La problématique des fonds souverains chinois en Afrique

INTRODUCTION

Aborder l’importante question d’actualité qu’est la problématique des fonds souverains en Afrique à l’ère de l’OHADA revient d’abord à définir et à donner les caractéristiques de la notion de fonds souverains, de circonscrire son cadre juridique et les mesures de protection prises pour paralyser la possibilité qu’il soit utilisé comme une arme politique (I). Ensuite, il s’agira d’examiner les fonds souverains présents en Afrique et leur force opérationnelle (II).

I. LE STATUT JURIDIQUE DES FONDS SOUVERAINS

La notion de fonds souverains soulève de nombreuses inquiétudes à l’heure actuelle : est-ce le retour du capitalisme d’État? Quel est leur rôle dans le nouvel ordre économique mondial? Opportunité ou menace? Quelles conséquences pour l’Afrique? Il faudrait mieux comprendre leur statut juridique pour pouvoir examiner les inquiétudes qu’ils peuvent soulever.

D’abord, il faut commencer par distinguer les fonds d’investissement des fonds souverains car tous les fonds d’investissement ne sont pas des fonds souverains. Les fonds d’investissements peuvent être des private equity qui ont pour objectif d’investir dans des sociétés sélectionnées sous certains critères. Ils sont le plus souvent spécialisés selon l’objectif de leurs intentions : fonds de capital-risque, fonds de capital développement, fonds de LBO (leverage buy-out) qui correspondent à des stades différents de maturité de l’entreprise . Les fonds de private equitys’intéressent à des entreprises de toutes tailles. C’est ainsi que le fonds KKR en 1988 a racheté le conglomérat américain RJR Nabisco pour un montant de 25 milliards de dollars. Les fonds d’investissement peuvent être aussi des fonds communs de placement ou des fonds de pensionet enfin la troisième des principales catégories de fonds d’investissement est les hedgefunds qui ont fait couler beaucoup d’encre lors des dernières crises. Ils sont définis comme des « fonds à vocation spéculative cherchant des rentabilités élevées et qui utilisent abondamment les produits dérivés, en particulier les options» Ils s’adressent aux personnes physiques ou morales à patrimoine élevé ayant une grande tolérance du risque.
Les fonds souverains quant à eux sont définis comme étant des fonds d’investissement ayant un but défini et particulier et possédé par le gouvernement ou l’État. Les fonds souverains ne sont pas des instruments financiers récents mais inspirent une vague d’inquiétude dans la finance internationale depuis le début des années 2008 à cause de l’importance grandissante qu’ils occupent. Ils sont vus tantôt comme une menace des gouvernements tiers ou comme un espoir de meilleure régulation du marché. La Chine en plein essor économique possède quelques principaux fonds souverains : la China Investment Corporation (CIC), la State Administration of Foreign Exchange (SAFE), la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) et le AfricanDevelopmentFund (ADF). Les deux dernières sont les principales actives en Afrique.

Les fonds souverains peuvent avoir une personnalité distincte du gouvernement ou non. La SAFE par exemple est directement gérée par le gouvernement alors que les autres possèdent une personnalité juridique distincte de celle du gouvernement. Les fonds souverains chinois ont des finalités économiques et stratégiques précises dans le financement des entreprises d’investissements miniers et pétroliers en Afrique : il s’agit de sécuriser des approvisionnements énergétiques. Dès lors, quelles conséquences juridiques pour les cosignataires africains de signer des traités avec des entreprises chinoises privées financées en arrière par le gouvernement chinois? La question du statut juridique des fonds souverains est importante à ce niveau pour pouvoir déterminer quel est le niveau d’implication du gouvernement dans les contrats signés entre le pouvoir public africain et les sociétés privées chinoises. Le chapitre analysera donc dans sa première section les caractéristiques des principaux fonds souverains chinois agissant en Afrique (A) et consacrera la deuxième section à l’examen du cadre juridique international des fonds souverains et des mesures de protection nationale pour limiter l’utilisation à des fins politiques (B).
A. Caractéristiques des principaux fonds souverains chinois en Afrique
Les fonds souverains ont généralement peu d’engagements explicites . Elles investissent dans les actifs africains et poursuivent des stratégies d’investissement à long terme. Ils réinvestissent les réserves monétaires et financières étatiques chinoises comme nous le verrons dans un premier paragraphe avant d’examiner les implications de la personnalité juridique distincte de celle de l’État en un second paragraphe. Nous nous pencherons enfin en troisième paragraphe sur la souveraineté des fonds souverains.

1. Les ressources des fonds souverains chinois : les fonds d’excédents commerciaux et budgétaires

Les sources principales des fonds souverains chinois sont les excédents commerciaux et les excédantes budgétaires qui alimentent les réserves de change. Ces excédants représentent plus du tiers des actifs gérés par les fonds souverains. Selon Caroline Bertin Delacour, l’importance des excédents budgétaires et commerciaux s’explique par le renforcement des politiques budgétaires fondées sur les exportations. En effet, la main-d’œuvre, le salaire moyen (beaucoup moins élevé qu’ailleurs) et la sous-évaluation artificielle de la monnaie chinoise (qui fait l’objet de discussions au sommet de G-20 2011) justifient l’importance des exportations chinoises. Les fonds souverains déposent les fonds à l’étranger, ce qui contribue à la sous-évaluation du Yen (monnaie chinoise). Aussi les cotisations importantes de santé et pensions diverses des habitants contribuent au financement des fonds souverains. Cela étant, il convient d’examiner la personnalité juridique des fonds souverains chinois.

2. La personnalité juridique distincte de celle du gouvernement chinois

La personnalité juridique des fonds souverains signifie qu’ils sont aptes à être titulaires de droits et à être assujettis à des obligations. Les fonds souverains peuvent donc ester en justice. Ils ne peuvent pas dans ce cas invoquer l’immunité de juridiction appliquée à l’État chinois.
Les fonds souverains sont institués par la loi des finances et organisés comme personnes juridiques distinctes de celle du gouvernement et de la banque centrale. Ils sont régis par le droit commun des sociétés et des lois spéciales. Les fonds souverains chinois sont gérés par un conseil d’administration avec la majorité des membres nommés par le ministre des Finances. Il y a généralement une limite quant au nombre de membres du gouvernement pouvant siéger au conseil. Cependant, le président du conseil est désigné par le ministre des Finances.
Cela étant, la stratégie d’investissement et la politique de gestion du fonds sont dictées par le gouvernement et le ministère des Finances. Aussi, le fonds souverain rend compte au gouvernement car c’est lui qui fournit les liquidités.

3. Le contrôle public des fonds souverains et la motivation stratégique d’investissement en Afrique

3.1. Le contrôle public des fonds souverains

Les fonds souverains financent des entreprises chinoises qui viennent constituer des joint-ventures avec les gouvernements ou les entreprises africaines ou investir à leur tour sur le sol africain. Le gouvernement chinois se retrouve donc de près ou de loin, actionnaire de la joint-venture ou du partenariat. À ce titre, le gouvernement chinois à la possibilité d’accéder aux informations du gouvernement hôte, de voter aux assemblées générales ou encore de se faire représenter lors des conseils d’administration de la société formée. Ainsi le gouvernement chinois pourrait donc directement influer sur les politiques d’investissement et d’exécution des projets, et même sur les politiques en matière d’exploitation des ressources naturelles du pays. C’est cette possibilité qui soulève l’inquiétude de l’utilisation des fonds souverains à des fins politiques : la possibilité qu’en plus d’orienter les politiques d’investissements des fonds souverains, le gouvernement chinois puisse orienter la politique d’investissement et de gestion des ressources naturelles des pays africains ou encore la politique tout court.

3.2. Motivation stratégique des fonds souverains chinois en Afrique : assurer l’indépendance énergétique chinoise

À travers la CNOOC particulièrement, la Chine s’approvisionne en matière première et en pétrole en Angola, au Nigéria, au Soudan et dans d’autres pays du golfe de Guinée. En effet, 85% des nouvelles réserves pétrolières se trouvent en Afrique. La croissance des besoins énergétiques chinois oriente la politique d’investissements des fonds souverains du pays. Le gouvernement chinois signe des traités de partenariat en matière énergétique et les fonds souverains viennent en arrière les mettre en œuvre. En Angola par exemple, lors de sa visite en mars 2005, le ministre chinois Zeng Peiyang a signé 9 traités de coopération avec l’Angola en matière énergétique . L’Angola est le second pays producteur de pétrole africain, 94% des exportations angolaises sont pétrolières et la Chine est son premier client en la matière.

Au regard de ce qui précède, les fonds souverains financés par l’État et titulaires d’une personnalité juridique distincte dudit État sont quand même contrôlés par ce dernier et peuvent devenir une menace pour l’État hôte des investissements. Dès lors, le cadre juridique international des fonds souverains et les mesures de protection nationales méritent l’attention.

B. Le cadre juridique international et les mesures de protection nationales

Il s’agit de la réglementation des investissements directs étrangers au niveau international.

1. Le cadre juridique international

Le cadre juridique international va des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sur le libre-échange, à celle de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) : le Code de libéralisation des mouvements de capitaux en considérant les codes de conduite tels que les Principes de Santiago : Principes et pratiques Généralement Acceptés(PPGA) par les fonds souverains.

1.1. Les règles de l’OMC et de l’OCDE

L’OCDE réunit en 2010 trente-quatre pays membres mais la Chine et les pays africains n’en font pas partie. L’OCDE travaille dans le sens de la libéralisation de capitaux entre ses membres. Elle régule les investissements étrangers et a établi un Code de libéralisation des mouvements de capitaux. L’OMC quant à elle compte parmi ses 153 pays membres, 39 pays africains membres et 7 observateurs. Et depuis décembre 2001 la Chine en est membre. Elle s’occupe de la réglementation du commerce transnational.

L’OMC comme l’OCDE établissent le principe de la liberté d’investissements comme moteur de développement économique. Cette liberté d’investissement s’accompagne des principes de non-discrimination et de traitement national. Les pays hôtes ou receveurs d’investissements étrangers doivent le même traitement aux investisseurs nationaux qu’aux investisseurs des autres pays membres. Un traitement moins favorable est prohibé. L’OCDE prévoit la suppression progressive de mesures discriminatoires si elles existent. Le traitement national vise l’égalité de concurrence et de négociation et la libre circulation des capitaux. Ces principes ont force de loi pour les pays membres. Il ressort donc que dans le cadre de l’OMC, les fonds souverains chinois investissant dans les pays africains membres ne peuvent faire l’objet d’aucun traitement moins favorable ou de restrictions.

Cela étant, l’exception de sécurité nationale s’applique. L’OCDE par exemple en l’article 3 du code de la libéralisation des mouvements de capitaux autorise la prise de mesures nécessaires
« à la protection des intérêts essentiels à sa sécurité» et au «maintien de l’ordre public ou à la protection de la santé, de la moralité et de la sécurité publique» .

Les intérêts de sécurité sont déterminés par les États mais il est nécessaire de garder un environnement d’investissement sain. Les mesures prises doivent être codifiées et publiées selon le principe de transparence et de prévisibilité. Et le principe de proportionnalité veut que la mesure prise ne soit pas plus importante que la valeur que l’on tend à protéger.

2.2. Les Principes et Pratiques Généralement acceptés : les principes de Santiago

Le groupe de travail des fonds souverains est constitué des 26 pays membres du FMI possédant un fonds souverain dont la Chine. Le groupe s’est réuni à trois reprises à Washington, à Singapour et à Santiago pour recenser et rédiger un ensemble de principes et pratiques généralement acceptés (PPGA) et qu’il a convenu d’appeler principes de Santiago.

Les principes de Santiago sont guidés par les principes tels que :
«Se conformer à toute réglementation et obligation de communication de l’information financière en vigueur dans les pays où ils investissent»
Aussi cité comme PPGA 15,
«Se doter de structures de gouvernance transparentes et saines permettant de disposer de mécanismes appropriés de contrôle opérationnel, de gestion des risques et de responsabilisation»

Aussi, le PPGA 20 stipule que :
«Le fonds souverain ne peut pas rechercher ou mettre à profit des informations privilégiées ou une position dominante déloyale des entités publiques pour concurrencer les entités privées.»
Les principes de Santiago mettent également l’accent sur la transparence en publiant la finalité du fonds souverain et sa politique d’investissement (PPGA 2 et 18.3). Les informations financières attestant l’orientation économique et financière du fonds (PPGA 17) doivent également être publiées. Le PPGA 11 prescrit un rapport annuel des activités et des résultats du fonds.

En gros les principes de Santiago visent à rassurer les pays d’accueil et prônent à ce titre la transparence des fonds souverains et la conformité aux lois en vigueur dans les pays d’accueil ainsi que l’interdiction de toute influence ou abus du fonds souverain sur son territoire d’accueil.
Reste maintenant à évaluer la mise en œuvre de ces principes par les fonds souverains et aussi les conséquences ou la répression du non-respect des PPGA.

2. Les mesures de protection nationales et communautaires

L’Union européenne à titre de droit comparé et la Communauté économique et monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) dans les lois régissant les investissements étrangers; ainsi que les codes et chartes d’investissement des pays africains partenaires chinois nous servirons de base dans l’examen des mesures de protection nationales.

2.1. Les règles de l’Union européenne

Le principe ici reste celui de la libre circulation des capitaux. L’article 56 du traité instituant la communauté Européenne (traité CE) interdit «toutes restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers.» L’UE pose le principe de la libre circulation des capitaux non seulement entre les pays membres mais également entre les pays membres et les pays tiers.

Cependant, l’article 58 du même traité autorise la «Prise de mesures justifiées par des motifs liés à l’ordre public ou à la sécurité publique.»
Et l’article 296 permet de prendre des mesures nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre. L’ordre public et la sécurité nationale sont donc des motifs de restrictions à la libre circulation des capitaux.

Aussi, « les prises de contrôle dépassant un certain seuil de chiffre d’affaires doivent être notifiées à la commission européenne ou à une ou plusieurs autorités nationales de concurrence en Europe.» De plus les États membres peuvent prendre des mesures appropriées pour assurer la protection d’intérêts légitimes autres que ceux pris en considération par le règlement numéro 139/2004 avec les principes généraux et autres dispositions du droit communautaire. Ce contrôle ne se substitue pas à celui de la commission européenne et le même règlement confère à la commission un pouvoir de décision sur la question.

Enfin l’article 87 du Traité de la Communauté Européenne interdit les aides d’État par le Traité CE à moins d’être autorisées par la commission européenne. Il ressort donc que l’UE dispose déjà d’une réglementation assez contraignante dans la protection des intérêts et de la souveraineté des États membres. L’étude de la question sur le plan de la législation communautaire et nationale africaine à ce niveau s’impose.

2.2.. La législation africaine communautaire et nationale africaine

La CEMAC regroupe 6 pays d’Afrique centrale qui traitent quasiment tous avec la Chine car le golfe de Guinée regorge de ressources naturelles. L’article 23 de la charte des investissements de la CEMAC garantit la libre circulation des capitaux conformément à 8 des statuts du Fonds Monétaire International (FMI) auquel tous les pays membres ont adhéré. L’article 9 de la charte des investissements stipule que :
« Sauf motifs d’ordre public, de sécurité ou de santé publique, les États accordent à l’investissement étranger le même traitement qu’à l’investissement national. Toutefois, ils attendent de l’investisseur étranger qu’il évite tout comportement et toutes pratiques nuisibles aux intérêts du pays d’accueil, notamment par la surfacturation des prestations de la société mère à la filiale nationale, l’évasion fiscale, le recours à la corruption, etc., et qu’il s’abstienne de toute implication dans les activités politiques dans le pays.»

Il ressort que les principes de libre circulation des capitaux et de traitement national demeurent. Les exceptions concernent l’ordre public, et les «pratiques nuisibles» que la Charte CEMAC considère comme la surfacturation des prestations, l’évasion fiscale et la corruption. La Charte met l’accent sur la non-implication dans les activités politiques du pays. Ce dernier point semble à première vue épouser la politique de non-interférence chinoise. Par exemple, on pourrait noter que la Charte ne fait mention d’aucunes restrictions quant à la production ou le commerce d’armes, de munitions ou de matériel de guerre comme le cas de l’UE. La Chine se révèle être l’un des fournisseurs d’armes qui alimentent les conflits politiques en Afrique : du Darfour Soudanais au Zimbabwe en passant par le Burundi, la Tanzanie et la Guinée équatoriale. Il s’agit d’équipements militaires, d’armes et d’appareils militaires aériens. Une réforme juridique s’impose pour épouser les nouvelles réalités d’investissements étrangers en Afrique.

Le droit issu du Traité de Port Louis relatif à l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) signé le 17 Octobre 1993 et modifié à Québec le 17 Octobre 2008 qui compte 17 pays membres , souffre des mêmes limites quant à l’absence d’encadrement des limites ou restrictions à la liberté d’investissement et de circulation des capitaux.

Les législations nationales telles que celles de la République Démocratique du Congo et du Cameroun garantissent aux investisseurs étrangers un traitement équitable et égal que celui des investisseurs nationaux conformément au droit international et communautaire.

Les articles 23 et 25 du Code des investissements congolais et l’article 10 de la Charte des investissements du Cameroun garantissent le traitement national et la libre circulation des capitaux. Cependant les seules restrictions évoquées sont celles relatives à l’ordre public.
La législation africaine se révèle ne pas être à jour par rapport aux nouveaux acteurs de la finance internationale et des investissements étrangers tels que les fonds souverains. Dès lors, la protection des intérêts stratégiques nationaux doit venir d’autres instruments juridiques.

2.3. Les autres instruments juridiques

La Chine détentrice de plusieurs fonds souverains actifs à travers la planète, des États-Unis (dans les institutions bancaires telles que Blackstone ou JC Flowers), en passant par l’Europe (dans l’industrie énergétique avec BP, Total ou Royal Dutch Shell) jusqu’en Afrique, a une réglementation stricte en matière d’investissements étrangers. Une possibilité serait peut-être de poser le principe de la réciprocité dans la signature des traités avec les partenaires africains. Il s’agira de partir de l’idée de faire ailleurs ce que l’on accepterait que l’on fasse chez soi. Cependant, la difficulté d’application de ce principe viendra néanmoins de l’inégalité en matière de force ou de puissance économique. Les pays africains ne seront pas forcement capable de rivaliser avec les investissements étrangers en Chine aussi importants que les investissements chinois en Afrique.

Une autre mesure juridique serait de renoncer par écrit aux immunités étatiques éventuellement applicables dans la rédaction des contrats . En effet, L’État chinois se retrouvant actionnaire dans les entreprises chinoises présentes dans l’industrie extractive africaine, pourrait invoquer l’immunité de juridiction applicable aux États en cas de non-respect des lois en vigueur. Bien que la tendance veuille que l’immunité ne s’applique pas lorsque l’État est impliqué dans les activités commerciales, il est préférable de le stipuler par écrit dans la rédaction des contrats et traités entre la Chine et les États africains.

En somme, l’étude du statut juridique des fonds souverains a révélé que les fonds souverains chinois bien que disposant d’une personnalité juridique distincte de celle de l’État sont tout de même contrôlés par ce dernier et peuvent lui permettre de jouer un rôle ou d’avoir une influence déterminante sur la prise de décisions politiques et économiques sur les États africains récepteurs d’investissements étrangers. Cela étant, une reforme ou du moins une réadaptation du droit des investissements africains est nécessaire pour éviter que le partenariat ne devienne une prise de contrôle de l’Afrique par la Chine surtout au regard de la force opérationnelle grandissante de cette dernière.

II. LA FORCE OPERATIONNELLE DES FONDS SOUVERAINS CHINOIS

La politique pétrolière chinoise vise à renforcer ses approvisionnements pétroliers. En effet, la croissance économique de la Chine a augmenté de façon spectaculaire ses besoins en énergie et en pétrole. La Chine se trouve aujourd’hui juste derrière les États-Unis en matière de consommation pétrolière. L’approvisionnement pétrolier de la Chine dépend donc de ses importations pétrolières. Les fonds souverains chinois sont par conséquent actifs dans les grandes firmes pétrolières et énergétiques à travers le monde telles que BP, compagnie pétrolière dont la SAFE possède 1% du capital d’une valeur de 2 milliards de dollars ou TOTAL où le même fonds souverain chinois détient 1,6% du capital d’une valeur de 2,8 milliards de dollars. En outre, la Chine investit directement et de plus en plus sur le sol africain qui regorge de réserves pétrolières. Les fonds souverains financent les investissements pétroliers en Afrique en échange de leur savoir-faire en matière de bâtiments, de travaux publics et aussi de l’annulation des dettes nationales dans certains pays en prônant la non-interférence dans les affaires politiques.

L’interrogation concernant la performance des fonds souverains chinois (A), mais aussi la menace qu’ils peuvent représenter sur le sol africain (B) vont retenir l’attention de ce chapitre.

A. La puissance économique des fonds souverains

L’évolution des réserves chinoises, l’influence chinoise sur le prix du pétrole et la demande mondiale de cette ressource démontrent la place occupée par la Chine dans cette industrie.

1. L’évolution des réserves chinoises

L’évolution des réserves chinoises en dollars américains est particulièrement spectaculaire. En 1978, les réserves chinoises étaient à 160 millions. En 1994, elles remontaient à 15 milliards et en 2009 elles ont dépassé le seuil de 1 800 milliards. Selon les responsables de la Banque Centrale de Chine , « les réserves de change chinoises de juin 2007 à juin 2008 se sont accrues de plus de 400 milliards de dollars américains et chaque semaine, ce montant s’accroît de 8 à 10 milliards.» En novembre 2008, la Chine était le premier détenteur de bons du Trésor américain avec 585 milliards de dollars. L’évolution des réserves chinoises et la place qu’elles occupent sur la scène internationale ne font pas de la Chine seulement un acteur important du commerce international mais aussi un acteur politique international déterminant.

Sur le sol africain particulièrement, les échanges commerciaux avec la Chine ont quasiment doublé entre 2003 et 2008.Ils ont progressé de 45,1% pour atteindre 106,84 milliards de dollars américains. Les exportations de produits manufacturés chinois vers l’Afrique représentent en 2008, 50,84 milliards de dollars soit 36,3% de hausse par rapport à l’année précédente.

Au final, il est facile de se rendre compte de l’importance des fonds souverains chinois et de leur activité grandissante sur tous les continents et particulièrement sur le continent africain. La puissance chinoise en constante évolution en matière pétrolière particulièrement se fait ressentir sur l’influence qu’elle a sur la fluctuation du prix du pétrole.

2. L’évolution du prix du pétrole

Le prix du pétrole dépend de l’offre et de la demande. Selon l’AIE, les ralentissements des besoins énergétiques chinois et asiatiques à l’exclusion du Japon devraient baisser la consommation de pétrole à 0,8 million de barils par jour en 2008 par rapport à l’année précédente. Pourtant, il y a moins de réserves et les nouvelles réserves vont être plus onéreuses quant à l’extraction car les plus faciles ont déjà été trouvées. La demande pétrolière chinoise devrait doubler d’ici 2020. La tendance semble démontrer que la demande va se faire plus forte que l’offre et le prix du baril n’en sera affecté qu’à la hausse.

La croissance de l’implantation chinoise en matière énergétique explique mieux la politique chinoise d’investissement visant à garantir les approvisionnements pétroliers. À cela s’ajoute le fait que le pétrole brut africain dont les réserves représentent 9,5% des réserves mondiales est beaucoup moins chargé en sulfate que celui du Moyen-Orient et donc beaucoup moins onéreux à raffiner.

L’attrait chinois pour l’énergie africaine se révèle donc particulièrement stratégique et soulève la question de la menace que les fonds souverains pourraient être pour le continent noir.

B – La menace des fonds souverains en Afrique

En effet, sachant que les fonds souverains peuvent mener à l’ingérence et même l’influence et le contrôle des politiques gouvernementales nationales africaines, la question de savoir s’il s’agit d’une nouvelle colonisation du continent africain subsiste et alimente les débats. Pourtant, la Chine prône la non-interférence dans les affaires étatiques d’un côté et éponge les dettes des pays africains de l’autre.

1. La politique de non-interférence

Il s’agit pour la Chine de ne pas s’ingérer dans les affaires des pays où elle investit en Afrique. Cependant, les troubles politiques en Afrique sont alimentés par les armements chinois comme le cas du Darfour Soudanais. Alors que dans le même temps Khartoum est l’hôte d’une raffinerie (la Khartoum Refinery Corporation) résultant d’un joint-venture entre la China National Petroleum Company (CNPC) et une compagnie soudanaise. De plus la Chine offre une protection diplomatique au gouvernement soudanais accusé par les Nations Unies du génocide dans l’ouest du Darfour. De plus, les groupes de défense des droits de l’homme accusent le gouvernement soudanais de massacrer les civils et de les chasser de leurs terres ancestrales devenues des aires de production pétrolière . À ce niveau, la non-interférence ne rimerait-elle pas avec maintien du chaos pour mieux se servir ?

La Chine signe et exécute des contrats pétroliers de millions de dollars avec les États africains en pleins troubles politiques voir guerres civiles. La politique de non-interférence ne se révèle pas être tout à fait impartiale car à défaut de faire changer les choses, elle contribue à maintenir les troubles.

2. L’épongée des dettes nationales

La Chine éponge les dettes nationales dans certains pays africains et accorde des prêts à des taux préférentiels dans le cadre de la coopération Chine-Afrique en échange d’accès aux ressources naturelles sous forme de licences d’exploitations et de contrats. Ces prêts sont accordés sans condition contrairement à ce qu’ils auraient été avec le FMI par exemple. La Chine a épongé près de 20 millions de la dette tanzanienne et 40% de la dette ivoirienne.

En effet, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption qui sont des conditions capitales pour pouvoir bénéficier des financements des institutions internationales telles que le FMI ou la Banque Mondiale, ne sont pas des obstacles pour traiter avec la Chine ni même la fragilité économique et la solvabilité du receveur. En 2004, le gouvernement angolais bénéficiait de 2 milliards de crédits à un taux d’intérêt de 1,5% sur 17 ans en échange du marché de la reconstruction nationale . En 2007, le Kenya recevait 20 millions de dollars de prêt de la Chine pour la reconstruction de logements. L’assistance de la Chine en Afrique a doublé entre 2006 et 2009. Le sommet de Beijing de 2006 annonçait 3 milliards de dollars de prêts préférentiels. Dès lors, la menace du contrôle ou de l’influence demeure entière.