LES CRÉDITS BANCAIRES CONSORTIAUX ET LA CONSÉCRATION DE LA PARALLEL DEBT EN DROIT FRANÇAIS

Cass. com., 13 septembre 2011 [Arrêt n° 840 FS-P+B] – Pourvoi n° K 10-25.533 – A 10-25.731 – T 10-25.908 (Jonction).

LA COUR, (…) – Attendu, selon les arrêts attaqués (Dijon, 21 septembre 2010, RG no 09/02078, no 09/02080 et no 09/02082), que, par contrat du 24 mai 2006, soumis au droit de l’État de New York et désignant en qualité de trustee la société, domiciliée à Londres, The Bank of New York, devenue la société The Bank of New York Mellon (société Bony Mellon), la société Belvédère, dont le siège est en France, a émis un emprunt sous la forme de titres de financement négociables à taux variable (floating rate notes) à échéance 2013, dont, par le même acte, la société Marie Brizard et Roger international (société Marie Brizard) et six autres filiales de la société Belvédère établies en Pologne ont garanti le remboursement ; que, par un second contrat du même jour, dit convention de partage des sûretés, également régi par le droit de l’État de New York, ont été désignées, en qualités d’agents des sûretés affectées à la garantie de l’exécution du contrat d’émission, les sociétés Natixis France (société Natixis) et Raiffeisen Bank Polska (société Raiffeisen) ; que des jugements du 16 juillet 2008 ayant ouvert, en France, les procédures de sauvegarde de la société Belvédère et de l’ensemble de ses filiales garantes (les sociétés débitrices), les sociétés Bony Mellon, Natixis et Raiffeisen ont, chacune, déclaré dans chaque procédure collective, une créance correspondant au montant total de l’emprunt, leur admission étant prononcée solidairement.

(…)

Attendu que les sociétés débitrices (la société Belvédère, la société Marie Brizard et six autres filiales de la société Belvédère établies en Pologne) font grief aux arrêts RG no 09/02080 et n° 09/02082 d’avoir prononcé la même admission à leurs passifs en faveur des sociétés Natixis et Raiffeisen (…).

Mais attendu qu’après avoir décrit le système de la dette parallèle (parallel debt), consacrée par l’article 8.24 de la convention de partage des sûretés, consistant pour l’émetteur de l’emprunt et ses garants à prendre, envers les agents des sûretés, afin de faciliter la constitution, l’inscription, la gestion et la réalisation de celles-ci directement au nom de ces agents, un engagement contractuel non accessoire équivalent à celui dont ils sont tenus dans leurs rapports avec les porteurs des titres de créance ou le trustee, l’arrêt relève que la convention prévoit que toute somme versée entre les mains de l’un des agents ou d’un autre créancier privilégié s’imputera sur le montant total de la dette et que les agents ne conserveront eux-mêmes les sommes encaissées qu’à titre fiduciaire ; qu’ayant ainsi retenu que les sociétés débitrices, libérées à due concurrence par tout règlement ou autre mode d’extinction de la dette, n’étaient pas exposées à un risque de double paiement et que toute création d’un passif artificiel était exclue dans la mesure où la créance de chacune des sociétés Bony Mellon, Natixis et Raiffeisen n’est admise, conformément à la loi française de la procédure collective régissant les conditions de l’admission, que solidairement avec celle des deux autres, la cour d’appel en a exactement déduit que, sous cette réserve, le droit de l’État de New-York applicable aux crédits syndiqués, en ce qu’il admettait le principe d’une dette parallèle envers les agents des sûretés, n’était pas contraire à la conception française de l’ordre public international ; que le moyen n’est pas fondé ;

Et sur le moyen unique, pris en sa sixième branche, du pourvoi n° A 10-25.731 et sur le moyen unique, pris en sa cinquième branche, du pourvoi no T 10-25.908, rédigés en termes similaires, réunis :

Attendu que les filiales de la société Belvédère établies en Pologne et la société Marie Brizard font grief aux arrêts RG n° 09/02080 et n° 09/02082 d’avoir prononcé l’admission de la société Natixis aux passifs des premières et de la société Raiffeisen au passif de la seconde.

Mais attendu que la conception de la cause des obligations contractuelles retenue par le droit français n’est pas, dans tous ses aspects, d’ordre public international ; que l’absence de constitution par certaines sociétés débitrices de sûretés réelles au profit des agents des sûretés ne fait pas nécessairement obstacle, dans le cadre d’une opération globale de financement soumise à un droit étranger admettant l’existence d’une dette parallèle envers eux, à leur admission aux passifs de ces sociétés qui sont personnellement garantes de l’exécution de l’ensemble des engagements ; que la cour d’appel en a exactement déduit que le respect de l’ordre public international au sens du droit international privé français était suffisamment assuré par le caractère chirographaire de l’admission des sociétés Natixis et Raiffeisen aux passifs respectifs des filiales de la société Belvédère établies en Pologne et de la société Marie Brizard ;que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ; Condamne les sociétés Belvédère, Marie Brizard et Roger International, Sobieski, Sobieski Trade, Domain Menada, Destylernia Sobieski, Destylernia Polmos W. Krakowie et Fabryka Wodek Polmos Lancut aux dépens.

1. La technique de la dette parallèle est-elle compatible avec le système juridique français actuel ? Telle a été la vraie question de droit posée à la Chambre commerciale de la Cour de cassation, dans le cadre d’un arrêt du 13 septembre 2011 . Le débat sur la déclaration ou non de créances en France n’en était qu’une conséquence.
En l’espèce, pour pouvoir se renflouer financièrement, la société Belvédère (de droit français) avait émis un emprunt obligataire sous la forme de titres négociables à taux variable dénommés floating rate notes. Les principales modalités de cet emprunt avaient été définies dans un contrat d’émission conclu le 24 mai 2006. Le même jour, un autre contrat, appelé convention de partage des sûretés, avait été signé avec pour objet de préciser le rôle de chaque contractant. Régies par le droit de l’État de New York, les deux conventions avaient, en effet, pour parties la société émettrice, ses filiales en France et en Pologne, garantes du remboursement de l’emprunt obligataire à échéance pour 2013, l’actuelle société The Bank of New York Mellon, en qualité de trustee, agent payeur, teneur de comptes et agent des transferts, et deux autres établissements de crédit : Natixis, en qualité d’agent principal des sûretés et Raiffeisen Bank Polska SA, agent secondaire des sûretés. Les deux agents des sûretés étaient surtout titulaires d’une créance qu’on peut symétriquement qualifier de parallèle parce qu’ils la tenaient de la parallel debt contenue dans ces contrats. Le montant de cette créance était identique à celui de l’emprunt obligataire.

La société-mère et ses filiales précitées ayant été soumises à des procédures collectives à titre individuel, le trustee et les agents des sûretés ont déclaré leurs créances au passif de chacune d’elles. Ce que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Dijon a admis, par une série d’ordonnances. Les entreprises défaillantes ont sollicité l’annulation de ces ordonnances devant la cour d’appel de Dijon, mais en vain. Non satisfaites, ces entreprises ont formé trois pourvois demandant la cassation des trois arrêts déférés. Ces pourvois prétendaient, notamment, que : – les décisions attaquées seraient contraires au droit international privé et au droit communautaire ; – la cour d’appel ne se serait pas préoccupée de la teneur exacte du droit new-yorkais (qu’elle a pourtant appliqué au cas d’espèce) aux fins de s’assurer que le trustee ou les agents des sûretés étaient bien créanciers et recevables de leurs déclarations de créances en France ; – la dette parallèle, à l’origine des créances et des déclarations de créances querellées, ferait naître une obligation sans cause d’autant qu’en l’espèce Natixis n’aurait reçu aucune sûreté des filiales polonaises ; de plus, il avait été soutenu que les obligations envers les cocréanciers (porteurs de notes et The Bank of New York Mellon, trustee) et les créanciers parallèles (agents des sûretés) auraient eu une cause identique : le contrat d’émission. Par conséquent, les débitrices auraient dû être autorisées à évoquer le principe – d’ordre public international – de l’opposabilité des exceptions inhérentes à la dette principale. Or, la convention de partage des sûretés ne leur aurait concédé qu’une seule exception ou cause libératoire : le paiement des cocréanciers. Mais, sur le fondement de la théorie de la loi de la source des créances contractuelles , la Cour de cassation a rejeté les trois pourvois et admis, à la suite des juges du fond, que la parallel debt n’est contraire ni à l’ordre public international français, ni au principe d’égalité des créanciers qui gouverne le droit des procédures collectives.

Dans le cadre du présent commentaire, nous n’évoquerons que la technique de la dette parallèle, puisque les solutions jurisprudentielles françaises concernant ce qu’il convient d’appeler le droit international de la « faillite » sont désormais fixées .

3. Ainsi que nous l’avons déjà écrit par ailleurs , force est de constater que, par certains de ses aspects, la parallel debt a des apparences qui peuvent rappeler certaines opérations juridiques bien connues du droit français, tandis qu’elle se distingue fondamentalement de bien d’autres. En effet, la parallel debt ne doit pas être confondue avec la cession de créance (civile ou professionnelle). Car, en tant que procédé de dédoublement de créance ou de dette, la parallel debt ne semble remplir aucune des fonctions de la cession de créance que sont la transmission , le paiement et la sûreté . La parallel debt ne doit pas non plus être confondue avec la cession de contrat, laquelle emporte remplacement d’une partie contractante par un tiers ; tandis qu’ici les cocréanciers conservent leur statut au même titre que le créancier parallèle à l’égard d’un même débiteur. Ce n’est pas une délégation imparfaite de créance, parce que contrairement à la parallel debt qui institue deux types de créanciers de même rang pour un même débiteur, dans la délégation imparfaite de créance, c’est le créancier qui dispose de deux débiteurs ou plusieurs catégories de débiteurs pour la même obligation. La parallel debt ne se confond pas davantage avec la technique de l’indication de paiement régie par l’article 1277, alinéa 2, du Code civil, qui dispose : « (…) la simple indication faite, par le créancier, d’une personne qui doit recevoir pour lui (…) n’opère point novation » (C. civ., art. 1277, al. 1er). Elle s’en distingue d’autant plus que le créancier indiqué ne devient pas personnellement créancier du débiteur, en l’absence d’un engagement de celui-ci en ce sens ; contrairement à la parallel debt qui investit le créancier parallèle d’un droit propre ou – ce qui revient au même – crée une dette parallèle à la charge d’une même personne ou d’un même groupe de personnes envers deux types de créanciers principaux et différents. De plus, la parallel debt ne doit pas être identifiée au mécanisme du financement mezzanine . Car, outre que le débiteur parallèle ne reçoit pas deux financements (un senior et un junior), il n’y a pas de cession de droit d’antériorité entre les cocréanciers et le créancier parallèle comme cela se pratique entre les seniors debts et les juniors debts.

3. En revanche, nous allons essayer de montrer que la parallel debt peut être rapprochée de la solidarité active du point de vue tant juridique – celle-ci en comportant les principaux traits caractéristiques – qu’économique : l’attractivité de la place financière française par des instruments juridiques d’accompagnement des financements que peuvent offrir des pools bancaires. C’est, en-tout-cas, l’un des intérêts pratiques de la décision commentée, à savoir : faciliter la constitution et le développement de la technique des financements bancaires consortiaux, qui nécessitent des montages juridiques et financiers particulièrement denses et complexes. Dans une telle optique, il n’est pas inintéressant de s’interroger à la fois sur la nature (I) et sur le régime (II) juridiques de la parallel debt, au regard du droit français.

I. NATURE JURIDIQUE DE LA PARALLEL DEBT

4. C’est par une interprétation a contrario que l’on peut subodorer (A) la position de la Cour de cassation aussi bien sur une possible transposition en droit français de la technique de la dette parallèle que sur des mécanismes y approchants (B).
A. CHOIX IMPLICITE DE LA COUR DE CASSATION

5. La Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la nature juridique de la parallel debt, contrairement à la cour d’appel de Dijon, qui, dans un motif de l’un des trois arrêts déférés, a admis que cette technique « se rapproche du mécanisme de la solidarité active qui, en présence de plusieurs détenteurs d’une même créance, confère le droit à chacun d’eux de demander le paiement du total de la créance, en conséquence de la déclarer en totalité au passif de la procédure collective du débiteur » . Le juge du droit a, toutefois, déclaré ce motif surabondant s’agissant du trustee.

Par analogie, ce caractère surabondant s’applique aussi à la parallel debt. Est-ce à dire pour autant que le rapprochement de ces mécanismes avec la solidarité active soit erroné ? Rien n’est moins sûr. En effet, du point de vue procédural, lorsqu’elle est saisie d’un pourvoi, la Haute juridiction française se préoccupe plus du dispositif que des motifs , en vertu du pouvoir que lui confère la loi de substituer des motifs pour pouvoir justifier sa décision. Telle est la règle posée par l’article 620 du Code de procédure civile français : « La Cour de cassation peut rejeter le pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné ; elle le peut également en faisant abstraction d’un motif de droit erroné mais surabondant ». Cependant, si le « motif erroné » et le « motif de droit erroné » peuvent être compris comme ceux résultant d’une fausse représentation de la réalité qualificative des termes d’un litige par un juge du fond, qu’en est-il de l’expression « motif surabondant » ? C’est un « motif qui n’est pas le soutien nécessaire du dispositif » . Mais, ce n’est pas systématiquement un motif erroné, dans la mesure où cette juridiction prend souvent bien soin de préciser s’il s’agit d’un motif « erroné mais surabondant », c’est-à-dire superflu et qu’elle n’entend ni approuver, ni désapprouver. Au cas d’espèce, l’on peut donc considérer qu’en ayant qualifié de « surabondant » le motif de l’arrêt attaqué , la Cour de cassation ne semble pas avoir trouvé incongru le rapprochement de la parallel debt avec la solidarité active.

C’est, au demeurant, ce qui ressort des termes mêmes employés dans l’arrêt commenté : « le système de la dette parallèle (ou parallel debt), la créance de chacune des sociétés (agents des sûretés) n’est admise que solidairement avec celle des deux autres (cocréanciers) ; (…) les agents ne conserveront les sommes encaissées qu’à titre fiduciaire ». La parallel debt peut-elle donc être assimilée aussi bien à la solidarité active qu’à la fiducie ?
B. LA PARALLEL DEBT, LA SOLIDARITE ACTIVE ET L’AGENT DES SURETES

6. Il sera surtout souligné ici la nature des deux premières techniques, le contrat d’agent des sûretés étant un élément fédérateur de celles-ci ; les trois techniques se rejoignant en tant que mécanismes de recouvrement de créances (cf. infra). La parallel debt est un mécanisme « qui consiste à dédoubler la (dette) du débiteur à l’égard des créanciers pour faire naître au profit de l’agent des sûretés une créance miroir de façon à ce qu’ils puissent bénéficier des sûretés, ce qui en facilite la constitution et la réalisation » . Cette définition peut être utilement complétée par celle proposée par les sénateurs : la parallel debt « permet de demander au constituant de la sûreté, déjà débiteur d’une dette auprès de l’ensemble des créanciers, de se reconnaître débiteur envers l’agent des sûretés d’une seconde dette ayant les mêmes caractéristiques que la première. L’agent des sûretés devient ainsi titulaire, à l’encontre du constituant de la sûreté, d’une obligation distincte de l’obligation initiale et qui lui est propre. Il peut dès lors prendre à la garantie de cette “parallel debt” des sûretés en son nom et pour son compte, et non en qualité de simple mandataire des créanciers » .

7. La solidarité active est régie, quant à elle, par l’article 1197 du Code civil : « L’obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d’eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l’un d’eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l’obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers » .

Les deux mécanismes précités ont incontestablement des points communs. Le paiement fait auprès d’un créancier solidaire ou du créancier parallèle est libératoire pour le débiteur à l’égard des cocréanciers. Par ailleurs, ces techniques constituent des créances à titre principal. La parallel debt est une créance en soi, en ce qu’elle est parallèle à la créance originaire ou primaire ; l’une ne se substituant pas à l’autre dans leurs rapports respectifs avec la dette. La solidarité active est, elle aussi, une juxtaposition de créances de plusieurs personnes sur un même débiteur. La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu que l’engagement du débiteur envers le créancier parallèle n’est pas accessoire mais indépendant. En revanche, si le créancier solidaire agit sur mandat au-delà de sa quote-part dans la créance à recouvrer, tel n’est pas le cas du créancier parallèle, titulaire de l’intégralité de celle-ci.

8. De son côté, la technique de l’agent des sûretés est décrite à l’article 2328-1 du Code civil : « Toute sûreté réelle peut être constituée, inscrite, gérée et réalisée pour le compte des créanciers de l’obligation garantie par une personne qu’ils désignent à cette fin dans l’acte qui constate cette obligation ». C’est un mécanisme de recouvrement de créance au même titre que la parallel debt ou la solidarité active. Comme les créanciers parallèles, eux-mêmes agents des sûretés, les créanciers solidaires peuvent désigner des agents des sûretés pour pouvoir obtenir constitution, inscription, gestion ou, le cas échéant, réalisation des sûretés pour le recouvrement d’une créance. Toutefois, l’assiette des garanties en faveur de chaque agent n’aura pas la même consistance. Tandis que l’agent des sûretés de droit étranger est libre d’exiger des sûretés réelles et personnelles , celui de droit français – à désigner par des créanciers solidaires, par exemple – voit son domaine de compétence se limiter aux seules sûretés réelles .

En somme, c’est sa finalité que l’agent des sûretés partage avec la parallel debt et la solidarité active ; les trois procédés poursuivant un même objectif. En effet, sans être ni une sûreté , ni un procédé de « recouvrement des créances pour le compte d’autrui » , la parallel debt constitue néanmoins un mécanisme de recouvrement de créance. Aussi, en faisant recours au procédé de la parallel debt, les cocréanciers décident-ils précisément de se donner une possibilité supplémentaire de recouvrer leur créance sur le débiteur directement entre les mains du créancier parallèle. C’est aussi le cas de la solidarité active pour laquelle chacun des cocréanciers est investi du droit de demander et d’obtenir le recouvrement du total de la créance sur un débiteur commun. Par la technique de l’agent des sûretés, la constitution, l’inscription, la gestion et la réalisation des sûretés visent à accroître, ici aussi, les possibilités pour les créanciers réunis d’obtenir le payement de leur créance sur un même débiteur. Au cas d’espèce, la cour d’appel a décidé que Natixis n’ayant pris aucune sûreté en Pologne, sa « créance ne (pouvait) être admise à l’égard des filiales polonaises à titre privilégié, mais seulement chirographaire » . La parallel debt n’est donc pas une sûreté, mais un mécanisme de recouvrement de créance, dont les droits et obligations des parties doivent être cernés.

II. LES DROITS ET OBLIGATIONS DES PARTIES A LA PARALLEL DEBT

9. Le rapprochement du mécanisme de la parallel debt de la solidarité active emporte application à la première du régime juridique de la seconde, en ce qu’il peut aider à définir les droits et obligations des créanciers (A) comme du débiteur parallèle (B).
A. POUR LES CREANCIERS

10. Ces droits et obligations doivent être envisagés aussi bien à l’égard des cocréanciers que du créancier parallèle.

11. Relativement aux droits des cocréanciers, par application de l’article 1197 du Code civil, le contrat de parallel debt devrait pouvoir conférer « expressément à chacun (cocréanciers ou créancier parallèle) le droit de demander le payement du total de la créance ». Plusieurs conditions sont ainsi requises pour que le créancier parallèle puisse obtenir payement de la créance : la nécessité d’un titre, le contrat de parallel debt ; ce contrat doit stipuler « expressément » l’existence d’une créance parallèle, car la solidarité active ne se présume pas, même en matière commerciale . Cette dernière exigence est d’autant plus importante que l’agent des sûretés n’acquiert son droit de créance direct qu’avec l’accord conjoint de la collectivité des cocréanciers et – surtout – du débiteur parallèle ; contrairement à la technique de la solidarité active, où l’existence d’une créance propre à chacun des cocréanciers est une condition préalable au jeu de cette technique. Rappelons qu’au cas d’espèce, l’un des trois pourvois prétendait que la créance ou la dette parallèle n’avait aucune existence propre, ce qui impliquait qu’elle n’existât pas sans la dette principale. Cette dette parallèle constituerait en fait un passif artificiel au profit d’un non-créancier. Cet argument appelle deux observations. D’une part, il pose la question de l’identification de la cause de la dette parallèle. Cette identification est rendue difficile en l’occurrence par le caractère à la fois unilatéral de l’engagement des débitrices envers le créancier parallèle et fondamentalement abstrait de la parallel debt. D’autre part, c’est sans doute en prévention et en prévision de la contestation formulée ici par les débitrices qu’a été rédigé l’article 8.14 de la convention de partage des sûretés précitée.

12. Hormis le droit à payement, la clause susvisée implique de définir les obligations à la fois des créanciers entre eux et de ceux-ci envers le débiteur. Entre créanciers, sous réserve d’une déduction du montant de sa propre participation éventuelle au financement syndiqué octroyé au débiteur parallèle, le créancier parallèle doit transmettre l’intégralité des fonds reçus aux cocréanciers, sous peine d’engager sa responsabilité civile. La Cour de cassation précise même que le créancier parallèle détient ces fonds en simple « fiduciaire ». Les créanciers s’obligent à consentir à ce que les sûretés garantissant le règlement de leur créance par le débiteur puissent être constituées au seul nom du créancier parallèle. Par ailleurs, les deux types de créanciers doivent observer entre eux une obligation de reddition de comptes, notamment en cas de payement partiel ou total de la créance garantie. Cette diligence a pour objet, à ce stade, d’introduire de la transparence dans les rapports entre créanciers, quant à la détermination de la quotité de chacun d’eux sur les sommes à distribuer. Toutes ces règles peuvent être utilement appliquées à la parallel debt, sous réserve de ses spécificités.

13. Envers le débiteur, il s’agit notamment de l’obligation faite aux créanciers, en général, et au créancier parallèle, en particulier, de réduire le montant de leur créance à concurrence des sommes payées par le débiteur à chacun d’eux. Ils ne doivent faire courir au débiteur aucun risque de double payement. Dans la pratique des financements bancaires, l’on prévoit souvent une clause glissante en faveur du débiteur (à l’instar de la clause de taux d’intérêt glissant, tenant compte de la modification de la structure de la dette ou du tableau d’amortissement).
B. POUR LE DEBITEUR PARALLELE

14. Les droits et obligations de celui-ci sont à appréhender dans ses relations avec les cocréanciers et avec le créancier parallèle.

15. Dans la solidarité active, le principal droit du débiteur c’est, rappelons-le, la protection que lui garantit l’article 1197 du Code civil contre le risque de double payement. Par conséquent, dans la parallel debt, même si juridiquement sa dette s’est dédoublée, économiquement le débiteur ne consent à une dette parallèle que parce qu’il est persuadé de n’avoir à payer que le seul montant dû aux cocréanciers. C’est ainsi que dans son arrêt du 13 septembre 2011, la Cour de cassation a rappelé « que les sociétés débitrices, (sont) libérées à (…) concurrence (de) toute somme versée entre les mains de l’un des agents ou d’un autre créancier privilégié (…) par tout règlement ou autre mode d’extinction de la dette, (elles) n’étaient pas exposées à un risque de double paiement et que toute création d’un passif artificiel était exclue ».

16. La protection du débiteur peut, cependant, se révéler assez difficile, d’une part, si la parallel debt n’est pas assortie d’une clause de solidarité entre les cocréanciers et le créancier parallèle dans leurs relations avec lui et, d’autre part, si l’objet de la créance n’est ni partageable, ni divisible.

17. Un autre droit de protection que peut évoquer le débiteur parallèle (à l’image de la solidarité active), c’est la liberté de choisir celui des créanciers auprès duquel il entend se libérer . En réalité, la liberté de choix du débiteur parallèle s’arrête où commence l’action judiciaire dûment portée à sa connaissance par l’un des créanciers.

18. Comme les trois articles du Code civil qui régissent la solidarité active ne le précisent pas, il faut se demander si le débiteur peut se déclarer libéré de tout engagement à l’égard du créancier parallèle ou des cocréanciers en apportant la preuve d’une compensation ou d’une confusion de sa créance sur l’un d’eux avec sa dette (v. C. civ., art. 1234). Plus généralement, les obligations du débiteur parallèle relèvent du droit commun des contrats complétées par celles du régime spécial de la parallel debt. Les obligations spécifiques se situent à deux niveaux. D’une part, celles nées de la parallel debt, en tant que contrat principal et fait générateur du droit de créance direct de l’agent des sûretés-créancier parallèle ; elles doivent être respectées et exécutées par le débiteur parallèle comme si c’était à l’égard des cocréanciers (créance primaire). D’autre part, le débiteur doit exécuter ses obligations dans le cadre du ou des contrats accessoires tels que les sûretés à constituer par ou pour lui. En l’espèce, Natixis, comme Raiffeisen Bank Polska SA, agissant en qualité de créancier à titre personnel, avait obtenu des sûretés constituées par une filiale française de la société Belvédère en garantie du paiement de la dette parallèle.

19. En définitive, la consécration de la parallel debt participe, certes, de la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation de remédier au déficit législatif tant déploré par les praticiens en matière de dispositifs juridiques sur les crédits consortiaux en France. Il est, cependant, à craindre que l’alignement du régime juridique de ce mécanisme sur celui de la solidarité active n’en épouse les principaux écueils, parmi lesquels le sort des droits des (autres) créanciers solidaires en cas d’insolvabilité de l’agent recouvreur de fonds (il faut donc saluer la prudence de la Haute juridiction qui n’a ni approuvé, ni désapprouvé cet alignement retenu par les juges dijonnais, laissant ainsi jouer la liberté contractuelle en la matière). Plus spécifiquement, le caractère notoirement abstrait de la nouvelle technique, notamment de l’engagement du débiteur envers le créancier parallèle, ne manquera pas d’être utilement relevé – voire dénoncé – par les causalistes et salué par les anti-causalistes. Il est également à craindre pour le régime fiscal applicable au débiteur parallèle, qui risquerait de se voir reprocher d’avoir accompli un acte anormal de gestion, mais pas seulement….