LES EXPÉRIENCES D’HARMONISATION DES LOIS EN AFRIQUE

INTRODUCTION

L’évolution de l’économie contemporaine dominée par le concept de mondialisation qui incite aux mouvements d’intégration régionale et à la libéralisation des échanges, évolue vers une sorte de partage des influences et des marchés selon une répartition tripolaire opérée entre les zones d’Amérique, d’Europe et d’Asie. Un auteur relève à cet effet que l’une des principales conditions de l’efficacité et de la compétitivité de ces « grands espaces économiques » est la cohérence juridique, et cite le cas de l’Union européenne qui en offre l’exemple le plus achevé .

L’harmonisation des lois, synonyme d’intégration juridique constitue donc un pilier du processus de croissance et de développement économique. Car, si des Etats décident, à un moment donné, d’intégrer leurs économies partiellement ou totalement, l’objectif est d’abord de promouvoir leur développement économique, avec des répercussions positives sur le relèvement du niveau de vie des habitants de la région. La marche vers un droit régional harmonisé, en ce qu’elle participe du phénomène de décloisonnement des marchés, sous-tend utilement la marche vers la croissance économique.

Mais les contours de la notion « d’harmonisation » des lois ne sont pas aisés à cerner, tant et si bien que le Professeur Joseph ISSA SAYEGH, l’assimilant ou presque à un mécanisme d’intégration juridique, fait observer qu’il s’agit « d’une œuvre mal définie et jamais achevée » . Si l’harmonisation n’est pas un terme technique auquel s’attacherait un contenu précis dans le domaine du droit, il faudrait néanmoins distinguer la notion de ses principaux mécanismes.

L’harmonisation des lois peut être définie comme un phénomène d’intégration juridique qui implique le transfert des compétences étatiques de deux ou plusieurs Etats à une organisation internationale dotée de pouvoirs de décision et de compétences supranationales ou supra étatiques, en vue de réaliser un ensemble juridique unique et cohérent dans lequel les législations s’insèrent pour atteindre les objectifs économiques et sociaux que les Etats membres se sont assignés . Ainsi définie, l’harmonisation peut être plus ou moins douce ou brutale voire radicale, se limiter aux principes, s’étendre aux règles ou embrasser les détails d’application. Si pour la réaliser, les Etats ont la liberté de choisir entre la technique de la convention et celle de la loi-modèle, deux volets distincts s’offrent également à eux pour la mettre en œuvre : l’harmonisation stricto sensu et l’uniformisation.

L’harmonisation stricto sensu ou coordination est l’opération qui consiste à rapprocher les règles de droit d’origine différente pour les mettre en cohérence entre elles, en réduisant ou supprimant leurs différences et leurs contradictions, de manière à atteindre des résultats « compatibles entre eux et avec les objectifs communautaires recherchés » .

L’uniformisation, encore appelée unification consiste à instituer dans une matière juridique donnée, une réglementation unique, identique en tous points pour tous les Etats membres, dans laquelle il n’y a pas de place en principe pour des différences .

Quelle est la physionomie que présente l’harmonisation des lois en Afrique, et particulièrement en Afrique noire subsaharienne ?

Il faut signaler pour s’en féliciter que l’idée d’une intégration juridique des pays africains est apparue dès le lendemain des indépendances, car les Etats nouvellement indépendants ont très tôt perçu que la construction d’une solidarité interétatique était un préalable au developpement économique, et que celle-ci ne pouvait se faire sans un rapprochement des législations des Etats membres. Plusieurs expériences d’harmonisation se sont ainsi succédées.

On peut citer l’exemple de l’Union Africaine et Malgache (U.A.M) dissoute en 1964 et remplacée deux ans plus tard par l’Organisation Commune Africaine et Mauricienne (OCAM) dont l’objet était de « renforcer le coopération et la solidarité entre les Etats africains et mauricien afin d’accélérer leur développement économique, social, technique et culturel ». C’est à l’UAM qu’on doit la création en 1962 de l’Office Africain et Malgache de la Propriété Intellectuelle (OAMPI), devenu quinze ans plus tard l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) qui adopte une législation unique de la propriété intellectuelle pour tous les Etats membres. C’est également l’UAM et son successeur l’OCAM qui ont été à l’origine de la création du BAMREL (Bureau Africain et Malgache de Recherche et d’Etudes Législatives) dont la mission était d’élaborer des lois uniformes qui, une fois adoptées, devaient s’appliquer de manière identique dans tous les Etats membres.

Le BAMREL a disparu en 1986 avec à son actif, l’adoption d’un plan comptable commun (plan comptable OCAM), la signature d’une Convention générale de coopération judiciaire engageant les pays de l’OCAM « à prendre toutes dispositions en vue d’harmoniser leurs législations commerciales respectives dans toute la mesure compatible avec les exigences de chacun d’eux », et la signature d’une Convention générale de sécurité sociale toujours en vigueur. Il faut enfin signaler une importante œuvre d’harmonisation du droit bancaire effectuée dans le cadre de l’UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine) remplacée par l’UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), et de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC).

Mais si l’intégration juridique africaine n’a pas des origines récentes, force est de reconnaître que le phénomène a pris de l’ampleur depuis le début des années 1990 avec la mondialisation de l’économie et la crise économique, deux facteurs qui sont venus rappeler aux Etats africains la nécessité de coordonner leurs législations en matière économique, pour relancer les politiques d’intégration économique régionale. Plusieurs expériences d’harmonisation ont ainsi été lancées, et pendant que certaines sont encore en cours, d’autres ont été achevées.

Pour la clarté de l’analyse de ces structures d’harmonisation des lois existantes objet de notre réflexion, il serait de bonne méthode de distinguer entre les expériences africaines d’harmonisation des lois en vue de coordonner le droit social ou de rapprocher le droit économique (I), et les expériences africaines d’harmonisation des lois en vue d’uniformiser le droit des affaires (II).

I. LES EXPERIENCES AFRICAINES D’HARMONISATION DU DROIT EN VUE DE COORDONNER LES LEGISLATIONS SOCIALES OU DE RAPPROCHER LES LEGISLATIONS ECONOMIQUES

Les Etats africains ont entrepris tantôt d’instituer une coordination de leurs législations nationales et une sorte de coopération entre les structures chargées de les mettre en œuvre, tantôt de rapprocher leurs politiques économiques en réduisant uniquement les différences et les divergences pour atteindre des résultats communautaires. Cette technique d’harmonisation, forme d’intégration plus prudente et plus douce parce que respectueuse de la souveraineté législative des Etats membres, a été expérimentée d’une part dans le droit de la sécurité sociale à travers deux principales structures que sont l’OCAM et la CIPRES (A), et d’autre part dans le droit économique à travers l’UEMOA et la CEMAC (B).

A. L’HARMONISATION DU DROIT DE LA SECURITE SOCIALE A TRAVERS L’OCAM ET LA CIPRES

La coordination des systèmes de sécurité sociale des pays africains de la zone franc depuis les indépendances a connu deux grandes expériences issues de deux conventions internationales : la Convention générale de sécurité sociale de l’OCAM (A) et le Traité CIPRES (B).

1. La Convention générale de sécurité sociale de l’OCAM

Convention signée par quatorze pays , elle vise à coordonner les systèmes de sécurité sociale des Etats membres et à permettre une coopération des organismes de sécurité sociale.

1.1. L’harmonisation en vue de coordonner les systèmes de sécurité sociale des Etats membres de l’OCAM

Pour atteindre ses objectifs de coordination, la Convention générale de sécurité sociale retient quatre principes essentiels applicables à tous les Etats signataires :

– Le principe de la non discrimination qui proclame l’égalité de traitement de tous les travailleurs, nationaux et étrangers, dans les législations sociales nationales et les différentes conventions internationales.
– Le principe de la détermination de la législation de sécurité sociale applicable à toutes les catégories de travailleurs, ce qui permet le rattachement de chacune (résidents, détachés, diplomates etc…) à un système de sécurité sociale donné.
– Le principe du non cumul qui permet de supprimer le bénéfice à un même travailleur de plusieurs prestations de même nature provenant de législations différentes et ayant le même objet (par exemple un fonctionnaire en détachement qui perçoit à la fois un salaire de son Etat et un salaire de l’Organisme de détachement).
– Le principe de maintien des droits en cours d’acquisition et des droits acquis du travailleur d’un territoire de la Convention à un autre.

1.2. L’harmonisation en vue de permettre la coopération des organismes de sécurité sociale des Etats de l’OCAM

La Convention générale de sécurité sociale trace les règles de coopération des organismes de sécurité sociale applicables à tous les Etats membres dans quatre domaines :

– coopération dans le service des prestations des travailleurs dont le droit est acquis dans un pays et servi dans un autre (par exemple les modes de règlement) ;
– coopération dans le remboursement des prestations en espèces ou en nature (par exemple reconnaissance des actes médicaux intervenus dans un pays étranger) ;
– coopération en matière de recours (délais de recours et de prescription) ;
– coopération en matière administrative, concernant par exemple les contrôles administratifs ou médicaux effectués par un organisme pour le compte d’un autre situé à l’étranger.

2. L’harmonisation des systèmes de prévoyance sociale par la CIPRES

La Conférence Interafricaine de la Prévoyance Sociale (CIPRES) qui résulte du Traité signé le 21 septembre 1993 par quatorze Etats francophones de la zone franc a pour principal objectif l’harmonisation des législations sociales de ses Etats membres. A cet effet, une Inspection Régionale est instituée en vue d’élaborer des études et des propositions tendant à l’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires applicables aux organismes et aux régimes de prévoyance sociale.
Bien qu’entré en vigueur le 10 Octobre 1995, le Traité CIPRES n’a pas encore débuté ses travaux, et les dispositions nationales en la matière restent applicables. Ce qu’on peut espérer c’est que la CIPRES ne vienne pas contredire l’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires applicables aux organismes et aux régimes de sécurité sociale déjà partiellement réalisée par la Convention générale de sécurité sociale de l’OCAM. Elle devrait plutôt tendre à les compléter.

B. L’HARMONISATION DES LEGISLATIONS ECONOMIQUES DANS LE CADRE DE L’UEMOA ET DE LA CEMAC

Le rapprochement des législations économiques des Etats africains dans l’optique d’une intégration régionale résulte de deux structures d’harmonisation : l’harmonisation du droit économique dans le cadre de l’UEMOA, et l’harmonisation du droit économique dans le cadre de la CEMAC.

1. L’harmonisation des législations économiques dans le cadre de l’UEMOA

L’UEMOA, entendue Union Economique et Monétaire Ouest Africaine résulte d’un Traité signé le 10 janvier 1994 et ratifié en juin 1994 a remplacé l’UMOA (Union monétaire Ouest Africaine) créée le 14 novembre 1973. Alors que l’UMOA ne visait à harmoniser que les législations monétaire et bancaire, l’UEMOA qui s’est fixée un objectif plus ambitieux, celui de créer entre les Etats membres un marché commun basé sur la libre circulation des personnes, des services, des capitaux, vise à harmoniser toutes les législations économiques en vue de réaliser cet objectif. Quels sont les fondements et les mécanismes de son œuvre d’harmonisation du droit économique ?

1.1. Les bases de l’harmonisation du droit économique à l’UEMOA

L’Harmonisation ici a trois fondements :

a. Le Préambule du Traité UEMOA qui affirme « la nécessité de favoriser le développement économique et social des Etats membres grâce à l’harmonisation de leurs législations, à l’unification de leurs marchés intérieurs et à la mise en œuvre de politiques sectorielles communes dans les secteurs essentiels de leur économie ».

b. Le Titre Premier du Traité prévoit qu’il vise « à harmoniser, dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les législations des Etats membres et, particulièrement la fiscalité ».

c. L’article 60 du Traité relatif au chapitre réservé à l’harmonisation des législations dispose que « …la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement établit les principes directeurs pour l’harmonisation des législations des Etats membres. Elle identifie les domaines prioritaires dans lesquels, conformément aux dispositions du présent Traité, un rapprochement des législations des Etats membres est nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Union… ».

L’on peut retenir de la combinaison de ces dispositions que l’UEMOA vise l’harmonisation de toutes les législations nécessaires à la réalisation à la fois de l’Union monétaire, but que poursuivait la défunte UMOA, et de l’Union économique, nouvel objectif qu’elle s’est assigné.

1.2. Les mécanismes d’harmonisation

a. Le Traité de l’UEMOA prévoit la création d’un Parlement de l’Union « qui sera chargée du contrôle démocratique des organes de l’Union et de participer au processus décisionnel de celle-ci ». Ce Parlement venait d’être crée par un Traité UEMOA du 29 janvier 2003. Mais, c’est le Conseil des Ministres qui édicte le droit applicable au fonctionnement de l’Union et nécessaire à son développement. Tout comme son homologue de l’Union Européenne, le Conseil des Ministres de l’UEMOA élabore des règlements, directives, décisions, recommandations et avis.

b. Le droit dérivé de l’UEMOA s’applique de la même manière que la législation issue de l’Union Européenne.
Les règlements sont directement applicables et obligatoires dans les Etats membres et abrogent toutes dispositions nationales contraires.
Les directives ne font, en revanche, qu’indiquer un objectif à atteindre, tout en laissant aux structures nationales le pouvoir de déterminer la forme et les moyens pour y parvenir.
Les décisions sont obligatoires, mais ne s’appliquent qu’aux personnes physiques ou morales qui en sont destinataires.

c. S’agissant des organes de contrôle, l’UEMOA dispose d’une Cour de Justice dont la fonction est d’assurer une interprétation et une application uniformes du droit issu de l’Union ainsi que d’arbitrer les conflits d’interprétation entre les Etats membres. La Cour de Justice ne connaît que des recours de la Commission ou de tout Etat membre, relatifs aux manquements des Etats membres aux obligations qui leur incombent en vertu du Traité. La Cour de Justice ne peut donc connaître d’un recours en manquement provenant d’un particulier.

1.3. L’état du droit harmonisé à l’UEMOA

A ce jour, l’UEMOA a réalisé plusieurs chantiers d’harmonisation et d’autres sont en cours.

a. S’agissant de l’harmonisation achevée

– L’UEMOA a instauré un régime douanier commun à tous les Etats de l’UEMOA. De ce fait, depuis le 1er janvier 2000, l’UEMOA est devenue un territoire douanier unique avec pour principe d’une part, l’exonération du paiement de droits de douane pour les produits industriels, les produits du cru et l’artisanat traditionnel provenant des Etats membres, et d’autre part, l’établissement d’un tarif extérieur commun, consistant en des doits de douane permanents ou temporaires déterminés en fonction d’un quota de 0 % à 20 % sur les produits importés.

– L’UEMOA s’est dotée d’une législation bancaire commune, reprenant et complétant l’ancienne réglementation bancaire de l’UMOA. Aux termes d’une Loi-cadre portant réglementation communautaire, quatre contraintes sont imposées aux banques et établissements financiers exerçant leur activité dans la zone UEMOA : l’obtention d’un agrément, un capital social minimum, la constitution de fonds propres et de réserves, la forme juridique de ces structures et la nationalité de leurs dirigeants.

– L’UEMOA a adopté une nouvelle législation harmonisée en droit de la concurrence, entrée en vigueur le 1er janvier 2003. Cette réglementation qui tire ses origines des travaux de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (OCDE) et de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED), vise à favoriser la libre circulation des marchandises, des capitaux et des services afin d’éviter que les échanges commerciaux entre les Etats membres ne soient limités par des pratiques anticoncurrentielles.

b. S’agissant de l’harmonisation en cours

Un projet de code des investissements communautaire des Etats de l’UEMOA est sur le point d’aboutir. Son contenu est actuellement en discussion, et les débats sur les dispositions fiscales semblent constituer un point de discorde entre les Etats.

2. L’harmonisation des législations économiques dans le cadre de la CEMAC

La CEMAC, entendue Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale a été créée en 1994 pour substituer la défunte UDEAC (Union Douanière des Etats d’Afrique Centrale créée en 1964) réalise ses objectifs d’harmonisation des législations définis dans son Traité institutif à travers deux structures : l’UEAC (Union Economique en Afrique Centrale) et l’UMAC (Union Monétaire en Afrique Centrale). Comme dans le cadre de l’UEMOA, c’est le Conseil des Ministres qui élabore les différentes formes de droit dérivé.

2.1. L’harmonisation des politiques économiques à l’UEAC

L’UEAC a engagé divers chantiers d’harmonisation des politiques des Etats, d’où notamment :

– L’établissement d’une union douanière fondée sur la liberté des échanges au sein de la CEMAC, et l’instauration d’un tarif commun pour les importations provenant de pays étrangers à l’union. Le régime douanier de l’UEAC repose ainsi sur un tarif extérieur commun et un tarif préférentiel généralisé, prévoyant un taux de 0 % pour les échanges au sein de l’union.

– L’élaboration d’un droit communautaire de la concurrence directement applicable dans tous les Etats membres de la CEMAC. L’essentiel de ce droit communautaire est constitué par un Règlement du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales anticoncurrentielles et un Règlement du 18 août 1999 portant réglementation des pratiques étatiques affectant le commerce entre les Etats membres.
S’agissant des organes de contrôle, la CEMAC a institué un Organe de Surveillance de la Concurrence (OSC) chargé d’assurer le contrôle d’application des règles CEMAC en matière de concurrence.

La législation communautaire de la concurrence dans le cadre de la CEMAC coexiste avec les lois nationales de certains Etats membres relatives à la concurrence .

2.2. L’harmonisation des législations monétaires à l’UMAC

L’Union Monétaire de l’Afrique Centrale chargée de consolider la coopération monétaire entre les Etats membres de la CEMAC a réalisé à ce jour :

– Une réglementation unique des changes très similaire à celle de l’UEMOA. Elle prévoit que les paiements relatifs aux transactions internationales ainsi que les mouvements de capitaux sont en principe libres.
– Une réglementation bancaire issue de la Convention du 17 janvier 1992 portant harmonisation de la réglementation bancaire des Etats de l’Afrique Centrale.

S’agissant des organes de contrôle, la CEMAC a surtout prévu une Cour de Justice qui assure le contrôle de la mise en application de la réglementation communautaire au sein des Etats membres, et contribue à assurer l’interprétation uniforme du champ d’application du Traité CEMAC. Mais, contrairement à la Cour de Justice de l’UEMOA, la Cour de justice de la CEMAC peut être saisie non seulement par les Etats membres, le Secrétariat exécutif ou tout autre organe de la CEMAC, mais aussi par tout ressortissant d’un Etat membre, personne physique ou morale concernant l’application du Traité ou d’un texte dérivé.

II. LES EXPERIENCES AFRICAINES D’HARMONISATION DES LOIS EN VUE D’UNIFORMISER LE DROIT DES AFFAIRES

L’uniformisation du droit, on l’a déjà dit, est une technique plus radicale d’intégration juridique puisque par rapport à l’harmonisation, elle consiste à supprimer les décalages entres les lois nationales pour leur substituer une législation unique, rédigée en des termes identiques pour tous les Etats concernés. Redoutant le caractère rude de cette méthode, les Etats Africains en ont fait jusque-là une utilisation limitée à certains secteurs juridiques particuliers du droit des affaires, afin d’en contrôler l’application (A). Mais rompant curieusement avec la tradition, ils se sont lancés dans une vaste et ambitieuse expérience d’unification du droit des affaires à travers l’OHADA (B).

A. L’UNIFORMISATION DES SECTEURS PARTICULIERS DU DROIT DES AFFAIRES

Les domaines particuliers dans lesquels le droit économique a été jusque-là unifié concernent le droit bancaire et le droit des instruments de paiement dans le cadre de l’UEMOA, le droit de la propriété intellectuelle dans le cadre de l’OAPI, et le droit des assurances dans le cadre de la CIMA.

1. L’unification du droit bancaire et des instruments de paiement dans le cadre de l’UEMOA

1.1. La législation unique de la profession bancaire est issue des lois-cadres et de la Convention portant création de la Commission bancaire de l’UEMOA. Textes fondamentaux de cette réglementation unique de la profession bancaire, les lois-cadres sont au nombre de trois :

– La loi-cadre bancaire introduite dans les Etats de la défunte UMOA dans les années 1970, puis réformée pour les besoins de mise en conformité avec les dispositions de la Convention portant création de la Commission bancaire de l’UEMOA.
– Le décret-cadre relatif au classement, à la forme juridique et aux opérations des établissements financiers, pris en application de la loi-cadre de 1975 actuellement en cours de révision, si elle n’est pas déjà révisée, pour les mêmes besoins de mise en conformité avec les dispositions de la Commission bancaire de l’UEMOA.

1.2. La réglementation unique des instruments de paiement touche aussi bien les changes que le chèque, la carte de paiement, la lettre de change et le billet à ordre.

S’agissant des changes, les normes essentielles ont été uniformisées dans les Etats de l’UEMOA par la BCEAO : définition du rôle et des attributions des intermédiaires agréées par exemple.

S’agissant du chèque, de la carte de paiement, de la lettre de change et du billet à ordre, un avant-projet de loi uniforme constitué de 207 articles est en étude depuis 1995.

2. L’unification du droit de la propriété intellectuelle à travers l’OAPI

L’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) a été instituée par l’Accord de Bangui en date du 2 mars 1977. Elle a pour mission d’assurer la protection et la publication de droits de la propriété intellectuelle par un système d’inscription identique pour tous les Etats membres de l’Organisation. De sorte que l’inscription d’un droit de propriété intellectuelle auprès d’un Etat membre ou auprès de l’OAPI elle-même emporte inscription dans chaque Etat membre et y produit des droits.

A ce titre, l’OAPI a élaboré une législation uniforme englobant dix Annexes à l’Accord de Bangui, incluant les brevets d’invention, les marques de produits ou de services, les dessins ou modèles industriels ou encore les noms commerciaux. Les textes communs des annexes s’appliquent dans les Etats de l’OAPI tels quels sans qu’il soit besoin d’une norme nationale spéciale pour les y introduire. Bien que façon quelque peu maladroite, il s’agit là d’une sorte d’affirmation de la supranationalité du droit uniforme de la propriété intellectuelle.

3. L’unification du droit des assurances à travers la CIMA

Le Traité instituant la Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurances (CIMA) signé le 10 juillet 1992 par quatorze pays de la zone franc et entré en vigueur en février 1995, succédant ainsi à la Convention de coopération en matière de contrôle des entreprises et opérations d’assurances des Etats africains et Malgache signée à Paris le 27 novembre 1973, a pour principal objectif l’unification du droit des assurances des Etats membres. De l’ensemble des dispositions du Traité et de ses Annexes, l’on peut retenir que la CIMA réalise l’uniformisation de la législation applicable aux entreprises et aux opérations d’assurance d’une part, et d’autre part, institue une réglementation unique des contrats d’assurance et des assurances obligatoires.

Le Code CIMA élaboré par le Traité CIMA pour mettre sa politique d’uniformisation du droit des assurances en œuvre, texte constitué de 530 articles, s’applique directement dans les Etats membres sans qu’il soit besoin d’une intervention des normes nationales de transposition.
B. L’UNIFORMISATION GLOBALE DU DROIT DES AFFAIRES : L’EXPERIENCE DE L’OHADA.

L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a été créée par le Traité signé le 17 Octobre 1993 à Port Louis en Ile Maurice par quatorze Etats de la zone Franc, auxquels se sont ajoutés deux autres pays , portant le nombre de ratifications à seize Etats. Le Traité OHADA a pour principal objectif de remédier à l’insécurité juridique et judiciaire de plus en plus décriée dans les Etats de la zone franc par les opérateurs économiques au courant des années 1990.

L’insécurité juridique s’explique notamment par l’obsolescence des textes juridiques hérités du législateur colonial et toujours en vigueur pour la plupart, bien que ne correspondant plus à la situation économique et à l’évolution actuelle des relations commerciales internationales. L’insécurité judiciaire découle de la dégradation de la façon dont est rendue la justice dans nos tribunaux, tant en matière d’application du droit qu’en matière de respect de la déontologie. A une jurisprudence sinon instable, du moins purement aléatoire s’ajoute le manque de moyens matériels et une formation insuffisante des magistrats et auxiliaires de justice dont les Avocats. L’harmonisation du droit des affaires des pays de la zone franc devait donc permettre la relance des investissements à travers la mise en place d’un cadre juridique propre à sécuriser l’activité économique des entreprises. D’où l’élaboration des règles simples, modernes et adaptées à la situation des économies des Etats membres, la mise en place des procédures judiciaires appropriées et l’encouragement du recours à l’arbitrage.

Les objectifs de l’OHADA sont ainsi mis en œuvre par deux principaux organes : le Conseil des Ministres en charge de l’élaboration du droit uniforme, et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, instrument de contrôle et de sanction de l’interprétation et de l’application de ce droit.

1. L’élaboration du droit uniforme des affaires par le Conseil des Ministres de l’OHADA

Les dispositions du Traité OHADA révèlent la généralisation du droit des affaires à uniformiser, une procédure d’uniformisation spécifique et le caractère supranational du droit uniformisé.

1.1. Le domaine généralisé du droit des affaires de l’OHADA

L’article 2 du Traité OHADA dispose : « entrent dans le domaine du droit des affaires, l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime de redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le Conseil des ministres déciderait à l’unanimité d’y inclure… ».

Le domaine extrêmement large du champ d’application du droit des affaires de l’OHADA s’explique par la nécessité d’uniformiser les règles de toute discipline juridique susceptible de contribuer à atteindre les objectifs de sécurisation juridique et judiciaire de l’investissement dans les Etats membres. Un auteur a soutenu qu’il s’agit en réalité d’un droit des activités économiques et non d’un droit des affaires au sens strict du terme .

1.2. La procédure d’élaboration du droit des affaires uniformisé

Des dispositions des articles 5 à 12 du traité OHADA, le Secréterait permanent prépare les projets d’Actes uniformes en concertation avec les gouvernements des Etats parties. Ainsi, les projets d’Actes uniforme leur sont communiqués et un délai de 90 jours leur est imparti pour procéder à leur examen, faire des observations et proposer des amendements. Les Projets d’Actes uniformes, avec les observations des Etats parties, sont transmis par le Secrétariat permanent à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage pour avis. Le Secrétariat permanent met au point le texte définitif et le présente au Conseil des Ministres pour adoption.

1.3. La supranationalité des Actes uniformes OHADA

L’article 10 du Traité prévoit que « les Actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou postérieure ». Ce texte affirme ainsi la supranationalité des Actes uniformes et leur suprématie sur les dispositions de droit interne antérieures et postérieures, principe réitéré par un Avis de la CCJA en date du 30 avril 2001.

1.4. L’œuvre d’uniformisation du droit des affaires déjà accomplie par le Conseil des Ministres de l’OHADA

Entre 1997 et 2012, le Conseil des Ministres a adopté Neuf Actes uniformes totalisant plus de 2400 articles, ce qui constitue une véritable « machine» d’uniformisation du droit des affaires dans l’espace OHADA. Il s’agit d’abord de trois Actes uniformes adoptés à Cotonou le 17 avril 1997 : l’Acte uniforme portant Droit Commercial Général, l’Acte uniforme portant Droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique, l’Acte uniforme portant Organisation des sûretés ; il s’agit ensuite de deux Actes uniformes adoptés à Libreville le 10 avril 1998 : l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d’Exécution, l’Acte uniforme portant Organisation des Procédures Collectives d’Apurement du Passif ; il s’agit également de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage adopté le 11 mars 1999 à Ouagadougou, de l’Acte uniforme portant Organisation et Harmonisation des Comptabilités des entreprises adopté le 24 mars 2000 à Yaoundé , et de l’Acte uniforme relatif aux contrats des transports de marchandises par route adopté dans la même ville le 22 mars 2003. Il s’agit enfin de l’Acte uniforme relatif au droit des coopératives adopté le 14 décembre 2010 à Lomé.

1.5. Les Actes uniformes en chantier

Jusqu’en 2010, le processus d’élaboration d’un certain nombre d’Actes uniformes était en cours : le projet d’Acte uniforme sur le droit du travail, le projet d’Acte uniforme sur le droit des contrats qui devait fusionner avec celui sur le droit de la preuve.

La doctrine avait déjà relevé pour le déplorer que d’ici quelques années, c’est le tout le Droit Privé général qui sera uniformisé dans l’espace OHADA . Des voies se sont également élevées pour exiger une trêve dans ce rythme d’uniformisation à outrance du droit des affaires afin de permettre aux différents acteurs judiciaires d’assimiler les Actes uniformes jusque-là adoptés. De même que des inquiétudes se sont exprimées au niveau des juridictions nationales des Etats parties qui se demandaient s’il ne restera plus que le droit pénal au juge national.

Prenant certainement argument de ces réserves exprimées quant au rythme d’harmonisation du Droit des Affaires, le Secrétariat Permanent a proposé au Conseil des Ministres de l’OHADA une nouvelle politique d’harmonisation des domaines spécifiques au droit de l’activité économique des entreprises. C’est pourquoi le Conseil des Ministres l’a autorisé en décembre 2011 à Bissau, d’engager des études sur les chantiers d’harmonisation possible des contrats d’affaires : leasing, affacturage, BOT, crédit bail, contrats électroniques, etc.

Il conviendrait également de signaler l’action des bailleurs de fonds, et notamment de la Banque Mondiale en faveur de la révision des Actes uniformes plus d’une décennie après leur adoption. Les Actes uniformes portant Droit des Sûretés et Droit Commercial Général ont ainsi été révisés en 2011, et l’Acte uniforme relatif aux procédures collectives est en cours de révision.

2. Le contrôle et la sanction de l’interprétation et de l’application du droit uniforme par la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage

La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dont le siège est à Abidjan en Côte d’Ivoire joue un rôle fondamental en matière d’interprétation et d’application droit des affaires uniformisé. L’article 14 alinéa 1er du Traité dispose que « la CCJA assure dans les Etats parties l’interprétation et l’application commune du Traité, des Règlements pris pour son application et des Actes uniformes ».

La CCJA est donc investie d’une double prérogative s’exerçant sur un plan judiciaire et sur un plan consultatif, sans oublier son appui administratif en matière d’arbitrage.

2.1. Au plan strictement judiciaire c’est-à-dire en matière contentieuse

La CCJA joue le rôle d’une Cour de cassation pour l’ensemble des seize Etats. Elle peut être saisie par la voie du recours en cassation contre les décisions rendues par les juridictions d’appel nationales et d’une manière générale, contre les décisions non susceptibles d’appel, à condition que dans les deux cas, l’affaire soulève des questions relatives à l’application des Actes uniformes ou des Règlements prévus au Traité. En cas de cassation, elle évoque et statue sur le fond sans renvoi, ce qui permet d’éviter des lenteurs judiciaires. C’est du reste ce pouvoir d’évocation qui fait dire que la CCJA est un troisième degré de juridiction.

Le bilan statistique de la CCJA dans sa fonction contentieuse du 11 octobre 2001, date de son installation dans ses nouveaux locaux au 31mars 2012, révèle que sur 1132 affaires enregistrés, 527 ont été jugées, 456 arrêts rendus dont 14 arrêts de jonction des procédures, 71 ordonnances rendues, 113 dossiers provisoirement retirés du rôle pour défaut de consignation, et 475 dossiers se trouvent au stade de l’instruction pour notification et échange de mémoires entre les parties.

2.2. Au plan purement consultatif

La Cour peut être consultée par tout Etat partie, par le Conseil des Ministres ou par les juridictions nationales sur toute question concernant l’application et l’interprétation du Traité et des Actes uniformes dérivés.

De 1997 au 31 mars 2012, 22 avis ont émis dont 05 émanant de trois Etats parties, 03 des juridictions nationales, 14 du Secrétariat permanent et 01 du Conseil des Ministres sur le projet de révision du Traité.

2.2. Au plan arbitral

La CCJA joue en matière d’arbitrage un rôle comparable à celui de la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris. Sans trancher elle-même les litiges, la CCJA nomme les arbitres, suit le déroulement de la procédure, examine les projets de sentences arbitrales et peut proposer des modifications de pure forme. Elle accorde enfin l’exequatur des sentences arbitrales rendues sous l’égide de la CCJA.

De 2001 à ce jour, 47 demandes d’arbitrage ont été enregistrées à la CCJA, 14 sentences arbitrales ont été rendues, 08 ordonnances d’incompétence ont été prononcées, 3 désistements et 2 retraits du registre, et 18 dossiers sont actuellement en instance.

CONCLUSION

Le foisonnement de structures d’intégration juridique observé ces derniers temps en Afrique Noire Subsaharienne traduit la prise de conscience des Etats africains que la disparité des législations est un obstacle pour la réalisation d’un espace économique et social intégré. Mais les pays africains voient également dans ce cadre juridique harmonisé un moyen de rapprochement des peuples, objectif du reste poursuivi par l’Union Africaine. L’harmonisation des lois est un vecteur incontournable de cette intégration, de même qu’elle constitue un facteur de stabilité et de sécurité juridique et judiciaire de l’investissement en Afrique.

On peut néanmoins redouter des contradictions dans les divers domaines du droit à harmoniser, tant la frontière entre les matières est mince, tant les conflits de compétence peuvent naître entre les structures chargées d’assurer le contrôle de l’interprétation et de l’application des lois harmonisées.

On peut également s’interroger sur la volonté politique des Etats africains à conduire les différents processus d’harmonisation des lois à leur terme, notamment en honorant leurs engagements financiers. Le cas de l’OHADA est une interpellation, le mécanisme de financement autonome mis en place par le Conseil des Ministres en 2003 et consistant en un prélèvement au cordon douanier de 0,05 % sur les produits d’importation provenant des pays tiers, n’étant pas toujours opérationnel dans les Etats parties.

De notre point de vue, c’est par une espèce de dialectique permanente entre droit et économie que l’uniformisation des instruments juridiques en Afrique pourra atteindre les objectifs escomptés, et que les groupes régionaux pourront mieux assurer leur cohérence et leur homogénéité.