et de leur ampleur. En effet, la RDC est un pays en chantier sur un double plan juridique et politique. La problématique de maintien de la paix et de la restauration de l’autorité de l’État congolais sur l’ensemble du territoire national est un défi qui, s’il n’est pas relevé avec succès, risquera de plomber négativement l’impact de l’insertion du droit de l’OHADA en RDC. Nous n’aborderons cependant pas cet aspect qui relève plus de la volonté politique que du génie juridique. Nous examinerons successivement les obstacles inhérents au corps judiciaire (II.1), ceux relatifs à la cohabitation entre l’OHADA et d’autres Organisations d’intégration (II.2) et ceux relatifs à la gouvernance de la « galaxie » OHADA (II.3).

II.1- Les obstacles inhérents à l’environnement judiciaire de la RDC

21. La nécessité d’assainir le système judiciaire congolais est une exigence de premier plan. La nouvelle avait fait l’effet d’un séisme dans les milieux judiciaires de la République Démocratique du Congo. En 2009, dans le cadre d’une opération main propre lancée contre la corruption dans la magistrature, le Président Joseph KABILA avait révoqué, après avis du Conseil supérieur de la magistrature, 165 magistrats dont le Premier Président de la Cour Suprême de Justice (CSJ) et le Procureur général de la République près de ladite Cour. Ces mesures visaient, selon le Ministre de la justice, l’assainissement du secteur de la justice afin de le mettre en ordre de bataille pour lutter contre la corruption. Bien qu’étant une préoccupation nationale, la corruption n’est pas l’unique fléau du système judiciaire congolais. Le plan d’action pour la réforme de la justice congolaise (daté de 2007) pointait également du doigt l’insuffisance structurelle des moyens humains et matériels, l’absence sinon la pauvre Organisation de la logistique judiciaire, les lenteurs de la justice (grand nombre de jugements non rendus ou non rédigés, problèmes d’exécution de jugements) et l’impunité. Ces fléaux étaient élevés à la triste dignité des « problèmes majeurs » du système judiciaire . Ils discréditent la magistrature et ne sont pas une bonne nouvelle pour l’attractivité économique que beaucoup attendent avec l’insertion du droit de l’OHADA en RDC. Les juridictions de premier degré et d’appel demeurent compétentes en matière d’application du droit de l’OHADA . Ce qui appelle une attention accrue des investisseurs. Si des solutions appropriées ne sont pas adoptées pour neutraliser ces fléaux, l’insertion d’un nouveau droit des affaires ne semblera pas suffisante pour incendier le palais d’hiver qu’est la corruption judiciaire en RDC même si elle peut l’être pour faire bouillir l’eau tiède de l’attractivité économique de son territoire.

22. Sous la pression des milieux d’affaires congolais et internationaux, le Gouvernement congolais avait tenté en 2001 d’apporter une première réponse au fléau de la corruption généralisée de son système judiciaire en créant les tribunaux de commerce. Le but visé était de permettre au contentieux commercial d’échapper aux juridictions de droit commun dont la corruption, l’arbitraire et les abus étaient caractérisés et préjudiciables à l’activité économique. Toutefois, ces tribunaux de commerce, installés déjà à Kinshasa et à Lubumbashi, ne couvrent pas encore tout le territoire national. L’amélioration du climat des affaires est largement tributaire, remarque le Doyen Roger MASAMBA, de la bonne marche de la justice. La justice doit être capable de dire le droit de manière crédible, avec compétence et en sécurisant les justiciables . Toutefois, toutes ces difficultés propres à la justice congolaise ne doivent pas faire désespérer : l’attractivité du système de l’OHADA procède largement de la confiance dans la juridiction de la CCJA, à l’abri de l’incompétence, de la corruption, du trafic d’influence et des pressions politiques. De même, l’arbitrage, véhiculé par l’OHADA est de nature à renforcer l’attractivité économique du système juridique de l’OHADA. Néanmoins, tous les observateurs sont unanimes pour constater que le droit de l’OHADA est vecteur d’une véritable sécurité juridique qui n’est plus, sur le territoire des États parties, un vœu pieux , même si elle est parfois difficile à mettre en œuvre dans la vie quotidienne des entreprises. Comme le souligne le Professeur Moussa SAMB, « L’application (de l’Acte uniforme portant procédures simplifiées de recouvrement des créances et des voies d’exécution) est très divergente sur bien d’aspects d’un pays à un autre, et même quelquefois, au sein d’une même juridiction. Cette situation n’est que la conséquence d’une absence de préparation efficiente des acteurs » . L’étude réalisée par l’ERSUMA en donne un exemple.

23. Si ces pratiques qui discréditent la justice ont pu être maîtrisées avec plus ou moins d’efficacité dans d’autres États, il semblerait qu’elles constitueront un très grand risque de discrédit des apports du droit de l’OHADA en RDC. Avec un nombre considérable de magistrats et d’avocats répartis sur un vaste territoire d’une superficie de 2 345 000 km² et d’une population estimée à 68 343 178 d’habitants en 2012 , c’est avec la RDC que le système juridique de l’OHADA devra passer son test de solidité managériale. Les énormes défis en termes de formation et de mise à niveau des différents acteurs sont autant de risques qu’il faudra couvrir. À défaut, le système se plantera. Il conviendra donc de renforcer les capacités de l’État congolais à faire appliquer convenablement le nouveau droit des affaires afin de lui donner la légitimité nécessaire pour jouer le rôle d’accélérateur du développement. La faiblesse de l’encadrement juridique des économies des pays africains a été à l’origine des plusieurs symptômes dont le « mal-développement », le « sous-développement » ou encore, selon les termes de Émile BOGA DOUDOU, le « développement du sous-développement » . Comme le fait observer très pertinemment l’une des voix autorisées du système de l’OHADA, « les investisseurs ne viendront pas en Afrique du seul fait de l’existence d’un droit des affaires moderne et harmonisé. La façon dont les juridictions appliquent ce droit incitera ces investisseurs soit à venir, soit à se détourner de l’espace OHADA. À cet égard, les responsables africains doivent apprendre, non seulement à faire confiance à ceux de leurs cadres dont la compétence est avérée, mais aussi les utiliser rationnellement, en ayant à l’esprit que malgré la coopération avec les pays amis, c’est aux africains eux-mêmes qu’il incombe de prouver aux investisseurs étrangers qu’il n’y a aucun risque à investir dans l’espace OHADA » . La RDC a changé, a modernisé son droit des affaires pour attirer les investisseurs. En tout état de cause, le maître mot de ce changement reste le développement par l’économie . Mais les obstacles ne sont pas seulement interne à la RDC, ils découlent également de la coexistence et des télescopages entre Organisations d’intégrations dans les mêmes espaces.

II.2- Les obstacles tenant à la cohabitation de l’OHADA avec d’autres Organisations d’intégration

24. L’insertion du droit de l’OHADA en RDC vient ajouter d’autres difficultés à la coexistence des systèmes normatifs dans l’espace de l’OHADA. La concurrence des institutions d’intégration économique que sont principalement la CEMAC, l’UEMOA et la CEDEAO était déjà en effet pointée du doigt par certains observateurs . L’adhésion de la RDC ajoute à ces risques existants d’autres qui ne sont pas des moindres. En effet la RDC est partie à la COMESA et à la SADC . La première poursuit davantage un but d’intégration économique que d’uniformisation du droit. Elle met l’accent plus sur les aspects de droit douanier qui ne relèvent pas de la compétence de l’OHADA . La seconde poursuit un but de rapprochement économique et politique entre les États parties. La concurrence se joue à un double niveau : les normes et les juridictions.

25. Concurrence des normes. La concurrence des normes dans l’espace de l’OHADA est fortement marquée dans l’espace UEMOA et CEMAC. Par exemple, en matière de cautions et avals donnés par les banques, l’on s’interroge sur le droit applicable car cette question est régie à la fois par l’UEMOA et l’OHADA. Le droit bancaire et financier était la terre d’élection du potentiel conflit entre les normes secrétées par les deux Organisations, c’est pourquoi le Conseil des Ministres de décembre 2010 a retiré, suite à une série de concertations avec les Banques Centrales de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale, le droit Bancaire du champ des matières à harmoniser par l’OHADA. Rappelons au passage que ces deux normes ont un caractère supranational, d’application directe et revêtues d’une portée abrogatoire. En cas de conflit réel, la difficulté risquait d’être sérieuse . Le droit comptable constitue également un foyer de conflit potentiel. L’OHADA et l’UEMOA ont chacun légiféré en matière de système comptable des entreprises. La conséquence en est que les entreprises qui ont leurs sièges dans un État qui est à la fois membre de l’OHADA et de l’UEMOA ont du mal à choisir entre soumettre leur comptabilité à l’une des deux législations d’autant plus que ces deux instruments sont techniquement identiques. Ce conflit de normes n’est pas qu’une hypothèse d’école, mais une préoccupation pour la sécurité juridique des acteurs économiques. À supposer que dans une procédure devant la Cour de justice de l’UEMOA, une partie fonde l’essentiel de ses prétentions sur le droit de l’OHADA et accessoirement sur le droit de l’UEMOA ou l’inverse devant la CCJA, quelle sera l’étendue de l’office du juge ? En réalité, le problème c’est qu’il n’y a aucune hiérarchie entre les normes secrétées par ces Organisations communautaires et chacune d’elles se prétend d’application directe et revêtue d’une portée obligatoire et supranationale. Dans la perspective de l’extension géographique de l’OHADA, ces difficultés ne pourront que se multiplier avec l’arrivée des États qui appartiennent aux autres Organisations communautaires. Le problème c’est qu’en cas de survenance de conflit entre les normes OHADA et UEMOA, aucune disposition formelle n’existe pour départager les procédures judiciaires au regard des deux droits qui auront tous les deux vocation à régir le fond du litige. L’adhésion de la RDC à l’OHADA renforce encore ce risque dans la mesure où les foyers de conflits augmentent. Ainsi, au sein de l’espace de l’OHADA, les sources de risque ne sont plus seulement l’UEMOA et la CEMAC, mais également les quatre autres Organisations sous régionales auxquelles appartiennent la RDC : la CEEAC, la CEPGL, la COMESA et la SADC.

26. Concurrence des juridictions. Il semble, qu’après l’insertion du droit de l’OHADA en RDC, il ne pourra y avoir de risque de conflit de juridiction entre la Cour de la COMESA et la CCJA car la première, contrairement à la seconde, n’a pas vocation à régler les litiges de droit privé . Quant à la SADC, aucun conflit ne semble également possible avec la CCJA. En vertu de l’article 9 du Traité de la SADC, le tribunal établi en 1992 n’a pas de compétences qui pourraient entrer en conflit avec celles de la CCJA . De l’avis de certains auteurs, il n’y a pas de risque de télescopage entre la CCJA et les deux autres juridictions sous régionales qui ont compétence sur la RDC : le tribunal de la SADC et la Cour de justice de la COMESA . Cependant, si les conflits de juridictions semblent peu probables, de potentiels conflits des normes demeurent, du moins en germe. La cohabitation de plusieurs hautes juridictions au sein de la seule Communauté Économique Africaine (CEA) semble être un poison latent potentiellement nuisible à la sécurité juridique des investissements. La circonstance que toutes ces Organisations communautaires « chassent sur les mêmes terres » nourrit encore plus le risque de conflits. Avec l’insertion du droit de l’OHADA en RDC, certains justiciables peu honnêtes pourraient toujours invoquer, dans une stratégie dilatoire, des fondements juridiques puisés dans les droits de la COMESA et de la SADC en cas de litige, même dévolu à la CCJA. Tout en minimisant les risques de conflits entre la CCJA et la Cour de justice de la CEMAC et celle de la CEEAC sous la juridiction desquelles relève la RDC, certains auteurs ont relevé de réelles possibilités de conflits de juridiction entre la CCJA et la Cour de justice de la CEDEAO et celle de l’UEMOA .

27. De même, il ne faut pas perdre de vue que ce conflit de juridictions persiste entre la CCJA et certaines juridictions suprêmes nationales de l’espace OHADA en matière d’application du droit de l’OHADA en cause de cassation. Comme le fait remarquer pertinemment Madame Ouédraogo Ramata FOFANA, « les conflits qui peuvent exister au niveau national sont essentiellement entre les juridictions nationales et la CCJA, puisque la clef de répartition entre les deux types de juridiction n’est pas toujours aisée à déterminer entre normes nationales et normes harmonisées » . Cette assertion témoigne de ce que la RDC n’a pas hérité que des aspects positifs du droit OHADA.

II.3- Les obstacles tenant à la gouvernance de la « galaxie » OHADA

28. La nécessaire prise en compte des spécificités locales. Pour mériter les louanges qui lui sont adressées suite à l’insertion du droit de l’OHADA en RDC, les gouvernants de la galaxie OHADA devraient prendre plus sérieusement en compte les réalités et les besoins locaux pendant les travaux d’édiction et de révision des Actes Uniformes destinés à régir les rapports juridiques dans les États parties. Beaucoup d’auteurs et d’analystes ont reproché au législateur de l’OHADA le fait que les spécificités et les réalités africaines n’étaient malheureusement prises en compte que trop rarement. Cela a même fait dire qu’il s’agissait « d’un droit imposé, venu d’en haut, d’un droit importé, venu d’ailleurs, et finalement d’un droit mythique, passablement déconnecté du milieu socio-professionnel pour lequel il a été prévu » . Pour être efficace, le droit de l’OHADA doit donc être parfaitement adapté à l’environnement qu’il régit sinon, comme l’a remarqué Maurice AYDALOT, les meilleures intentions du législateur iront peupler les cimetières où dorment les lois inappliquées faute de pouvoir l’être . Comme le prévient l’une des voix les plus autorisées des questions d’investissements, « la réforme doit être enracinée dans la tradition juridique et culturelle des pays africains et refléter les réalités sur le terrain. Une réforme conçue dans les officines des organismes bailleurs de fonds et des cabinets d’avocats internationaux ne saura pas produire un changement durable, à défaut d’appropriation par les gouvernements et les milieux juridiques nationaux » .

La principale spécificité locale autour de laquelle les observateurs s’accordent pour critiquer le législateur de l’OHADA concerne les entreprises du secteur informel, c’est-à-dire celles qui se développent en dehors du cadre juridique établi par l’État. Comme le remarque un auteur, elles « n’ont pratiquement pas été prises en compte par le législateur de l’OHADA lors de l’élaboration des Actes uniformes. Il en résulte que le cadre juridique mis en place est inadapté aux entreprises informelles » . Certains ont même soutenu que le secteur informel était à l’épreuve du droit des affaires OHADA . Cette faible considération des réalités africaines par le législateur de l’OHADA se vérifie au niveau des formes sociétaires et des conditions de constitution des sociétés retenues par l’Acte uniforme portant droit des sociétés commerciales et des groupements d’intérêt économique . Le projet final de l’Acte uniforme révisé relatif aux sociétés commerciales ne propose aucun amendement attractif contribuant à l’encadrement social et juridique du secteur informel. Dans ce volumineux projet de texte, le mot « informel » n’est évoqué qu’une seule fois pour illustrer une proposition d’amendement de l’article 311 relatif à la constitution des SARL. En proposant que le montant du capital social soit désormais fixé à 100 000 FCFA (avec une valeur nominale des parts sociales librement fixée par les statuts) au lieu de 1 000 000 FCFA (avec une valeur nominal de part sociale ne pouvant être inférieur à 5 000 FCFA) comme le prévoyait l’ancienne version du texte, le groupe d’experts justifie la mesure comme attractive pour les acteurs du secteur informel et plus généralement les acteurs disposant d’un faible capital de départ. De même, l’Acte uniforme révisé portant droit commercial général du 15 décembre 2010, sans faire référence au secteur informel, prévoit une innovation majeure avec l’introduction du statut de l’entreprenant pour encadrer ce secteur. À notre avis, si le législateur de l’OHADA veut apporter des solutions réalistes aux problèmes de l’économie des États membres, il doit démontrer qu’il tient effectivement compte des réalités locales. Les réformes à venir devraient montrer une réelle volonté politique de prendre les problèmes du secteur informel au sérieux.

29. L’implication efficiente des experts africains dans le processus d’édiction des Actes Uniformes. Dans ses Essais sur les lois, Jean CARBONNIER remarquait qu’« il faut que les lois soient faites pour la nation qu’elles auront à régir et aussi par cette nation » . MANCINI disait également en son temps que « la loi italienne est faite pour les Italiens et par les Italiens » . Ces remarques qui ont valu pour la France et l’Italie doivent également valoir pour le législateur africain. Certains ont reproché à plusieurs reprises la circonstance que le législateur OHADA s’est longtemps servi des experts occidentaux, généralement déconnectés des réalités et des besoins des États parties, pour préparer les Actes Uniformes. La conséquence de ce procédé est que le droit édicté n’est que rarement adapté à la réalité économique des États parties dont le tissu économique est constitué à près de 80% d’acteurs de l’économie informelle . Il convient de relever que le premier Acte uniforme portant droit commercial général ignorait superbement cette catégorie d’acteurs économiques. Compte tenu de la déconnection (réelle ou supposée) des experts occidentaux aux réalités locales, il convient de se rendre à l’évidence et d’impliquer suffisamment les experts africains qui ne sont pas moins compétents. Il y a toujours plus d’avantages à ce que ce soit principalement les experts africains, s’inspirant des réalités et des spécificités africaines, qui s’occupent de la conduite du processus de préparation des Actes Uniformes car, comme le soulignait CARBONNIER, ils connaissent, comprennent, partagent mieux les mœurs, les besoins, les sentiments de leurs pays . Seule une implication réelle et effective des experts africains endiguerait les aspects négatifs des transferts unilatéraux de savoirs juridiques vers l’Afrique. Le droit comparé est nécessaire, mais un savant dosage est indispensable avec les réalités locales. Pour les réformes à venir, il convient de ne pas céder au type d’analyse auquel a fait écho Nicolas SARKOZY à Dakar . Cette critique a passablement été prise en compte dans le cadre des reformes en cours : les Experts recrutés pour accompagner le Secrétariat Permanent dans ce processus sont pour la plupart des Africains (même si quelques fois, ils travaillent dans les grands Cabinets européens). Les Chefs de file sont systématiquement des Experts Africains, généralement praticiens donc ayant une expérience de terrain du droit OHADA et de ses limites.

30. Les obstacles techniques et humains à l’émergence de l’OHADA.

L’insertion du droit de l’OHADA en RDC a pour effet immédiat l’augmentation exponentielle des défis à relever par l’Organisation. Les institutions de l’Organisation connaissent déjà de réelles difficultés et dysfonctionnements . Ces difficultés sont financières, matérielles et humaines ainsi qu’institutionnelles. Le fonctionnement de certaines institutions de l’OHADA a été dénoncé par certains observateurs attentifs de l’Organisation. À propos du Secrétariat permanent, le Doyen Grégoire BAKANDEJA Wa MPUNGU, approuvant Professeur Paul Gérard POUGOUE, critique le fonctionnement du Secrétariat permanent de l’OHADA. L’auteur pointe du doigt le manque de maîtrise de cet organe sur l’élaboration et l’application des Actes uniformes et souligne que « l’expérience des Actes uniformes en vigueur ou en chantier est assez fâcheuse, car tout a échappé, jusque-là, au Secrétariat Permanent » . Comme le Professeur Paul Gérard POUGOUE, l’auteur suggère un renforcement des capacités institutionnelles du Secrétariat Permanent afin qu’il assure une totale maîtrise des deux phases d’élaboration et de suivi de l’application des Actes uniformes. L’un des obstacles de nature à empêcher à l’OHADA de saisir la chance qu’offre l’insertion de son droit en RDC réside dans l’insuffisance des capacités humaines. Le cas de la CCJA est emblématique : le Traité prévoit neuf juges, ce qui est largement insuffisant compte tenu de l’accroissement des activités contentieuses de cet organe. Pour faire face à cette difficulté, la meilleure réponse consiste non pas à augmenter le nombre de juges en fonction du nombre d’États parties, ce qui risquerait de serait de transformer la haute Cour en organe de représentation, mais, comme le suggèrent certains auteurs, à prévoir une possibilité d’augmentation du nombre de Juristes chercheurs qui auront un statut de conseillers référendaires.

31. Les obstacles tenant à la possibilité de l’extension géographique de l’espace OHADA.

Certains auteurs, des plus respectés dans la galaxie OHADA, ont émis des réserves à la politique d’extension massive de l’OHADA aux autres États membres de l’Union Africaine . Les raisons invoquées par ceux-ci sont de nature gestionnaire et concernent principalement la participation de nouveaux États aux institutions que sont le Conseil des Ministres et la CCJA. « Déjà, soulignent-ils, avec 16 États les exigences d’une plus grande représentation à la CCJA sont pressantes, qu’en sera-t-il lorsque leur nombre passera à 20 ou à 30 » ?

Comme toute étude, ce qui précède pourrait paraître arbitraire, mais l’objet de cette réflexion est de montrer que si ces obstacles ne sont pas surmontés avec l’arrivée de la République Démocratique du Congo, l’avenir du système de l’OHADA en souffrira durablement. Ce n’est pas le souhait de cette étude qui vise au contraire à éviter que le rayonnement actuel et futur de l’OHADA ne soit compromis par ces obstacles que nous craignons.

CONCLUSION.

32. Tandis que le système juridique de l’OHADA continue à travailler pour trouver son identité et s’affirmer, les systèmes juridiques présentés aujourd’hui comme hégémoniques semblent essoufflés car rongés par leurs contradictions internes et l’influence d’un droit supranational (le droit européen pour le système romano-germanique). À l’analyse, une fois que les réalités africaines seront suffisamment prises en compte dans les Actes uniformes, le système juridique de l’OHADA de demain ne ressemblera probablement pas aux deux systèmes juridiques les plus en vue aujourd’hui, mais il apparait que ces deux systèmes ressembleront demain au système juridique OHADA d’aujourd’hui. Le droit de l’OHADA n’en sera que plus dynamique, plus attractif et plus rassurant pour les investisseurs, les récents rapports Doing Business de la Banque semblent l’attester. Ceux qui avaient annoncé les funérailles de ce système juridique pensé par l’Afrique et pour l’Afrique en sauront pour leurs frais. Ainsi, l’OHADA a séduit la RDC à travers les garanties de sécurité juridique et judiciaire qu’elle offre et séduira encore plusieurs pays. Pour y parvenir, ne faut-il pas s’atteler avec constance au perfectionnement de ce système juridique et judiciaire ? Ce travail suppose plus de collaboration officielle et d’échanges informels entre les autorités nationales et les instances de l’OHADA en vue de la quête d’une efficacité sublimée de ces avantages comparatifs.