L’HARMONISATION DU DROIT DE LA PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE ET ARTISTIQUE AU SEIN DE L’OAPI : REGARD EXTÉRIEUR D’UN JURISTE FRANÇAIS

La propriété intellectuelle ne fait pas partie du droit uniforme de l’OHADA (traité, règlements, actes uniformes). Elle fait l’objet d’une unification/harmonisation au sein de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) qui est une organisation gouvernementale crée par l’Accord de Bangui du 2 mars 1977et révisé le 24 février 1999.

Au début des années 1960, se fondant sur l’article l’article 19 de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, qui dispose que les pays parties à cette convention se réservent le droit de prendre séparément entre eux, des arrangements particuliers pour la protection de la propriété industrielle, autant que ces arrangements ne contreviennent pas aux dispositions de ladite convention, 12 Etats africains francophones ayant récemment accédé à l’indépendance ont choisi de créer une structure commune remplaçant l’INPI (lequel était l’office national de propriété industrielle de ces Etats au sein de l’Union française). Cette structure naquît de l’Accord de Libreville le 13 septembre 1962 et prit le nom d’Office Africain et Malgache de Propriété Industrielle (OAMPI). L’OAMPI était une structure commune qui faisait office d’agence nationale de propriété industrielle pour chacun des Etats membres à l’Accord de Libreville. Cet Accord regroupait certains Etats d’expression et de culture juridique française . De fait, dans les Etats membres, le droit français faisait office de droit de la propriété intellectuelle. L’Accord couvrait le droit des brevets, des marques de commerce et de fabrique et des dessins et modèles industriels.

Trois principes fondamentaux animaient l’Accord de Libreville :
– l’adoption d’une législation uniforme par la mise en œuvre et l’application des procédures administratives communes découlant d’un régime uniforme de protection de la propriété industrielle ;
– la création d’un office commun de la propriété industrielle se déclinant comme un office national dans chacun des Etats membres ;
– la centralisation des procédures d’examen et de délivrance des titres de propriété intellectuelle de sorte qu’un seul titre délivré se scinde en autant de titres nationaux indépendants que des pays membres.

Ces principes traduisaient ainsi une volonté d’intégration au sein d’un système commun de propriété industrielle, gage de cohérence, d’efficacité et de sécurité juridique pour les Etats membres.

A la suite du retrait de la République Malgache de l’Accord de Libreville, et dans le souci d’étendre le domaine des objets protégés (aux marques de produits et services, aux modèles d’utilité notamment, et surtout pour notre propos, au droit d’auteur), mais aussi afin de permettre une large intégration dans un cadre de développement, l’Accord de Libreville fut révisé à Bangui le 2 mars 1977 : l’Organisation Africaine de la propriété intellectuelle était créée . Elle comporte actuellement 16 Etats membres.

Quelques chiffres suffiront à éclairer les liens étroits existant de fait entre l’OAPI et l’OHADA, mais aussi avec l’OMC et l’accord ADPIC.

Sur 17 Etats actuellement membres de l’OHADA (depuis l’adhésion récente de la RDC), 15 sont également membres de l’OAPI (ne sont pas membres de l’OAPI : Les Comores et la RDC)
Sur les 16 Etats membres de l’OAPI, seule la Mauritanie n’est pas membre de l’OHADA.

Parmi tous les membres de l’OAPI seule la Guinée Equatoriale n’est pas membre de l’OMC (elle a actuellement le statut d’observateur) et donc pas partie à l’accord ADPIC.

Ce dernier aspect est très important : en effet, l’accord ADPIC prévoit en ses articles 1 et 2 son articulation avec les grandes conventions internationales pour la propriété intellectuelle.

Surtout l’article 1° stipule que « Les membres pourront, sans que cela soit une obligation, mettre en œuvre dans leur législation intérieure une protection plus large que ne le prescrit le présent accord, à condition que cette protection ne contrevienne pas aux dispositions du présent accord. Les membres sont libres de déterminer la méthode appropriée pour mettre en œuvre les dispositions du présent accord dans le cadre de leurs propres systèmes et pratiques juridiques ».

Cela laisse donc une place aux harmonisations régionales, européennes comme africaines par exemple, mais aussi aux législations nationales plus protectrices (que ne l’est l’accord ADPIC) de la propriété intellectuelle.

L’article 2 pose également que l’adhésion à l’accord ADPIC n’entraîne pas de dérogations aux obligations que les membres peuvent avoir les uns à l’égard des autres en vertu notamment de la convention de Berne et de la Convention de Paris.

En ce qui concerne notre sujet, c’est-à-dire la propriété littéraire et artistique, les articles 9 à 14 de l’accord ADPIC prévoient un régime minimal de droits de propriété littéraire et artistique qui repose sur les standards internationaux des conventions de Berne (droit d’auteur) et de Rome (certains droits voisins) et instituent en outre une protection des programmes d’ordinateurs, des compilations de données, et un droit de location.

Tous ces droits se retrouvent dans l’annexe VII de l’accord de Bangui qui est consacré à la propriété littéraire et artistique, traduisant en cela la conformité de cette annexe avec les obligations internationales des Etats membres de l’OMC.

L’OAPI coexiste actuellement avec une autre organisation régionale africaine de propriété intellectuelle (entre cette fois essentiellement les pays anciennement sous influence coloniale britannique, anglophones, et de tradition juridique de common law) : l’African Regional Intellectual Property Oganization –(ARIPO) qui regroupe 18 Etats : Botswana, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Liberia, Malawi, Mozambique, Namibie, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Swaziland, Tanzanie, Uganda, Zambie et Zimbabwe.

On notera qu’aucun de ces Etats n’est membre de l’OHADA. L’harmonisation de la propriété intellectuelle au sein des Etats membres de l’OHADA s’effectue donc, pour l’heure, exclusivement à travers l’OAPI.

Cependant l’article VI de l’accord instituant l’ARIPO donne mandat à l’Organisation pour coopérer avec les Etats non membres. Dans ce cadre, l’ARIPO a coopéré avec les 14 Etats suivant qui ont le statut d’observateurs : Angola, Algérie, Burundi, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Liberia, Libye, Mauritius, Nigéria, Rwanda, Seychelles, Afrique du Sud et Tunisie.

On retiendra deux éléments : ces derniers Etats intégreront potentiellement l’ARIPO et non l’OAPI d’une part, et l’ARIPO qui est une organisation centrée sur la propriété industrielle ne contient pour l’heure aucun texte d’harmonisation en matière de propriété littéraire et artistique , d’autre part (même si ses Etats membres comportent pour certains une législation en matière de propriété littéraire et artistique).

Coexistent ainsi en Afrique deux organisations régionales de propriété intellectuelle, dont l’une seulement (l’OAPI) contient un volet dédié à la propriété littéraire et artistique. Une telle dualité d’organisations, qui s’explique largement par des questions de tradition juridique propre à chacun des pays membres de l’une ou de l’autre, n’exclut pas une collaboration (partenariat, échanges) entre celles-ci. Cette dualité traduit aussi bien la « guerre du droit », à l’issue bien incertaine, qui oppose aujourd’hui les pays de tradition de droit civil à ceux de Common Law. C’est pourquoi il est d’autant plus important de faire connaître le texte de l’OAPI, largement inspiré du droit continental et moteur d’une intégration juridique régionale africaine (celle de l’OHADA).

En ce qui concerne la propriété littéraire et artistique, l’OAPI a notamment pour mission de promouvoir le droit d’auteur « en tant qu’expression des valeurs sociales et culturelles », mais aussi dans le but de promouvoir le progrès économique .

L’OAPI est nettement, pour ce qui est de son orientation, sinon de son « influence », marquée par ce que l’on a coutume d’appeler la « tradition de droit d’auteur ». Autrement dit, on peut s’attendre à ce que l’annexe VII de l’accord de Bangui, qui est consacré à la propriété littéraire et artistique, propose un modèle très proche notamment du droit français en la matière. Or, la « comparaison » (avec le droit français) s’avère surprenante, dans le meilleur sens du terme. En effet, si l’Annexe VII emprunte pour beaucoup aux concepts du droit d’auteur dans la tradition continentale et civiliste (et particulièrement au droit français), elle « laisse » de côté ce qui, chez nous, peut poser certains problèmes, pour adopter des solutions pragmatiques et plus souples, proches du droit du copyright. L’Annexe VII apparaît ainsi avant tout en quelque sorte comme un compromis entre deux logiques de droit de la propriété littéraire et artistique. En tout cas, le texte n’est pas dogmatique en refusant de s’inscrire purement et exclusivement dans une certaine conception du droit d’auteur.

Le moins que l’on puisse dire est que la doctrine (particulièrement française) s’est peu intéressée à la question de l’harmonisation du droit d’auteur en Afrique …C’est pourquoi il nous a paru intéressant de s’arrêter sur cette harmonisation, alors même que le développement des technologies de communication fait de l’Afrique à part entière un marché d’exploitation des œuvres de l’esprit prometteur et que la propriété littéraire et artistique y est perçue comme un outil au service du développement et de l’accès à la connaissance .

La problématique qui est la nôtre sera double : d’un côté mesurer dans ses grandes lignes la portée (méthode et règles de fond) de l’harmonisation du droit d’auteur au sein de l’Annexe VII de l’OAPI, son sens, son efficacité potentielle ou virtuelle, notamment en comparaison de ce que nous connaissons : la législation française ou encore l’harmonisation communautaire du droit d’auteur. D’un autre côté, recenser les obstacles subsistant à cette harmonisation ; autrement dit, tenter du point de vue du juriste « extérieur » de montrer quelle sont, pour l’heure, les limites d’une telle harmonisation.

I. SENS ET PORTEE DE L’HARMONISATION DE LA PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE AU SEIN DE L’OAPI

Avant que d’aborder la présentation des règles substantielles de l’Annexe VII (B), nous nous arrêterons sur la méthode retenue dans celle-ci (A).
A. QUESTIONS DE METHODE

La lecture de l’Annexe VII révèle immédiatement au spécialiste l’influence certaine du droit français sur le texte.

Des auteurs ont parlé d’ « acculturation juridique » pour désigner la transformation d’un système juridique par l’importation d’un système juridique étranger. De fait, historiquement, le droit africain, de tradition orale et coutumière, a subi une profonde transformation au contact du passé colonial.

Mais, pour notre sujet, il convient mieux de parler d’emprunt (en l’occurrence du droit d’auteur continental et plus particulièrement français), lequel ne porte que sur une institution juridique particulière. En effet, d’un côté l’influence des grandes conventions internationales qui est ici déterminante, ne laisse finalement qu’une marge de manœuvre relative –en tout cas quant aux grands principes- aux Etats ou organisations régionales pour instituer un système de propriété littéraire et artistique propre. Et d’un autre côté, l’emprunt est relatif car l’Annexe VII de l’OAPI s’écarte parfois de la tradition personnaliste européenne et française pour rejoindre le pragmatisme anglo-saxon à bien des égards. L’emprunt n’est donc pas synonyme d’importation aveugle d’une institution. La reprise du modèle étranger est, dans l’Annexe VII, toute emprunte de pragmatisme et de réalisme. Il s’est agi aussi, semble t-il, de prendre également en compte une certaine « spécificité » africaine (notamment culturelle, voire économique) dans l’adoption d’une législation harmonisée sur la propriété littéraire et artistique au sein de l’OAPI. En effet, toute législation nationale sur la propriété littéraire et artistique est aussi le reflet d’une certaine culture, mais aussi et surtout d’un certain rapport à la culture.

Nous allons nous intéresser exclusivement à l’annexe VII de l’Accord de Bangui puisque c’est elle qui concerne la propriété littéraire et artistique.
On notera que cette Annexe VII est divisée en deux titres : le premier est consacré aux droits d’auteurs et aux droits voisins. Le second est dédié à la promotion et protection du patrimoine culturel. Cela est paradoxal car ce titre II ne traite pas de propriété littéraire et artistique, voire de propriété intellectuelle au sens strict. Il est en effet consacré à la protection du patrimoine matériel et immatériel (notamment à travers le folklore) -articles 67 et 68-.

La définition du folklore qui y est donnée est très large et rejoint des objets protégés habituellement par le droit d’auteur, mais aussi, pour d’autres, par le droit des brevets (article 68 2°, e) et f) ).

En réalité, le titre II consacre, en sus de la protection notamment par le droit d’auteur, une protection périphérique originale, assurée par l’Etat, et au travers d’un droit d’autoriser ou d’interdire de l’autorité nationale compétente ayant pour objet le patrimoine culturel et notamment le folklore (art. 73). On est ainsi en présence d’un vrai droit de propriété « communautaire » (au sens de propriété de la communauté), d’essence collective (là où en France on est plutôt dans le cadre d’une « liberté » : celle d’utiliser les éléments du folklore). Ce titre II est ainsi, selon nous, très en phase avec la culture orale et collective qui marque généralement le continent africain.

On est ici en présence d’une protection sui generis du folklore, détachée du droit d’auteur. Ce dernier ne va évidemment pas de soi pour protéger le folklore en raison du caractère collectif de celui-ci –qui s’oppose donc à son appropriation privative- et de la nécessité de dater l’œuvre et de lui trouver un auteur pour qu’elle soit protégée au titre de la propriété littéraire et artistique.

Cette protection au travers d’un droit d’autoriser ou d’interdire, exercé par l’Etat, comporte d’importantes limitations prévue à l’article 74 , et notamment dans le cas ou l’utilisation du folklore consiste dans un « emprunt(s) pour la création d’une oeuvre originale d’un ou plusieurs auteurs ». Il s’agit évidemment de faire en sorte que la protection du folklore ne bride pas la liberté de création.

D’emblée, deux choses frappent à la lecture de l’Annexe VII : la grande modernité du texte, tant dans son contenu (règles substantielles) que dans sa forme rédactionnelle (vocabulaire employé qui embrasse la plupart des nouvelles technologies de communication des œuvres). On notera que l’Annexe s’ouvre (article 2) sur une longue liste de définitions au sens du texte. Le procédé n’est pas familier du droit français et fait plus penser à la pratique anglo-saxonne des contrats ou à certains textes de droit dérivé de l’Union européenne. Certaines définitions sont une décalque du droit français , d’autres s’en éloignent assez substantiellement ou bien sont inconnues du droit français .

Les outils et concepts contemporains de la propriété littéraire et artistique existent donc dans l’Annexe VII, à tout le moins sur le papier.

Ensuite, comme il a été dit plus haut, on est très proche du modèle français. Certains articles de l’Annexe VII sont presque copiés mot à mot au code de la propriété intellectuelle. Mais, parfois, l’Annexe s’en éloigne … pour laisser ce qui ne marche pas forcément très bien dans notre législation, et prendre ce qu’il y a de bon ailleurs (pour l’essentiel, sont concernés par cette distanciation avec le « modèle » français le droit moral, le régime des créations de salariés, ou encore la nature et le formalisme des « cessions » de droit d’auteur). Ne figure pas dans l’Annexe le principe de la rémunération proportionnelle, qui est pourtant l’un des piliers français du droit contractuel d’auteur.

Ainsi, l’impression laissée par la lecture de cette Annexe est que lorsque le système du copyright paraît plus adapté, le texte s’écarte de la logique de droit d’auteur.

Tout cela dénote, à notre sens, une grande intelligence de la matière.

Cependant les législateurs nationaux n’ont pas suivi et n’ont pas encore tous transposé dans leur législation toutes les dispositions de l’Annexe VII. Il subsiste ainsi dans les législations des Etats membres des dispositions contraires à l’annexe VII, sur des points fondamentaux comme par exemple la titularité des droits . Cette question, qui est finalement c’est de la force obligatoire de l’Annexe VII, sera abordée par ailleurs .

Intéressons-nous maintenant au contenu matériel des règles figurant dans l’Annexe.

B. CONTENU MATERIEL DE L’ANNEXE VII EN MATIURE DE PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE

On ne peut se contenter dans le cadre restreint de la présente étude que d’une présentation très générale du contenu matériel de l’Annexe VII, forcément réductrice par ce qu’elle occulte les détails qui ont souvent, en pratique, une grande importance. Pour autant, arrêtons-nous quelque peu sur certains aspects du texte. Un rapide survol nous permettra d’en saisir la « philosophie générale » tout autant que le contenu substantiel.

La définition des œuvres protégées est très complète . On notera l’absence de nécessité d’une fixation de l’œuvre pour que celle-ci soit protégé, ce qui correspond bien à la tradition orale africaine –et est conforme à la tradition française et éloigné du droit du copyright-.

En revanche on relèvera que le texte s’inscrit dans une logique très personnaliste (l’œuvre est le reflet de la personnalité de son auteur), laquelle n’est peut-être pas le reflet de la culture traditionnelle africaine (il y a là « acculturation »).

Concernant les droits patrimoniaux maintenant , ceux-ci sont très complets. Autrement dit, tout y est ou presque, y compris le droit de suite, le droit de distribution, le droit de location, le droit de communication au public etc…

La durée des droits patrimoniaux, conforme de manière générale à celle prévue dans le code de la propriété intellectuelle, fait l’objet cependant de quelques régimes spéciaux : œuvres anonymes et pseudonymes , œuvres audiovisuelles , œuvres des arts appliqués , qui nous éloignent alors des dispositions du code de la propriété intellectuelle.

Les droits moraux sont également très complets conformément notamment à la tradition française. Cependant, ils sont soumis à la preuve d’une atteinte à l’honneur ou à la réputation en ce qui concerne les atteintes à l’intégrité . La distanciation avec le droit moral dans la conception française est patente. Mais l’on peut approuver une telle solution qui permet, le cas échéant, d’éviter certains abus de la part d’auteurs invoquant une violation de leur droit à l’intégrité à de pures fins patrimoniales sans que réellement il soit possible de considérer que celle-ci leur cause un quelconque préjudice.

De plus, s’agissant du droit moral post-mortem, c’est un organisme national de gestion collective qui exerce celui-ci . Cette solution a pour mérite, selon nous, de mieux mettre en œuvre l’idée d’un droit moral-fonction, largement emprunt d’intérêt général, après la mort de l’auteur. Cela nous semble conforme à ce qui est souvent présenté comme une particularité africaine : le caractère plus collectif de sa culture (que l’on sait aussi pour l’essentiel « orale »). A cet égard, le texte sur le droit moral post-mortem nous paraît très innovant par rapport aux standards à tout le moins individualistes du droit moral.

Les exceptions aux droits patrimoniaux sont moins nombreuses et sans doute moins strictes qu’en droit français. Il est ainsi possible de considérer que les exceptions de l’Annexe VII sont globalement plus permissives que les exceptions en France. Certaines ne sont d’ailleurs pas consacrées expressément par le législateur français, comme par exemple en ce qui concerne les œuvres situées en permanence dans les endroits publics, à la vue de tous pour laquelle le texte prévoit spécifiquement une exception .

L’exception pédagogique est conçue plus largement (autrement dit moins strictement) qu’en France , ce qui n’est pas, selon nous, un mal. En outre, elle est gratuite.

On reste toutefois selon nous, concernant la méthode des exceptions, dans le cadre d’une énumération limitative, plutôt à la manière française, contrairement à la doctrine anglo-saxonne du fair-use, plus ouverte et plus synthétique.

On notera que, curieusement, ne figure aucune exception générale au titre de l’humour (caricature, pastiche, parodie).

La question de la titularité est intéressante car à contre-pied du système français : depuis la révision de 1999, les droits sur les créations de salariés ou sur celles créées en vertu d’un contrat de commande naissent sur la tête de l’auteur mais sont transférés automatiquement à l’employeur (art. 31) «dans la mesure justifiée par les activités habituelles de l’employeur ou de cette personne physique ou morale (le commanditaire) au moment de la création de l’œuvre » . On trouve ici une influence certaine du système anglo-saxon (théorie du « work made for hire »).

Le traitement des contrats d’exploitation éloigne également de la tradition française : l’article 34 régit la cession et l’article 35 les licences exclusives (qui sont des cessions) et non exclusives . Dès lors, tout n’est pas « cession » contrairement au droit français (qu’il conviendrait assurément de réformer sur ce point précis pour lever de fâcheuses ambigüités).

Le contenu des contrats d’exploitation est moins formel (plus de souplesse et de pragmatisme) que dans le code de la propriété intellectuelle (articles 36 et 37) .

Les contrats spéciaux du droit d’auteur sont, de manière générale, réduits à la portion congrue (par exemple les dispositions sur le contrat d’édition sont moins détaillées ; rien sur le contrat de production audiovisuelle ; rien sur le contrat de commande pour la publicité). C’est là une lacune qui peut être certes comblée par les législations nationales, mais une harmonisation serait à notre avis souhaitable.

Il est clair que le droit contractuel d’auteur n’a pas été une préoccupation principale des rédacteurs de l’Annexe VII.

Quant aux droits voisins , enfin, on notera que l’on ne trouve aucune disposition sur les droits des producteurs de vidéogrammes. De manière générale les dispositions sont assez différentes de celles du code de la propriété intellectuelle quant contenu des droits.

On signalera une réelle particularité : l’existence d’un domaine public payant (acquitté par l’exploitant auprès d’une société de gestion collective) lequel inclut la protection du folklore . Le produit est consacré totalement ou partiellement (folklore) à des actions sociales et culturelles.

Une disposition significative du texte est consacrée à la gestion collective . Il est fait référence à un organisme national de gestion collective, consacrant semble t-il un monopole légal au profit de celui-ci. Il est question d’un exercice par cet organisme national des droits d’auteurs et des droits voisins conférés par l’Annexe VII, mais sans que cela « préjudice à la faculté appartenant aux auteurs d’oeuvres et à leurs successeurs, et aux titulaires de droits voisins, d’exercer les droits qui leur sont reconnus par la présente Annexe ». Ce type de disposition, s’il est appliqué, ne manquera pas de poser des difficultés pratiques : conflits de compétence concurrente entre sociétés de gestion collective et gestion individuelle.

Enfin, les articles 61 et suivants sont consacrés au domaine essentiel des mesures, sanctions et recours en cas de contrefaçon dans son volet civil et pénal.

C’est ainsi notamment que la saisie-contrefaçon n’est pas prévue par l’Annexe VII. Seule une saisie à des fins conservatoires existe .

C’est peut-être sur ce volet « sanctions » que l’harmonisation paraît la plus timorée, ou en tous cas la moins aboutie, sur le papier. De fait, le texte renvoie très largement aux législations nationales des Etats membres en ces domaines cruciaux.

Ce (trop) rapide survol du texte montre à quel point les conditions d’une harmonisation de la propriété littéraire et artistique au sein des pays membres de l’OAPI (et par conséquent des pays membres de l’OHADA ) sont réunies, suivant des bases assez complètes, qui nous semblent assez pragmatiques et modernes, et surtout, dénuées de toute conception idéologique par trop figée. Si le texte s’inspire assurément d’une conception personnaliste du droit d’auteur, celle-ci n’est pas poussée dans ses extrêmes et laisse place à un certain « réalisme » que certains observateurs du droit d’auteur en France regrettent parfois.

Cela devrait contribuer à rassurer les entreprises qui exploitent les œuvres de l’esprit à destination de ces pays.

Pour autant, tout n’est pas rose, et cette harmonisation connaît, semble t-il, pour l’heure certaines limites, qu’il convient maintenant d’étudier.

II. LIMITES DE L’HARMONISATION DE LA PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE AU SEIN DE L’OAPI

Il est fort difficile pour un juriste extérieur, et qui n’est pas « au fait du terrain et du vécu» du point de vue social, économique, culturel, voire économique, de se prononcer sur d’éventuelles limites à une telle harmonisation du droit d’auteur au sein de l’OAPI .

Tout au plus, le juriste européen peut-il se prévaloir, toutes proportions gardées, de l’exemple des difficultés existant dans le cadre d’une harmonisation du droit d’auteur dans l’Union européenne. Or, même si cette dernière peut aujourd’hui être considérée comme fort avancée (on parle même aujourd’hui d’un droit d’auteur européen unifié et optionnel qui coexisterait avec les législations nationales) , des difficultés subsistent, notamment autour du droit moral, en raison de traditions juridiques différentes (on pense aussi à l’harmonisation du droit contractuel d’auteur qui reste à faire).

Une chose est donc sûre concernant l’harmonisation au sein de l’OAPI : les réalités sont très contrastées d’un Etat membre à l’autre et d’ailleurs les législations nationales ne sont pas dans leur ensemble harmonisées sur la base de l’Annexe VII . Cette dernière n’est donc qu’une base sur laquelle les Etats membres doivent construire.

Nous nous contenterons d’évoquer quelques points qui nous paraissent comme autant de difficultés (ou limites) à surmonter.

Nous distinguerons les difficultés d’ordre « conjoncturel » (A) et celles plus spécifiquement « juridiques » (B).
A. DIFFICULTES D’ORDRE CONJONCTUREL

Une première difficulté d’ordre conjoncturel réside selon nous la vocation de développement culturel et social qu’il est possible d’attribuer au droit d’auteur . Une chose est mettre en place un cadre légal interne à chaque Etat africain, fût-ce dans un espace régional harmonisé. Une autre chose est mettre en place un cadre international du droit d’auteur censé favoriser le développement culturel et social. Il est ainsi presque proverbial de souligner l’inefficacité (pour cause de complexité) des licences légales pour reproduction et traduction des ouvrages, telles que prévues dans la Convention de Berne et la Convention universelle sur le droit d’auteur en faveur des pays en voie de développement . Trop complexe, mal géré par les bureaux locaux du droit d’auteur, le dispositif s’est souvent avéré inutile. Il faudrait là une vraie exception, mais elle n’est pas possible du fait des conventions internationales.

De la même manière, une partie de la doctrine a pu souligner que, dans le lien entre la propriété littéraire et artistique et les droits de l’homme, la vocation culturelle (accès à la culture, aux œuvres de l’esprit) est trop souvent occultée par son aspect économique (lequel est censé englober la première en la permettant). Or, dans le cas africain peut-être encore plus qu’ailleurs, un accès plus « facile » (d’un point de vue juridique et surtout économique) aux œuvres de l’esprit paraît essentiel, pour cause d’impératif de développement (économique, social).

De manière générale, l’intérêt du public en droit d’auteur est une question fondamentale pour l’Afrique, notamment à travers le régime des exceptions au droit d’auteur et aux droits voisins. Cependant, il convient d’adopter ici une position nuancée pour ne pas faire fuir l’investissement, également moteur du développement. Et puis les conventions internationales posent certaines limites quant à la mise en place d’exceptions . Toutefois, la théorie du fair use, par sa relative souplesse et son caractère ouvert, semble plus adaptée au contexte africain que les exceptions strictement entendues au sens du droit français .

Sur ce terrain du développement économique et l’attractivité pour l’investissement, il faut souligner la principale faiblesse au sein de l’OAPI, dénoncée par certains : le peu d’effectivité de la législation dans les Etats membres de l’OAPI.

Les raisons en sont nombreuses : avant tout le manque de moyens matériels et humains, mais aussi, semble t-il, une certaine forme endémique de corruption, notamment des services de police et douaniers…

Au titre du manque de moyens matériels, il faut souligner la faiblesse de la gestion collective, alors même que la plupart des œuvres diffusées à la radio et reproduites sur disques sont des œuvres africaines, ou purement locales, donc qui pourraient parfaitement relever de la législation mise en place par l’Annexe VII et être gérées par une société nationale de gestion collective .

Cette faiblesse de la gestion collective touche aussi la distribution des œuvres étrangères, qui devient moins sûre pour les ayants droit (d’ailleurs certaines sociétés de gestion collective européennes ont implanté une antenne locale qui leur permet de gérer en direct l’utilisation des œuvres de leurs répertoires).
B. DIFFICULTES JURIDIQUES

Une première difficulté ou limite juridique à l’intégration régionale au sein de l’OAPI réside dans le cadre géographique de cette harmonisation. Quid d’un éventuel élargissement géographique de l’OAPI ? C’est un fait que le ralliement éventuel à l’Accord d’Etats de tradition anglo-saxonne (copyright) peut poser des difficultés. Par exemple en regard de la définition de l’œuvre de l’esprit , laquelle combinée avec la notion d’auteur au sens de l’Annexe , renvoie plus à la conception personnaliste du droit d’auteur qu’au copyright. Ou bien encore concernant la détermination des auteurs d’une œuvre audiovisuelle , qui exclut que le producteur soit auteur par principe. Surtout en regard de la protection du droit moral qui est consacrée (certes dans une version édulcorée quant au droit au respect et qui fleure bon la Convention de Berne).

Mais l’obstacle n’est pas du tout insurmontable puisqu’il est identique à celui rencontré au sein de l’Union européenne qui est divisée entre pays de tradition de copyright et pays de tradition de droit d’auteur. Une harmonisation plus a minima, laissant une certaine souplesse aux Etats membres est toujours possible. C’est pourquoi nous pensons que l’harmonisation de la propriété littéraire et artistique en Afrique ne se fera pas nécessairement dans le cadre d’une dualité d’organisations régionales.

Enfin, toujours d’un point de vue strictement juridique, il subsiste ainsi qu’on l’a dit, des différences assez substantielles dans les législations nationales (harmonisation non complète) particulièrement en ce qui concerne les sanctions civiles et pénales et les procédures (cela a fait l’objet d’une harmonisation a minima dans l’Accord révisé en 1999 renvoyant pour l’essentiel aux droits nationaux) et plusieurs Etats membres n’ont même pas encore transposé la version de 1999 de l’Accord.

On regrettera ainsi fortement l’absence d’une juridiction commune (à l’instar de la CJUE) qui interprèterait uniformément les dispositions de l’AnnexeVII. Par exemple, pour interpréter la notion d’originalité, laquelle ne fait pas l’objet d’une définition dans l’Annexe VII et donc est l’objet d’approches différentes des Etats membres de l’OAPI . Egalement, pour donner une interprétation uniforme de toutes les notions cadres et règles matérielles de l’Annexe VII, lesquels sont parfois conçus suffisamment largement…pour permettre tout type d’interprétation !

Mais aussi, et surtout, pour décider une fois pour toutes si l’Annexe VII est obligatoire pour les Etats membres et a un effet direct pour les justiciables. Cela peut paraître surprenant, mais un important débat en doctrine subsiste sur ce point .

En effet, l’article 3 de l’Annexe VII, intitulé « champ d’application » pose que :
 « Les dispositions de la présente partie de l’Annexe s’appliquent :
– aux œuvres dont l’auteur ou tout autre titulaire originaire du droit d’auteur est ressortissant de l’un des Etats membres de l’Organisation, ou y a sa résidence habituelle ou son siège ;
– aux œuvres audiovisuelles dont le producteur est ressortissant de l’un des Etats membres de l’Organisation, ou y a sa résidence habituelle ou son siège ;
– aux œuvres publiées pour la première fois sur le territoire de l’un des États membres de l’Organisation ou publiées pour la première fois dans un pays étranger et publiées également dans l’un des Etats membres de l’Organisation dans un délai de 30 jours ;
– aux œuvres d’architecture érigées dans l’un des Etats membres de l’Organisation
 S’il s’agit d’une oeuvre de collaboration, il suffit pour que les dispositions de la présente partie de l’Annexe s’appliquent, qu’un des collaborateurs satisfasse à la condition prévue à l’alinéa 1.i) ci-dessus.
 Les dispositions pertinentes de l’Accord portant révision de l’Accord de 2 Bangui du 02 Mars 1977 s’appliquent mutatis mutandis dans cette partie de l’Annexe.
 Demeurent réservées les dispositions des traités internationaux. »

Autrement dit, il semblerait que les dispositions de cette annexe VII soient d’application directe.

Cependant, l’article 4 2) de l’Accord de Bangui stipule que « L’Accord et ses Annexes sont applicables dans leur totalité à chaque Etat qui le ratifie ou qui y adhère ».

Une telle rédaction laisse planer un doute quant au caractère contraignant de l’accord pour les Etats membres et quant à son applicabilité directe. En effet, aux termes de cette disposition, l’Accord et ses annexes sont applicables à chaque Etat (et non pas « dans » chaque Etat). Ce qui signifierait que les Etats membres doivent transposer celui-ci dans leur législation nationale. Or, une telle transposition peut laisser subsister des différences entre les législations nationales.

Une telle interprétation est confortée par la rédaction de l’article 3 1° suivant lequel « 1) Les droits afférents aux domaines de la propriété intellectuelle, tels que prévus par les annexes au présent Accord sont des droits nationaux indépendants, soumis à la législation de chacun des Etats membres dans lesquels ils ont effet ».
Dès lors, en présence de cette ambigüité rédactionnelle majeure, certains Etats membres n’ont pas transposé la version de 1999 de l’Accord, ou bien s’en sont éloignés dans l’édiction de leur législation nationale. Une telle incertitude est bien entendu préjudiciable à l’harmonisation dans son ensemble : à tel point que l’on peut se demander s’il est possible de parler « d’harmonisation » !

D’où le besoin d’une juridiction suprême au niveau de l’OAPI pour se prononcer notamment sur cette question essentielle : applicabilité directe ou non de l’Annexe « dans » chaque Etat membre (à titre principal ou à titre supplétif ?) ; obligation ou non de transposition conforme ?

L’annexe VII est-elle un simple cadre, plus ou moins souple, ou au contraire un ensemble de règles matérielles d’application directe ? Il semble bien que ce soit la première branche de l’alternative qui soit celle retenue par les Etats membres à en juger par certaines distances prises par leurs législations internes avec l’Annexe VII .

Une telle juridiction suprême pourrait être la CCJA. Mais cela supposerait, semble t-il, que tous les Etats parties à l’annexe VII de l’Accord de Bangui adhèrent également à l’OHADA (sauf à prévoir, dans le cadre de l’OAPI, la compétence exclusive de la CCJA pour interpréter uniformément les règles de l’Annexe VII, ce qui suppose également une extension de la compétence de la CCJA à l’égard d’Etats non membres de l’OHADA et au domaine de la propriété intellectuelle).

Gageons que les Etats membres de l’OAPI sauront poursuivre et renforcer le chemin tracé de l’harmonisation par l’Annexe VII, tout en préservant les conditions de leur développement économique et social, et ce qui fait leur spécificité (à chacun comme à tous) et leur richesse culturelle.