LE DROIT DU CREDIT–BAIL DANS L’ESPACE OHADA : ETUDE COMPARATIVE DES LOIS CAMEROUNAISE ET SÉNÉGALAISE

A la suite le Cameroun qui a adopté en 2010 une loi sur le crédit- bail, le Sénégal vient d’adopter, en décembre 2011, la loi n° 28/2011 portant sur le crédit-bail, répondant ainsi à une demande pressante des acteurs du secteur financier .

L’étude du secteur au Sénégal avait montré que le marché du crédit bail ou leasing est peu développé et se caractérise par des performances réduites du secteur avec un concours quasi nul au financement de l’économie. En effet, en 2009, le marché du crédit-bail au Sénégal était évalué à 05 milliards FCFA et le crédit-bail et opérations assimilées représentaient moins de 1% des actifs des établissements de crédit. En termes de financement des investissements privés au Sénégal, l’activité n’a participé qu’à hauteur de 0,2% alors qu’en Tunisie et Maurice, cette participation s’établit respectivement à 11% et 25%, soit 400 milliards FCFA et 250 milliards FCFA.

Il ressort de l’étude FINOR que l’analyse de l’évolution de l’activité de crédit-bail au cours des dernières années montre que ce produit est très marginalisé, même si que son existence au Sénégal date depuis les années 70. En effet, le décret n° 71-458 du 22 avril 1971 a défini, d’une manière généraliste, le crédit-bail, son champ d’application et a étendu à son exercice les dispositions régissant les conditions d’activité des établissements financiers. Quelques années plus tard et plus précisément en 1977, un premier établissement spécialisé de crédit-bail, à savoir LOCAFRIQUE, fut crée. Au cours de ces trois dernières décennies, d’autres établissements exerçant l’activité de crédit-bail ont été créés mais ils ne se sont pas assurés leur maintien et ont disparu par une voie ou une autre (rachat, fusion absorption, changement d’objet, dissolution) .

De l’exposé des motifs de la loi sénégalaise, on apprend qu’ « en 2009, le marché du crédit- bail au Sénégal était évalué à 05 milliards FCFA et le crédit- bail et opérations assimilées représentaient moins de 1% des actifs de investissements privés au Sénégal, l’activité n’ayant participé qu’à hauteur de 0,2% alors qu’en Tunisie et Maurice , cette participation s’établit respectivement à 11 ù et 25 %, soit 400 milliards FCFA et 250 milliards FCFA. » .Cette situation s’explique par la conjonction de plusieurs facteurs se rattachant à des aspects économiques et financiers , d’une part, et à l’absence d’un cadre juridique , comptable et fiscal adéquat, d’autre part.

La loi sénégalaise vient compléter, utilement, les dispositions législatives et réglementaires qui jusque là régissaient l’activité du crédit bail au Sénégal : le décret n°71-458 qui se limitait à définir le crédit- bail et son champ d’application en renvoyant, pour le reste, au droit commun et à la volonté des parties contractuelles, la loi 2008-26 du 28 juillet 2008 portant réglementation bancaire qui se contentait d’assimiler le crédit bail à des opérations de crédit , en précisant les opérations concernées et, last but not least, l’Acte Uniforme sur le Droit Commercial Général qui soumet le crédit-bail à l’inscription au Registre du Commerce pour lui conférer la condition d’opposabilité attachée aux sûretés, renvoyant pour le reste aux lois nationales, à condition de ne pas déroger à la condition d’opposabilité précitée.

Au Cameroun la situation du crédit bail était presque identique à celle du Sénégal avant l’adoption de la loi de 2010. Dan une dépêche de presse annonçant l’adoption de la nouvelle loi il est relaté la satisfaction exprimée par le représentant résidant de la Société Financière Internationale dans la sous-région Afrique centrale. « Cette loi marque une étape importante dans la stratégie du développement du crédit-bail au Cameroun, son approbation n’est pas une fin en soi, mais plutôt un moyen important à partir duquel un grand chantier nous attend, principalement dans le cadre de la formation et de la promotion de l’investissement dans le marché du crédit-bail » .

Le marché du crédit-bail au Cameroun était estimé en 2009 à 50 milliards de francs CFA ; le pays dispose d’un potentiel de 200 milliards de francs CFA selon la CAMLEASE, tandis que toute la zone CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) dispose d’un potentiel du crédit bail estimé à 400 milliards de francs CFA.

Les autorités des deux Etats parties de l’OHADA ont donc entendu aménager un nouveau cadre juridique pour impulser le développement du mécanisme original de financement que constitue le leasing.

Il s’agira ici de présenter l’essentiel du dispositif mis en place par ces nouvelles lois pour contribuer à combler le déficit de connaissance du mécanisme, de la fiscalité et de la comptabilité ainsi que le problème de réglementation et de sécurité des transactions au plan juridique qui se pose.

Pour cela, il conviendra d’aller au-delà des textes pour présenter la définition (I), la qualification et la formation (II), le déroulement et les effets de l’opération (III).

I. DEFINITION

Avant connu, dans la pratique, sous la dénomination de  » leasing « , le crédit-bail est une opération financière par laquelle une entreprise donne en location des biens d’équipement, de l’outillage ,une voiture automobile ou des biens immobiliers à un preneur qui à un moment quelconque du contrat mais, le plus souvent à l’ échéance, peut décider de devenir propriétaire du ou des biens qui en ont été l’objet. Le contrat contient donc de la part du bailleur, une promesse unilatérale de vente dont la réalisation reste subordonnée au paiement du prix fixé à l’avance augmenté des intérêts et des frais.

La loi camerounaise (article 3) reprend cette définition, dans des termes différents, en la faisant suivre d’une définition des termes principaux que l’on retrouve dans l’opération de crédit « destinée au financement de l’acquisition ou de l’utilisation des biens meubles ou immeubles à usage professionnel. Il consiste en la location de biens d’équipement, de matériel d’outillage ou de biens immobiliers à usage professionnel, spécialement achetés ou construits, en vue de cette location, par des entreprises qui en en demeurent propriétaires. Ces opérations de location, quelle que soit leur dénomination, donnent au locataire la faculté d’acquérir, tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu, tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers. ».

La loi sénégalaise (article 2) reprend la même démarche en précisant que le crédit-bail « désigne toute opération de location de biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, à usage professionnel, spécialement acquis en vue de cette location par des entreprises qui en demeurent propriétaires, lorsque cette opération, quelle que soit sa dénomination, prévoit à terme la faculté pour le locataire d’acquérir tout ou partie des biens loués, moyennant un prix convenu tenant compte, au moins pour partie, des versements effectués à titre de loyers ».

On constatera que la loi camerounaise semble exclure les biens incorporels que la loi sénégalaise ajoute à sa définition, en limitant l’objet aux biens d’équipement, matériel d’outillage et biens immobiliers. La loi sénégalaise vise précisément les éléments incorporels du fonds de commerce en excluant, toutefois, les valeurs mobilières.

II. QUALIFICATION ET FORMATION

Il faut d’abord qualifier le contrat (A) avant de décrire les conditions de la formation (B).
A. QUALIFICATION DU CONTRAT

Le crédit-bail est un contrat complexe « un cocktail juridique » caractérisé par l’assemblage de trois contrats qui, dans leur combinaison, perdent chacun un peu de leurs caractéristiques. L’opération de crédit-bail exige, en amont, l’achat d’un bien par le crédit- bailleur qui le donne en location au crédit-preneur. Si le bien loué n’a pas été acheté mais, par exemple, fabriqué par le crédit-bailleur, il n’y pas crédit-bail . Toutefois, la loi sénégalaise ( art.8) prévoit que le bien objet du contrat de crédit-bail peut être possédé par le crédit-bailleur d’une précédente opération de crédit-bail avec un autre crédit-preneur, acheté par le crédit-bailleur auprès d’un fournisseur désigné par le crédit-preneur, conformément aux instructions de ce dernier, acheté par le crédit-bailleur qui se substitue au crédit-preneur dans un contrat engagé par ce dernier.

La loi sénégalaise consacre également la variante du lease back dans laquelle le crédit-preneur est lui-même fournisseur du bien qu’il vend au crédit-bailleur puis le reprend dans le cadre d’un contrat de crédit-bail (art.6 al .2) . En revanche, alors que la loi sénégalaise reste muette sur le crédit-bail immobilier, la loi camerounaise lui consacre quelque dispositions spécifiques (art. 44 à art.49). Il est ainsi souligné qu’à l’expiration de la durée ferme de location et en en cas de non levée de l’option d’achat, « le crédit preneur ne peut prétendre à un droit au maintien dans les lieux loués, tout comme il ne peut se prévaloir de la propriété commerciale sur l’immeuble mis en crédit-bail ».

La loi sénégalaise est, cependant, plus détaillée que la loi camerounaise pour ce qui concerne la qualification du contrat de crédit-bail ; c’est ainsi que les articles 3 10, soit sept dispositions sont consacrées à ce sujet. De manière générale, il est admis que crédit-bail est un contrat de louage de choses et que le bien doit être donné au crédit-preneur en location ; il en résulte que si le bien est venu au crédit-preneur, avec une réserve de propriété, le contrat est un contrat de vente et non un contrat de crédit-bail. Le législateur sénégalais a, pour éviter toute confusion sur l’identité du contrat de crédit-bail, distingué le crédit bail de la location simple, de la vente et de tous les autres contrats similaires « qui sont en dehors du champ d’application de la présente loi » (art. 4 al.1). Il ressort des diverses dispositions de la loi sénégalaise qui qualifient le crédit bail quatre conditions, équivalentes à des conditions fondamentales :
a) Le crédit-bailleur demeure propriétaire du bien pendant la durée du contrat de crédit-bail ;
b) à la fin de la période de location, le crédit-preneur peut, soit restituer le bien au crédit-bailleur, soit l’acquérir pour une valeur résiduelle qui doit tenir compte des versements effectués à titre de loyer, soit demander le renouvellement du contrat ;
c) la durée de la location couvre la majeure partie de la durée de vie économique du bien objet du contrat de crédit-bail ;
d) le montant total des loyers actualisés couvre une grande partie du coût du bien objet du contrat de crédit-bail.
B. FORMATION

Les règles de formation envisagées ici sont relatives aux parties, à la forme et au contenu du contrat de crédit-bail.

1. Parties au contrat

Le contrat de crédit-bail fait intervenir les deux parties que sont : le crédit-bailleur, le crédit-preneur, le fournisseur étant seulement la personne auprès de qui le crédit-bailleur acquiert le bien à une fin de location (il peut s’agir du crédit-preneur dans la variante lease back).

Aux termes de l’article 3 al.3 de la loi sénégalaise « Les opérations de crédit-bail sont considérées comme une forme de crédits, tels que prévus par la loi n°2008-26 du 28 juillet 2008 portant réglementation bancaire. A cet effet, leur exercice à titre habituel est soumis à la sollicitation d’un agrément conformément aux dispositions de la loi bancaire ou de la loi portant réglementation des systèmes financiers décentralisés. ». On en tire la conséquence que le crédit-bailleur doit être une banque, un établissement financier ou une institution agréée au titre de la loi sur les Systèmes Financiers Décentralisés. Dans la loi camerounaise, c’est à l’article 3 qu’il est précisé que le crédit-bailleur set « tout établissement de crédit ou de microfinance qui finance les opérations de crédit-bail ».

La profession de crédit-bailleur, comme on le voit, est l’objet d’un numérus clausus qui a pour but premier de protéger l’intérêt général, celui des établissements de crédit et celui des crédits-preneurs contre des crédits-bailleurs ne présentant pas de garanties suffisantes.

Le crédit preneur peut être toute personne physique ou morale qui utilise les biens loués pour les besoins de son activité professionnelle (art.3 de la loi camerounaise). Il est personne qui acquiert le droit de détention et de jouissance d’un bien en vertu du contrat de crédit-bail. (art.2 de la loi sénégalaise) Il peut être commerçant, artisan ou membre d’une profession libérale .

2. Forme du contrat

En vertu du principe du consensualisme, le contrat de crédit-bail est valablement formé par le simple accord des parties La loi sénégalaise (art.11) se contente de préciser que le contrat de crédit-bail doit être matérialisé par un écrit entre le crédit-bailleur et le crédit-preneur. La loi camerounaise (art.4) est plus complète sur ce point en précisant que cette forme écrite peut être, soit un acte sous seing-privé, soit un acte notarié. Le contrat de crédit-bail immobilier doit être obligatoirement établi par acte notarié.

3. Publicité du contrat

La publicité du contrat de crédit-bail mobilier est prévue dans les nouvelles lois camerounaise ( art.7) et sénégalaise ( art.16) . Elle oblige le crédit-bailleur à procéder à l’inscription du contrat au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier dans les conditions prévues à l’article 61 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général. Dans le cas du crédit-bail immobilier, l’inscription se fait au livre foncier du lieu de situation de l’immeuble.

L’inscription est une formalité importante car elle emporte opposabilité aux tiers du crédit-bail ; l’inscription, telle que rappelée dans la loi camerounaise ( art.8 al.3) se prescrit par cinq (O5) ans, sauf renouvellement.

4. Contenu du contrat

A première vue, on constate que le législateur sénégalais n’a pas entendu remettre en cause la volonté contractuelle. La loi sénégalaise (art. 4 al.2) dispose, en effet, que « Le crédit-bailleur et le crédit-preneur peuvent déroger aux dispositions de la présente loi et fixent librement par écrit le contenu du contrat de crédit-bail et en modifier les effets. ». Paradoxalement et in contrarie, la loi prévoit, dans les dispositions finales et transitoires que « Les dispositions de la loi sont applicables nonobstant toute disposition contraire contenue dans le statut d’une société de crédit-bail ou de tout contrat signé par celle-ci, ou de toute résolution adoptée par celle-ci en assemblée générale ou par son conseil d’administration. Toute disposition contenue dans les statuts, les contrats et les résolutions précités, dans la mesure où elle est incompatible avec les dispositions de la présente loi, est considérée nulle ».

Les lois camerounaise et sénégalaise sont, de manière plus certaine, assez directrice en précisant les clauses obligatoires qui doivent être mentionnées dans le contrat. Ici et là, il est pertinent de souligner que le pouvoir de l’établissement de crédit d’imposer ses conditions générales n’est guère entravé. Le contenu du contrat et libre mais les clauses doivent de se plier à la philosophie générale que la législateur entend, désormais, assigner au crédit-bail.

A peine ne nullité, doivent être mentionnées dans le contrat de crédit-bail, à savoir la durée du contrat, le montant et le nombre de loyers, l’échéancier de paiement des loyers ; l’option d’achat ; offerte au crédit-preneur en fin de contrat ; le prix de levée de d’option d’achat du bien loué. A ces mentions obligatoires peuvent s’ajouter d’autres mentions facultatives (art.6). Les mentions obligatoires prévues par la loi sénégalaise (art.11) sont les suivantes : la description des biens objets du contrat ; la partie ayant choisi le bien et le fournisseur ; la durée de la location ; le montant des loyers, leurs échéances et la procédure de leur règlement ; les conditions d’exercice de l’option d’achat et le montant à payer par le crédit preneur. Des mentions facultatives sont également prévues. (art.12 et 15).

III. DEROULEMENT ET EFFETS DE L’OPERATION

Il convient de traiter séparément le déroulement (A) et des obligations des parties au contrat (B).
A. LE DEROULEMENT DE L’OPERATION

Le déroulement normal de l’opération (1) peut être marqué des incidents (2).

1. Déroulement normal

La loi camerounaise est restée assez muette sur le déroulement de l’opération que la loi sénégalaise traite de manière plus détaillée en couvrant les périodes de début, du cours et de la fin de la location.
Au début, le contrat de crédit-bail est toujours précédé par un contrat de vente conclu entre le fournisseur et l’établissement de crédit-bail. Même s’il n’est pas partie à ce contrat de vente, le crédit preneur est impliqué dans la conclusion du contrat de vente. La loi sénégalaise (art.17) est formelle sur ce point : le crédit-bailleur doit agir sous les recommandations du crédit-preneur pour acheter le bien loué ; il ne peut conclure le contrat avant que le crédit-preneur s’engage par écrit sur les termes, conditions, garanties et les spécifications précisées dans ce contrat de vente. En cas de défaut de livraison, de livraison partielle, tardive ou non conforme au contrat de vente, le crédit preneur a le droit d’exiger du fournisseur la livraison d’un bien conforme. Si la livraison est conforme, l’acceptation du crédit-preneur doit se manifester par la signature d’un bon de réception, ce qui ne lui enlève pas le droit de réclamer au fournisseur des dommages-intérêts en cas de non-conformité du bien au contrat de fourniture (art.19 al.1 loi sénégalaise ; art.41 à 43 loi camerounaise).

La période de location commence dés la livraison au crédit-preneur. Le contrat de crédit-bail emporte transfert de la jouissance du bien acheté au crédit-preneur et obéit largement au régime juridique du contrat de louage de choses. Le crédit-preneur doit user de la chose en bon père de famille. La loi camerounaise (art.36) est là plus précise : le crédit-preneur doit exploiter le bien loué en bon père de famille ; il veille à la bonne conservation du bien, l’exploite dans des conditions normales, selon la nature du bien, et le maintient dans l’état où il été livré, compte tenu de l’usure consécutive à usage normal. Cette obligation est d’autant plus forte lorsque le contrat de crédit-bail lui fait obligation d’entretenir le bien loué ou lorsque le fabricant ou le fournisseur du bien lui a donné des instructions techniques pour son utilisation. Dans tous les cas, le crédit-preneur ne peut faire subir au bien loué une quelconque modification ou installation sans l’accord préalable du crédit-bailleur (art.20 al.1 de la loi sénégalaise). Toute amélioration apportée à la chose est faite aux frais du crédit-preneur qui ne peut en réclamer indemnisation. Il n’est pas exclu, cependant, que le crédit-preneur puisse faire profiter d’autres personnes de la jouissance du bien loué, sans que cela soit opposable au crédit-bailleur. (art.23 de la loi sénégalaise). Il reste entendu que le crédit-preneur ne peut ni vendre le bien, ni le donner en sûreté ; une vente ou un nantissement serait inopposables au crédit-bailleur qui peut saisir la juridiction compétente d’une action en restitution comme il peut effectuer une saisie immédiate sur le bien en question et résilier le contrat.

Le contrat de crédit-bail prend fin à l’arrivée du terme sans qu’il soit besoin d’un congé. Le crédit-preneur bénéficie d’une option : soit mettre fin à l’opération et restituer le bien loué, soit en devenir propriétaire. Si le crédit-preneur lève l’option d’achat, il doit manifester sa volonté par lettre recommandée adressée au crédit-bailleur, au moins 30 jours avant la date convenue dans le contrat, dans ce cas les parties sont tenues de procéder à l’acte translatif du droit de propriété et d’accomplir les formalités légales de vente et de publicité ( art.25 loi sénégalaise). A partir de ce moment, les rapports du crédit-preneur et du crédit-bailleur deviennent des rapports d’acquéreur et de vendeur et seront régis par les dispositions légales qui régissent les contrats de vente, à l’exception de celles relatives à la garantie d’éviction et la garantie des vices apparents ou cachés qui ne s’appliquent pas sur les cessions entre crédit-bailleur et crédit-preneur (art.25 al.3 loi sénégalaise). Le contrat peut aussi, comme le précise la loi camerounaise ( art.53) prendre fin conformément au droit commun en cas d’impossibilité matérielle de poursuivre l’exécution du contrat notamment, en cas de perte ou destruction totale du bien loué, d’insolvabilité avérée du crédit-preneur, de cas fortuit et de force majeure, ou simplement d’un commun accord.

Il peut arriver aussi que des incidents surviennent au cours de l’exécution du contrat de location.

2. Incidents

Les incidents les plus courants sont relatifs à la résolution du contrat de vente, d’une part, au défaut de paiement et l’admission en procédure collective du crédit-preneur. Ils méritent d’être discutés séparément même s’ils sont traités inégalement dans les lois camerounaise et sénégalaise.

2.1. Résolution du contrat de vente

Une situation, jadis très controversée dans sa solution en droit français , est celle où l’anéantissement du contrat de vente découle de la défectuosité du bien ; le fournisseur ayant manqué à son obligation de délivrance conforme, le maintien du contrat ne peut se justifier, sans porter préjudice aux intérêts du crédit-preneur qui continuerait à payer des loyers sans contrepartie.

Pour mettre un terme à la divergence des solutions rendues par la chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation, la chambre mixte a jugé que « la résolution du contrat de vente entraîne nécessairement la résiliation du contrat de crédit-bail sous réserve des clauses ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation » . De cette décision qui s’est fixée en jurisprudence, on tire la conséquence que la résolution du contrat emporte donc non pas résolution, mais simplement résiliation du contrat de crédit-bail ; le contrat n’est pas anéanti rétroactivement et si le crédit-preneur est dispensé du paiement des loyers à compter du jour de sa demande judiciaire en résolution de la vente, il ne peut en revanche obtenir du crédit-bailleur, sauf stipulation conventionnelle contraire, la restitution des loyers perçus correspondant à la période antérieure à la résiliation.

La loi sénégalaise (art.51) se limite à prévoir l’hypothèse où, à la demande du crédit-preneur, la résolution du contrat de crédit-bail est prononcée dans le cas où le crédit-bailleur ne fournit pas, par sa faute, le bien loué ou s’il est à l’origine d’un retard de livraison de plus de 15 jours de la date convenue. « Le crédit-preneur est alors en droit de demander le remboursement des pertes, y compris le remboursement des paiements reçus par le crédit-bailleur ». On doit, de cette disposition légale, tirer la conséquence que contrairement à la jurisprudence française, une clause , insérée dans le contrat de crédit-bail « ayant pour objet de régler les conséquences de cette résiliation » serait inopérante. On ne retrouve aucune disposition équivalente dans la loi camerounaise qui semble renvoyer seulement au droit commun (art.42).

2.2. Défaut de paiement et « faillite » du crédit-preneur

Dans la pratique, il était généralement stipulé une clause résolutoire prévoyant que le défaut de paiement à l’échéance d’une seule redevance par le crédit-preneur entraîne la résiliation de plein droit du contrat de crédit-bail.
La loi camerounaise (art.34) prévoit aussi une résiliation de plein droit en disposant qu’en cas de défaut de paiement des loyers échus par le crédit-preneur, le crédit-bailleur peut soit laisser le bien au crédit-preneur et exiger le paiement anticipé des loyers à échoir, ainsi que la valeur résiduelle du bien qui aurait du être payée si le contrat était arrivé à son terme, soit récupérer le bien et exiger du preneur des pénalités prévues dans le contrat ou, à défaut, des dommages intérêts fixés par la juridiction compétente. Il lui faut, cependant, impérativement procéder à une mise en demeure dans les conditions de droit commun (art.35).

La loi sénégalaise est plus protectrice du crédit-preneur défaillant, en écartant toute résiliation de plein droit. Le crédit-bailleur doit demander la résiliation avant terme au juge des référés si le crédit-preneur ne paie pas un nombre d’échéances de loyers dues, fixé librement par les parties. Il ne peut exercer le droit de reprise que suite à une mise en demeure, par lettre recommandée ou exploit d’huissier, demeurée infructueuse après un délai de 30 jours (art.48).

Concernant les effets du redressement judiciaire et de la liquidation des biens du crédit-preneur sur le contrat de crédit-bail, la loi sénégalaise paraît, dans sa rédaction, plus soucieuse de la protection des intérêts du crédit-bailleur. Alors que la loi camerounaise (art.54) se limite à disposer « qu’une procédure collective engagée contre le crédit-preneur n’entraîne pas d’office la rupture du contrat de crédit-bail » et que dans cette hypothèse, le crédit-preneur a la possibilité de poursuivre l’exécution des ses obligations conformément aux termes du contrat », la loi sénégalaise consacre tout un chapitre (chapitre 6) à la question. D’abord il précise (art.54 al 1) que le bien loué échappe à toutes poursuites des créanciers du crédit-preneur, chirographaires ou privilégiés « quels que soient leur statut juridique et leur rang et considérés individuellement ou constitués en masse dans le cadre d’une procédure judiciaire collective. » S’il est admis que le syndic peut, dans les 60 jours suivant sa désignation, choisir de continuer le contrat dans les conditions convenues ou d’y mettre fin, il est ajouté (al.3) qu’à l’issue de cette période, si aucune décision n’est portée à la connaissance du crédit-bailleur, le contrat est résilié de plein droit et le bien immédiatement restitué au crédit-bailleur.
B. OBLIGATIONS DES PARTIES

Il convient de distinguer les obligations du crédit bailleur, et celles du crédit-preneur, fournisseur supportant les mêmes obligations que celles du vendeur.

1. Obligations du crédit-bailleur

Le crédit-bailleur dispose du droit de propriété exclusif du bien loué, droit qu’il garde même après l’extinction du contrat, à moins que le preneur lève l’option d’achat (art.11 loi camerounaise et art.30 loi sénégalaise). De manière identique, les deux textes insistent sur le fait que ce droit de propriété « ne souffre d’aucune restriction, ni limitation d’aucune sorte par le fait que le bien est utilisé par le crédit-preneur ou par le fait que le contrat permet au crédit-preneur d’agir comme mandataire du propriétaire dans les opérations juridiques ou commerciales avec les tiers connexes à l’opération de crédit-bail » (art.30 al.1 loi sénégalaise et art. 13 loi camerounaise). Cependant, l’obligation par laquelle le bailleur doit mettre la chose à la disposition du locataire est considérée comme essentielle. Si le crédit-bailleur n’exécute pas son obligation de délivrance, le contrat est privé d’objet ou de cause et donc nul .
Le crédit-bailleur doit garantir au crédit-preneur la libre jouissance du bien loué et de s’abstenir de toute action diminuant la jouissance .En pratique, Le contrat contient généralement une clause de mandat ad litem aux termes duquel le crédit-preneur exerce les droits et actions que le crédit-bailleur détient contre le vendeur. Il est admis en jurisprudence que les parties peuvent convenir avec le vendeur que le locataire agira directement en garantie contre le vendeur en cas de vice de la chose .

2. Obligations du crédit-preneur

Le crédit-preneur doit utiliser le bien loué en bon père de famille et respecter toutes les prescriptions fournies par le fabricant quant à l’utilisation du matériel. (art.36 loi camerounaise et art.29-3 loi sénégalaise). Il sera responsable de la perte ou des dommages causés aux tiers du fait de la possession ou du fonctionnement du bien loué ; il est généralement prévu dans le contrat que ce risque sera couvert par une police d’assurance contractée par le crédit-preneur et acceptée par le crédit-bailleur. Il est aussi rappelé que le crédit preneur ne peut ni vendre, ni constituer une sûreté en sa faveur sur le bien loué. Pour éviter toute confusion sur la propriété du bien, la loi sénégalaise est allé jusqu’à prescrire au crédit-preneur « d’apposer sur le bien loué une inscription qui stipule que le bien loué est la propriété du crédit-bailleur et qu’il est utilisé par le crédit-preneur en vertu d’un contrat de crédit-bail. » (art.29-9 ).
Comme tout preneur, le crédit-preneur doit payer le loyer ou redevance, au lieu et dates convenues. En pratique, les loyers sont payables termes à échoir et non à terme échu. Le montant des loyers est librement fixé par les parties mais la loi sénégalaise ( art.9) prévoit quelques indications de référence en disposant qu’ils « doivent être fixés de sorte qu’ils compensent la totalité ou la majorité des dépenses engagées par le crédit-bailleur pour l’acquisition du bien loué, son transfert au crédit-preneur, les autres dépenses prévues par le contrat de crédit-bail ainsi qu’une marge correspondant aux profits et intérêts rémunérant le risque du crédit et les ressources immobilisées pour le besoins de l’opération du crédit-bail. ».

Il doit, rappelons le, restituer le bien au crédit-bailleur en cas de résiliation du contrat de crédit-bail et à l’expiration du contrat, à moins qu’il n’exerce son droit d’acheter le bien ou de proroger la durée du contrat.

CONCLUSION

La liberté contractuelle est un principe sacro-saint de la dynamique contractuelle ; elle signifie que les parties doivent être libre d’insérer dans leur contrat les clauses qu’elles désirent, à la condition de respecter l’ordre public et les bonnes mœurs. Dans la pratique des affaires, il est souhaitable que le législateur n’intervienne pas trop pour imposer des dispositions d’ordre public, à même d’étouffer l’autonomie créative spontanée des parties.

L’inégalité économique des parties peut cependant inciter la partie la plus forte à imposer des clauses qui peuvent nuire à la liberté contractuelle. En droit français, la jurisprudence sur les clauses abusives a pu servir de rempart à la tentation de déséquilibre des relations contractuelles. On peut donc comprendre l’interventionnisme du législateur africain, en matière contractuelle, pour réguler certains contrats comme le crédit qui met en relation des établissements de crédit à des petites et moyennes entreprises à la recherche de financement pour le matériel et l’équipement nécessaires à la conduite de leurs activités. On ne peut donc que saluer l’avènement dans les pays de l’espace OHADA des lois sur le crédit bail que le Sénégal et le Cameroun viennent inaugurer.