Résumé
Le développement des tendances régionalistes dans la société internationale, fait majeur des temps présents, constitue l’un des facteurs explicatifs de la multiplication des juridictions communautaires. En droit OHADA, on ne déroge pas à ce schéma. Une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage est érigée comme une juridiction supranationale en matière d’application et d’interprétation du droit OHADA à côté des juridictions nationales préexistantes. En effet, pour assurer l’unification du droit communautaire OHADA, le législateur a préféré doter la CCJA du mécanisme du recours en cassation contrairement au recours préjudiciel choisi en droit communautaire UEMOA et CEMAC. Ce choix du recours en cassation comme moyen d’unification, participe non seulement à l’efficacité, l’effectivité et l’efficience de l’objectif d’harmonisation du droit des affaires en Afrique, mais aussi il fait la lumière sur la place importante qu’occupe le recours en cassation qualifié de « méthode forte » d’harmonisation par M. Patrice LEVOA. Le choix du recours en cassation comme méthode d’harmonisation du droit OHADA, laisse entrevoit un bel avenir de ce mécanisme après deux décennies d’application du traité OHADA.
Malgré les atouts qu’il présente, le recours en cassation suscite quelques difficultés. La critique adressée à la technique de recours en cassation porte non pas sur le recours lui-même strictement, mais sur son aménagement notamment sur le pouvoir d’évocation de la CCJA.
I-LE RECOURS EN CASSATION MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT COMMUNAUTAIRE OHADA
A- LA PRIMAUTE DU RECOURS EN CASSATION, COMME MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT OHADA
B- LA SUBSIDIARITE DE L’EVOCATION COMME MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT OHADA
II-L’EFFICACITE DU RECOURS EN CASSATION EN DROIT COMMUNAUTAIRE OHADA
A- LES BIENFAITS DU MECANISME DU RECOURS EN CASSATION
B- LE BEL AVENIR DU MECANISME DU RECOURS EN CASSATION
La politique globale d’une organisation est concrètement mise en place par un dispositif. Ce dispositif, est un ensemble cohérent d’actions et d’outils permettant à l’organisation d’atteindre les objectifs à lui assignés. Avant tout, si la politique d’une organisation est représentée par des concepts et des idées organisés et planifiés, le dispositif quant à lui se résume en action afin de parvenir aux objectifs. Sa mise en œuvre est rendue possible grâce à un certain nombre d’outils et de supports. Le législateur OHADA a compris cela dans son objectif d’unification du droit des affaires en Afrique . En effet, l’unification du droit ne peut être effective , efficace et efficiente , si l’on ne confie pas cette tâche à un juge « unique ». On dit souvent qu’un « droit uniforme appelle une jurisprudence uniforme » . La mise en œuvre du droit exige le respect de certaines exigences consistant à adapter la démarche d’ensemble d’une organisation à la taille des objectifs poursuivis. L’entreprise confiée à une organisation doit être mieux cernée pour être à même d’accompagner et de faciliter sa mise en œuvre . Quels que soient leurs objectifs et leur but, les exigences d’une organisation doivent être encadrées et moulées dans la loi .
L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires a opté pour une technique d’unification du droit des affaires par la création d’une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage à l’instar des organisations communautaires comme l’UEMOA ou la CEMAC. Il convient de noter que même si ces organisations ont toutes choisi la création d’une juridiction pour atteindre les objectifs de l’unification, il reste cependant à noter que les techniques sont différentes dans leur mise en œuvre.
En droit OHADA, pour assurer l’unification du droit, le législateur a préféré le recours en cassation contrairement au recours préjudiciel choisi en droit communautaire UEMOA et CEMAC . Ce choix du recours en cassation comme moyen d’unification, suscite la réflexion sur la place du recours en cassation en droit communautaire OHADA. La question l’on peut se poser est relative à la nécessité du choix recours en cassation comme moyen d’unification dans un ordre juridique qui se veut communautaire comme celui de l’OHADA et qui produit ses propres normes . Dans cette réflexion nous évoquerons successivement deux questions. La première est celle du recours en cassation comme moyen d’unification en droit communautaire OHADA (I) et dont nous tenterons d’expliciter son caractère utilitaire dans le dispositif d’organisation de la cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA. La seconde question est celle de l’efficacité du recours en cassation (II), dont nous tenterons de mettre en lumière la diversité des significations, les bienfaits qu’il procure ainsi que son avenir dans le cadre de l’unification du droit communautaire OHADA.
I-LE RECOURS EN CASSATION MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT OHADA
La doctrine a fustigé le choix du recours en cassation qu’elle a qualifié d’une grande première en droit communautaire . Il y a au sein de l’OHADA un vif débat sur l’efficacité du recours en cassation comme technique d’unification de la jurisprudence OHADA.
Pour certains, il faut remplacer le recours en cassation par le recours préjudiciel. Dans les développements suivants, nous analyserons la pertinence d’une telle idée en étudiant la place du recours en cassation en droit communautaire OHADA. Nous adopterons une analyse qui va consister à comparer le recours en cassation au recours préjudiciel. Dans cette étude, l’approche plurale permet déjà de réfléchir à des solutions en vue d’améliorer l’efficacité du mécanisme du recours en cassation en droit OHADA. Il s’agit d’un instrument d’évaluation et de la politique législative au service de l’intégration normative. Plusieurs illustrations permettront d’en mesurer la portée selon qu’il est question d’apprécier la pertinence du choix du mécanisme du recours en cassation ou son effectivité.
Pour parvenir à l’unification du droit recherchée, le législateur OHADA a placé la CCJA au-dessus des juridictions nationales . Dans la réalité, il s’agit de doter d’une part la juridiction OHADA de la technique de recours en cassation qui est une méthode forte et d’autre part de l’évocation.
A- LA PRIMAUTE DU RECOURS EN CASSATION, COMME MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT OHADA
Notre objectif, ici, est de montrer que par le choix du recours en cassation, le législateur a atteint l’efficacité de l’objectif de l’unification. Ce choix du recours en cassation a engendré la substitution de la CCJA aux cours suprêmes nationales qui permet une sorte d’abandon de souveraineté .
Avec l’avènement de l’OHADA, les Etats membres ont limité leur souveraineté en matière judiciaire. Cette limitation de la souveraineté n’est pas du goût d’une partie de la doctrine et d’une certaine franche des juridictions nationales de cassation.
La souveraineté telle que définie par Monsieur DUTHEIL DE LA ROCHERE est « le pouvoir qu’a l’Etat de décider en dernier ressort et d’imposer sa décision. » . Lorsqu’on dit qu’un Etat est souverain, « il faut entendre par là que dans la sphère où son autorité est appelée à s’exercer, il détient une puissance qui ne relève d’aucun autre pouvoir et qui ne peut être égalée par aucun autre pouvoir » . De même que les pouvoirs législatif et exécutif, le pouvoir judiciaire aussi est un attribut de la souveraineté d’un Etat. Dans l’espace OHADA comme dans l’espace UEMOA ou CEMAC, la fonction juridictionnelle est confiée à une instance dotée du pouvoir de juger . Au Sénégal, l’article 92 de la constitution prévoit que le pouvoir judicaire est exercé par le conseil constitutionnel, le conseil d’Etat, la cour de cassation, la cour des comptes et les tribunaux.
Le Gabon a adopté une même ligne directive dans sa constitution qui dispose que « la justice est rendue au nom du peuple gabonais par la cour constitutionnelle, la cour judiciaire, la cour administrative, la cour des comptes, les cours d’appel, les tribunaux, la haute cour de justice et les autres juridictions d’exception » . On peut aussi citer la constitution du Mali et celle du Bénin qui prévoient respectivement dans leurs esprits que la justice est rendue par les cours et tribunaux nationaux au nom de la souveraineté .
Pour éviter les interprétations divergentes, diversifiées et nombreuses d’une même règle de droit dans un même Etat, les juridictions nationales sont structurées et organisées hiérarchiquement. On a d’un côté les juridictions inférieures qui sont juges de fait et de droit et de l’autre côté la cour de cassation représentant la juridiction suprême. Celle-ci a pour mission d’unifier l’application de la règle de droit appliquée par les juridictions hiérarchiquement inférieures.
Le vent de l’OHADA avec sa cohorte d’exigences est venu porter un coup à ce schéma préexistant dans l’ensemble des Etats Parties du traité OHADA avec l’avènement du droit harmonisé . Désormais, les juridictions nationales de fond, lorsqu’elles appliquent le droit issu de l’OHADA ne sont plus placées sous la subordination hiérarchique des cours de cassation nationales. Celles-ci ont comme « témoin d’autorité » la CCJA qui fait office de juridiction suprême en matière de contrôle de l’application du droit OHADA.
On peut lire dans les lignes de la constitution de plusieurs Etats Parties du traité l’idée d’unité de l’ordre judiciaire. Ainsi dans la constitution gabonaise « la cour judiciaire est la plus haute juridiction en matière civile, commerciale, sociale et pénale. ». Au Tchad, la constitution prévoit que : « il est institué un seul ordre de juridiction dont la cour suprême est l’instance suprême ». Au Cameroun, la constitution prévoit en son article 38 que « la cour suprême est la plus haute juridiction de l’Etat en matière judiciaire… ».
Il n’est pas nécessaire d’être juge de l’application des actes uniformes pour constater que les juridictions nationales de cassation ont été évincées de leurs attributions en matière du droit des affaires ; ce au mépris des dispositions constitutionnelles des Etats de l’OHADA qui instituaient une juridiction suprême nationale en matière judiciaire.
Les Etats de l’OHADA doivent pour être conformes aux dispositions du traité, opérer des réformes qui mentionnent l’exception à « l’unité judiciaire » en matière des actes uniformes . Dans les pays de l’OHADA, la fonction juridictionnelle de l’Etat est désormais attribuée à une juridiction qualifiée par certains auteurs de « juridiction nationale off-shore » basée à Abidjan en Côte d’Ivoire. La limitation de souveraineté est matérialisée entre autres par l’éviction des juridictions suprêmes de cassation par la CCJA .
Pour une partie de la doctrine, la CCJA ne limite pas la compétence des juridictions nationales de cassation dans les litiges relatifs à l’application et à l’interprétation des actes uniformes. La CCJA est supérieure aux juridictions nationales de cassation. Du coup, des voix autorisées exagèrent un peu la dimension de la limitation de souveraineté en droit OHADA. Pour celles-ci, la limitation de souveraineté est d’autant plus grande qu’elles préfèrent l’expression d’abandon de la souveraineté qui selon elles, témoigne de la supériorité de la CCJA sur les juridictions nationales de cassation. Ces auteurs diffusent l’idée d’abandon total de la souveraineté des Etats en matière judiciaire.
Pourtant, nous pensons que si cet abandon est admis, il devait entraîner une conséquence telle que les décisions des cours suprêmes nationales soient déférées à la censure de la CCJA. Or cela n’est pas le cas dans la réalité. Au surplus, le législateur OHADA n’a prévu nulle part la possibilité de déférer la décision des cours suprêmes nationales devant la CCJA. Cela témoigne que le législateur OHADA n’a pas prévu de faire de la CCJA, une juridiction supérieure aux juridictions nationales de cassation .
Le recours en cassation peut s’assimiler au recours préjudiciel qui est une technique similaire communément usitée en droit communautaire pour servir les objectifs de l’unification.
Le recours préjudiciel est un procédé technique choisi le plus souvent par le législateur en droit communautaire pour assurer l’application uniforme du droit, plus exactement pour assurer en toute circonstance, à ce droit le même effet dans tous les Etats membres. Comme tel, il constitue un mécanisme de coopération judiciaire au service des Etats membres. Le recours préjudiciel permet aux juridictions des Etats membres qui sont appelées à appliquer le droit communautaire à un litige porté devant elles, de prononcer le sursis à statuer et d’interroger la juridiction compétente sur l’interprétation ou la validité de la norme de droit communautaire.
B-LA SUBSIDIARITE DE L’EVOCATION COMME MOYEN D’UNIFICATION EN DROIT OHADA
Le législateur OHADA n’a pas seulement doté la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage du pourvoi en cassation. En plus du pouvoir à lui accorder, la juridiction OHADA dispose du pouvoir d’évocation. Dans les lignes qui vont suivre nous analyserons le contenu de cette notion de pouvoir d’évocation sans oublier d’aborder les conséquences de celui-ci.
Le contenu du pouvoir d’évocation
Au cas où la cour de cassation estime fonder les ou l’un des moyens sur lesquels s’appuie le demandeur, ou encore dans l’hypothèse où elle relève d’office un moyen de pur droit, elle casse la décision attaquée. Cette cassation pouvant être, selon les cas, totale ou partielle . Selon une règle classique, reprise par l’article 625 du nouveau code de procédure civile français, sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée, les plaideurs ayant au demeurant à débattre à nouveau de leur affaire devant une juridiction de fond .
C’est qu’en principe, la cassation est suivie d’un renvoi de l’affaire devant une telle juridiction. Jusqu’à une époque récente, il y avait alors nécessairement renvoi devant une juridiction autre que celle ayant rendu la décision censurée, étant entendu que la juridiction de renvoi devait être de même ordre, de même degré et de même nature que celle auteur de la décision cassée. Dans un but de commodité et d’économie pour les plaideurs, on est parvenu à côté de la solution traditionnelle, à trouver la possibilité d’un renvoi devant la même juridiction composée d’autres magistrats .
Ensuite, par exception au principe selon lequel la censure d’une décision conduit à renvoyer l’affaire devant une juridiction de fond, il existe des hypothèses dans lesquelles les textes récents ont élargi le domaine de cassation sans renvoi consacré par certains droits notamment africains, comme par exemple le droit OHADA.
Le législateur OHADA au terme de l’article 14 al. 5 du traité constitutif de l’organisation révisé, laisse entrevoir que la CCJA dispose d’un pouvoir d’évocation après cassation d’un arrêt d’une juridiction nationale de fond. Ainsi, on constate que la CCJA se substitue en cas de cassation aux juridictions nationales de fond, tout comme c’est le cas pour le pourvoi en cassation. Le pouvoir d’évocation ainsi institué en droit OHADA est un instrument de réduction de la compétence des juridictions nationales de fond et par ricochet un trait de la supranationalité de la CCJA .
L’évocation ainsi reconnue à la CCJA en droit OHADA tire son fondement selon l’expression du professeur Gérard COUCHEZ de la recherche de la « commodité et de l’économie » par les plaideurs dans le souci de parvenir à la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA. Il convient de noter que, le pouvoir d’évocation tel que défini n’est pas ignoré des droits nationaux des Etats membres de l’OHADA.
En droit camerounais, l’article 510 du code de procédure pénale reconnaît à la chambre judiciaire de la cour suprême, statuant en matière pénale, le pouvoir d’évocation après cassation. Le même pouvoir est reconnu à la chambre judiciaire statuant en matière civile, commerciale, sociale ou de droit traditionnel, à condition que l’affaire soit en instance d’être jugée au fond .
La Côte d’Ivoire, elle aussi, a prévu le pouvoir d’évocation dans sa loi n° 97-243 du 25 Avril 1997 en son article 28 nouveau portant modification et complément de la loi n° 94-440 en date du 16 août 1994 sur la détermination de la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la cour suprême. Prenant l’exemple du Cameroun, l’article 212 du code de la procédure civile et commerciale prévoit qu’ « en cas d’appel d’un jugement partie définitif et partie avant dire droit, si cette décision est infirmée, la juridiction d’appel pourra évoquer l’affaire à condition que la matière soit susceptible de recevoir une décision définitive». L’alinéa 2 poursuit en prévoyant qu’il en sera de même dans les cas où elle infirmerait ou annulerait des jugements sur le fond, soit pour vice de forme, soit pour toute autre cause ». L’alinéa 3 renchérit que « toutefois, dans le cas où l’infirmation sera prononcée par violation des règles de compétence, le renvoi sera toujours ordonné ».
La réglementation de l’évocation telle qu’elle est faite au Cameroun est semblable à la réglementation du pouvoir d’évocation tel que prévu en droit français avant la réforme en 1972. En droit français, le pouvoir d’évocation des juridictions de deuxième degré était régi par l’article 473 de l’ancien code de procédure civile . Il ressortait de la substance de l’alinéa 1er dudit article qu’en cas d’appel du jugement avant dire droit, si cette décision est infirmée la juridiction d’appel pourra évoquer l’affaire à condition que la matière soit susceptible de recevoir une solution définitive. Quant à l’alinéa 2 du même article, il prévoit qu’il en sera de même dans l’hypothèse où elle infirmerait ou annulerait des jugements de fond pour vice de forme ou pour toute autre cause. On peut à la lumière des deux alinéas, observer les similitudes qui existent entre les textes réglementant le pouvoir d’évocation en droit français et camerounais. Dans la synthèse de ces textes, on peut déduire l’existence de certaines conditions pour la mise en œuvre de l’évocation.
Antérieurement à la réforme de 1972, le pouvoir d’évocation reconnu à la juridiction du deuxième degré avait pour fondement la suspension de la juridiction de premier degré. C’est ce qui justifie que l’évocation était conditionnée à l’information de la décision des juges de premier degré. En effet, dans la pratique, les juges de premier degré peuvent être mécontents de la décision rendue par les juges d’appel. Dans ce cas, on voit bien qu’il existe un risque de voir ces derniers ne pas accepter la solution des juges d’appel. La crainte de voir les juridictions de premier degré impartial, a servi de fondement pour la reconnaissance du pouvoir d’évocation aux juridictions d’appel en droit français avant la réforme de 1972.
Avec l’avènement de la réforme, par le décret du 20 juillet et du 28 août 1972, le fondement textuel a changé. C’est désormais l’article 568 et l’article 84 du nouveau code de procédure civile qui en sont les fondements.
Les deux articles sont complémentaires. Le premier est de portée générale et laisse entrevoir l’évocation de droit commun. Il dispose que : « lorsque la cour d’appel est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction ou d’un jugement qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés, si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même le cas échéant, une procédure d’instruction».
L’évocation de droit commun telle que prévue par l’article 568 précité exige deux conditions. La première est relative à la nature des jugements susceptibles d’évocation. En effet, l’article 568 prévoit qu’il s’agit soit d’un jugement ayant ordonné une mesure d’instruction, soit un jugement ayant mis fin à l’instance qui statue sur une exception de procédure.
La seconde , prévue par une disposition du code de procédure civile français, prévoit une procédure sur incident de compétence. Elle a lieu lorsque « le premier juge a statué seulement sur la compétence et sur la question qui commandait le fond ». En effet, la cour d’appel saisie par voie de contredit doit normalement se limiter à désigner la juridiction compétente. Néanmoins, si la cour d’appel est une juridiction d’appel par rapport à la juridiction qu’elle a désigné comme une juridiction compétente, la loi lui reconnaît la possibilité d’évoquer le fond.
En somme, ce sont ces raisons évoquées de droit comparé qui ont motivé le législateur OHADA à adopter une attitude de suspicion vis-à-vis des juridictions des Etats Parties au traité dans l’interprétation et l’application correcte des actes uniformes, et des règlements pris pour l’application des actes uniformes.
Le pouvoir d’évocation est un prolongement de la prudence du législateur en droit OHADA. Il permet d’éviter le dilatoire et une perte de temps aux plaideurs. Il permet surtout d’éviter les procédures superflues en longueur et le gain d’économie . Le pouvoir d’évocation selon le professeur Gérard COUCHEZ permet de « casser sans renvoi et donc de mettre fin au litige» de manière efficace. Ce dernier présente néanmoins quelques inquiétudes.
La CCJA est-elle un degré de juridiction ? Le pourvoi de cassation devant la CCJA est-elle un moyen de recours extraordinaire?
Le législateur OHADA a laissé un pan de discussion sur la nature de la haute juridiction OHADA et sur la nature du pourvoi en cassation devant ladite juridiction.
Le législateur OHADA a reconnu à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage un pouvoir d’évocation. La doctrine dans sa grande majorité en a déduit que la CCJA est un troisième degré de juridiction. Nous pensons que l’affirmation selon laquelle la CCJA est un troisième degré de juridiction regorge une part de vérité mais elle a besoin d’être relativisée.
Dans le vocabulaire juridique, l’option de degré de juridiction désigne une succession de places du procès au cours de laquelle, le juge a besoin de connaître le litige dans ses éléments de faits et de droit .
A la lumière de cette définition, la relativité s’impose concernant la qualification de la CCJA comme juridiction de 3ème degré.
Quand la CCJA est saisie d’un recours en cassation, elle se comporte comme une juridiction de droit, c’est ce qui justifie que la CCJA déclare quand, elle est saisie en cassation, les pourvois fondés sur les moyens de fait irrecevables. Il en est ainsi des moyens «vagues et imprécis » et qui ne visent aucun texte de droit uniforme violé ou faussement appliqué . En un mot quand la CCJA est saisie d’un pourvoi en cassation, elle ne saurait être qualifiée de juridiction de troisième degré dans la mesure où elle ne statue que sur le droit. Dans ce cas, le rôle de la CCJA, consiste à veiller à la bonne application de la règle de droit par le juge national de fond .
La qualité de troisième degré de juridiction dont parle la majorité de la doctrine est vraie seulement au moment où la CCJA après cassation, a le pouvoir d’évoquer. Une question importante se dégage de cette relativité. L’évocation devant la CCJA, lui permet-elle de statuer sur des points de droit litigieux qui n’ont pas fait l’objet d’examen au fond devant les juges de fond?
M. Eugène ASSI ASSEPO souligne en guise de réponse à cette question découlant du pouvoir d’évocation de la CCJA qu’ « après avoir cassé la décision attaquée, la CCJA rejuge l’affaire normalement comme elle l’aurait été par le juge national de fond. L’évocation l’ayant fait substituer au juge national qui aurait été compétent si le renvoi était admis, elle est en situation d’en exercer les pouvoirs, de statuer au vu des moyens qui auraient été invocables devant elle et il ne saurait y avoir d’obstacle en principe au prononcé de mesure d’instruction.
D’ailleurs, comment concevoir qu’une juridiction qui est tenue de retenir le litige puisse le régler moins pleinement ou en moins bonne connaissance de cause que ne l’aurait fait, le juge national de renvoi » . Pour l’auteur, la réponse à cette question est l’affirmative. En effet, en tant que degré de juridiction, se substituant aux juridictions nationales de fond après cassation, la CCJA bénéficie de toutes les prérogatives attachées à cette qualité.
Nous pensons que ce raisonnement de Monsieur Eugène ASSI ESSOPO est acceptable et logique car si on reconnaît à la CCJA la qualité d’évocation après cassation, il est difficile pour des raisons de cohérence de ne pas reconnaître à cette juridiction communautaire tous les pouvoirs reconnus à ce degré de juridiction.
Au niveau national, les juridictions d’appel jouissent de la qualité de second degré de juridiction et des pouvoirs leur sont reconnus comme tel. Ces juridictions d’appel disposent de plein pouvoir en fait et en droit. Ces juridictions disposent de pouvoir pour ordonner des mesures d’instruction afin d’obtenir des renseignements idoines sur des faits à l’origine d’un litige.
Quant au niveau du droit, les plaideurs sont admis à présenter devant le juge d’appel les moyens nouveaux. La saisine du juge d’appel étant limitée que par l’adage «tantum devolutum, quantum appelatum » et par l’adage « tantum devolutum, quantum judicatum». A la lumière de ces développements, on peut déduire que le pouvoir de la CCJA de disposer de tous les pouvoirs inhérents à tout degré de juridiction bien que logique et rationnel, n’est pas sans laisser quelques inquiétudes. Il est sans conteste que la haute juridiction communautaire perdrait son efficacité en matière de ses décisions, si elle traitait de la même manière les faits et le droit.
M. Bakary DIALLO ajoute qu’il serait surprenant de constater que la CCJA déclare en un premier temps irrecevables des moyens au niveau du pourvoi en cassation et dans un second temps, qu’elle les reçoive au moment de l’évocation. Ce qui laisse penser que la production de moyens nouveaux, la production de nouvelles preuves ou de nouvelles pièces ne devrait pas être concevable devant la CCJA au moment de l’évocation. On voit mal la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage dire une chose au moment du pourvoi en cassation et soutenir le contraire au moment de l’évocation .
L’évocation par la CCJA telle qu’analysée nous permet de déduire que la haute juridiction communautaire ne dispose pas d’une entière liberté en droit. Cette dernière permet de qualifier la CCJA de degré de juridiction mais cette affirmation doit rester dans sa proportion acceptable. Le pouvoir d’évocation de la CCJA ne saurait être assimilé au pouvoir d’évocation des juridictions d’appel .
La CCJA est la juridiction suprême en droit OHADA. Le pouvoir d’évocation qui lui est reconnu ne devrait pas lui permettre de statuer sur des points du litige qui n’ont pas été tranchés par les juges nationaux de fond. On peut soutenir à la suite d’un auteur que la CCJA en tant que degré de juridiction, est un «degré de juridiction sui generis » .
Pour parvenir à lever le voile sur la nature du pourvoi en cassation devant la CCJA, il est nécessaire de faire quelques précisions sur le qualificatif voie de recours extraordinaire.
En droit interne, le qualificatif voie de recours extraordinaire appliqué au pourvoi en cassation se justifie par le fait qu’il s’agit d’une voie de recours qui, ordonnée, a une finalité particulière. Ce pourvoi débouche sur le contrôle spécifique, et n’est pas ouvert dans tous les cas . .
On dit d’une voie de recours qu’elle est extraordinaire lorsque l’exercice de cette voie de recours est exceptionnel. La réglementation actuelle du pourvoi en cassation devant la CCJA et l’admission du caractère extraordinaire de cette voie de recours suscitent le doute. Sur le plan de la compétence, l’article 14, les alinéas 4 et 5 du traité révisé de l’OHADA combinés, se limitent à indiquer que, la CCJA connaît des recours en cassation formés contre les décisions des juridictions nationales de fond relatives à l’application des actes uniformes, à l’exception de celles appliquant des sanctions pénales. Le droit communautaire n’a pas prévu des cas d’ouverture en cassation devant la CCJA . Il serait par conséquent difficile de parler du caractère extraordinaire et donc exceptionnel du pourvoi en cassation .
Le pourvoi en cassation devant la CCJA, s’identifie plus comme une voie de recours ordinaire de droit commun dont l’exercice constitue le principe.
La voie voulue par le législateur OHADA au sujet de la nature du pourvoi en cassation ne rencontre pas l’assentiment de la CCJA. Dans sa jurisprudence, la CCJA s’attache à affirmer le caractère extraordinaire du pourvoi en cassation devant sa juridiction. La haute juridiction communautaire a déclaré irrecevables les pourvois sur des moyens de purs faits, des pourvois fondés sur des moyens imprécis ou des pourvois qui sont fondés sur le mélange des moyens de faits et de droit .
Le pourvoi en cassation ne dépend pas seulement de la détermination des cas d’ouverture en cassation. Le caractère extraordinaire du pourvoi en cassation découle aussi des pourvois dont dispose la juridiction saisie à ce titre. Ce caractère découle par ailleurs de ce que, contrairement aux juges de fond qui examinent à la fois les faits et le droit, le juge de cassation se limite à l’examen du droit .
La CCJA pourra asseoir le caractère extraordinaire du pourvoi en cassation devant elle si, elle se donne une compréhension restrictive des pouvoirs que lui confère l’évocation. En effet, le pouvoir d’évocation doit poursuivre l‘objectif qui consiste à donner à la CCJA une bonne application du droit OHADA en aval après une bonne interprétation du droit OHADA en amont.
En somme, le recours en cassation est un mécanisme, qui malgré ses limites présente d’énormes atouts pour l’unification du droit OHADA. C’est certainement ce qui conduit un auteur à le qualifier de « méthode forte » .
II-L’EFFICACITE DU RECOURS EN CASSATION EN DROIT OHADA
Le recours en cassation est un mécanisme en marche dans l’unification du droit OHADA. Si le droit OHADA fait des progrès, c’est en partie parce que l’application uniforme de ce droit par les juridictions nationales est de plus en plus une réalité dans les Etats Parties. Aujourd’hui, on observe un progrès qui s’explique par les bienfaits du recours en cassation comme technique d’aménagement de la compétence de la CCJA.
Le recours en cassation en tant que mécanisme d’uniformisation présente quelques bienfaits (A). Ces bienfaits au plan sociologique et au plan technique laissent entrevoir un bel avenir (B) au recours en cassation.
A-LES BIENFAITS DU MECANISME DU RECOURS EN CASSATION
1- Les atouts sur le plan sociologique
Le recours en cassation et le renvoi préjudiciel ne s’opposent pas seulement au plan technique. Au plan idéologique ils représentent deux techniques dont les conséquences sont différentes au plan de l’uniformisation du droit. En droit OHADA, le but poursuivi est l’unité d’interprétation et d’application du droit. C’est pourquoi, la logique de la supranationalité était nécessaire et indispensable.
Le choix du recours en cassation est la résultante de cette supranationalité. Cette logique consacre un abandon de la souveraineté des Etats en matière judiciaire . Ce choix paraît paradoxal, compte tenu du contexte. Les Etats Parties au traité sont relativement jeunes. Ces derniers ont par conséquent une conception très rigide de la souveraineté. Dans ces Etats, il est question de l’unité nationale et de sentiments d’appartenance à une nation .
Ce sentiment nationaliste engendre souvent en face d’initiative communautaire, ce que le professeur Delmas MARTYR a qualifié de « clôture de la raison ».
La souveraineté à laquelle les Etats africains nouvellement indépendants tiennent, ne fait plus saison. En droit européen par exemple, le processus d’intégration est d’une « exemplarité et d’une réussite » . C’est dans un tel contexte que, les Etats de l’OHADA ont opté pour l’aménagement de leur souveraineté par l’octroi à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de pourvoi en cassation.
En réalité, le déphasage entre le choix du recours en cassation et son contexte sociopolitique n’est qu’apparent. En effet, le recours en cassation est une technique d’unification qui correspond le mieux au contexte sociopolitique de l’Afrique. Il bouscule les habitudes souverainistes qui souvent influencent le déroulement des procès de tout genre. Ce mécanisme permet de renforcer l’indépendance des juges et réduit considérablement le climat de suspicion qui pèse sur les juridictions africaines en général. Ce dernier mécanisme nous semble adapter à l’unification du droit dans le contexte africain contrairement à ce que l’on pense.
2- Les atouts sur le plan technique
Les atouts techniques du recours en cassation relèvent essentiellement de son mécanisme de mise en œuvre. Le recours en cassation contrairement au recours préjudiciel découle de ce que sa mise en œuvre dépend exclusivement des parties en litige. Au lieu de s’adresser au juge national, il permet aux parties de saisir directement le juge communautaire. Cela a le mérite de la clarté contrairement à la procédure qui consiste à saisir d’abord le juge national qui, à son tour saisit le juge communautaire. Il est ainsi confié judicieusement aux parties en droit OHADA, la sauvegarde de leurs droits. Personne plus que les parties au litige n’est mieux indiqué pour défendre les droits de celles-ci. Les parties au litige participent aux processus d’unification de la jurisprudence en droit OHADA .
Le recours en cassation présente également des atouts de la fermeté du point de vue des objectifs visés par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires. En effet, avec le recours en cassation, la juridiction OHADA est gardienne à part entière de l’application du droit OHADA, ce qui n’est pas exactement le cas pour le recours préjudiciel .
A la lumière des atouts sociopolitiques et des atouts techniques du recours en cassation, on peut en déduire que le recours en cassation remplit pleinement et efficacement son objectif d’unification du droit OHADA.
Le recours en cassation malgré ces atouts ne résiste pas à la critique. Certains auteurs ont formulé des critiques contre le recours en cassation en tant que mécanisme d’unification du droit OHADA.
Ces auteurs, sans contester le choix du recours en cassation comme technique d’uniformisation du droit OHADA pensent que cette technique engendre quelques difficultés. En effet, la critique adressée à la technique de recours en cassation porte non sur le recours lui-même strictement, mais sur son aménagement notamment sur le pouvoir d’évocation de la CCJA.
D’abord, on a dans un premier temps montré que le pouvoir d’évocation était de nature à faire négliger le procès devant le juge national de fond pour privilégier l’instance devant la CCJA . Ainsi la CCJA deviendra pour des plaideurs de mauvaise foi, le lieu de faire durer et d’allonger le procès. Le pouvoir d’évocation conféré à la CCJA n’est pas loin de devenir un facteur d’encombrement de la haute juridiction OHADA .
M. Roger MASSAMBA, vu le nombre de litiges de plus en plus croissant devant la haute juridiction OHADA, prône un ajustement de l’organisation de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage.
Ensuite, le pouvoir d’évocation de la CCJA a fait l’objet de critique car, il semble dénaturer l’instance en cassation. Le but de l’instance en cassation est de vérifier que les juridictions inférieures ont correctement interprété et appliqué le droit harmonisé. La CCJA a pour objet de veiller à l’application uniforme du droit dans l’espace OHADA. Le pouvoir d’évocation semble ne pas être strictement compatible avec cette fonction, du moins avec la nature de l’instance en cassation. L’évocation risque de conduire la CCJA à sombrer dans la banalité des faits.
Une autre critique formulée contre le pouvoir d’évocation est le sacrifice des droits des plaideurs. En effet, lorsque la CCJA évoque et statue au fond, elle a moins de pouvoir qu’une juridiction de renvoi. Il faut en effet rappeler que, devant les juridictions nationales de cassation des Etats de l’espace OHADA, la cassation implique en principe, l’obligation pour le juge suprême de renvoyer le litige aux juridictions de fond. Devant une juridiction de renvoi, l’instance est reprise au stade de la procédure qui n’est pas atteinte par la cassation. En fait comme en droit, la juridiction de renvoi jouit d’une grande liberté. C’est ainsi qu’au niveau des faits, la juridiction de renvoi peut tenir compte des faits postérieurs à l’arrêt de cassation. Cela se justifie dans la mesure où ces faits sont de nature à influencer la solution du juge au litige en cause. Aussi en droit, la juridiction de renvoi n’est-elle pas tenue de suivre l’interprétation de droit retenue par la cour suprême. La juridiction de renvoi peut adopter une interprétation de la loi différente de celle retenue par le juge suprême. Relativement aux parties au litige, les moyens et prétentions anciens qu’elles avaient formulés devant les juges de fond restent valables. Les parties en litiges peuvent en outre présenter devant une juridiction de renvoi des moyens nouveaux et des prétentions nouvelles, dans la mesure où elles pouvaient le faire dans la phase antérieure.
Cela n’est pas le cas en droit OHADA avec la CCJA. Lorsque la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage évoque, elle ne jouit pas de tous les pouvoirs reconnus à une juridiction de renvoi. C’est ainsi que, l’évocation prive les plaideurs de la faculté d’émettre de nouvelles prétentions ou de développer de nouveaux moyens de pur droit et/ou de fait. Il serait incohérent que la CCJA, qui déclare irrecevables les moyens au stade de la cassation les accepte ou les admette au moment où elle évoque et statue au fond .
On reproche au pouvoir d’évocation devant la CCJA, d’avoir un caractère impératif . Pour M. Bakary DIALLO, le pouvoir d’évocation ne devait pas avoir un caractère impératif. C’est « un pouvoir discrétionnaire dont peut user ou ne pas user un juge. » . Le caractère facultatif du pouvoir d’évocation peut selon le même auteur se justifier par le fait que, l’évocation constitue une atteinte grave aux principes fondamentaux du droit judiciaire tels que le principe du double degré de juridiction et la distinction du fait et du droit, dans la connaissance du litige soumis à la juridiction de cassation » . L’auteur ajoute que cette circonstance aurait dû motiver le législateur OHADA à laisser après cassation, l’évocation à la gouverne des juges de la CCJA. Dans ce cas l’appréciation d’évoquer ou non aurait été laissée à la souveraineté des juges gardiens du droit OHADA. Le pouvoir d’évocation est un pouvoir total, sans limite. Pour M. Bakary DIALLO, en présence d’un litige soulevant des questions relevant du droit national et du droit OHADA, il est indiqué que l’évocation porte sur les seules questions relevant du droit OHADA .
Au-delà de ces critiques, nous pensons que la difficulté majeure que présente le pouvoir d’évocation est qu’il risque d’engendrer une rigidité et une forte instabilité de la jurisprudence OHADA. Le pouvoir d’évocation de la CCJA a pour principale conséquence de soustraire la doctrine de cette juridiction à l’épreuve des juges de fond. Cela risque de devenir une source de « rigidité dans le mécanisme d’élaboration de la Jurisprudence » . M. JEANTIN ajoute que « l’unification de la jurisprudence ne peut être le résultat d’un débat rapide et tronqué, au risque de n’être qu’une unification provisoire et illusoire. Accélérer l’unification de la jurisprudence par la CCJA, c’est prendre le risque d’une multiplication de revirements de jurisprudence » . Malgré toutes ces critiques qui lui sont adressées, le recours en cassation a un bel avenir.
B-LE BEL AVENIR DU RECOURS EN CASSATION EN DROIT OHADA
Le recours en cassation a rempli pleinement sa mission régulatrice en droit OHADA. Ce ne sont pas les conflits de compétence qu’il génère qui constituent une menace sérieuse pour l’avenir du recours en cassation . Concernant le pouvoir d’évocation, nous avions fait remarquer que son succès dépend de l’interprétation restrictive qui en sera faite.
Nous pensons que la menace pesant sur le recours en cassation comme technique d’harmonisation du droit des affaires tient moins dans l’évocation que dans les termes de l’article 2 du traité OHADA. Selon l’article 2 : « entre dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants, au recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière que le conseil des ministres déciderait, à l’unanimité d’y inclure, conformément à l’objet du présent traité et aux dispositions de l’article 8 …». Il ressort des dispositions de l’article 2, que le législateur consacre une conception extensive du droit OHADA. Ce constat fait dire à certains auteurs, que le droit OHADA est un droit original qui s’apparente au droit économique . Cette affirmation est renforcée par les conclusions du conseil des ministres de l’OHADA, qui lors de la réunion tenue à BANGUI les 22 et 23 mars 2001, a décidé d’inclure dans les matières harmonisées, le droit de la concurrence, le droit bancaire, le droit des sociétés civiles, le droit des sociétés coopératives et mutualistes, le droit des contrats, le droit de la preuve . Le professeur Jacqueline LOHOUES- OBLE a pour cette raison, soutenu à juste titre que : « à cette allure, d’ici quelques années, l’ensemble du droit privé fera l’objet d’actes uniformes» . Selon cet auteur, « il est difficile de concevoir une matière juridique qui n’ait pas un quelconque lien, avec le droit des affaires » . De ce qui précède, l’OHADA se présente comme un droit « conquérant » qui laisse planer un doute sur la maîtrise des matières entrant dans son champ d’application. Certains actes uniformes n’ont pas hésité à étendre leur champ d’application aux aspects civils de certaines matières qu’ils traitent . Il en est ainsi de l’acte uniforme sur le droit de l’arbitrage, de l’acte uniforme sur les sûretés et des actes uniformes sur les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution .
L’extension du domaine de compétence de l’OHADA ne peut susciter que l’inquiétude parce que chaque extension au plan législatif entraîne une augmentation des compétences de la CCJA. Il faut redouter qu’on parvienne à une situation d’encombrement de la CCJA. L’extension du domaine de l’OHADA, peut faire craindre les conflits qui en résulteraient avec d’autres droits communautaires. Certaines matières incluses dans le domaine à harmoniser sont déjà prises en compte par d’autres organisations d’intégration auxquelles appartiennent les Etats de l’OHADA. C’est le cas du droit bancaire déjà régi en Afrique centrale par la CEMAC et en Afrique de l’ouest par l’UEMOA. C’est aussi l’exemple du droit des assurances avec la CIMA et la propriété intellectuelle avec l’OAPI.
Toute nouvelle matière qui tombe dans le champ de compétence de l’OHADA, sort de même, de la compétence des juridictions nationales de cassation. Autrement dit « l’augmentation des matières harmonisables a pour conséquence l’extension des attributions de la CCJA » et par conséquent la réduction de la compétence des juridictions nationales de cassation .
Invoquant une tentative de solution, elle n’est pas facile dans un domaine comme celui-là. Les résultats du recours en cassation peuvent consister en une maîtrise de l’extension du domaine du droit des affaires, tel que défini par l’OHADA. Nous pensons que les succès de l’OHADA nécessitent une utilisation maîtrisée des matières entrant dans le domaine du droit des affaires tel que défini par l’article 2 du traité. Une extension excessive du domaine du droit des affaires peut faire de la souveraineté des Etats une coquille vide. On ne peut pas, sous prétexte d’une souplesse du droit des affaires, laisser illimité le domaine du droit des affaires tel que défini par l’article 2 du traité. Le contrôle des limites du domaine du droit des affaires participerait à la rationalité du droit OHADA et par ricochet à la rationalité de la compétence de la CCJA, chargée d’appliquer et d’interpréter le droit harmonisé OHADA.
La cohérence de l’OHADA exige que l’organisation ne laisse plus entrer parmi les matières à harmoniser, d’autres disciplines. Sur le fondement de cette première limite, le droit de l’OHADA devrait logiquement retirer des matières à harmoniser, le droit bancaire et le droit de la concurrence qui sont déjà régis en Afrique centrale par la CEMAC et en Afrique de l’ouest par l’UEMOA.
En procédant à l’énumération des matières qui font partie du droit des affaires, l’article 2 du traité montre bien le souci du législateur OHADA à « dompter » la notion de droit des affaires. Seulement, ce vœu ne peut être effectif que si et seulement si l’on parvienne à contenir le domaine du droit des affaires tel que prévu par le traité. Une inquiétude plane quant à la maîtrise du domaine du droit des affaires. En effet, l’interprétation de l’article 2 in fine laisse la possibilité au conseil des ministres d’enrichir le domaine du droit des affaires. Malgré ce caractère « flexible et conquérant » des matières entrant dans le domaine du droit des affaires OHADA, force est de remarquer qu’il y a des matières qui ne peuvent faire l’objet de cette discipline .