L’efficacité de la convention d’arbitrage en droit OHADA

Résumé

Les initiateurs du Traité relatif à l’OHADA, soucieux d’organiser un environnement propice au développement de l’activité économique avaient souhaité faire de l’arbitrage l’instrument privilégié du règlement des différends contractuels et de la lutte contre l’insécurité juridique et judiciaire dans la zone couverte par le Traité. Cette volonté s’est traduite par l’adoption de trois textes majeurs fixant le cadre général de l’arbitrage dans l’espace OHADA. Cette législation reconnait la pleine efficacité à la convention d’arbitrage. Par ce type d’accord, des parties à un contrat décident de soustraire les litiges pouvant en résulter de la connaissance des ordres juridiques nationaux et de leurs juridictions. Mais au Cameroun, l’on note une pratique controversée de cette règle. Ce qui pourrait, à terme, mettre à mal l’objectif du législateur OHADA. C’est pourquoi il paraît nécessaire de rechercher un moyen de restaurer la priorité de l’arbitrage afin de satisfaire à l’objectif de sécurisation.

Abstract:

In a bid to organise a suitable environment for the development of economic activities, the initiators of the Organization for Harmonizing Business Law in Africa (OHBLA) known by its French acronym “OHADA” Treaty, wished to make arbitration one of the privileged tool for resolution of contractual disputes and the fight against judicial and legal insecurity in the zone covered by the treaty. This will has been realised by the adoption of three major texts laying down the general framework for arbitration within the “OHADA” landscape. This legislation recognizes the efficiency of the arbitration convention. Following this type of agreement, parties to a contract decide to submit their contractual disputes to an arbitrator instead of the national judges or jurisdictions.
In Cameroon however, this rule has given rise to some controversy. This could defeat the objectives of the “OHADA” legislation. It is therefore necessary to seek ways and means of restoring the objectives of arbitration in order to have a secured legal environment.

Introduction

Une réflexion sur l’efficacité de la convention d’arbitrage nécessite que l’on s’attarde en guise de préalable sur la notion même d’arbitrage. Cette institution revêt une double nature à la fois juridictionnelle et contractuelle. C’est un mode juridictionnel de règlement des litiges en ce sens que, la procédure d’arbitrage met fin au litige et la sentence rendue par les arbitres est revêtue de l’autorité de la chose jugée. L’arbitrage a un fondement essentiellement contractuel parce qu’il tire sa raison d’être de la convention d’arbitrage. La volonté des parties est prédominante dans la procédure arbitrale. Elle se manifeste dans le pouvoir de juger des arbitres et dans la liberté des parties de régler la procédure.

La notion d’arbitrage n’a pas de définition légale. La doctrine a cependant proposé un certain nombre de définitions. Pour Messieurs Robert et Moreau, l’arbitrage est « l’institution d’une justice privée grâce à laquelle les litiges sont soustraits aux juridictions de droit commun, pour être rendus par des individus, revêtus pour la circonstance, de la mission de les juger » . Jarrosson l’a défini comme « une institution par laquelle un tiers règle un différend qui oppose deux ou plusieurs parties, en exerçant la mission juridictionnelle qui lui a été confiée par celles-ci » . C’est aussi le « jugement d’une contestation par des particuliers choisis, en principe, par d’autres particuliers au moyen d’une convention » , « un mode de solution des conflits qui trouve son origine dans une convention privée et qui aboutit à une décision revêtue de l’autorité de la chose jugée. Cette décision est acquise grâce à l’intervention d’un ou de plusieurs particuliers auxquels la volonté commune des parties donne pouvoir de trancher le litige » .
En Afrique, l’arbitrage a été pendant longtemps très peu pratiqué. Mais, depuis l’avènement de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du droit des Affaires , il connaît un regain d’intérêt. Le législateur africain en a fait un instrument privilégié de règlement des différends contractuels et de la lutte contre l’insécurité judiciaire dans l’espace OHADA . En effet, comparativement à la justice étatique, l’arbitrage offre en effet un certain nombre d’avantages : la confidentialité , la rapidité et surtout le coût . Il s’agit sans conteste du mode de règlement des différends qui convient le mieux au monde des affaires en raison de son caractère « lénifiant » . C’est ce qui justifie sans doute que les initiateurs du Traité OHADA , soucieux d’organiser un environnement propice aux activités économiques aient souhaité le voir se développer . Cette volonté s’est traduite par l’adoption de trois textes majeurs qui fixent le cadre et les principes généraux de l’arbitrage dans l’espace OHADA. Il s’agit du Traité , de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage adopté le 11 mars 1999 et du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage .
Le processus d’arbitrage est fondé sur l’existence de la convention d’arbitrage. Sans celle-ci, l’arbitrage ne peut pas être mis en œuvre. La convention d’arbitrage se présente comme un accord des parties au contrat principal de soumettre leurs éventuels litiges à des arbitres et de se soumettre à leur décision. Elle est désignée sous le terme clause compromissoire lorsqu’elle est rédigée en vue d’un litige futur ou sous celui de compromis lorsqu’elle porte sur un litige déjà né .
Lorsque la convention d’arbitrage est valide et qu’un litige survient, la convention d’arbitrage doit manifester son efficacité. Cette efficacité se traduit par le rôle élusif de la convention d’arbitrage. C’est ce qui ressort de l’article 13 de l’AU aux termes duquel, « Lorsqu’un litige, dont le tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente. Si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ». La solution s’impose aussi en sens inverse au regard de l’article 9 du Règlement d’arbitrage de la CCJA qui dispose « Lorsque prima facie il n’existe pas entre les parties de convention d’arbitrage visant le présent règlement, si la défenderesse décline l’arbitrage de la Cour, ou ne répond pas dans le délai de 45 jours, la partie demanderesse est informée par le Secrétariat Général qu’il se propose de saisir la Cour en vue de la voir déclarer que l’arbitrage ne peut avoir lieu ».

La réflexion menée ici est relative à l’efficacité de la convention d’arbitrage. Les termes « effet » ou « efficacité » seront indifféremment employés dans nos prochains développements car, ces termes sont relativement proches. En effet, l’efficacité désigne la qualité de ce qui est efficace . Le terme efficace quant à lui voulant dire qui produit l’effet voulu .

Ici, l’efficacité se manifeste à l’égard des trois acteurs de l’arbitrage : les parties, le juge étatique et l’arbitre. Nous ne nous intéresserons ici qu’à l’efficacité de la convention d’arbitrage à l’égard des parties et des juridictions étatiques. Car, malgré les principes énoncés par le législateur OHADA et confortés par la jurisprudence, il n’est pas superfétatoire de mener une réflexion sur l’efficacité de la convention d’arbitrage compte tenu de l’environnement de l’OHADA, notamment au Cameroun ainsi qu’au regard de l’impact que les initiateurs du Traité souhaitaient donner à l’arbitrage, comme mode approprié de règlements des différends. Il pourrait en effet être envisagé des hypothèses dans lesquelles les juridictions étatiques statueraient sur un litige en dépit de l’existence d’une convention d’arbitrage valide. Ces atteintes à l’efficacité de la convention d’arbitrage pourraient conduire à une certaine relativité de son effet dans l’espace OHADA et pourraient, à terme, porter atteinte à l’objectif affiché de sécurité judiciaire de l’environnement OHADA.

A première vue, la question qui devrait se poser est celle de savoir quel sort devrait être réservé à la priorité de l’arbitrage et à l’efficacité de la convention d’arbitrage. Les développements qui suivent seront principalement prospectifs étant donné que le législateur OHADA s’est contenté de poser le principe de la priorité de l’arbitrage sans toutefois envisager les hypothèses de conflits entre la juridiction étatique et la juridiction arbitrale. Or, ces hypothèses qui constituent autant d’atteintes à l’efficacité de la convention d’arbitrage pourraient ne pas demeurer de l’ordre du cas d’école. Il faudrait donc savoir comment elles pourraient être résolues. Pour cela, il importe de faire la distinction en fonction de la nature de ces atteintes.

Certaines de ces atteintes sont justifiées par la nécessité car, « l’arbitrage ne peut pas être totalement soustrait de l’emprise des juridictions étatiques » . En effet, l’arbitre n’ayant pas d’imperium, l’Etat doit exercer son contrôle sur la sentence afin de la rendre exécutoire sur son territoire. En outre, l’arbitrage a parfois besoin pour son organisation et son déroulement de l’appui du juge étatique désigné comme « le juge naturel de l’arbitrage » . En revanche, d’autres atteintes à l’efficacité de la convention d’arbitrage, véritables manœuvres d’obstruction à sa force obligatoire doivent être dénoncées. Mais avant d’exposer quelles sont les atteintes à l’efficacité de la convention d’arbitrage (I), il convient de revenir sur l’affirmation par le droit OHADA de l’efficacité de la convention d’arbitrage (II).
L’affirmation par le droit OHADA de l’efficacité de la convention d’arbitrage

L’efficacité de la convention d’arbitrage s’apprécie à l’égard des parties (A) et à l’égard du juge et de l’arbitre (B).

L’efficacité de la convention d’arbitrage à l’égard des parties
La doctrine a défini arbitrage comme un contrat par lequel les parties se donnent un juge qui agit après sa désignation comme un véritable magistrat ou encore comme « l’accord par lequel les parties décident de soumettre un litige qui les oppose à des arbitres » .Ce contrat prend sa source dans un autre contrat : la convention d’arbitrage qui va fonder l’arbitrage ; à défaut, il ne peut y avoir d’arbitrage . En tant que contrat, la convention d’arbitrage obéit aux règles générales qui gouvernent le droit des contrats. Notamment celle de la force obligatoire des contrats tirée de l’article 1134 du Code civil aux termes duquel « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi ». Pierre Meyer a justement considéré que par la convention d’arbitrage, les « parties s’obligent à faire trancher par un ou plusieurs arbitres des litiges susceptibles de les opposer ou qui les opposent déjà » . C’est l’effet obligatoire de la convention d’arbitrage.
Par le choix de l’arbitrage, les parties décident de soustraire leurs contrats de l’influence des ordres juridiques nationaux et de leurs juridictions . Dès lors que la convention d’arbitrage est valable, elle s’impose aux parties qui sont tenues de soumettre leurs différends contractuels à l’arbitrage à l’exclusion de tout autre mode de règlement des litiges. Cette règle s’impose même si l’une de ces parties est un Etat, une collectivité publique ou un établissement public . Ces personnes ne pouvant, pour éviter l’application de la convention d’arbitrage, invoquer « leur propre droit pour l’arbitrabilité d’un litige, leur capacité à compromettre ou la validité de la convention d’arbitrage » . L’Etat ne peut donc plus paralyser la convention d’arbitrage à laquelle il est partie et à laquelle il a librement consenti .
A l’égard des parties, l’efficacité de la convention d’arbitrage signifie l’obligation pour elles de soumettre le litige à l’arbitre. La force obligatoire de la convention d’arbitrage et la primauté de l’arbitre se déduisent clairement de la lecture de la législation OHADA relative à l’arbitrage. Nous pouvons citer les dispositions de l’Acte uniforme relatives à la constitution du tribunal arbitral, l’article 5 de l’Acte uniforme qui organise une procédure destinée à contourner la tentative de blocage du processus arbitral , s’agissant de l’arbitrage CCJA, les dispositions du Règlement d’arbitrage portant sur la demande d’arbitrage et la constitution du tribunal arbitral .
En vertu du principe de la force obligatoire des conventions, les parties ont l’obligation de déférer aux arbitres les litiges définis par la convention d’arbitrage. Il n’est porté atteinte à ce principe que de façon exceptionnelle, notamment lorsque la clause est manifestement nulle . Il a été ainsi jugé que des parties ayant donné compétence à la Chambre de commerce internationale pour connaître de tout litige ou contestation pouvant provenir de l’application ou de l’interprétation du Protocole d’accord et de son annexe, « tout juridiction étatique saisi d’un tel litige doit se déclarer incompétente conformément aux dispositions de l’article 13 alinéas 1 et 2 » de l’AUA. Dans la même affaire, la Cour suprême de Côte d’Ivoire avait précédemment jugé que viole la loi la Cour d’Appel qui retient sa compétence alors que les parties étaient convenues « de soumettre tout litige ou contestation pouvant provenir de l’application ou de l’interprétation de la présente convention à une procédure d’arbitrage selon les règlements de la Chambre de Commerce Internationale » .
L’efficacité de la convention d’arbitrage à l’égard de l’arbitre et du juge étatique
A l’égard de l’arbitre l’efficacité de la convention d’arbitrage tient de ce que cette convention est la source de ses pouvoirs juridictionnels. Si l’une des parties venait à contester les pouvoirs de l’arbitre en prenant pour prétexte l’invalidité de la convention d’arbitrage, il appartiendrait à l’arbitre de statuer sur la question. L’article 11 de l’Acte uniforme portant droit de l’arbitrage énonce en effet que : « le tribunal arbitral statue sur sa compétence, y compris sur toutes les questions relatives à l’existence et la validité de la convention d’arbitrage » ; ceci en vertu du principe de la « compétence-compétence » . Ce principe permet à l’arbitre de ne pas être soumis aux contestations et aux manœuvres des parties visant à limiter l’efficacité de la convention d’arbitrage.
S’agissant du juge étatique, l’efficacité de la convention d’arbitrage se traduit par son incompétence. Au-delà du respect qu’il doit à la convention d’arbitrage, la signature d’une telle convention a surtout pour effet de le rendre incompétent pour connaître à titre principal du contentieux de la clause et du fond du litige . Lorsque les parties sont convenues de soumettre leurs différends à un arbitrage, il doit y avoir exclusivité de la procédure arbitrale vis-à-vis des juridictions étatiques. « En présence d’une convention d’arbitrage qui n’est pas manifestement nulle ou inapplicable, le juge est invité à renvoyer les parties à l’arbitrage, de façon à mettre les arbitres en mesure de statuer les premiers sur la question de la validité et de la portée de la convention d’arbitrage, sous le contrôle ultérieur du juge de l’annulation ou du juge de l’exequatur » . Cette obligation, prévue par les principales conventions internationales relatives à l’arbitrage est reprise par le droit OHADA notamment dans l’article 23 du Traité et dans l’article 13 de l’AUA dont l’alinéa 1er dispose que « lorsqu’un litige, dont le tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention d’arbitrage, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente ».
Malgré l’incompétence de principe du juge étatique, son intervention est cependant quelquefois utile. L’implication du juge étatique dans la procédure arbitrale ne contredit pas son devoir d’abstention. Si le juge est amené à intervenir, il le fait à la demande des parties, non pour exercer une éventuelle tutelle sur l’arbitrage, mais pour consolider un arbitrage fragilisé par la survenance d’une difficulté.
L’incompétence de la juridiction étatique en présence d’une convention d’arbitrage nous apparaît logique en raison de la spécificité de ce type de convention. Celle-ci vise en effet à exclure le contrat de l’influence des ordres juridiques nationaux et de leurs tribunaux.
L’incompétence de la juridiction étatique pose toutefois quelques difficultés. D’une part, elle est limitée aux juridictions étatiques des Etats parties au Traité. Cela veut dire que si une telle règle n’est pas posée dans un Etat hors OHADA, l’exclusivité de la compétence du tribunal arbitral ne s’applique pas. Il faudrait alors éventuellement recourir aux conventions internationales signées par l’Etat dont relèvent les juridictions concernées . D’autre part, la déclaration d’incompétence des juridictions étatiques n’est pas automatique . En effet, conformément à l’article 13 al 3 AUA, « la juridiction étatique ne peut d’office relever son incompétence ». Il faut un acte positif de l’une des parties . Il pourrait arriver que l’une d’elles décide de saisir le juge étatique et que l’autre n’excipe pas de l’exception d’incompétence. Dans ce cas, c’est à bon droit que le juge rendra une décision en lieu et place de l’arbitre. Une telle abstention pouvant alors être comprise comme une renonciation tacite à l’arbitrage.
La CCJA a eu l’occasion d’affirmer qu’une clause d’arbitrage insérée dans le protocole d’accord constituant une défense à toute réclamation judiciaire de la prétendue créance, la juridiction étatique saisie d’un litige qui relève de la compétence d’un tribunal arbitral en vertu d’une convention d’arbitrage, ne peut décliner sa compétence qu’à la condition que l’une des parties lui en ait fait la demande. Pour rejeter la branche du pourvoi, la juridiction supranationale a décidé que, le « demandeur au pourvoi n’ayant pas soulevé l’incompétence de la juridiction saisie, la Cour d’Appel d’Abidjan n’a en rien violé les règles régissant la matière des conventions » .
L’interdiction faite au juge de connaître du fond des litiges visés par une convention d’arbitrage semble être respectée par les juridictions des Etats parties au Traité. Ainsi, la Cour d’Appel de Ouagadougou a affirmé que « Lorsque les parties ont expressément prévu la voie de l’arbitrage pour le règlement des différends, c’est à bon droit que la juridiction étatique s’est déclarée incompétente en application de l’article 13 AUA» . De même le juge camerounais a jugé « qu’en application de l’article 13 AUA, le tribunal saisi doit se déclarer incompétent » . La CCJA n’a fait que conforter ces différentes positions jurisprudentielles nationales lorsqu’elle a décidé, en se fondant sur les alinéas 1, 2 et 3 de l’article 13 AUA que, la clause d’arbitrage insérée dans un protocole d’accord constitue une défense à toute réclamation judiciaire de la prétendue créance .
Les atteintes à l’efficacité de la convention d’arbitrage
Aux termes de l’article 13 al 1er in fine AUA, lorsque le tribunal arbitral est déjà saisi, le juge ne peut soulever d’office son incompétence. Il se déduit de cette disposition que le principe de l’incompétence du juge étatique n’est pas d’ordre public. Ce qui donne un caractère relatif à la primauté de l’arbitrage. Cela pourrait sans doute expliquer certains tempéraments à l’efficacité de la convention d’arbitrage qui constituent autant de brèches à la suprématie de l’arbitrage. Si pour certaines d’entre elles, il s’agit d’atteintes justifiées à l’efficacité de la convention d’arbitrage (A), d’autres en revanche, véritables manœuvres d’obstruction à la force obligatoire de la convention d’arbitrage doivent être dénoncées car elles constituent des atteintes injustifiées à l’efficacité de la convention d’arbitrage (B).
Les atteintes justifiées à l’efficacité de la convention d’arbitrage
Le principe de l’incompétence des juridictions étatiques en présence d’une convention d’arbitrage est relatif. Il existe des hypothèses dans lesquelles la juridiction étatique interviendra en toute « légalité ». L’intervention du juge peut être justifiée par le respect de l’ordre public.
En certaines matières, il y a atteinte à la liberté des parties en raison de l’extension de l’ordre public. C’est le cas notamment en matière pénale, en matière de divorce ou encore en matière de procédures collectives. Dans les deux premiers cas, l’intervention du juge étatique est alors fondée sur l’inarbitrabilité du litige . Dans le cadre des procédures collectives, la volonté des parties et la force obligatoire du contrat s’effacent devant l’intérêt supérieur de sauvegarde de l’entreprise . C’est ainsi qu’il a été décidé que l’objet de la procédure collective étant « d’organiser de façon collective toutes les procédures de règlement en vue de l’apurement du passif de l’entreprise, …., (elle) revêt un caractère d’ordre public d’où l’intervention de plus en plus croissante du ministère public ; que dès lors, la clause compromissoire qui lie uniquement les parties à la convention ne saurait prospérer dans le cas d’espèce » .
L’intervention de la juridiction étatique est également justifiée lorsqu’elle permet de trancher une difficulté pour rendre la justice arbitrale efficace. Il n’y pas atteinte au caractère contractuel de l’arbitrage ; le juge intervient à la demande des parties pour faire respecter leur volonté.
Nous verrons de quelle façon se manifeste l’intervention du juge en tant que juge d’appui dans l’arbitre OHADA (1) puis, en cas de nullité manifeste de la convention d’arbitrage (2) ou en cas d’urgence reconnue et motivée (3).
L’intervention du juge d’appui dans l’arbitre OHADA
Bien que l’effet obligatoire de la convention d’arbitrage soit limité aux parties , le juge étatique est également tenu par l’effet obligatoire de la convention d’arbitrage. Il doit en effet veiller à ce que ladite convention reçoive sa pleine efficacité. Les parties ayant exprimé leur volonté de ne pas soumettre leur différend à un tribunal étatique, le juge doit veiller à ce que les parties respectent ce dont elles sont convenues. Le juge étatique se fait ainsi juge d’appui, « serviteur » de la convention d’arbitrage.
Certes, les parties ont exprimé leur volonté de ne pas soumettre leur différend à un tribunal étatique, mais, le juge doit veiller à ce que les parties respectent leur obligation de recourir à l’arbitrage. Il doit faire en sorte que ladite convention reçoive sa pleine efficacité en contribuant le cas échéant à la mise en place du tribunal arbitral ou au déroulement de la procédure arbitrale. L’intervention du juge étatique a pour objet de donner effet à la volonté des parties de voir leur différend jugé par un ou plusieurs arbitres. Le juge doit donc user de tout son pouvoir pour que le tribunal arbitral soit constitué. Saisi par la partie la plus diligente, il doit faire comparaître les parties au litige pour s’assurer de leur collaboration dans la désignation du nombre d’arbitres devant constituer le tribunal arbitral. Il leur accordera éventuellement des délais en vue de procéder à la désignation de leur arbitre .
Dans ce sens, l’article 5 de l’AUA prévoie que le juge étatique veille à l’exécution de la convention d’arbitrage en cas de résistance de l’une des parties. Il est alors « serviteur » de la convention d’arbitrage. Le juge étatique intervient au début de la procédure lorsque les parties ne parviennent pas à constituer le tribunal arbitral, lors du déroulement de la procédure arbitrale et à l’occasion des recours contre la sentence.
Il peut ainsi se substituer momentanément à un arbitre empêché ou non encore désigné. Si les parties ne sont pas convenues d’une procédure en vue de pourvoir à ce remplacement et si le tribunal arbitral ne parvient pas à résoudre la difficulté, il appartient au juge étatique d’intervenir, à la demande de la partie la plus diligente . De même, le juge d’appui peut intervenir lorsque l’une des parties souhaite obtenir des mesures provisoires ou conservatoires. Cette intervention est organisée aussi bien par l’AUA que par le Règlement d’arbitrage de la CCJA .
Prévue dans la plupart des textes sur l’arbitrage, cette assistance technique est également organisée en droit OHADA ; qu’il s’agisse de l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage ou du Règlement d’arbitrage de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Ces textes, qui sont le fondement de l’arbitrage OHADA prévoient en effet l’intervention du juge d’appui dans le processus arbitral: lors de la constitution du tribunal arbitral et pendant l’instance arbitrale (a) ainsi, qu’après le prononcé de la sentence arbitrale (b).
L’intervention du juge d’appui lors de la constitution du tribunal arbitral et pendant l’instance arbitrale
Aux termes de l’article 5 de l’AUA, les parties procèdent à la constitution du tribunal arbitral . Mais, en cas de défaillance de l’une d’elles pour la désignation d’un arbitre, le juge d’appui prend le relais . Le juge saisi par la partie la plus diligente doit faire comparaître les parties au litige pour s’assurer de leur collaboration dans la désignation du nombre d’arbitres devant constituer le tribunal arbitral. Il leur accordera éventuellement des délais en vue de procéder à la désignation de leur arbitre .
Au moment de la constitution du tribunal arbitral, l’assistance du juge d’appui est conditionnée par les défauts ou les insuffisances de la convention d’arbitrage. C’est le cas notamment lorsque la convention d’arbitrage est incomplète c’est-à-dire ne permet pas la désignation des arbitres. Le juge étatique va également intervenir pour compléter le nombre des arbitres afin de faire respecter la règle le l’imparité posée par l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage . Il interviendra aussi pour reconstituer le tribunal arbitral à la suite de la récusation, de l’incapacité, du décès, de la démission ou de la révocation d’un arbitre . Si les parties n’ont pas organisé la procédure de récusation, « le juge compétent dans l’Etat partie statue sur la récusation » (article 7 al. 2 AUA).
Dans l’arbitrage CCJA, le rôle du juge d’appui, dans la mise en place du tribunal arbitral, incombe à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage qui intervient alors non pas en tant que juridiction mais comme centre d’arbitrage. La Cour procède ainsi, en lieux et place des parties ou même des arbitres, à la nomination des arbitres. Elle examine les demandes de récusation, de remplacement pour cause de démission, d’incapacité ou de décès d’arbitres (articles 3 et 4 RA CCJA).
Au cours de l’instance arbitrale, le juge d’appui est également sollicité. C’est le cas lorsque la nécessité de remplacer un arbitre se fait sentir en cours de procédure. Si les parties ne sont pas convenues d’une procédure en vue de pourvoir à ce remplacement et si le tribunal arbitral ne parvient pas à résoudre la difficulté, il appartient au juge étatique d’intervenir, à la demande de la partie la plus diligente (articles 7 et 8 AUA). De même, le juge d’appui peut intervenir lorsque l’une des parties souhaite obtenir des mesures provisoires ou conservatoires. Son intervention est organisée par l’AUA (article 13 al. 3) ainsi que par le Règlement d’arbitrage de la CCJA .
Hormis son intervention lors de la constitution du tribunal arbitral et pendant l’instance, l’assistance judiciaire du juge d’appui est également requise après le prononcé de la sentence.

L’intervention du juge d’appui après le prononcé de la sentence arbitrale
De façon générale, le prononcé de la sentence dessaisit l’arbitre du litige . Il peut toutefois être appelé à interpréter sa sentence, la rectifier en cas d’erreur matérielle ou encore la compléter par une sentence additionnelle en cas d’omission à statuer. Mais si le tribunal arbitral ne peut plus être réuni, ce pouvoir appartient au juge étatique qui se contente de procéder à un contrôle formel de la sentence.
Ce contrôle vise à vérifier l’existence de la sentence et à s’assurer qu’elle n’est pas manifestement contraire à l’ordre public international des Etats parties. C’est le résultat de cet examen qui motivera la décision du juge d’accorder ou non la reconnaissance et l’exequatur à la sentence (article 31 al.3 AUA). Après le prononcé de la sentence, la CCJA est alors seule compétente pour statuer sur l’exequatur (article 30 RA CCJA) ou sur les recours contre ladite sentence .
La déclaration d’incompétence des juridictions étatiques n’est pas automatique . En effet, conformément à l’article 13 al 3 AUA, « la juridiction étatique ne peut d’office relever son incompétence ». Il faut un acte positif de la part de la partie qui excipe de l’incompétence du juge étatique .
Au-delà du respect qu’il doit à la convention d’arbitrage, la signature d’une convention d’arbitrage a surtout pour conséquence l’incompétence du juge étatique; c’est l’effet négatif de la convention d’arbitrage. Cet effet consiste à interdire au juge étatique de connaître à titre principal du contentieux et de connaître du fond du litige . Lorsque les parties sont convenues de soumettre leurs différends à un arbitrage, il y a en principe exclusivité de la procédure arbitrale vis-à-vis des procédures judiciaires. La règle est doublement affirmée par le droit OHADA de l’arbitrage dans les articles 23 du Traité et 13 de l’Acte uniforme relatif à l’arbitrage .
La CCJA a eu l’occasion d’affirmer que la clause d’arbitrage insérée dans un protocole d’accord constituant une défense à toute réclamation judiciaire de la prétendue créance, la juridiction étatique saisie d’un litige qui relève de la compétence d’un tribunal arbitral en
vertu d’une convention d’arbitrage ne peut décliner sa compétence qu’à la condition que l’une des parties lui en ait fait la demande. En l’espèce, le « demandeur au pourvoi n’ayant pas soulevé l’incompétence de la juridiction saisie, la CA d’Abidjan n’a en rien violé les règles régissant la matière des conventions » .
Hormis son intervention justifiée par sa qualité de juge d’appui de l’arbitrage, le juge étatique va être amené à intervenir en dépit de l’existence d’une convention d’arbitrage en cas d’urgence reconnue et motivée ou encore, lorsque la convention d’arbitrage est manifestement nulle.
La nullité manifeste de la convention d’arbitrage
L’incompétence de la juridiction étatique trouve une exception en cas de nullité manifeste de la convention d’arbitrage comme le prévoit l’article 13 alinéa 2 de l’Acte uniforme sur l’arbitrage .
La notion de nullité manifeste n’est pas nouvelle. Le législateur OHADA ne fait que reprendre les termes de l’article 1448 du Code français de procédure civile sans toutefois définir la notion de nullité manifeste. L’absence de définition législative pousse alors à recourir à la doctrine. Celle-ci s’accorde sur la nécessité d’une interprétation stricte de l notion de nullité manifeste. Il doit s’agir « d’une nullité évidente et incontestable qu’aucune argumentation sérieuse n’est en mesure de mettre en doute » . Pour être retenue, cette défense d’irrecevabilité doit être constatée prima facie, de façon évidente . Le moindre doute sur la nullité de la convention d’arbitrage laisse subsister la compétence du tribunal arbitral. La juridiction étatique saisie ne doit mener aucune investigation ni analyse . Il s’agit ici de faire barrage à d’éventuelles manœuvres dilatoires d’une partie qui engagerait un arbitrage tout en sachant que cette procédure sera vouée à l’échec parce que la convention d’arbitrage est nulle. Il est possible de citer quelques exemples de nullité manifeste tirés de la jurisprudence. C’est ainsi qu’une convention d’arbitrage sera considérée comme manifestement nulle lorsque la convention d’arbitrage a déjà été déclarée nulle, est inexistante ou si le litige porte sur une matière inarbitrable . Toutefois, l’insuffisance de la clause, son obscurité ou son incompatibilité avec d’autres clauses contractuelles ne sont pas constitutifs de la nullité manifeste. C’est à la partie qui invoque la nullité manifeste qu’il appartient de démontrer le caractère manifestement nul de la convention d’arbitrage.
Mais l’incompétence de la juridiction étatique en présence d’une convention d’arbitrage n’est que relative. Le juge ne peut pas relever d’office son incompétence. Il faut que l’une des parties ait excipé de l’incompétence du juge . A défaut, il faudrait considérer que les parties ont renoncé à se prévaloir de la convention d’arbitrage.
L’article 13 AUA opère une distinction selon que le tribunal arbitral est déjà saisi ou non. Aux termes de l’article 13 alinéa 2 de l’AUA, « Si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit également se déclarer incompétente à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle ». Le législateur OHADA a limité le domaine d’application de l’article 13 alinéa 2 AUA. La nullité manifeste ne joue que lorsque « le tribunal arbitral n’est pas encore saisi ». Il faudrait donc établir à quel moment l’on devrait considérer que le tribunal arbitral est saisi. Est-ce à la date de la signature de la convention d’arbitrage ou au jour de l’action de la partie la plus diligente ou encore au jour de l’acceptation de leur mission par les arbitres ?
Les termes de l’article 10 alinéa 2 AUA peuvent apporter quelques éléments de réponse à ces questions lorsqu’ils énoncent de façon explicite que « L’instance arbitrale est liée dès le moment où l’une des parties saisit le ou les arbitres conformément à la convention d’arbitrage, ou, à défaut d’une telle désignation, dès que l’une des parties engage la procédure de constitution du tribunal arbitral ». Mais encore faut-il que l’arbitre ou les arbitres aient accepté leur mission . Dans ce cas, comme en matière judiciaire, il semblerait que les arbitres soient saisis de façon automatique dès lors qu’une des parties procède à une demande formelle.
Outre l’hypothèse de la nullité manifeste de la convention d’arbitrage, l’intervention du juge étatique peut être justifiée par l’urgence.

L’intervention de la juridiction étatique en cas d’urgence reconnue et motivée
La compétence exceptionnelle de la juridiction étatique trouve son fondement dans la nature de la décision à intervenir. Pour justifier l’intervention de la juridiction étatique de l’urgence en dépit de l’existence d’une convention d’arbitrage, trois conditions doivent être réunies : d’abord, le juge saisi doit être appelé à prononcer une mesure provisoire ou conservatoire. Ces mesures sont celles relatives à l’administration ou à la conservation de la preuve , des mesures tendant à maintenir les relations des parties pendant le cours de la procédure et les mesures tendant à la préservation d’une situation de fait ou de droit donnée ; ensuite, les mesures provisoires ou conservatoires ne doivent pas préjudicier au fond de l’affaire ; en outre, la mesure d’exécution provisoire demandée doit être exécutée dans un Etat non membre de l’OHADA et il doit y avoir une situation d’urgence .
L’une des conditions de l’intervention de la juridiction étatique étant l’urgence, il serait intéressant de définir cette notion. L’urgence est définie comme « une circonstance de fait permettant de demander au juge une décision, par la procédure de référé ou par la procédure à jour fixe » . Cependant cette définition n’est pas tout à fait éclairante. Comment savoir s’il y a véritablement une situation d’urgence. Lorsque le tribunal arbitral est constitué il semblerait qu’il appartienne au juge ou à l’arbitre d’apprécier s’il y a urgence ou non et d’en tirer les conséquences . La jurisprudence OHADA a ainsi décidé que « l’urgence existe chaque fois que le retard menace un intérêt légitime. Il y a également urgence quand tout retard est de nature à créer un préjudice irréparable à une des parties, eu égard notamment au fait que le recours à une procédure ordinaire entraînerait, compte tenu des délais, un préjudice grave » ou « toutes les fois qu’un retard dans la décision à intervenir risque de mettre en péril les intérêts d’une partie » .
Malgré l’urgence, la compétence du juge étatique pour prononcer les mesures provisoires ou conservatoires n’est que subsidiaire. Il a été ainsi décidé que « si le tribunal arbitral n’est pas encore constitué, le juge des référés demeure compétent, en cas d’urgence caractérisée » .
Dans cette affaire, à la suite de la découverte d’un certain nombre d’indélicatesses commises par son gérant, la Société TOUTELEC Niger a demandé et obtenu de son Conseil d’administration la révocation dudit gérant et la nomination d’un gérant intérimaire. Mais l’ancien gérant a refusé de quitter son poste. Le demandeur invoquait le fait qu’il y avait urgence et péril en la demeure pour un de ses associés que le gérant intérimaire entre en fonction. Le juge a admis sa compétence en dépit de l’existence d’une convention d’arbitrage parce qu’en tant que juge des référés, il lui était seulement demandé de constater la révocation du gérant. En effet, « il est demandé au juge des référés non pas de se prononcer sur la régularité de la révocation du gérant mais de constater ladite révocation consécutive à l’assemblée Générale du 20/11/2003 ; (…) le juge des référés a l’obligation de rechercher si la contestation alléguée est sérieuse et si la mesure sollicitée est justifiée par l’existence d’un différend comme en l’espèce ; qu’il peut même en présence d’une telle contestation prescrire des mesures conservatoires pour prévenir un danger imminent, étant précisé qu’en l’espèce, la nomination d’un gérant intérimaire à laquelle il a été procédé dénote du caractère essentiellement provisoire des mesures sollicitées ». De ce fait, malgré la convention d’arbitrage et parce que les termes de l’article 14 alinéa 4 de l’Acte uniforme l’y autorise, la Cour d’Appel de Niamey a fait droit à la demande de la Société TOUTELEC Niger qui justifiait l’urgence et le péril par les mauvais agissements du gérant statutaire qui étaient de nature à compromettre ses intérêts.
Lorsque le tribunal arbitral est constitué, celui-ci a compétence pour prononcer des mesures provisoires et conservatoires. Mais en pratique, il est plus judicieux de saisir la juridiction étatique compétente plutôt que l’arbitre. L’absence d’imperium de l’arbitre risquerait en effet de prolonger une procédure marquée du sceau de l’urgence.
Outre l’hypothèse de l’urgence reconnue et motivée, la compétence de la juridiction étatique est justifiée lorsqu’elle ne préjudicie pas au fond du litige. Cette condition que la jurisprudence semble considérer comme essentielle marque bien le caractère exceptionnel de l’intervention de la juridiction étatique en présence d’une convention d’arbitrage valable .
Si le respect des dispositions de l’Acte uniforme portant droit de l’arbitrage par les juridictions nationales peut être justifié par la peur de la sanction de la CCJA, il faudrait cependant s’interroger sur le sort réservé à la décision d’une juridiction étatique qui statuerait en dépit de l’existence de la convention d’arbitrage.
Le traitement des atteintes à la convention d’arbitrage
Il convient de relever tout d’abord pour l’exclure du champ de l’étude la manœuvre selon laquelle malgré la convention d’arbitrage l’une des parties saisit le juge étatique sans que l’autre ne relève l’incompétence de celui-ci. Il faut considérer ici que les parties ont tout simplement renoncé à la convention d’arbitrage. Dans ce cas, c’est à bon droit que le juge étatique statue.
Une fois cette situation exclue, il convient d’identifier les manœuvres des parties pour rendre la convention d’arbitrage inefficace (1). Il nous reviendra par la suite de tenter d’élaborer une solution pour restaurer la priorité à l’arbitrage (2).
L’identification des manœuvres des parties
Les manœuvres des parties aboutissant à rendre la convention d’arbitrage inefficace peuvent être de plusieurs ordres. Nous excluons d’emblée ici l’hypothèse dans laquelle malgré la convention d’arbitrage l’une des parties saisit le juge étatique sans que l’autre ne relève l’incompétence de celui-ci. Il faut considérer ici que les parties ont tout simplement renoncé à la convention d’arbitrage. Dans ce cas, c’est à bon droit que le juge étatique statue. Il existe aussi les hypothèses où l’une des parties saisit le juge étatique alors que le tribunal arbitral n’est pas encore saisi : soit elle saisi la juridiction étatique au lieu de saisir l’arbitre, soit, avant même tout litige elle saisi le juge étatique en raison de la nullité manifeste de la convention d’arbitrage. Dans ce cas on va estimer que la saisine du juge étatique permet de faire l’économie d’une procédure arbitrale qui serait vouée à l’échec.
Les manœuvres portant davantage à conséquence sont les suivantes : en dépit de l’existence de la convention d’arbitrage, ou même en dépit du fait que le tribunal arbitral soit déjà saisi, l’une des parties saisit le juge étatique qui va statuer alors même que l’une des parties au litige a soulevé une exception d’incompétence. Il est également possible d’envisager que deux procédures, judiciaire et arbitrale, se poursuivent concomitamment.
L’existence de ces manœuvres donne lieu à s’interroger sur différents points : quelle efficacité pourrait-on attribuer à une décision judiciaire rendue en dépit d’une telle exception d’incompétence. Cette interrogation en entraîne plusieurs autres : une éventuelle demande d’exequatur de la décision étatique pourrait-elle prospérer. La sentence arbitrale n’ayant pas la force exécutoire, dans l’hypothèse où elle contredirait la décision du juge étatique, le juge compétent dans l’Etat concerné ne pourrait-il pas refuser d’exequaturer la sentence ? Ce juge pourrait en effet considérer qu’en ne respectant pas la convention d’arbitrage le juge qui a statué a violé une règle d’ordre public international des Etats-parties (article 31 al.3 AUA).
Au Cameroun, dans le cas où le juge étatique se déclare compétent en dépit de l’existence de la convention d’arbitrage, la partie qui allègue de l’incompétence de la juridiction étatique peut faire appel de cette décision. Sur ce point, deux tendances s’opposent.
Se fondant sur l’article 199 in fine du Code de procédure civile et commerciale, la première tendance considère que la décision sur la compétence étant une décision avant-dire droit, le justiciable sera obligé d’attendre la fin du procès pour faire appel sur la question de la compétence et sur le fond. Cette solution présente l’inconvénient de la lenteur. Il n’est pas utile de revenir ici sur les lenteurs tant décriées des procédures judiciaires.
La seconde tendance quant à elle se fonde sur l’article 201 du Code de procédure civile et commerciale. Elle consiste à laisser la Cour d’appel se prononcer immédiatement sur la compétence de la juridiction étatique. Ce qui revient à considérer que le juge saisi devrait surseoir à statuer jusqu’à la décision d’appel. Mais à notre sens, il s’agit d’une mauvaise interprétation de cette disposition. Celle-ci porte en effet sur les conditions de recevabilité de l’appel.
Mais s’agissant de la question de l’efficacité de la décision ainsi rendue, la question qui se pose est celle de savoir si l’on peut s’opposer à la reconnaissance de la décision étatique ayant méconnu la convention d’arbitrage. A priori, il devrait y avoir quelques réticences à reconnaître un jugement rendu dans une affaire dans laquelle le recours à l’arbitrage aurait été justifié. Seulement, si l’on se réfère aux principes généraux applicables en matière de reconnaissance des jugements étrangers, on pourrait se demander si la décision écartant la convention d’arbitrage ne viole pas l’ordre public international . Une telle position n’est pourtant pas tenable. En effet, on peut se demander comment le non-respect d’une convention privée pourrait porter atteinte à l’ordre public . A l’appui de cette allégation, il faudrait invoquer les termes de l’article 13 de l’Acte uniforme sur l’Arbitrage. Selon l’Acte uniforme, le juge ne peut relever d’office son incompétence. Or si l’on rapprochait cette énonciation des termes du Code de procédure civile français, l’incompétence résultant de la convention d’arbitrage ne toucherait pas à l’ordre public . En effet, le juge prononce d’office son incompétence « en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution lorsque cette règle est d’ordre public… » (Article 92 Code français de Procédure civile).
A notre sens, la solution idoine pour contrer ces manœuvres devrait être celle consistant à établir une fois pour toute quelle devrait être la priorité entre l’arbitre et le juge.
La restauration de la priorité entre l’arbitre et le juge
En toute logique, la priorité doit être donnée à l’arbitrage lorsque la procédure arbitrale a été introduite avant la procédure judiciaire. Qu’en est-il alors au cas où la juridiction étatique est saisie avant le tribunal arbitral ? Il semblerait que dans ce cas, la priorité de l’arbitre devienne relative puisque le juge n’est autorisé à se livrer qu’à un examen prima facie de la convention d’arbitrage. Le risque de décisions contradictoires serait également important notamment si le juge saisi de l’exception d’arbitrage et le juge du siège de l’arbitrage ne relèvent pas tous les deux du même Etat ou au moins de l’espace OHADA. La juridiction étatique saisie en fonction des règles ordinaires de compétence pourrait alors appliquer son propre droit tandis que le juge du siège appliquerait la loi choisie par les parties ou la loi du siège de l’arbitrage.
L’effet négatif du principe compétence-compétence interdit à la juridiction étatique saisie d’un litige faisant l’objet d’une convention d’arbitrage de statuer sur sa propre compétence avant que l’arbitre ne se soit lui-même prononcé sur l’existence, la validité et la portée de cette convention. Ce qui confère à l’arbitre une priorité à l’arbitre consacrée par l’article 13 AUA . Une telle priorité est sans équivoque lorsque le juge est saisi alors que le litige est déjà pendant de l’arbitre. En effet, « Lorsqu’un litige, dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention arbitrale, est porté devant une juridiction étatique, celle-ci doit, si l’une des parties en fait la demande, se déclarer incompétente » . Il s’agit ici d’une application de la priorité chronologique consacrée par l’exception de litispendance. Il aurait toutefois été souhaitable d’adopter une solution identique à celle prévue par la Convention européenne de 1961 qui énonce que le juge saisi ultérieurement doit « surseoir à statuer sur la compétence de l’arbitre jusqu’au prononcé de la sentence arbitrale sauf motif grave » (article VI (3).
Une partie de la doctrine s’oppose à l’application de la règle de la litispendance . En effet, l’application de cette règle suppose la compétence concurrente de deux juridictions. Or dans notre hypothèse, il n’y a pas de concurrence entre le juge et l’arbitre puisque que la convention d’arbitrage a justement pour effet de rendre le juge incompétent au profit de l’arbitre. Cependant, cette solution présenterait l’avantage d’éviter tout contrôle de la compétence de l’arbitre par la juridiction étatique et permettrait surtout d’« éviter des décisions contradictoires dans la mesure où la décision de l’arbitre sur sa compétence jouit de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la juridiction étatique » . Par ailleurs, on respecterait « la priorité chronologique de l’instance arbitrale » sans pour autant tenir compte de l’hypothèse où le juge serait saisi avant. Il semble cependant opportun de maintenir la priorité de l’arbitre même saisi postérieurement à la juridiction arbitrale. Une telle solution correspondrait effectivement à l’attente des parties et se justifierait par ailleurs par le principe de l’effet obligatoire des conventions tel que prévu à l’article 1134 du Code civil. Les ordres juridiques nationaux pourraient également adopter des législations visant à favoriser l’efficacité de la convention d’arbitrage en imposant par exemple aux juridictions étatiques de se déclarer systématiquement incompétentes lorsqu’elles sont saisies ou au moins de suspendre la procédure étatique.
En tant qu’institution, l’arbitrage bouleverse l’ordre juridique. C’est la raison pour laquelle, les législateurs et les juges ont souvent manifesté de l’hostilité à son égard. Et pour cause, cette institution leur parait menacer le monopole étatique de l’administration de la justice ; elle constituerait une sorte d’« anomalie » . Cependant, malgré la compétition qui peut s’établir entre justice étatique et justice arbitrale, elles contribuent toutes deux à la justice. Cette contribution serait plus féconde s’il ne continuait pas d’être entretenu entre elles une certaine inimitié. Au lieu de se combattre, elles devraient plutôt s’associer pour mener à bien le combat pour la sécurisation juridique et judiciaire de l’espace OHADA.