LE COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT EST-IL LE MANDATAIRE DE SON COMMETTANT ? : UNE OCCASION MANQUEE POUR LE LEGISLATEUR OHADA

SOMMAIRE : N’ayant fait l’objet d’aucune définition précise, ni dans le Code de commerce ni en droit OHADA, la notion de commission de transport a suscité de nombreuses controverses. Dès lors, la tentation a été grande de l’insérer dans les catégories existantes de mandat. La question majeure qui se pose dans ces conditions est celle de savoir si le commissionnaire de transport est le mandataire de son commettant. A l’analyse, la fonction de commissionnaire de transport s’avère incompatible avec celle de mandataire de sorte qu’il serait inopportun voire inutile de rechercher une qualification fondée sur le mandat sans représentation.

SUMMARY: Having made the object no definition specifies, neither in the Commercial law nor in right OHADA, the notion of commission of transport provoked numerous polemics. Since then, temptation was big to insert it in the existent categories of mandate. The major question that settles in these conditions that is to know if the forwarding agent is the deputy of his principal. In the analysis, the function of commissioner proves to be incompatible with that of deputy so that it would be inopportune or even useless to search skills founded on the mandate without presentation.

Mots clés : Acte uniforme OHADA – Commissionnaire de transport – Entrepreneur de transport multimodal – Mandataire – Obligations de moyens et de résultat.

1. La profession de commissionnaire de transport, que l’on retrouve dans tous les modes de déplacement de marchandises y compris dans le transport multimodal, est ancienne puisqu’elle est régie dès l’origine par les dispositions des articles 96 à 102 du Code de commerce. Elle a toujours été justifiée par les nécessités de la pratique, les besoins sans cesse croissants de compétence et la très grande spécialisation des transporteurs dans certains modes de transport ou sur certaines relations déterminées . Compte tenu en effet, des exigences techniques et de la complexité grandissante des opérations liées à l’acheminement des marchandises, et bien que pouvant agir lui-même, l’expéditeur ou chargeur , est souvent obligé de s’adresser à un professionnel, mieux avisé, surtout lorsque le déplacement requiert l’utilisation des services de plusieurs transporteurs spécialisés chacun dans un mode de transport . Le recours à un intermédiaire permet alors à l’expéditeur de se décharger des soucis d’organisation, son partenaire étant tenu d’assumer la responsabilité de l’ensemble du déplacement depuis le lieu d’expédition jusqu’à celui de destination .

2. N’ayant fait l’objet d’aucune définition précise dans le Code de commerce, la notion de commission de transport a généré de nombreuses controverses aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence . Cette dernière a néanmoins permis d’avoir une idée plus précise de la commission de transport qui, selon elle, est la « convention par laquelle le commissionnaire s’engage envers le commettant à accomplir pour le compte de celui-ci les actes juridiques nécessaires au déplacement de la marchandise d’un lieu à un autre, et qui se caractérise par la latitude laissée au commissionnaire d’organiser librement le transport par les voies et moyens de son choix, sous son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par le fait que cette convention porte sur le transport de bout en bout » . La difficulté de la distinguer d’autres opérations participant à la bonne réalisation du transport et les incertitudes liées à la détermination de la nature des relations juridiques pouvant exister entre le commissionnaire et son commettant justifient amplement l’intérêt que l’on a toujours accordé à cette convention séculaire qui présente certainement encore de fabuleuses perspectives pour l’avenir. L’enjeu est d’autant plus important que, de la qualification de la convention dépendra, d’une part, le régime juridique applicable, notamment en matière de transport international pour laquelle il n’existe pas de texte international en vigueur spécifique à l’organisation du transport ; d’autre part, les relations entre le commissionnaire de transport et son commettant sont complexes et relèvent avant tout du droit international. En outre, dans certaines hypothèses, il peut être avantageux pour les partenaires professionnels de prétendre qu’ils ont traité avec un commissionnaire de transport, compte tenu de l’obligation de résultat qui pèse sur cet intermédiaire.

3. Or, depuis plusieurs décennies, les Etats africains sont sérieusement préoccupés par la construction d’un droit communautaire des transports applicable sur l’ensemble du continent, et à maintes occasions, la question de la définition du commissionnaire de transport a été sinon éludée du moins effleurée . Mais, c’est surtout au niveau des organisations sous-régionales que les premières velléités législatives ont vu le jour . Ainsi, les Etats de l’Afrique de l’Ouest ont signé le 29 mai 1982 à Cotonou au Bénin, la Convention portant réglementation des transports routiers Inter-Etats de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest . Il a fallu cependant attendre pratiquement le 22 décembre 1994 pour voir un texte de l’UDEAC devenue CEMAC traiter véritablement des questions de droit privé en matière de transport, et de surcroît, celles relatives aux professions auxiliaires .

4. Curieusement, le « nouveau » texte fut silencieux quant à la définition du commissionnaire de transport. On a été obligé de patienter jusqu’au 5 février 1998 pour voir un texte de la CEMAC donner la définition suivante du commissionnaire de transport : « personne physique ou morale chargée d’organiser ou de faire exécuter sous sa responsabilité les opérations d’acheminement des marchandises selon les modes de son choix pour le compte du commettant » . Cette définition a été intégralement reprise par le Code de la marine marchande révisé du 03 août 2001 . Pour couronner le tout, l’article 453 de ce code prévoit que « le commissionnaire de transport est investi d’une mission relative à l’organisation du transport dans son ensemble. Il a une obligation de résultat. Il exécute son contrat conformément aux dispositions de l’acte n° 4/96 UDEAC-611. CE 31 du 5 juillet 1996 portant Convention Inter-Etats de transport multimodal de marchandises en UDEAC ». Autrement dit, pour le législateur communautaire, les rapports entre le commissionnaire de transport et son commettant sont régis par la Convention Inter-Etats susvisée.

5. La confusion entre le commissionnaire de transport et l’entrepreneur de transport multimodal est cependant malheureuse car le premier, est un organisateur dont l’obligation principale consiste à conclure des actes juridiques tendant à assurer le déplacement, alors que le second, est un exécutant chargé d’accomplir des actes concrets de transport de bout en bout . Une similitude existe néanmoins car, dans les deux cas, on est en présence d’un contrat d’entreprise en vertu duquel un entrepreneur, locateur d’ouvrage, s’engage, moyennant rémunération, à exécuter pour une personne, un travail de façon indépendante et sans pouvoir de représentation . De plus, il n’est pas rare, comme le souligne la doctrine dominante , qu’un commissionnaire accomplisse des actes matériels de transport et qu’il propose tantôt l’un ou l’autre de ces services, voire les deux pour une même opération. Mais, la différence entre ces deux professionnels est profonde et mérite d’être soulignée avec acuité.

6. Auparavant, dès le 1er janvier 1998, date d’entrée en vigueur de son acte uniforme portant droit commercial général, l’OHADA avait suscité la curiosité, en légiférant d’une manière générale sur le « commissionnaire », qu’il définit comme celui qui, « en matière de vente ou d’achat, se charge d’opérer en son propre nom, mais pour le compte du commettant, la vente ou l’achat de marchandises moyennant une commission » . Plus d’une décennie après, l’article 192 de l’acte uniforme révisé définit le commissionnaire comme « un professionnel qui, moyennant le versement d’une commission, se charge de conclure tout acte juridique en son propre nom mais pour le compte du commettant qui lui en donne mandat ». Comme il fallait s’y attendre, cette définition est venu raviver les débats houleux qui ont eu lieu jusque là sur le point de savoir, non seulement, si elle s’applique au commissionnaire de transport, mais également et surtout si ce dernier peut être considéré comme le mandataire de son commettant . La question est d’autant plus pertinente que le législateur OHADA précise, en son article 204, que le commissionnaire expéditeur ou agent de transport qui, moyennant rémunération et en son nom propre, se charge d’expédier ou de réexpédier des marchandises pour le compte de son commettant, « est assimilé au commissionnaire », et reste soumis, en ce qui concerne le transport de marchandises, aux dispositions qui régissent le contrat de transport.

7. Sur la base des articles 192 et 204 de l’acte uniforme révisé de l’OHADA, la doctrine a très vite pris position en estimant que celui-ci était applicable au commissionnaire de transport . Son exultation nous paraît pourtant excessive, et sa conclusion hâtive, dès lors qu’elle considère que les dispositions de l’acte uniforme portant droit commercial général s’appliquent au commissionnaire expéditeur ou agent de transport qu’elle assimile prématurément au commissionnaire de transport , faisant de ce dernier un « mandataire » de son commettant . Pour le législateur OHADA, il s’agit là d’une belle occasion manquée car, il aurait été opportun de déterminer définitivement la nature et le régime applicables. Considérant le rôle stratégique des commissionnaires de transport dans le déplacement de bout en bout, et en particulier l’importance majeure de ces professionnels auxiliaires dans l’exécution du transport multimodal, il est surprenant que les rédacteurs de l’acte uniforme n’aient proposé aucune définition précise de cette notion. Or, il apparaît clairement que la définition de ces professions ne concorde pas rigoureusement avec celle de mandat contenue dans l’article 1984 du Code civil car, ainsi que le souligne l’article 204 de l’acte uniforme, le commissionnaire de transport agit en son propre nom, alors que le mandataire agit au nom du représenté (I). Peut-être ne faudrait-il y voir, comme le propose une certaine doctrine, que la différence entre régime général du mandat et celui des mandats spéciaux, imparfaits ou sans représentation (II) .
I. L’INCOMPATIBILITE NOTOIRE ENTRE LA FONCTION DE COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT ET CELLE DE MANDATAIRE

8. Grâce à la mise en évidence de certains critères déduits de la définition fournie récemment par la jurisprudence, on peut désormais qualifier une convention de commission de transport et la distinguer de conventions voisines telles que le mandat. Ce dernier n’est d’ailleurs plus ce qu’il était à l’époque du Code civil . Il s’est profondément professionnalisé au point que le mandataire « dispensateur de bons offices » a laissé la place, dans la majorité des cas à un professionnel spécialisé, compétent et bien rémunéré. Cependant, les critères de la commission de transport sont, en quelque sorte, hiérarchisés, ce qui permet de distinguer entre les critères principaux (A) et les critères subsidiaires (B). Mais, d’une manière générale, on voit apparaître, en filigrane, une incompatibilité notoire entre la trop grande liberté du commissionnaire de transport et l’extrême dépendance du mandataire vis-à-vis du commettant.

A. L’INCOMPATIBILITE TIREE DES CRITERES PRINCIPAUX DE QUALIFICATION DU COMMISSINNAIRE DE TRANSPORT

9. Pour savoir si l’on a affaire à un commissionnaire de transport, il convient de vérifier à titre principal que cet intermédiaire organise librement un transport et qu’il accomplit cette mission en son nom personnel . Ces deux critères permettent de mettre en exergue la différence fondamentale qui existe entre le commissionnaire et le mandataire.

1- Le libre choix des voies et des moyens

10. Le commissionnaire de transport promet à son client « d’organiser le transport de bout en bout » . Pour la jurisprudence de la cour de cassation, l’arrêt qui n’a pas recherché si la société qu’elle qualifie de commissionnaire avait librement organisé le transport de bout en bout doit être cassé . Autrement dit, pour qu’il y ait contrat de commission de transport, le prestataire doit disposer d’une large liberté dans le choix des modes de transport et la désignation des divers intervenants dont le concours serait essentiel pour faire parvenir la marchandise à destination. Le commissionnaire de transport n’a donc pas besoin de s’en référer au commettant et nulle acceptation de sa part n’est nécessaire. Il n’a pas, non plus, à recueillir l’accord de son client sur le nom des transporteurs qu’il choisit. A l’inverse, le fait, pour lui, d’avoir sollicité l’accord de son client ne lui enlève pas sa qualité de commissionnaire si, en réalité, il avait le libre choix du mode de locomotion et des modalités de l’opération de transport .

11. La liberté dans l’organisation du transport est donc inhérente à la qualification de commission de transport. Elle permet de distinguer le commissionnaire de transport du transitaire, simple mandataire chargé d’exécuter les instructions du client et de conclure les contrats nécessaires à l’opération de transport. Cependant, la qualité de commissionnaire subsiste même lorsque le mode de transport a été imposé par le client car, une certaine liberté, relative, lui est laissée dans le choix du prestataire . Il importe simplement que le client n’ait pas à déterminer le détail de l’expédition, son trajet, son horaire, ses modalités, le commissionnaire devant rester relativement indépendant de son client. La qualité de commissionnaire a, par exemple, été refusée à l’intermédiaire dont la mission consistait à recevoir des marchandises et à les réexpédier suivant les instructions qui lui ont été données. En pareille circonstance, l’absence de liberté fait de l’intermédiaire un simple mandataire, voire un entrepreneur sui generis selon la jurisprudence. Il en résulte que la liberté reconnue au commissionnaire de transport est incompatible avec l’absence de liberté qui caractérise le simple mandataire de sorte que les deux qualités ne sauraient subsister sur la tête d’une seule et même personne.

12. Or, en l’état actuel des débats, l’OHADA semble avoir opté pour une « assimilation » pure et simple entre le commissionnaire de transport et le simple mandataire. Bien qu’inexacte, cette position est largement approuvée et défendue par la doctrine communautaire . Pourtant, l’idée de l’article 1989 du Code civil est précisément d’interdire au mandataire d’agir « au-delà de ce qui est porté dans son mandat ». Sa mission doit donc être interprétée strictement, ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit du commissionnaire de transport dont la mission consiste justement à « tout faire » pour atteindre le résultat qu’il a promis à son client, à savoir, organiser le transport de bout en bout.

3. L’absence de représentation

13. La commission de transport est une activité d’intermédiation qui instaure un rapport triangulaire entre le commettant, le commissionnaire et le transporteur. Dans ses rapports avec le transporteur, le commissionnaire prend la qualité d’expéditeur alors qu’à l’égard du commettant, il s’engage à organiser le déplacement de la marchandise. Il est donc un intermédiaire qui conclut en son nom propre les contrats destinés à faire parvenir la marchandise à destination. Dans la pratique, il est d’usage que les commissionnaires de transport ne dévoilent pas le nom de leur commettant puisque c’est le sien qui figure habituellement comme expéditeur ou chargeur sur le document de transport. Il a par exemple été décidé que « l’agent qui s’est porté comme expéditeur sur la LTA et a désigné lui-même la compagnie aérienne s’est comporté comme un commissionnaire de transport » .

14. Le critère de l’action en son nom personnel est précisément celui qui permet de distinguer le commissionnaire de transport du mandataire avec lequel la confusion est encore et malheureusement de mise . Contrairement au commissionnaire de transport, le mandataire agit pour le compte de son mandant et au nom de celui-ci. Il est alors un représentant qui agit ouvertement en tant que tel et se révèle sous cette identité. Il en résulte que l’exécution des obligations passées par le mandataire au nom et pour le compte de son mandant incombe à ce dernier seul . Il ne peut en être autrement que si le mandataire agit en son nom personnel sans révéler sa qualité de représentant comme le fait habituellement le commissionnaire de transport.

15. Cependant, à la différence de l’acte uniforme de l’OHADA, l’article L. 132-1, alinéa 2 du Code de commerce relatif aux droits et obligations du commissionnaire en droit français, renvoie aux dispositions relatives au mandat dans le Code civil. Tout en relevant que ce renvoi ne profite selon la lettre du texte qu’au « commissionnaire » agissant au nom de son commettant et donc au seul « vrai » mandataire, la doctrine française soutient aujourd’hui que le commissionnaire agissant en son nom propre devrait également en bénéficier dans la mesure où, déclare-t-elle, la distinction n’institue une différence de régime que dans le cadre des relations du commettant ou du commissionnaire avec les tiers, mais pas dans les rapports internes entre commettant et commissionnaire . Elle en déduit alors que, si le commissionnaire agit en son nom propre, il le fait pour le compte du commettant, son client et que selon toute vraisemblance, la commission appartiendrait à la famille du mandat sans représentation .

16. Pareille solution ne saurait être transposée en droit communautaire OHADA sans heurt : d’abord, l’article 192 de l’acte uniforme ne contient aucun renvoi similaire aux dispositions du Code civil ; ensuite, la qualification de mandat est inutile et très discutable sur le plan théorique : le contrat de commission ne comporte aucune représentation de sorte que, le commettant reste étranger au contrat conclu par le commissionnaire de transport et que seul ce dernier est tenu à l’égard des tiers.

B. L’INCOMPATIBILITE TIREE DES CRITERES SUBSIDIAIRES DE QUALIFICATION DU COMMISSIONNAIRE DE TRANSPORT

17. Aux termes des dispositions de l’article 1986 du Code civil, le mandat est en principe gratuit mais le mandant peut être amené à verser un salaire au mandataire à raison de l’exécution de sa mission. Par contre, la commission de transport est un métier et seul un professionnel peut se voir attribuer la qualité juridique de commissionnaire de transport . Il s’agit donc d’un métier rémunéré dont l’accès est subordonné au respect des conditions fixées par l’Acte CEMAC du 5 février 1998 portant réglementation des conditions d’exercice des professions maritimes et professions auxiliaires des transports. La rémunération n’est certainement pas un élément décisif de la qualité de commissionnaire de transport, car tous les auxiliaires de transport sont des professionnels. Mais sa forme permet néanmoins de le distinguer du mandataire et d’expliquer les raisons de son absence de compte rendu.
1. La rémunération au forfait

18. La forme de la rémunération perçue par le commissionnaire de transport tend à le singulariser parmi les autres opérateurs de transport et surtout à le distinguer du mandataire. Elle prend en général la forme d’un forfait, ne détaillant pas le coût réel des différentes prestations successives. Elle est caractéristique de son activité et la différencie de celles faisant l’objet d’un décompte détaillé comme en produit habituellement le simple mandataire . La jurisprudence déclare à cet effet que le commissionnaire de transport n’est pas tenu de révéler à son commettant la part revenant à chaque substitué . De même, la jurisprudence relève que le faible montant de la facture de l’intermédiaire est un indice en faveur de la qualité de mandataire, corroboré par le fait que l’intermédiaire ait réclamé à son commettant uniquement le coût des opérations de transit au port sans y ajouter le transport terrestre de réexpédition .

19. Dans l’article 192 de l’acte uniforme de l’OHADA révisé portant droit commercial général, le commissionnaire a droit à une commission en contrepartie des actes juridiques qu’il accomplit pour le compte de son client. Il s’agit de « toute rémunération due à un commissionnaire, et, par extension, à tout mandataire » . Il s’ensuit que même le critère tiré du versement d’une « commission » n’est pas décisif puisqu’il s’applique aussi bien au commissionnaire de transport qu’au mandataire. Seul le détail de la facture permettrait sans doute de savoir si l’on a affaire à l’un ou à l’autre de ces deux opérateurs. Ce qui compte en réalité, c’est que l’entreprise ait assumé les obligations d’un commissionnaire de transport et pas seulement celles d’un simple agent « salarié » de transport ou de commissionnaire expéditeur dont le rôle consisterait seulement à recevoir et à réexpédier des marchandises suivant les instructions du commettant.

2. L’absence de compte rendu

20. « Tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant » . Rendre compte oblige le mandataire à faire le bilan de sa mission, mais aussi à tenir des comptes et à restituer les sommes qu’il a pu recevoir des tiers. Il doit à cet effet, informer le « mandant » du déroulement de sa mission et lui rendre compte en établissant une reddition de comptes. Elle est considérée par la jurisprudence comme une obligation de résultat .

21. Contrairement au mandataire, le commissionnaire de transport ne rend pas compte de sa gestion au commettant. La liberté dont il jouit dans l’exécution de sa mission est incompatible avec l’obligation de compte rendu qui pèse sur le mandataire. De plus, la forme de sa rémunération ne permet pas de fournir un compte de gestion comportant un passif et un actif, quand bien même ce qu’il aurait reçu à ce titre n’eût point été dû au commettant. En effet, la rémunération du commissionnaire de transport comprend tous les profits réalisés à l’occasion de l’organisation du transport de bout en bout, ce qui est caractéristique du contrat de commission, alors que le mandataire est débiteur des recettes encaissées des tiers, des fonds remis par le mandant et des intérêts produits par ces diverses sommes (article 1996 du Code civil).

II. L’INOPPORTUNITE DE LA QUALIFICATION FONDEE SUR LE MANDAT « SANS REPRESENTATION »

22. La doctrine a parfois qualifié le contrat de commission de « mandat imparfait » ou « non représentatif », indiquant par là que le commissionnaire agit sans représenter le commettant à l’égard des tiers . Elle en déduit que le commissionnaire de transport se rapproche d’un mandataire dans la mesure où le commettant attend de lui qu’il se comporte comme un intermédiaire. En raison de l’activité d’intermédiation, le contrat de commission de transport est alors présenté comme appartenant à la famille du contrat de mandat. On prétend alors, d’une part, que le mandataire participe à la création de l’acte juridique mais c’est le mandant qui est lié par ses effets, et d’autre part, que dans la commission de transport, on retrouve la même structure triangulaire car, comme le mandataire, le commissionnaire de transport accomplit sa mission en exprimant les intérêts de son client.

23- Le commissionnaire de transport agit généralement pour le compte d’un expéditeur, mais en son nom personnel. Contrairement à l’apparence, l’objectif poursuivi par les parties dans le mandat et la commission de transport est profondément différent, ce qui exclut toute tentative d’assimilation ou de confusion entre les deux conventions. La qualification de mandat, fût-il imparfait ou sans représentation paraît inopportun voire inutile. Certes, le commissionnaire de transport et le mandataire agissent pour le compte d’autrui, mais seul ce dernier agit au nom d’autrui. En réalité, le commissionnaire de transport n’est pas un commissionnaire comme tous les autres : contrairement à ces derniers et compte tenu de la nature particulière de sa prestation, il est tenu d’une obligation de résultat entraînant un certain nombre d’obligations particulières (A). De plus, sa responsabilité est très étendue, car il répond non seulement de son fait personnel, mais également du fait des transporteurs, des commissionnaires intermédiaires et des autres prestataires auxquels il a confié la marchandise (B).

a. La malheureuse tentative de réduction des obligations du commissionnaire de transport

24- En vertu du contrat d’entreprise qui le lie à son client, le commissionnaire de transport est investi d’une mission relative à l’organisation du transport de bout en bout et répond, en principe, des dommages à la marchandise qui se produisent pendant cette période . Dès lors, l’une des questions fondamentales à résoudre est celle de savoir si cet intermédiaire est tenu d’une obligation de moyens ou de résultat. Cette interrogation a le mérite incontestable d’attirer l’attention sur les questions de preuve, décisives en pratique, mais en un sens, elle semble autoriser un raisonnement à l’envers, car ce qui est important, c’est en réalité de déterminer l’étendue des diligences du commissionnaire de transport de laquelle découle sa responsabilité.

i. La néfaste remise en cause de l’obligation de résultat du commissionnaire de transport

25- Si l’obligation du commissionnaire de transport n’est qu’une obligation de moyens, le commettant doit, en cas d’inexécution, démontrer la faute de ce professionnel ; s’il s’agit en revanche d’une obligation de résultat, le commissionnaire, une fois prouvée l’inexécution de l’obligation, ne peut se libérer totalement ou partiellement qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère. On estime en général, que l’obligation de moyens n’est admissible que dans les cas où le commettant conserve une part d’initiative alors que l’obligation de résultat serait inévitable dans les hypothèses où ce dernier est livré au professionnel et à sa technique et n’a pas de coopération à fournir.

26- Analysant les dispositions des articles L. 132-4 et L. 132-5 du Code de commerce français, certains auteurs soutiennent que celles-ci doivent être rattachées à la violation d’une obligation de moyens de sorte que la responsabilité du commissionnaire de transport ne pourrait être engagée que pour faute prouvée . Cette analyse se rapproche des dispositions de l’article 192 de l’acte uniforme de l’OHADA révisé en vertu duquel le commettant donne « mandat » au commissionnaire. Pour d’autres, par contre, ces mêmes articles conduisent à retenir que le commissionnaire prend la marchandise à l’égal du transporteur et que pour cette raison, il pèse sur lui une obligation de résultat en vertu de laquelle il répond des dommages d’origine inconnue . Cette seconde analyse est conforme aux dispositions de l’article 453 du Code de la marine marchande de la CEMAC.

27- Or, considérer que le commissionnaire de transport est tenu d’une obligation de résultat revient à nier avec véhémence la conception selon laquelle le commissionnaire de transport serait avant tout un intermédiaire chargé d’organiser un transport et que de ce fait il ne serait qu’une variété de mandataire. Sa responsabilité personnelle ne devrait-elle donc pas être appréciée selon qu’il y a eu inexécution du mandat – faisant présumer la faute – ou mauvaise exécution de ce dernier ? Dans le premier cas, la responsabilité du commissionnaire est engagée de plein droit et il ne peut échapper qu’en prouvant un évènement de force majeure. Dans le second cas, sa responsabilité sera retenue si une faute peut lui être reprochée. Toutefois, le commissionnaire ne peut pas être traité comme un mandataire « ordinaire ». Sa mission n’est pas uniquement juridique et pour l’accomplir il dispose d’une liberté d’action importante. Il est par conséquent malaisé de lui transposer purement et simplement le régime dégagé à propos du mandataire.

28- Pour un troisième courant de doctrine conduit par Philippe DELEBECQUE, on serait en présence d’une obligation de résultat atténuée, le commissionnaire de transport pouvant se dégager de sa responsabilité en prouvant, non seulement la force majeure, mais également, le vice propre de la marchandise, la faute du commettant ou son absence de faute . Même si cette conception est celle qui séduit le plus Isabelle BON-GARCIN puisqu’elle traduit le mieux la position des juges français, il n’en demeure pas moins qu’elle est particulièrement réductrice du champ de l’obligation du commissionnaire de transport . En dépit des réserves de la doctrine, on peut relever avec grand intérêt la position de la Cour de cassation qui a pu retenir une obligation de résultat . Il s’ensuit que toute velléité contraire est en réalité inopportune et inutile : primo, elle porte indirectement atteinte aux intérêts du commettant puisqu’elle opèrerait un surprenant renversement de la charge de la preuve ; secundo, le commissionnaire pourrait, dans le cadre d’une obligation de résultat atténuée s’exonérer en invoquant son absence de faute, ce qui est en réalité une incongruité. Pour engager la responsabilité contractuelle du commissionnaire, le commettant n’a pas à prouver qu’il a commis une faute . Il doit seulement prouver l’existence du dommage résultant de la mauvaise exécution du contrat de commission de transport, comme par exemple établir que les marchandises ont été perdues ou qu’elles sont arrivées avariées à destination .

ii. L’impossible confusion entre les obligations du commissionnaire de transport et celles du simple mandataire

29- Soumis à une obligation générale de résultat, le commissionnaire de transport est contraint d’accomplir un certain nombre d’obligations en rapport avec l’organisation du transport de bout en bout et l’arrivée en bon état de la marchandise. A l’instar du simple mandataire, il doit certainement respecter les instructions de son client , agir dans son intérêt et en sa qualité de professionnel, il est débiteur d’un devoir de conseil à son égard . Cependant, contrairement au mandataire, le commissionnaire de transport dispose d’une large liberté de manœuvre dans l’exécution de sa mission. Pour la jurisprudence, ce critère de liberté des voies et moyens dans l’organisation du transport est inhérent à la qualification de contrat de commission de transport . Il s’ensuit que l’intermédiaire dépourvu de toute liberté dans l’organisation du transport n’est qu’un simple mandataire puisqu’il se borne à exécuter les instructions du client et conclut les contrats nécessaires à l’opération de transport au nom de celui-ci.

30- Par ailleurs, à la différence du commissionnaire ou du transporteur, le mandataire n’est soumis à aucune présomption de responsabilité. Seule sa faute personnelle dans l’accomplissement de son mandat permet d’engager sa responsabilité vis-à-vis de son mandant . Il ne peut invoquer, ni les causes d’exonération ni les limites de réparation instituées au profit du commissionnaire de transport. Il n’est même pas, comme le serait ce dernier, garant des faits d’autrui et ne répond pas, en règle générale, des dommages imputables à l’un ou à l’autre des transporteurs entre lesquels il assure la liaison . A la différence également du commissionnaire de transport, le mandataire ne répond pas des faits imputables à ses substitués . En réalité, la confusion qui semble résulter de l’analyse de leurs obligations n’est qu’apparente : elles obéissent chacune à un régime spécifique.

b. L’intolérable atteinte portée à la règle de la double responsabilité du commissionnaire de transport

29- En dépit des atermoiements du législateur OHADA, une sérénité règne au sein des règles qui gouvernent la responsabilité du commissionnaire de transport. Alors que le simple mandataire ne répond que de ses fautes personnelles, son homologue du contrat de commission de transport est soumis à une double responsabilité. La responsabilité de ce dernier est plus étendue car il répond de son fait personnel, mais aussi du fait des personnes et spécialement des transporteurs auxquels il s’est adressé. Sur la question, l’analyse des dispositions de l’OHADA conduit à une observation ambivalente : le maintien évident de la première et le rejet à peine voilé de la seconde.

i. Le maintien sans surprise de la responsabilité du fait personnel

31- En vertu de ses engagements d’organiser l’ensemble du déplacement, le commissionnaire de transport assume, au même titre qu’un mandataire de droit commun, les conséquences d’un fait qui peut lui être reproché personnellement au titre de sa mission. Sauf force majeure, il est en principe garant de l’arrivée des marchandises dans les délais stipulés et des avaries ou pertes. Le maintien de cette responsabilité ne fait donc l’objet d’aucun doute même sous l’empire des dispositions des articles 192 et suivants de l’acte uniforme révisé de l’OHADA.

32- Le commissionnaire de transport répond ainsi de ses fautes, du manquement à ses obligations, du non-respect des consignes qui lui ont été données, du fait d’avoir mal organisé le transport et éventuellement des dommages causés par la marchandise à l’engin de transport . En réalité, les fautes reprochées à cet intermédiaire sont diversement appréciées par la jurisprudence comparée et paraissent aussi nombreuses que le contenu de ses propres obligations . On peut même dire que sa condamnation au titre de son fait personnel tend à devenir automatique. Le regroupement des différents chefs de condamnation permet de relever trois grands axes de réflexion : soit la faute personnelle reprochée consiste en une violation de son devoir de conseil à l’égard du prestataire substitué ou du commettant , soit la faute réside dans le non respect des instructions du client-commettant . Parfois aussi, la faute reprochée peut consister en une initiative personnelle fautive telle la modification de la présentation de la cargaison ayant causé son avarie , voire un défaut d’initiative ou une abstention dommageable .

33- Puisqu’elle découle d’une obligation de résultat, cette première responsabilité du commissionnaire de transport s’apprécie dans les termes du droit commun et ne sera engagée que si la faute personnelle qu’il a commise est bien la cause du préjudice éprouvé par son client . Il appartient au commettant d’en faire la preuve. Le commissionnaire peut néanmoins s’exonérer en invoquant la force majeure, le fait du tiers ou la faute de la victime .

ii. Le rejet implicite de la responsabilité du fait des prestataires substitués

34- À l’opposé du simple mandataire, le commissionnaire de transport répond également, envers son client donneur d’ordre, du fait des personnes avec lesquelles il a traité pour réaliser le déplacement qu’il organise de bout en bout . On s’accorde à dire qu’il n’est pas caution car il assume simplement une responsabilité contractuelle pour fait d’autrui. Mais, celle-ci suppose que le prestataire substitué soit lui-même responsable, si bien que le commissionnaire est libéré si le transporteur qu’il choisit n’est pas tenu à réparation . Il peut donc invoquer les causes d’exonération dont bénéficie le transporteur et peut même se prévaloir des limitations de réparation que le droit accorde au transporteur. Sur la question, les dispositions de l’acte uniforme sont malheureusement imprécises et incomplètes. Si l’on considère qu’elles ont voulu faire du commissionnaire de transport un mandataire de son client, il est évident que la responsabilité du fait des prestataires substitués sera difficile à mettre en œuvre, ce qui a pour conséquence d’entraîner son rejet et d’exposer le commettant à l’autel du professionnalisme du commissionnaire de transport.

35- La responsabilité du fait d’autrui est certainement une règle sévère pour le commissionnaire de transport. Elle doit donc être interprétée strictement et conformément à son fondement. Le commissionnaire doit être déclaré responsable de ses substitués uniquement parce qu’il les a choisis lui-même. La lourde responsabilité qui pèse sur lui est la contrepartie de la liberté dont il jouit dans l’organisation du transport. Ainsi, l’obligation du commissionnaire de transport couvre tous les intervenants choisis directement ou indirectement par lui jusqu’à la livraison de la marchandise au destinataire . Lorsque le commettant a imposé le passage par un transitaire déterminé, le commissionnaire de transport n’est pas responsable des détournements commis par cet intermédiaire qu’il n’a pas choisi. Il n’est donc responsable que des intermédiaires qu’il a choisis et avec lesquels il a contracté. Il ne répond d’eux que dans la mesure où ils ne lui ont pas été imposés par son commettant, donneur d’ordre .

36- Rejeter une telle construction juridique comme semble le faire le législateur OHADA et la doctrine subséquente, en s’obstinant à faire du commissionnaire de transport un mandataire de droit commun, serait enlever au contrat de commission de transport toute son efficacité juridique et économique. En effet, la responsabilité du commissionnaire du fait des prestataires substitués présente d’indéniables avantages pour le commettant.

37- Premièrement, elle évite aux expéditeurs les difficultés de preuve liées à la localisation du dommage subi par la marchandise, notamment lorsque celle-ci est acheminée par plusieurs transporteurs et passe entre les mains de divers auxiliaires de transport. Dans cette hypothèse, souligne-t-on habituellement, l’usager qui a éprouvé un dommage en demandera réparation à son cocontractant, le commissionnaire de transport, lequel assume la responsabilité d’organiser le transport de bout en bout. A cet effet, le client n’aura pas à faire la preuve du lieu et des circonstances dans lesquelles est survenu le dommage. Le commissionnaire de transport sera tenu de l’indemniser du seul fait que la marchandise n’est pas parvenue à destination en bon état et à la date convenue . Ainsi, s’agissant d’une obligation de résultat, il est évident que le commettant n’aura même pas à prouver la faute commise par le commissionnaire de transport ou ses substitués .

38- Secondement, lorsque le contrat de commission de transport a un caractère international, comme c’est très souvent le cas, le fait que le commissionnaire soit obligé de répondre de toute la chaîne des intermédiaires substitués représente pour l’expéditeur de la marchandise un avantage procédural et économique considérable. Il pourra demander réparation à l’arrivée en assignant le commissionnaire de transport avec lequel il a traité devant un tribunal local sans être obligé d’aller plaider à l’étranger contre l’auxiliaire responsable du dommage. Cette faculté constitue pour les expéditeurs l’un des intérêts majeurs de recourir aux services d’un commissionnaire de transport. En revanche, l’absence de cette faculté constitue pour eux une des raisons suffisantes de ne point recourir aux services d’un commissionnaire, ce qui aurait un effet dévastateur pour la profession et pour l’économie des transports .