1- L’inscription de faux douanière est une procédure qui vise à contester la véracité de la pièce de la procédure douanière qui porte l’appellation de procès-verbal, lorsque celui-ci fait foi jusqu’à inscription de faux ; c’est à dire lorsqu’il a été rédigé par au moins deux agents de douane . L’inscription de faux vient ainsi « au secours des prévenus de contraventions qui prétendent avoir de justes motifs d’attaquer les faits constatés par des procès-verbaux dirigés contre eux » . L’action à laquelle elle donne lieu constitue plus exactement un moyen pour dénoncer les éléments consignés dans le procès-verbal par l’administration des douanes, comme étant erronés ou mensongers.
En ceci, l’inscription de faux constitue un outil de sécurisation des affaires. C’est l’un des rares moyens de défense offerts par le législateur douanier aux opérateurs économiques, pour les prémunir contre l’autorité supérieure des procès-verbaux de douanes et, notamment la force probante particulière qui les éloigne du régime de droit commun des actes de procédure.
2- L’évocation de l’analyse de la procédure d’inscription de faux douanière dans l’espace de l’OHADA suscite de prime abord une curiosité consubstantielle au cliché qui voudrait que le droit OHADA soit antagonique des matières expressément étrangères à son champ d’application. A fortiori lorsqu’il est constant que le droit douanier a la particularité d’être un droit spécifique et, un droit que les Etats de la CEMAC , de l’UEMOA et de la CEDEAO , les trois principales entités communautaires de l’espace de l’OHADA, ont entendu légiférer dans le cadre du droit communautaire et, notamment, des unions économiques et douanières.
Dès lors, entreprendre une telle analyse peut sembler dévoyé. Au demeurant cependant, n’est-ce pas aussi une obligation pour la communauté scientifique de l’espace OHADA d’intégrer dans son agenda, non seulement les travaux permettant d’accompagner les mutations qui s’opèrent en raison de l’immixtion du législateur de l’OHADA dans des matières n’entrant pas dans son champ , mais aussi ceux portant sur d’autres aspects du droit communautaire de cet espace pouvant constituer des entraves ou des compléments fructueux à l’objectif de sécurisation des affaires poursuivi par le droit OHADA ?
3- Une lecture des différents codes des douanes de l’espace OHADA laisse noter que d’une part, la procédure d’inscription de faux douanière est en général consacrée et, d’autre part, elle fait l’objet d’une pratique qui interpelle non seulement sur son caractère apparemment suranné, mais aussi sur l’impact des approches textuelles divergentes qui ponctuent son régime juridique dans cet espace. Ainsi par exemple, on se rend compte que, contrairement aux autres codes des douanes, un seul article du code des douanes de la République Démocratique du Congo (RDC) évoque, de manière d’ailleurs très imprécise, cette procédure . Ceci, dans un contexte où l’heure est à la modernisation des procédures douanières et à la limitation des pouvoirs exorbitants de l’administration douanière, à l’aune des travaux effectués par les organisations telles que l’OMC , l’OMD et l’OHADA, la doctrine et la jurisprudence.
4- Contrairement à la procédure pénale qui connaît de multiples formes de procès-verbaux, soumis à un formalisme particulier , le droit douanier ne prévoit que deux types de procès-verbaux répondant à des phases procédurales bien distinctes : le procès-verbal de saisie et le procès-verbal de constat. Le Code des douanes (CD) de la CEMAC, celui de l’UEMOA et notamment les codes de douanes des Etats membres de cette entité et de la CEDEAO , distinguent la force probante des procès-verbaux, non pas en raison de la nature de l’acte, mais en raison du nombre de ses signataires. Ils précisent à cet effet, par exemple à l’article 310 du CDCEMAC que : « 1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent.
2. Ils ne font foi que jusqu’à preuve contraire de l’exactitude et de la sincérité des aveux et déclarations qu’ils rapportent. » . Simplement, les procès-verbaux de douane constituent des actes authentiques .
5- Les articles 313 à 315 du CDCEMAC, 186 à 188 du CD du Burkina Faso, 214 à 216 du CD de la Côte d’ivoire, 118 à 120 du CD du Niger, 277 à 279 du CD du Mali, 235 à 237 du CD du Sénégal, 264 à 266 du CD du Benin, 239 à 240 du CD de la Guinée Bissau, 213 à 215 du CD du Togo indiquent le régime procédural de l’inscription de faux douanière. Il en résulte que le principe est celui d’attaquer en faux ces procès- verbaux par la procédure spéciale de faux incident. Le Code des douanes indique bien l’inapplicabilité en matière douanière du régime général de l’inscription de faux ; lequel régime veut que le faux puisse être soulevé à titre principal ou à titre incident et seulement à l’encontre des actes authentiques .
Ainsi, l’inscription de faux douanière ne doit être recevable que si elle est incidente à un procès à l’occasion duquel la pièce arguée de faux est produite. Cette procédure a ainsi le caractère d’un incident auquel il ne peut être donné suite par la juridiction saisie qu’autant qu’il se rattache à une instance principale et qu’il est de nature à exercer une influence sur la solution de cette instance.
6- Cette réalité est particulièrement problématique dans l’espace de l’OHADA où le contentieux douanier semble avoir perdu sa nature fondamentale de contentieux judiciaire en faveur de la prégnance pratique des règlements administratifs des litiges douaniers liés à la place de la transaction en matière de règlements des litiges douaniers.
En outre, le régime de l’inscription de faux découlant des dispositions précitées met en place un régime de délai pour agir très rigoureux. Bien plus, il comporte des variations textuelles selon les législations et suppose un contrôle approfondi exercé par le juge sur les motifs avancés par les prévenus pour établir la fausseté des constatations de l’administration des douanes.
En pratique ces caractéristiques ne favorisent pas la mise en œuvre de cette procédure. Pire, elles donnent l’impression d’une situation de plusieurs poids et mesures dans un espace où la protection des opérateurs économiques devrait être harmonisée ou uniformisé.
7- Dans un contexte où les enjeux de la modernisation de la Douane ainsi que la garantie des droits de la défense des prévenus et la sécurisation harmonisée des affaires sont plus que d’actualité, la question se pose alors de savoir si l’inscription de faux douanière dans l’espace de l’OHADA demeure un moyen de défense nécessaire. Plus précisément, n’est-ce pas une technique de défense surannée qui mériterait d’être ignorée dans les réformes douanières futures ? Autrement dit, cette procédure mérite-telle au contraire d’être revigorée ?
8- Dans un tel contexte, l’intérêt de la présente étude est indéniable. Ce d’autant plus qu’au regard des évolutions qui ont été perçues dans les droits douaniers étrangers à l’OHADA, la procédure d’inscription de faux constitue un mécanisme procédural particulier de défense des droits des opérateurs économiques prévenus à une instance. Dans une certaine mesure, cette réalité est également vraie dans l’espace OHADA. Ici, l’inscription de faux est un moyen de défense certain et relativement constant (I). Cette procédure qui a connu des fortunes diverses en raison des mutations textuelles et de la pratique contentieuse douanière de l’espace OHADA mérite cependant d’être revigorée (II).
I- L’inscription de faux douanière : un moyen de défense certain et relativement constant
9- Les mutations observées dans les dispositions régissant l’inscription de faux douanière dans les Etats parties de l’OHADA n’ont pas immolé ce moyen de défense dans cet espace. Il demeure certain dans son principe (A) et relativement constant dans ses finalités (B).
A- Un moyen de défense certain
10- Cette certitude découle de la conservation de son mécanisme particulier (1) et de son champ d’application qui demeure relativement précis (2) dans la quasi-totalité des Etats membres de l’OHADA.
1- Le mécanisme particulier de l’inscription de faux douanière : le faux incident
11- L’inscription de faux contre les procès-verbaux de douanes faisant foi jusqu’à inscription de faux est une procédure qui procède du faux incident devant le tribunal qui est saisi d’une affaire de douane fondée sur les constatations matérielles du procès-verbal. Il s’agit d’une procédure qui impose au juge de vérifier si le procès-verbal argué de faux est utile ou inutile au jugement dès lors que le défendeur à l’incident entend s’en prévaloir.
Cette procédure équivaut à une production incidente d’observations écrites en démonstration du faux contesté. Elle a le caractère d’un incident auquel il ne peut être donné suite par la juridiction saisie qu’autant qu’elle se rattache à une instance principale et qu’elle est de nature à exercer une influence sur la solution de cette instance. L’hypothèse est celle où le prévenu a été sommé de comparaitre devant le tribunal qui doit connaitre de l’infraction relevée dans le procès-verbal.
12- Ce caractère impose une distinction entre l’inscription de faux incident, qui seule est admise en matière douanière contre les procès-verbaux de douane faisant foi jusqu’à inscription de faux, et la poursuite en faux principal . L’objet de l’inscription de faux ouverte contre les procès-verbaux de douane est de permettre aux personnes qui, sur le fondement de procès-verbaux, sont devenus des « prévenus » à un procès, d’attaquer les faits constatés par les procès-verbaux dirigés contre eux .
Sa démarche telle qu’indiquée par les différents Codes des douanes est la suivante :
– Celui qui veut s’inscrire en faux contre un procès-verbal doit en faire déclaration par écrit ;
– Cette déclaration doit être faite au plus tard à l’audience indiquée par la sommation de comparaitre devant le tribunal qui doit connaitre de l’infraction ;
– Le déclarant doit, dans un très bref délai, faire au greffe dudit tribunal le dépôt des moyens de faux et des noms et qualités des témoins qu’il veut faire entendre ;
– Cette déclaration doit être reçue et signée par le juge et le greffier dans le cas où le déclarant ne sait ni écrire ni signer.
13- La déclaration d’inscription de faux doit être faite en personne ou par un fondé des pouvoirs spécial passé devant notaire. Cette exigence pourrait avoir pour conséquence que même les avocats investi du traditionnel monopole de la représentation des parties à l’instance devraient veiller à ne faire cette déclaration qu’en vertu d’un pourvoir spécial passé devant notaire.
En outre, la déclaration d’inscription de faux doit être accompagnée, dans le délai imparti des moyens de faux ainsi que des pièces visées, que le déclarant invoque pour établir le faux. Ainsi, s’il s’agit d’un faux matériel, le déclarant doit indiquer en quoi il consiste : raturage, surcharge, etc., et s’il s’agit d’un faux intellectuel, il se doit d’indiquer expressément les faits tendant à établir la fausseté des énonciations contenues dans le procès-verbal litigieux.
14- Par ailleurs, l’inscription de faux est un moyen de défense qui doit être utilisé ou présenté in limine litis, avant toute défense au fond . Lorsqu’une inscription de faux est régulièrement introduite contre un procès-verbal douanier constatant l’infraction, matérialisant la fraude, l’autorité compétente doit faire en sorte qu’il soit statué sans délai sur l’inscription de faux.
En droit douanier français, ont été admis à ce titre par exemple comme moyen de preuve l’alibi disculpant entièrement le prévenu , la preuve qu’une voiture était sur la route légale et non sur un chemin détourné du bureau . Cette jurisprudence justifierait que le prévenu auquel il est reproché, sur procès-verbal, d’avoir effectué le transit Ex8 sans respecter la route à utiliser dans le cadre du système de GPS tel qu’exigé au Cameroun par l’Instruction ministérielle n° 170/MINFI/DGD du 19 mars 2009 instituant un dispositif douanier de suivi par GPS des marchandises sous douane en circulation puisse se disculper en s’inscrivant en faux pour rapporter la preuve qu’il a bel et bien respecté la route légale. La juridiction saisie de l’infraction peut alors surseoir à statuer jusqu’au jugement de l’inscription de faux.
15- Sur un autre plan, cette action judiciaire douanière spéciale qu’est l’inscription de faux est particularisée par son champ d’application.
2- Le champ d’application de l’inscription de faux douanière
16- En matière d’inscription de faux, c’est le procès-verbal lui-même qui doit être attaqué si le justiciable entend contredire les éléments qu’il contient. Cette règle tire son fondement non seulement de la force probante attachée au procès-verbal de douane établi par au moins deux agents de douane, mais aussi dans le fait que « le procès-verbal doit suffire pour asseoir un jugement » en raison du fait que les infractions douanières n’ont souvent aucun témoin et ne laissent aucune trace . Au regard des textes en vigueur, seules les « constatations matérielles » (1) que relatent les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents assermentés (2) font foi jusqu’à inscription de faux.
a- Seules les constatations matérielles font l’objet de l’inscription de faux
17. Pour préciser ce à quoi cette affirmation renvoie, les professeurs Claude J. BERR et Henri TREMEAU dans leurs ouvrages sur le droit douanier formulent le problème en ces termes : « Que faut-il entendre par constatation matérielle ? La force probante s’attache-t-elle à la rédaction elle-même ou à la constatation effectuée par les agents rédacteurs ? »
En guise de réponse ces éminents auteurs précisent qu’ « il est généralement admis que les constatations matérielles auxquelles est reconnue un effet probatoire privilégié sont celles qui tombent sous le sens des observateurs, telles que le lieu où l’infraction a été constatée, la nature des marchandises, les circonstances dans lesquelles l’arrestation a été opérée , la reconnaissance d’un fuyard . En revanche, dès lors que les agents ont été conduits à faire œuvre de déduction intellectuelle ou lorsqu’ils se sont contentés de faire état de leurs impressions personnelles, les solutions de la jurisprudence varient suivant les circonstances et les décisions manquent parfois de cohérence. Ainsi, a –t-il été jugé que la mention de l’heure légale supposait un effort d’abstraction dépassant le cadre de la simple constatation , que l’identité des fraudeurs ne peut résulter d’une simple constatation par les sens , que la mention dans un procès-verbal relatant saisie effectuée à proximité de la côte, que l’état de la mer au large était propre à la navigation, n’est que l’expression d’une opinion et n’empêche pas que le prévenu soit admis à prouver par témoins que la grosse mer avait contraint son navire à se rapprocher de la côte . De même, sont exclues du champ des simples constatations matérielles celles qui supposent une compétence scientifique ou technique dont est normalement dénué un profane ».
Il en résulte pour l’essentiel que par constatations matérielles, il faut entendre notamment le lieu où l’infraction a été constatée, la nature des marchandises, les circonstances dans lesquelles une arrestation a été opérée…
b- Seules les constatations faites personnellement par au moins deux agents de douane font l’objet de l’inscription de faux
18- Le législateur est assez constant quant à ce critère portant sur le nombre de personnes assermentées requis pour que le procès-verbal puisse faire l’objet d’une procédure d’inscription de faux. Seules les constatations faites personnellement par au moins deux agents assermentés de douane ou, dans un certain nombre de pays , d’autres administrations, peuvent faire l’objet d’une inscription de faux douanière. C’est que la force probante particulière qu’il s’agit de paralyser par cette procédure particulière n’est reconnue qu’aux constatations que deux agents assermentés ont pu faire personnellement, et non à la relation de fait rapportée par les tiers.
C’est dire qu’il faut que deux critères cumulatifs soient réunis : d’une part, les constatations consignées doivent être effectuées par deux agents assermentés et, d’autre part, ces constatations matérielles doivent être effectuées simultanément par l’un et l’autre agent.
19- Il convient de relever que le législateur ne fait pas en général de précision ou de discrimination quant au grade de l’agent de douane et des autres agents. Mais, dans tous les cas, il devrait s’agir de personnes effectivement habilitées et pouvant donner un caractère d’acte authentique au procès-verbal de douane.
Ne peuvent en conséquence pas faire l’objet de la procédure d’inscription de faux douanière : les procès verbaux dressés par un seul agent des douanes ou par plusieurs agents non assermentés, ainsi que ceux dont les constatations matérielles ne sont pas effectuées simultanément par l’un et l’autre agent assermenté.
B- Un moyen de défense relativement constant
20- Le régime juridique de l’inscription de faux douanière a subi des variations dans plusieurs législations de l’OHADA (1). L’analyse de ces variations révèle qu’en dépit des modifications qu’elles entraînent, l’inscription de faux conserve sa quintessence en raison de leur faible impact (2).
1- Les variations législatives intervenues
21- Elles s’observent à travers les différents Codes douaniers et tiennent soit de l’augmentation du délai de la production des moyens de faux par le prévenu, soit de la suppression ou la non reprise des certaines dispositions classiques, soit d’un souci de clarification.
a- L’augmentation du délai de la production des moyens de faux par le prévenu
22- Contrairement à l’UEMOA dont le Code communautaire des douanes a préféré renvoyer aux législations nationales pour ce qui est de la procédure de l’inscription de faux , le Code des douanes de la CEMAC organise lui-même ce régime. Ses dispositions y relatives sont apparemment semblables à celles des Etats de l’UEMOA et de la CEDEAO. Mais une lecture comparée de ces différents textes révèle les variations textuelles suivantes, dont les conséquences sont plus ou moins importantes sur les principes et les enjeux de l’inscription de faux.
L’article 313 du CD CEMAC fixe le délai de production des moyens de faux à trois jours à compter de la déclaration d’inscription de faux. Ainsi, celui qui entend s’inscrire en faux dans la CEMAC a, sous peine de déchéance de cette procédure, trois jours pour déposer ses moyens de faux ainsi que les informations et pièces requises au greffe du tribunal concerné. Au Burkina Faso, ce délai est de huit jours. En côte d’ivoire, il est de cinq jours. Au Mali, il est de dix jours . Au Sénégal, il est de cinq jours . En Guinée Bissau, il est de dix jours . Au Togo, il est de huit jours . Au Benin, il est de trois jours et au Niger, il est huit jours .
Il en résulte qu’en dehors du législateur Béninois, tous les autres législateurs ont opté pour un délai plus long que celui adopté dans la CEMAC en 2001.
2- La suppression ou la non reprise des certaines dispositions classiques
23- Une lecture des codes de douanes précités révèle également des variations des dispositions régissant l’inscription de faux, tenant à la suppression ou la non reprise de certaines dispositions. Les premières portent sur certains termes utilisés alors que les secondes correspondent à des suppressions ou non reprises des dispositions entières.
a- La variation des termes
24- Les différents législateurs ont opté pour tels ou tels termes dans la formulation du régime de l’inscription de faux. Nous nous limiterons ici aux variations qui peuvent avoir des implications fortes. Sont donc ignorées celles qui ne tiennent qu’au vocabulaire, à l’instar de l’utilisation des expressions « le déclarant ne sait ni écrire ni signer » et « le déclarant ne sait écrire ni signer » qui, en fin de compte, renvoient à la même chose.
25- Il en est en revanche ainsi de l’expression «, le Procureur de la République fait les diligences convenables pour y statuer sans délai » utilisé à l’article 314 du CD CEMAC pour obliger les autorités judiciaires compétentes à statuer sans délai pour ce qui est de l’inscription de faux contre un procès-verbal constatant la fraude. En effet, dans d’autres législations telle que le CD du Sénégal, c’est l’expression : « …, le juge fait les diligences y relatives pour y statuer sans délai » qui est consacrée .
26- D’autres variations sont plus larges encore. C’est le cas par exemple des articles 236 du Code des douanes Sénégalais qui comporte plusieurs expressions distinctes de celles de l’article 314 du CD CEMAC. Tandis que l’article 314 énonce que : «1. Dans le cas d’une inscription de faux contre un procès-verbal constatant la fraude, si l’inscription est faite dans le délai et suivant la forme prescrite par l’article précédent et en supposant que les moyens de faux, s’ils étaient prouvés, détruisent l’existence de la fraude à l’égard de l’inscrivant, le Procureur de la République fait les diligences convenables pour y faire statuer sans délai.
2. Il pourra être sursis au Jugement de l’infraction jusqu’après le jugement de l’inscription de faux; dans ce cas, le tribunal saisi de l’infraction ordonne provisoirement la vente des marchandises sujettes à dépérissement et des animaux qui auront servi au transport.», l’article 236 énonce : « 1. Dans le cas d’une inscription de faux contre un procès-verbal constatant la fraude, si l’inscription est faite dans le délai et suivant la forme prescrite par l’article précédent, il est statué sur le faux dans les formes du droit commun.
2. La juridiction saisie de l’affaire de douane décide, après avoir recueilli les observations du ministère public et des parties, s’il y a lieu ou non de surseoir jusqu’à ce qu’il ait été prononcé sur le faux par la juridiction compétente.
S’il décide qu’il y a lieu de surseoir, le tribunal ordonne provisoirement la vente des marchandises sujettes à dépérissement et des animaux qui ont servi au transport. ».
Ces variations peuvent avoir des implications différentes, par exemple suivant l’organisation judiciaire des pays concernés.
b- Les suppressions ou non reprises de certaines dispositions
27- La principale catégorie porte sur l’utilisation de l’expression « ou de toute autre administration » à l’article qui indique que les procès-verbaux rédigés par deux personnes compétentes font foi jusqu’à inscription de faux.
Chaque législateur y va suivant qu’il entend ou non assurer une cohérence ou une certaine clarté par rapport aux autres dispositions du code des douanes. C’est ainsi que tandis que le CD CEMAC énonce à l’article 310 simplement que : « 1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent. », l’article 183 du CD du Burkina Faso énonce que : « 1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou de toute autre administration font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent » et, l’article 274 du CD du Mali que : « 1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des Douanes ou par deux agents de toute autre administration habilitée font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent » . De même l’article 211 du CD de la Côte d’ivoire énonce que : « 1° Les procès – verbaux de douane rédigés par deux agents assermentés des douanes ou de toute autre administration, font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent ».
Il en résulte que bien que tous ces codes de douanes consacrent le concours que peuvent apporter les autres administrations dans la constatation des infractions douanières par les procès-verbaux, chacun le met en relief plus ou moins impérativement suivant la place qu’il entend donner à ce concours. Ainsi, dans la mesure où préalablement, et contrairement à la plupart des autres législateurs, il a pris la peine, à l’article 220, de préciser les administrations ainsi investies, le Code des douanes Sénégalais insiste particulièrement sur la soumission des procès- verbaux des autres administrations à cette procédure. Sa formule énoncée à l’article 232 est la suivante : «1. Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des Douanes et les procès-verbaux constatant des infractions douanières rédigées par deux agents assermentés parmi ceux visés à l’article 220 du présent Code font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent ».
c- Le caractère imprécis et incomplet de la consécration congolaise
28- Comme indiqué ci-dessus, contrairement aux autres législations de l’espace de l’OHADA, une seule disposition du Code des douanes de la RDC fonde le principe ou la possibilité de la procédure d’inscription de faux douanière contre les procès-verbaux de douane : l’article 361 de l’Ordonnance-Loi n° 10/002 du 20 août 2010 portant Code des douanes de la RDC.
29- Cependant, bien que rappelant en partie le premier alinéa de l’article 310 du CD CEMAC, qui énonce : « Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent », l’article 361du CD RDC est extrêmement sommaire. De même, il ne fait pas, contrairement aux dispositions des autres codes qui posent le principe de cette procédure, de distinction entre les procès-verbaux qui font foi jusqu’à inscription de faux et les procès- verbaux qui font foi jusqu’à preuve du contraire. Il énonce en effet simplement que : « 1. Les procès-verbaux d’infraction en matière douanière font foi jusqu’à ce que fausseté en soit prouvée, en tant qu’ils relatent des opérations ou des constatations faites par les verbalisateurs.
2. Ils valent titre pour prendre toutes mesures conservatoires utiles à l’encontre des personnes pénalement ou civilement responsables, à l’effet de garantir les créances douanières de toute nature résultant desdits procès-verbaux. ».
30- Il en résulte à la fois une certitude et une incertitude.
L’incertitude est celle de l’existence pratique de la procédure d’inscription de faux en RDC. En effet, d’une part, la procédure et les modalités de l’inscription de faux douanière ne sont pas prévues par le Code des douanes, ni par un autre texte à notre connaissance. Ceci est de nature à poser un problème sérieux dans la mesure où on sait qu’assez classiquement l’inscription de faux douanière est une procédure très formaliste qui impose à celui qui en prend l’initiative des délais très brefs et oblige le juge à prendre des mesures adéquates et diligentes.
D’autre part, dans la mesure où on sait que la procédure d’inscription de faux de droit commun est une procédure qualifiée de chicanière, la question se pose de savoir si un opérateur économique, qui a ainsi le choix entre deux moyens de défense (la preuve contraire et l’inscription de faux), pourrait choisir le moyen de défense le plus difficile. La réponse sensée étant bien évidement négative, ceci ne pourrait que porter un sérieux coup à l’existence de l’inscription de faux en droit douanier congolais.
31- La certitude quant à elle est celle de la possibilité, sur la base de cette disposition, d’exercer une procédure d’inscription de faux autant qu’une procédure permettant la simple preuve contraire des constatations des procès-verbaux. En pratique en effet, l’utilité de la procédure du faux incident pourrait s’affirmer au regard de la force probante attachée aux procès-verbaux d’infraction douanières par l’alinéa 2 de l’article 361 du CD RDC.
2- Le faible impact des variations législatives : la survivance de la procédure d’inscription de faux douanière
32- Une lecture de l’impact des variations législatives ci-dessus présentées impose de constater qu’en général, il s’agit de variations qui n’altèrent ni l’essence, ni le but, ni la procédure d’inscription de faux au point de l’en priver de sa spécificité et de son originalité. Il s’agit pour l’essentiel de variations mineures qui sont rassérénées par une certaine résistance de cette procédure. Cette dernière survit et est relativement constante.
Qui plus est, la majorité des variations semble motivée soit par le souci de clarification, soit par celui d’adapter l’inscription de faux aux règles de l’organisation judiciaire en vigueur dans l’Etat concerné, soit par le souci de donner plus de temps au prévenu afin qu’il s’inscrive en faux.
A titre d’exemple, pour ce qui est de l’allongement du délai de production des moyens de faux, en considérant le but essentiel de l’enfermement de la procédure d’inscription de faux douanière dans des délais brefs, à savoir, garantir les agents de douane contre des actions téméraires , on se demande en quoi un délai plus long d’une semaine, pour les plus long délais consacrés, pervertit-il fondamentalement le régime de l’inscription de faux ? Un tel allongement de ce délai, bien qu’étant plus respectueux des droits des prévenus, change-t-il grand-chose au régime de l’inscription de faux douanière dans l’espace OHADA ? Le faible impact de ces allongements de délais sur la nature de cette procédure est de nature à assurer la survivance de cette procédure.
II- L’inscription de faux : une procédure à revigorer
33- La procédure d’inscription de faux douanière est éprouvée par la pratique contentieuse douanière en vigueur dans les Etats de l’OHADA (A). Pourtant, l’idée de la revigorer, loin de simplement séduire, semble s’imposer et appeler certaines évolutions (B).
A- Une procédure éprouvée par la pratique contentieuse douanière des Etats de l’OHADA
34- La pratique contentieuse douanière des Etats parties de l’OHADA n’est pas très riche en matière d’utilisation de la procédure d’inscription de faux. Cette carence ne saurait avoir pour seule explication l’évitement de cette procédure par les opérateurs économiques en raison de sa relative complexité. L’autre explication, d’ailleurs plus probante et inhérente à la spécificité du faux incident qu’incarne cette procédure, réside dans le fait que le juge judiciaire ne soit pas en pratique très saisi des contentieux douaniers. Or, il est impossible d’utiliser la procédure d’inscription de faux douanière en dehors de son champ d’application. Plus concrètement, deux principales pratiques concourent à reléguer l’inscription de faux au second plan : la prégnance de la procédure administrative de règlement des litiges douaniers (1) et le recours plus aisé à la solution de la nullité du procès-verbal de douane (2).
1- La prégnance de la procédure administrative de règlement des litiges douaniers
35- Assez classiquement, en matière de douane, comme des droits indirects, il est de principe que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont compétents. Cette règle qui remonte aux premiers temps de la Constituante en France a été clairement posée par la législation douanière , de sorte que, sauf à préciser exactement les limites de leur incompétence, les tribunaux administratifs sont radicalement incompétents en matière de litiges douaniers, à moins que ce soit exceptionnellement, en application des principes généraux du droit public.
36- Cependant, soucieuse d’utiliser de manière optimale les instruments non juridictionnels de résolution des litiges douaniers à l’instar de la transaction, la Douane œuvre de plus en plus pour une gestion administrative des litiges douaniers. C’est ainsi qu’en plus de la généralisation de la pratique des appels à « clôturer administrativement » les litiges douaniers, elle n’hésite pas de faire adopter par le législateur des règles de procédure qui confirment de manière obligatoire l’administration au centre de certaines procédures contentieuses douanières. Ce qui a pour effet, entre autre, de créer confusion tant au niveau des agents de douanes que des opérateurs économiques et autres acteurs du droit et du contentieux douanier, quant à la prégnance ou non de cette tendance en matière de litige portant sur les procès-verbaux faisant foi jusqu’à inscription de faux.
37- Cette réalité mérite une certaine attention, ne serait-ce qu’en raison de l’inexistence d’un mécanisme de recensement et de diffusion des solutions appliquées par la Douane aux litiges douaniers clôturés administrativement par elle. Mais, cette attention ne doit pas aller au-delà de la réalité. Elle doit se limiter à cette tendance à la dénaturation de la procédure contentieuse douanière, sans lui accorder plus d’importance qu’elle n’en a réellement. En effet, les reformes intervenues n’ayant pas touché aux fondamentaux de la procédure d’inscription de faux, la survivance du caractère essentiellement judiciaire de cette procédure mérite d’être rappelée.
2- Le recours plus aisé à la solution de la nullité du procès-verbal de douane
38- La constatation des infractions douanières donne lieu à un important contentieux portant sur la validité du procès-verbal de douane. Dans cette hypothèse où le différend porte plutôt sur la validité du procès-verbal, il est prévu une procédure spéciale de contestation : le recours en annulation prévu entre autre par l’article 312 du CD CEMAC.
Ce texte a le mérite de préciser la compétence des tribunaux en la matière en énonçant que : « les tribunaux ne peuvent admettre contre les procès- verbaux de douane d’autres nullités que celles résultant de l’omission des formalités prescrites par les articles 299 § 1, 300 à 306 et 308 ci-dessus » . En pratique, il s’agit pour l’intéressé d’exercer une simple action en nullité contre le procès- verbal qui lui fait grief devant le tribunal judiciaire compétent.
Cette procédure, à l’évidence simplifiée, est de nature à être préférée à la procédure plus élaborée de l’inscription de faux .
B- Les évolutions nécessaires
39- De ce qui précède, il résulte que le régime juridique de la procédure d’inscription de faux douanière nécessite clarification (1) et harmonisation (2) dans l’espace OHADA.
1- La clarification de la disposition qui indique la nature des procès-verbaux susceptibles de faire l’objet d’une inscription de faux douanière
40- Le besoin de clarification s’impose beaucoup plus relativement à la disposition qui pose le principe de l’inscription de faux. En effet au regard de ce qui précède, il convient de mettre fin aux variations législatives portant sur la nature des procès-verbaux qui tombent sous le coup de l’inscription de faux douanière.
Au lieu d’assister à cette divergence, il importe de clarifier dans chaque législation la question de savoir si la procédure d’inscription de faux est possible ou non contre les procès-verbaux des agents d’autres administrations que la Douane. En effet, il n’est pas compréhensible que pendant que dans la CEMAC, allusion n’est pas directement et expressément faite à la possibilité de s’inscrire en faux contre les procès-verbaux rédigés par les agents d’autres administrations, les autres législateurs le font explicitement. Pour mémoire, les autres Code des douanes, à l’instar du Code Sénégalais, vont jusqu’à préciser nommément de quelles administrations s’agit-il.
41- Plus profondément, cette situation pose le problème fondamental de savoir si les agents assermentés d’autres administrations devraient rédiger des procès-verbaux de douane faisant foi jusqu’à inscription du faux. Cette question se pose d’autant plus que des textes tels que le Code des douanes Sénégalais ou le code des douanes de la Guinée Bissau font une relative distinction entre les procès-verbaux de douane et les procès-verbaux constatant des infractions douanières rédigés par deux agents assermentés parmi ceux visés par le code des douanes. Il en est également du code des douanes du Niger qui énonce quant à lui à l’article 115 que : « 1. – Les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes ou par deux agents de toute autre administration ayant qualité pour verbaliser en d’autres matières, font foi jusqu’à inscription de faux des constatations matérielles qu’ils relatent».
42- Dans ce contexte, une harmonisation de cette question dans les législations douanières des Etats parties de l’OHADA est souhaitable. Une telle opération devrait contribuer à la sécurisation des affaires dans cet espace. Dans cette optique, le législateur devrait opter clairement pour une formule telle que celle du code des douanes sénégalais précité .
2- L’harmonisation des délais de production du moyen de faux
43- Comme relevé plus haut, l’existence de délais de production des moyens de faux variables d’un législateur à un autre n’est pas compréhensible pour une procédure qui est fondamentalement la même dans tous ces pays à l’exception de la RDC. Une harmonisation de ces délais pourrait contribuer à l’objectif de réduction des disparités textuelles cher à l’OHADA.
44- Dans cette logique, ce délai devrait être revu à la hausse. L’adoption du délai de huit jours choisi par certaines législations est indiquée. D’une part, il est plus propice à la production des moyens de faux que celui de trois ou cinq jours, et d’autre part, il n’est pas de nature à annihiler l’objet recherché par la technique des brefs délais, à savoir garantir les agents de douanes contre les actions téméraires.
3- La consécration explicite de la procédure d’inscription de faux douanière dans tous les Etats de l’OHADA
45- Au regard de son utilité et son importance, d’une part, et de la place que son existence a dans la distinction opérée en matière douanière entre les procès- verbaux de douane faisant foi jusqu’à inscription de faux et ceux faisant foi jusqu’à preuve du contraire, la procédure d’inscription de faux conserve toute son importance en matière de contentieux douanier.
Aussi, est-il indiqué de plaider pour son extension explicite dans les Etats de l’OHADA où elle n’est pas explicitement consacrée.
Cette opération qui devrait s’effectuer dans le cadre des textes actuels, est également possible dans le cadre d’une opération d’extension du champ d’intervention du Code des douanes de l’UEMOA ; lequel devrait, à l’image du Code des douanes de la CEMAC être plus global.
Ces solutions permettraient une certaine harmonisation de l’inscription de faux dans les Etats de l’OHADA. La République Fédérale Islamique des COMORES, qui n’est membre ni de la CEMAC, ni de l’UEMOA ne resterait pas pour autant sur la touche, car le régime l’inscription de faux que son code des douanes prévoit aux articles 220 et suivants est quasi-identique à celui de la CEMAC.
La solution ne pourrait-elle pas être plus audacieuse encore, à travers une harmonisation des dispositions douanières de tous les Etats de l’OHADA sans effet de création d’une union douanière entre les Etats parties ? Les avantages d’une telle initiative pourraient être bien nombreux./.