Quelques aspects de l’imprégnation du droit des obligations des pays arabes par la culture juridique civiliste

« les codes des peuples se font avec le temps, … qu’à proprement parler, on ne les fait pas »,
Portalis, Discours préliminaire

Résumé

Par des modalités de réception fort différentes, le droit civil des pays arabes est entré dans la famille des droits romano-germaniques. Le degré d’imprégnation varie selon les pays. Si les premières codifications étaient largement romanisées, les plus récentes se sont sensiblement rapprochées du droit musulman, sans pour autant rompre avec la tradition civiliste. Cette tradition va retrouver dans cette région du monde un terrain propice.

A l’heure où le monde arabe est traversé par des transformations majeures, il importe de mesurer l’ampleur de cette influence en vue d’évaluer son ancrage dans l’environnement juridique arabe. La présente contribution se propose de mettre en lumière les principaux facteurs qui contribuent à la pérennité de la tradition civiliste, particulièrement dans le domaine du droit des obligations et des biens.

Plan
I. Le processus de codification
A. Codes romanisés
B. Codes hybrides (synthèses)
C. Codes islamisés

II. Le rôle de la jurisprudence

III. La formation des juristes.

Sur des modes fort différents les uns des autres, la plupart des pays arabes se sont dotés d’un système juridique inspiré du modèle européen continental. L’influence de la culture juridique civiliste dans cette région du monde est étroitement liée au mouvement de modernisation du droit amorcé au milieu du XIXe siècle. Ce mouvement devait se poursuivre à l’époque de la décolonisation et après l’accession de ces pays à la pleine souveraineté.

Sur le terrain du droit civil, cette évolution a connu des cours différents. Si en Égypte et les pays ayant suivi le modèle, la réception du modèle civiliste fut indirecte, son adoption dans d’autres pays, tel que la Tunisie et le Liban, est directement liée à la domination coloniale. Par ailleurs, cette imprégnation s’est produite à des degrés divers : certains pays arabes se sont largement alignés sur le système occidental, notamment sur le droit français, comme le Liban, la Syrie et l’Égypte ; d’autres ont opposé une fin de non recevoir pour rester fidèles au droit musulman classique, du moins en principe, comme l’Arabie Saoudite et le Sultanat d’Oman . Un troisième courant adopte une position médiane : l’effort de modernisation tente ici d’intégrer des institutions de droit musulman, comme c’est le cas en Irak et dans les pays du Golfe.

Dans l’ensemble, l’évolution du droit des obligations et des biens s’est accomplie par une réception significative de la tradition civiliste et des techniques françaises d’élaboration et d’interprétation du droit. Cette mutation est due à l’idée même de codification et à divers facteurs d’ordre socio-historique tels que l’enseignement du droit et les professions juridiques. Le phénomène n’est pas rare. La diffusion de la tradition romano-germanique dans le monde a fait l’objet de nombreuses études, tout particulièrement concernant l’influence du droit français . Nous n’y reviendrons donc pas. Nous nous contenterons, dans le cadre de la présente communication, d’esquisser les dynamiques juridiques qui nous paraissent les plus déterminantes dans le contexte arabe et qui contribuent à la pérennité de cette tradition dans le domaine du droit des obligations et des biens.

La codification

La mise en code traduit un processus de « civil-isation » du droit . De ce point de vue, la codification effectuée dans de nombreuses matières peut être perçue comme marquant l’entrée du monde arabe dans la famille des droits civilistes . Des nouveaux codes dont les dispositions ont été empruntées aux droits occidentaux – notamment aux codifications napoléoniennes – furent introduits au milieu du XIXe siècle dans l’Empire ottoman ainsi que dans l’Égypte khédiviale . Cette évolution se traduisait par une pénétration importante du droit français dans divers domaines, tels que le droit commercial, le droit maritime, le droit pénal et le droit procédural. La réception des droits occidentaux a eu pour corollaire la sécularisation de pans entiers de l’ordre juridique, dorénavant soustraits à l’empire du droit musulman.

Ce mouvement va se poursuivre après l’indépendance. Les réformes opérées en plusieurs étapes, par des vagues successives, n’ont pas rompu avec cette influence. Elles l’ont au contraire souvent accentué dans de nouveaux domaines. L’adoption de codes répondait, en l’occurrence, au besoin d’une rationalisation différente de la vie économique et sociale. Pour s’en tenir au droit civil, la modernisation a touché toutes ses branches caractéristiques : droit des obligations, droit des contrats, droit des biens, à l’exception toutefois du droit de la famille et des successions qui demeurera tributaire des données religieuses .

Dans ce contexte, la codification, idée complétement étrangère à l’Islam, a opéré « une véritable révolution culturelle dans le monde arabo-musulman » . L’économie et l’épistémologie du droit ont été bouleversées dans la mesure où le droit traditionnel, le droit musulman, était de nature principalement casuistique et non-systématisé. Par ailleurs, la codification a transformé profondément la hiérarchie des sources du droit. Désormais, la loi est réputée source première et essentielle du droit (la primauté de la loi). C’est seulement lorsqu’elle est silencieuse ou lacunaire, que le juge est autorisé à puiser dans d’autres sources, comme la coutume ou la Charia, les règles de droit qui lui sont nécessaires.

Or, la méthodologie législative a évolué au fil du temps. Si les premiers codes arabes s’étaient largement alignés sur le modèle français, ceux les plus récemment élaborés se sont fortement rapprochés du droit musulman. Les codifications arabes paraissent, dès lors, pouvoir être classées en trois grandes catégories selon leur degré d’imprégnation dans la culture juridique civiliste : codes romanisés, codes hybrides et codes islamisés.

A. Codes romanisés :

La parenté des premiers codes avec le Code civil français ne fait aucun doute. Ils n’en constituent pas pour autant une reproduction servile. Plus récents, ils ont pu bénéficier de l’évolution à travers la jurisprudence et la doctrine accomplie depuis 1804, ainsi que de l’apport des codifications européennes subséquentes. Par conséquent, ces Codes d’inspiration romaniste ne renferment que de rares survivances du droit musulman . A bien y regarder, ces Codes pionniers peuvent, à leur tour, se subdiviser en deux groupes : codifications faites sous la domination coloniale et d’autres élaborées après l’indépendance.

1- Codes issus de l’époque coloniale (Codes naturalisés) :

C’est le cas des codes civils tunisien, marocain et libanais. Ces codes promulgués à l’époque du Protectorat français forment toujours le droit positif dans ces pays, presque un siècle après. La version officielle de ces textes a été écrite et publiée en français puis traduite en langue arabe. Initialement imposés sous la contrainte, ces œuvres furent par la suite reçues et assimilées par le corps social. Le temps « naturalise » le droit venu de l’étranger.

En Tunisie, le Code des obligations et contrats (C.O.C.) est le fruit de la volonté des français. D’après le Traité de la Marsa de 1883, le Bey fut « invité » à ordonner la rédaction de codes « sur le type des Codes français ». La confection du code régissant les obligations et les contrats fut confiée à une commission présidée par David Santillana, avocat italo-tunisien et orientaliste installé sur place. Celui-ci puise dans le droit français les principes fondamentaux, mais n’hésite pas à faire appel aux droits allemand, suisse et italien (Code de 1865), chaque fois que la norme lui paraît plus adaptée à la tradition locale . Le résultat est un code de facture européenne, française pour l’essentiel, mais conforme aux dogmes du droit malékite, école dominante en Tunisie . Le C.O.C. de 1906 va devenir le modèle juridique au Maghreb. Il sera repris dès 1913 par le Maroc au lendemain de l’instauration du Protectorat et plus récemment par la Mauritanie (Code de 1989). Sans être copies serviles, ces dernières œuvres reproduisent largement les dispositions du Code tunisien .
Au Machrek, une expérience semblable fut vécue par le Liban suite à la dislocation de l’Empire ottoman. La France, puissance mandataire, essaya de moderniser le droit civil libanais. La rédaction du nouveau Code civil qui devait remplacer le medjellé ottoman fut confiée à un éminent juriste français Louis Josserand . Le Code des obligations et des contrats de 1932, toujours en vigueur, est un code de facture européenne auquel Josserand imprima sa propre marque . Il reprend pour l’essentiel la plupart des solutions édictées par le droit français, non seulement dans le Code civil , mais également dans la doctrine et la jurisprudence postérieures à 1804.

2- Codes élaborés après l’indépendance (Codes nationalistes) :

Les codes adoptés à partir de la moitié du XXe siècle répondaient à un sentiment nationaliste : la construction nationale du droit. Il s’agit de confirmer une souveraineté acquise ou retrouvée. Ces codes ont été conçus sans qu’il y ait eu allégeance ou domination politique. Toutefois, un choix était fait de s’aligner sur le modèle civiliste occidental. Il était nécessaire de pouvoir répondre aux nouveaux besoins qu’engendre une société moderne en constante évolution. C’est le cas de l’Égypte et des pays ayant suivi le modèle.

Le droit égyptien était entré pleinement à la fin du XIXe siècle dans la famille du droit français . Officiellement indépendant depuis 1936, l’État égyptien procéda à la suppression des codifications mixtes et indigènes d’inspiration française mais adoptées sous le Protectorat britannique . L’élaboration d’un nouveau texte fut confiée à deux éminents juristes, Abdulrazak Sanhoury et Édouard Lambert et dura près de dix ans. Si le nouveau Code de 1948 est resté fidèle dans sa structure et ses concepts fondamentaux à la technique juridique française, il sera également influencé par un large éventail de codifications représentant la « fine fleur » des codifications de l’époque. Citons, à titre d’exemple, les codes italien, espagnole, allemand, suisses, polonais, grec ainsi que le projet franco-italien de code des obligations de 1927 . Il a également intégré un nombre non négligeable de normes jurisprudentielles issues de la pratique des tribunaux mixtes et un nombre, somme toute, limité de normes islamiques .

Le travail ainsi réalisé est un modèle de la pratique comparatiste. Dans cette diversité des sources, les rédacteurs ont puisé des solutions qui leur paraissaient les plus appropriées en vue d’élaborer un « corpus cohérent, efficace et moderne » . Perçu comme une œuvre « arabe » résolument moderne et rationnelle, le Code égyptien connaîtra un essor considérable et deviendra le modèle d’inspiration de nombreuses codifications similaires à travers tout le Moyen-Orient.

La Syrie fut le premier pays à reproduire le modèle égyptien en se dotant dès 1949 d’un Code civil presque intégralement calqué sur le Code égyptien . Les tendances unitaires, autrefois si fortes dans le monde arabe, amenèrent d’autres pays à suivre l’exemple égyptien. Le Code de Sanhoury, plus ou moins retouché, fut importé par la suite en Irak (1951), en Libye (1953), au Soudan (1971), en Algérie (1975) et au Koweït (1980) . Les dernières reproductions en date, celles du Bahreïn (2001) et du Qatar (2004), témoignent encore du charme que ce Code quinquagénaire continue à exercer en dépit d’un « certain vieillissement » inévitable . En s’inspirant de cette œuvre pour élaborer leurs codes respectifs, ces pays ont reçu, à des degrés divers, la tradition civiliste, notamment la technique juridique française . Par cet effet de relais, le Code civil égyptien de 1948 a fortement favorisé l’implantation de la culture civiliste au Moyen-Orient . Mieux, certains comparatistes estiment qu’il a créé une véritable famille de droit égyptien, à l’intérieur de la famille romano-germanique .
Fait marquant, le code de Sanhoury a été adopté même dans des pays autrefois soumis à l’influence britannique, comme l’Irak, le Bahreïn, le Koweït et le Qatar. Par un processus de réception indirecte, ces systèmes se sont sensiblement rapprochés du modèle français. Le cas algérien est par ailleurs assez curieux. La politique d’arabisation menée au lendemain de l’indépendance visait à éradiquer les manifestations de presque un siècle et demi de colonisation. On a cherché à s’affranchir rapidement de l’influence juridique coloniale en abrogeant le Code civil français. Toutefois, en adoptant en 1975 un texte largement inspiré du Code égyptien, l’Algérie a inconsciemment renoué avec la culture juridique française (réception par inadvertance !). L’acculturation est si forte que ce Code, trente ans après, est toujours lu et interprété à la française . L’éviction des Français n’a pas provoqué le rejet d’un système juridique ayant fait ses preuves. N’est-ce pas en cela l’affirmation de l’expérience relevée par Portalis un siècle et demi plus tôt : « les hommes changent plus facilement de domination que de lois » .

B. Codes hybrides (synthèses) :

En Irak, dès 1933, les rédacteurs du projet préliminaire s’interrogèrent sur la base sur laquelle devrait être fondé le nouveau code civil qui devait remplacer le medjellé . Doit-on se fonder sur les modèles suisse, allemand, égyptien ou maintenir le medjellé comme source de base tout en y introduisant les modifications nécessaires pour répondre aux besoins contemporains. Nous retrouvons le même Sanhoury auquel le gouvernement irakien fit appel pour mettre en chantier le nouveau code. L’expérience irakienne se révèle sous un jour particulier à bien des égards. Lors du discours d’ouverture des travaux de la troisième commission chargée du projet, le 30 août 1943, le doyen Sanhoury, rappelle son choix : « emprunter [dit-il] le code irakien à un code occidental comporte plusieurs avantages, notamment celui que le nouveau code puisse embrasser, d’un seul coup et sans peine, le progrès juridique acquis en Europe durant des siècles. Le code sera d’autant plus en harmonie avec les autres législations irakiennes inspirées des droits occidentaux tels que le Code de commerce et le Code de procédure civile de sorte à garder la cohésion d’ensemble. Cependant, ces considérations ne devraient pas prévaloir sur celles découlant de la reprise du medjellé comme source car il est erroné de croire qu’un droit occidental étranger puisse être détaché de son environnement et transplanté en Irak, un pays qui n’est pas familiarisé ni habitué à son application. La loi n’est pas l’enfant de la volonté du législateur, il dit seulement : “Soi !” et elle est aussitôt. La loi est le produit de l’environnement et l’héritier des longues traditions. Du reste, le fiqh islamique n’est point inférieur dans la pertinence et la primauté de la logique juridique aux autres traditions. Il serait donc incongru de l’écarter en faveur d’un droit étranger alors que l’on peut parvenir au même résultat en conservant notre héritage » .

Ainsi, la volonté était de préserver l’héritage du passé mais aussi d’emboîter le pas aux législations les plus modernes. Les codificateurs décident alors de s’inspirer pour partie du medjellé, pour partie des législations occidentales. Les mille trois cent quatre-vingt-trois articles du Code irakien forment une œuvre assez composite qui comporte deux types de règles : un groupe reprend des dispositions classiques du droit musulman et un groupe consiste en règles issues de la tradition romano-germanique généralement empruntées au projet égyptien . Cette curieuse rencontre des cultures juridiques occidentale et islamique a donné lieu à ce qu’on pourrait appeler un « syncrétisme juridique » . Décidés à puiser librement dans des sources aussi variées, les rédacteurs du Code de 1951 devaient, néanmoins, sauvegarder l’unité logique et la cohérence de l’œuvre. La méthode comparatiste a été mise à contribution pour réaliser une symbiose des droits musulmans et européens. Dès lors, il n’est guère aisé de dégager la primauté d’une source par rapport à une autre .
C’est cette volonté de synthèse entre ces deux grandes traditions qui fait le succès du Code civil irakien et justifie l’intérêt que suscite dans les études de droit comparé en langue arabe .

C. Codes islamisés :

L’expérience irakienne a eu le mérite de démontrer que des institutions islamiques traditionnelles peuvent parfaitement être modernisées pour épouser les exigences de la vie moderne. On s’est notamment aperçu que le fiqh était à même de constituer une source féconde d’inspiration en matière civile . Forts de ce constat, certains pays décidèrent de tenter une refonte complète de leur droit civil basée principalement sur cet héritage. L’objectif étant d’élaborer avec du « matériau musulman » un modèle comparable à celui ayant été édifié ailleurs sur la base des éléments romano-germaniques. Ce fut notamment le cas de la Jordanie (1976), des Émirats Arabes Unis (1985) et du Yémen (2002).

Désireux de redonner à leur tradition une place plus importante, ces pays se sont largement alignés sur les enseignements du droit musulman. Les rédacteurs de ces codes, sans rejeter en bloc toutes les règles susceptibles d’être puisées dans les législations occidentales, se sont principalement fondés sur les solutions exprimées par les fouqaha, premiers docteurs de l’Islam. Ils se distinguent ainsi des codifications antérieures de la région par le fait qu’ils renferment d’une part, une majorité de dispositions entièrement dérivées du fiqh islamique, et d’autre part, un nombre de dispositions exogènes, mais déclarées non contraires à la Charia. On fait ainsi appel à des institutions qui sont spécifiques au droit musulman, comme par exemple la séance contractuelle, le contrat suspendu , la cession de dette (hawala), l’option de repentir (khyar al-Shart) , certains baux ruraux , la vente Salam , etc.
Toutefois, l’originalité de cette méthodologie législative réside principalement dans la terminologie adoptée et la tendance à mettre en place des concepts et des méthodes de raisonnement et d’interprétation s’apparentant au fiqh. L’article 3 du Code civil yéménite est à cet égard révélateur car il énonce que la loi sacrée vise à « préserver les intérêts des gens, les éloigner du vice, leur faciliter leurs transactions, et les libérer de toute gêne ou contrainte ». On y trouve pour la première fois les notions liturgiques de licite et illicite (hallal et haram), de pur et impur (tahir et najis), sur lesquelles repose toute la construction juridique des fouqaha . Cette tendance moraliste se manifeste par la prohibition des prêts à intérêt, des intérêts moratoires et des opérations qui risquent de générer un aléa (gharar) comme les jeux et pari ou de la vente des choses futures. Certaines institutions n’ont pu être reçues que moyennant adaptation (la responsabilité du fait personnel devenue objective), d’autres (l’usucapion, la nullité relative, la novation) ont été écartées .

Dans l’ensemble de ces hypothèses, l’œuvre du législateur ne devait apparaître que comme une adaptation de règles réputées immuables, une mise en forme modernisée de la Loi divine . Toutefois, un survol rapide des textes législatifs révèle de fortes ressemblances avec les codes de première génération fortement imprégnés du droit occidental. En effet, cette empreinte se fait tout de même sentir aussi bien dans la forme que dans le fond. Quant à la forme, c’est l’architecture générale des codifications modernes qui a été observée. Quant au fond, un grand nombre d’institutions d’origine romaniste a été retenu, à des degrés variables selon les sujets ; des dispositions qui, sans heurter les principes de la Charia, se concilient le mieux avec les besoins contemporains. Il en va ainsi de l’introduction de certains concepts tels que l’effet relatif des conventions, l’imprévision, le contrat d’adhésion, l’action oblique, la cause, l’enrichissement illicite, la stipulation pour autrui, le contrat d’assurance, les droits de privilège, etc.

Si le processus de codification était un facteur déterminant de l’influence civiliste, le rôle de la jurisprudence n’en demeure pas moins important dans la mise en œuvre des normes venues d’ailleurs.

Le rôle de la jurisprudence

Les différents systèmes arabes consacrent le principe de la primauté de la loi. Les Codes conçus selon le modèle égyptien s’ouvrent invariablement par l’affirmation suivante : « La loi régit toutes les matières auxquelles se rapporte la lettre ou l’esprit de ses dispositions ». Ce texte rend hommage à la loi, puisqu’il suppose, indirectement, que celle-ci s’applique nécessairement si l’une de ses dispositions régit la question normative qui fait l’objet de l’examen . A l’instar des pays civilistes, l’office du juge arabe est donc d’appliquer et d’interpréter la loi.

Toutefois, la loi ne peut pas tout prévoir . Le législateur n’étant pas infaillible, son œuvre peut devoir être complétée, mais c’est à la condition toutefois que le juge soit amené à constater, préalablement, le défaut d’une disposition législative applicable. L’article 1er du Code civil égyptien, enjoint aux juges en cas de silence de la loi de statuer d’après la coutume et en l’absence de coutume, de juger selon les principes de la Charia, et à leur défaut de recourir au droit naturel et aux règles de l’équité. Dans la majorité des codifications arabes, on retrouve une disposition semblable, avec cependant des variantes quant à la place de la coutume par rapport à la Charia . A ce titre, le juge arabe n’est habilité à recourir aux sources subsidiaires – Charia, coutume et règles de l’équité – que faute de disposition législative applicable. Le droit musulman n’intervient dès lors qu’à titre supplétif, au deuxième degré, comme en Syrie, au Koweït, en Libye au troisième, comme en Égypte et en Irak.

Bien qu’inspiré de l’article 1er du Code civil suisse , les textes arabes s’en écartent en n’admettant pas la possibilité pour le juge de créer des normes juridiques puisque son « rôle consiste uniquement à les appliquer » . Il s’ensuit qu’à l’instar de la France, la jurisprudence n’est pas considérée, du moins officiellement, comme une source du droit . Elle fait seulement montre de source interprétative du droit positif, c’est-à-dire une référence qui aide le juge à comprendre la règle de droit issue des sources officielles en cas d’ambigüité . Cela étant, le juge ne joue point dans les pays arabes le rôle qu’il joue dans le système anglo-saxon . Ce constat peut même être relevé à l’égard des pays autrefois soumis à la domination britannique. La réception de la fameuse technique juridique anglaise du stare decisis n’est pas consacrée. Les tribunaux ne sont pas liés par les précédents judiciaires ; ils sont libres de revenir sur une solution consacrée par des décisions antérieures .

La common law étant essentiellement un droit non écrit, il est pratiquement impossible d’y avoir accès et de la connaître si on ignore la jurisprudence dans laquelle elle est enracinée. L’expérience britannique en Irak est à cet égard édifiante. Lors de leur débarquement à Bassora en 1914, les Britanniques voulurent mettre en place une alternative au droit ottoman en imposant les lois et la structure judiciaire appliquées aux colonies britanniques des Indes. Ils introduisirent des réformes en matière successorale, foncière, maritime et commerciales inspirées des lois indiennes équivalentes . L’entreprise se solda par un échec. Le droit ottoman, largement pénétré du droit français depuis le milieu de XIXe siècle, avait pris racine en Irak . En effet, depuis la création des tribunaux nizamiques, les juges s’étaient accoutumés à l’usage des codes, au syllogisme judiciaire et à l’interprétation téléologique des textes. Ils étaient formés à un droit de type mixte (droit civil/droit musulman) et peu familiers des concepts de common law. Les autorités d’occupation furent ainsi contraintes dès 1921 à restaurer le système antérieur .

C’est aussi pour des raisons semblables que l’Égypte sous Protectorat britannique fut maintenue dans l’orbite juridique française. La plupart des magistrats, auxiliaires de justice et hauts cadres administratifs de l’État égyptien étaient formés à la française. Cette influence intellectuelle va se maintenir en dépit des grands moyens déployés par les conseillers anglais à partir de 1882 pour éradiquer cette influence, particulièrement sur le terrain de l’enseignement du droit . Le fait qu’à leur arrivée en Égypte, les Britanniques se soient heurtés à une tradition française déjà bien établie a vraisemblablement été la raison principale de la non-application de la politique juridique « anglo-indienne ».

Du reste, le seul pays de la région où la common law avait réussi à faire une véritable percée est le Soudan.Le pays fut soumis de facto à l’administration britannique dès 1898. Les occupants mirent en place une politique législative inspirée de celle des Indes britanniques. C’est à partir des principes de Justice, Equity and Good Conscience, tels qu’interprétés par les tribunaux soudanais, que le droit anglais parvint à se frayer un chemin. Après l’indépendance, une tentative d’implanter un code conçu selon le modèle égyptien se solda par un échec. Le Code de 1971, mal adapté à un environnement juridique dominé par la common law, fut abrogé peu après sa promulgation. Néanmoins, un nouveau code, cette fois largement islamisé, est mis en vigueur depuis 1985.

Au-delà, le procédé de codification a eu pour corollaire le recours à la méthode déductive, au raisonnement vertical du général au particulier et ce sera le triomphe du syllogisme judiciaire. Les juges arabes appliquent très généralement les mêmes méthodes et techniques de raisonnement que leurs homologues des pays civilistes. Ici réside un fait particulièrement important, à notre sens : l’assimilation par le monde arabe d’un système de droit formulé en règles générales et abstraites, alors que le génie juridique de l’Islam est casuistique, à l’instar du génie anglais . On peut voir en cela une confirmation de la pensée wébérienne selon laquelle les systèmes juridiques diffèrent davantage par leur infrastructure judiciaire que par leurs normes. Tout changement au niveau des institutions juridictionnelles – et a fortiori la formation des juges – se répercute inévitablement au niveau normatif .

Dans un même ordre d’idées, on peut relever que l’organisation des tribunaux dans les Etats arabes et leur mode de fonctionnement sont largement calqués sur le système juridictionnel français avec à leur tête une Cour de cassation et un Conseil d’État . Dans les pays du Machrek, les racines de ce système remontent à l’ère ottomane de tanzimat alors qu’il représente dans les pays du Maghreb un legs du système colonial.

Ainsi sur le terrain des juridictions civiles, l’une des caractéristiques majeures consiste en l’adoption par de nombreux pays de la technique de cassation française . Cette tendance semble se renforcer. Des Cours de cassation ont été instituées durant ces vingt ou trente dernières années dans des pays comme le Koweït, le Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, et même la Jordanie. A l’instar de la France, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire est juge du droit et non du fait. Elle ne connaît habituellement pas du fond des affaires et elle n’est donc pas un troisième degré de juridiction. Elle se contente de vérifier si la loi a été correctement appliquée. La Cour régulatrice reçoit ainsi ouvertement pour mission d’assurer l’unité d’interprétation de la loi et de son application.

Du reste, cet ancrage dans la tradition française se traduit également dans de nombreux pays par l’existence d’un droit administratif autonome ayant ses règles et ses mécanismes propres et l’apparition partout de tribunaux spécialisés dans le contentieux administratif. Un système de dualisme juridictionnel existe d’ores et déjà au Liban (1924), en Syrie (1954), en Egypte (1972), en Tunisie (1972) en Irak (1979). Ce système est restauré plus récemment au Maroc (1993) et en Algérie (1996) et a curieusement été adopté en Arabie Saoudite et au Sultanat d’Oman.

Cette structure judiciaire dualiste constitue, estime Sélim Jahel, « l’assise fondamentale de l’influence persistante du droit français dans ces pays » . En témoigne, les hautes juridictions en Égypte, en Tunisie, au Liban, où la culture française a laissé de profonds sillons, n’hésitent pas à se référer à la jurisprudence française dans leurs décisions . De même, un projet mené au sein de l’IDEF (Institut international de Droit d’Expression et d’inspiration Françaises), auquel l’auteur de ces lignes avait contribué, démontre bien la communauté des concepts juridiques des pays arabes. L’entreprise consistait à comparer la jurisprudence en matière de la résolution du contrat et de la responsabilité contractuelle de certains pays phares de la région : l’Irak, le Liban, l’Égypte, la Tunisie et le Maroc. Les résultats obtenus laissent présager l’existence d’un fonds juridique arabe commun en matière contractuelle. En effet, la comparaison révèle des affinités incontestables entre les différentes juridictions. Le juge suit la même méthode de raisonnement aboutissant pratiquement à des solutions semblables. Il en est ainsi de la distinction des obligations de moyens et de résultat, des clauses limitatives de la responsabilité, de la réparation, en général, du seul préjudice prévisible, de la nécessité de la mise en demeure, etc.

Reste à savoir si la doctrine arabe répond aux mêmes paradigmes. Cela implique de jeter un coup d’œil sur la formation des juristes dans ces pays.

La formation des juristes

La réception juridique ne suffit pas pour instaurer ou maintenir un droit, il faut un sentiment profond d’appartenance à ce droit, d’« appropriation ». Il faut donc des juristes.

L’enseignement du droit était et demeure l’un des principaux vecteurs des mutations juridiques dans le monde arabe. On peut même parler d’enracinement de la culture juridique civiliste par le biais de l’enseignement du droit. Dans divers pays, le processus de modernisation lancé dès le début de XIXe siècle par les grandes réformes ottomanes (tanzimat), a opéré à plusieurs niveaux : un renouvellement des acteurs du droit (du cadi au juge de l’Etat), la naissance de l’avocat, un bouleversement des institutions administratives et judiciaires et de l’enseignement du droit, un changement des pratiques .

A cet égard, le caractère éclectique des codifications arabes a beaucoup marqué la doctrine. Celle-ci n’a pas hésité à s’initier au droit comparé en s’ouvrant vers les droits de tradition civiliste qui constituent les sources historiques du droit positif. L’utilisation des arguments comparatifs est très fréquente. Cette influence a pénétré les fondements du droit, ses solutions, ses concepts et les techniques d’interprétation, car on ne peut pas importer les solutions sans les techniques et méthodes afférentes. A cet égard, il ne faut pas perdre de vue que le droit d’un pays comporte des concepts à l’aide desquels il exprime ses règles, des catégories à l’intérieur desquelles il les ordonne ; la règle de droit même est conçue d’une certaine façon . Sur l’ensemble de ces aspects, l’imprégnation dans la tradition civiliste ne fait aucun doute.

Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil sur les traités arabes de droit des obligations et des contrats. Ceux-ci sont, par exemple, truffés de citations de la doctrine française et, à travers elle, de la doctrine allemande et italienne. La citation d’expressions, d’adages ou de toute autre terminologie latine n’est pas chose rare. Celles-ci sont souvent utilisées pour enjoliver les écrits de manière savante . Les auteurs utilisent fréquemment la méthode comparative dans leur analyse des textes, notamment ceux issus des sources extérieures. Le juriste français est parfois surpris de retrouver en langue arabe des formules auxquelles il est parfaitement accoutumé, telle la définition de l’obligation, la notion de la cause ainsi que la célèbre définition de la faute donnée par les Professeurs Mazeaud. Les auteurs arabes continuent par exemple de se référer aux anciens grands auteurs français Planiol et Ripert dont les emprunts sont parfois cités en français. Cela témoigne de l’influence que l’École de l’exégèse continue à exercer sur la doctrine arabe .

Le contact noué sur ce terrain n’est point chose récente. Deux écoles, créées sous l’égide du ministère français des Affaires étrangères, ont été des pièces maîtresses du rayonnement du modèle français au Machrek : l’École française de droit du Caire, créée en 1891 et l’École française de droit de Beyrouth établie en 1913 . Leurs programmes d’enseignement furent calqués sur ceux des Facultés françaises avec, au surplus, un enseignement de droit musulman, indispensable pour les futurs praticiens locaux . Ces écoles ont formé une élite de juristes appelée à peupler les juridictions, les universités et les administrations des futurs États indépendants . Par ailleurs, un nombre important d’universitaires arabes avait trouvé des opportunités pour faire des études de droit en Europe continental, notamment en France. De même, la participation d’universitaires français à l’enseignement du droit dans les universités marocaines, tunisiennes, égyptiennes, libanaises, etc. n’a fait que resserrer ces liens.

L’enthousiasme avec lequel a été accueillie la tradition romaniste peut s’expliquer par de multiples facteurs. D’abord, la conscience ancrée chez les juristes que cet héritage est aussi le fonds commun de l’ensemble du pourtour méditerranéen . En effet, il ne faut pas oublier que les juristes de la région avaient joué un rôle de premier plan dans l’élaboration du corpus juris civilis. Les auteurs libanais aiment rappeler que de cinq grands jurisconsultes ayant élaboré le Digeste, trois au moins étaient originaires du Proche-Orient . Ensuite, dans certains pays soumis à la domination britannique, tels que l’Égypte ou l’Irak, faire le choix du droit français était surtout une manière de narguer l’occupant et d’affirmer une forme de souveraineté, fut-elle seulement sur le plan juridique .

L’existence de cette dynamique peut enfin s’expliquer par l’immobilisme des instances religieuses, les oulémas, face aux défis du monde moderne, l’absence de propositions de leur part, en dehors d’une condamnation de principe de toute innovation . Rappelons qu’au début du XXe siècle, une défiance régnait dans le milieu juridique arabe vis-à-vis du fiqh classique et se nourrissait de l’aspect archaïque que présente ce système. Ses règles, élaborées dans un monde profondément différent du monde actuel, ne sauraient être transformées en normes de droit positif sans une réflexion scientifique préalable. Ainsi, toute mise en œuvre contemporaine nécessiterait ex ante un travail de réadaptation en vue de faire régénérer ce droit . Sanhoury, grand architecte de la codification civil arabe, estimait que même s’il était légitime que le droit musulman constitue une source privilégiée du droit, son application devrait, toutefois, être subordonnée à une « mise en forme » passant par une phase « scientifique », puis « législative » , pour conclure que, « force est de maintenir les systèmes actuels, tant que le droit musulman n’est pas outillé pour l’application pratique immédiate » .

Aujourd’hui, nombreux sont les juristes qui gardent encore cet état d’esprit. Pour Messaoudi, les oulémas du XXIe siècle « devront faire preuve d’imagination et avoir suffisamment de courage scientifique pour enrichir le droit musulman classique en normes nouvelles et moderniser ses méthodes afin de pouvoir le présenter au consommateur sous des formes acceptables et accessibles » . En attendant ce travail, force est de constater que, dans les Facultés de droit du Machrek et du Maghreb, les juristes se tournent vers un droit de facture moderne qui leurs est familier, celui de l’autre côté de la méditerranée. L’influence de la tradition romaniste se manifeste de la manière suivante :

– Dans les travaux académiques – mémoires, thèses, etc.- les comparaisons sont effectuées, sur une vaste échelle, avec le droit français et les droits des pays européens.
– Dans les manuels d’enseignement, plusieurs institutions juridiques sont expliquées sur la base de la doctrine française.
– L’esprit cartésien marque la doctrine arabe.

Ainsi, les traités arabes de droit civil suivent les summa divisio et catégories juridiques romaines. Ils enseignent les mêmes techniques, les mêmes concepts. Cette identité est à peu près générale, qu’il s’agisse des distinctions entre personnes physiques et morales, droits personnels et réels, différents mécanismes générateurs d’obligations comme le contrat et la responsabilité, la gestion d’affaires et l’enrichissement sans cause ou, plus précisément encore, des notions de consentement, objet et cause, comme éléments constitutifs du contrat ou faute, dommage et lien de causalité comme éléments constitutif de la responsabilité civile, celle-ci se décline en différents régimes : du fait personnel, du fait d’autrui, du fait des choses. On y retrouve les distinctions subtiles entre la prescription et la forclusion, entre l’inopposabilité et la nullité, entre la prescription du droit et celle de l’action ou entre le concept d’acte de disposition et celui d’acte d’administration. L’action paulienne et l’action oblique dites actions révocatoire et subrogatoire sont également exposées. Ces notions participent de la mise en place de l’identité spécifique des systèmes civilistes .

Sur ce plan, l’Égypte peut se targuer d’une prestigieuse tradition quant à l’enseignement du droit dans le monde arabe . Hormis le statut personnel exposé d’après le droit musulman, tous les autres cours : droit civil, pénal, constitutionnel, administratif, commercial, international, processuel, etc. sont enseignés suivant les programmes et les canons en vigueur dans les Universités européennes. Nombreux professeurs formés dans les universités égyptiennes, mais aussi syriennes et irakiennes, enseignent dans les pays du Golfe et contribuent par leurs activités à répandre la culture civiliste dans cette région du monde.

Conclusion

Au terme de ces observations, il convient de rappeler qu’une réception juridique n’est pas un transfert de normes mais bien le transfert des idées sous-jacentes à ces normes. Cela procède de la nécessité pour toute société d’avoir un droit propre – ubi societas, ibi jus – prenant en compte les climats politique, social et économique dans le pays. Pour s’inspirer de droit étranger, les rédacteurs arabes étaient amenés chaque fois à comparer les dispositions respectives sur un point donné pour choisir celle qui correspond au mieux à l’aspiration du législateur et au contexte socio-économique. Dans les Codes les plus islamisés, le choix s’est naturellement porté sur les solutions qui concordaient le mieux avec celles du fiqh islamique. Comme le souligne le Doyen Maury, à travers le droit comparé on a donné aux emprunts effectués aux droits étrangers une coloration nationale en les modifiant ou en les complétant . Il s’agit donc là d’une synthèse, faite avec un souci de perfectionnement, plutôt que d’une acculturation pure et simple.

Il va sans dire que ces différentes adaptations ont contribué à rendre plus harmonieuse l’introduction des règles nouvelles permettant ainsi de profiter de l’expérience fructueuse d’autrui. À bien des égards, l’assimilation est facilitée par la proximité des normes reçues. Ainsi, le recours aux sources exogènes n’a pas été ressenti comme brutal en raison, au demeurant, du soin accordé aussi bien à la forme (l’adaptation du style, la reformulation des textes) qu’au fond (sélection, harmonisation, hybridation) . Ainsi peut-on trouver dans les ouvrages des auteurs arabes, même les plus récents, des affirmations comme « en réalité, ce qui a été emprunté aux droits occidentaux ne diffère guère, dans sa teneur globale, des principes généraux de la Charia islamique. Cette dernière a su intégrer parmi les normes occidentales, celles qui sont en harmonie avec la culture et les valeurs arabo-musulmanes » .

Aujourd’hui, le droit du commerce international applicable aux échanges impliquant le monde arabe transpirerait la tradition de common law. Ceci est perçu par certains auteurs comme un recul de la culture civiliste dans la sphère du droit des affaires. Des vives craintes se sont exprimées notamment à l’occasion de la diffusion des rapports Doing business in 2005 : Removing obstacles to growth de la Banque mondiale . Faut-il s’en inquiéter outre mesure relativement aux droits arabes ?
« Le droit comparé enseigne que souvent les vents qui viennent perturber les esprits touchent plus l’imaginaire des juristes que le fond du droit » . Pour survivre, un droit a besoin d’évoluer avec le temps, de s’adapter constamment aux valeurs et la réalité des sociétés modernes. « Il est hors de doute que les dispositions de la loi peuvent varier avec le temps », pouvons-nous lire à l’article 39 du medjellé, repris par le législateur irakien (art. 5 C.civ.). Dans sa structure même, le code éprouve le besoin de rappeler cette évidente nécessité d’évoluer. Le modèle civiliste s’il sait se moderniser, s’il sait s’adapter aux contraintes nouvelles des échanges d’aujourd’hui, peut se renouveler et se dynamiser. Il convient de rappeler que dans le contexte arabe, l’absorption du droit américain et anglais n’est guère aisée. L’imprégnation du modèle civiliste dans le domaine des obligations et contrats paraît, à cet égard, comme une réalité profonde qui ne saurait être facilement ébranlée. La culture civiliste a laissé dans ces pays des traces indélébiles. Elle a fondamentalement transformé la façon d’enseigner, d’étudier et de pratiquer le droit et, par conséquent, de le faire évoluer.