LE RECOUVREMENT DES CRÉANCES DANS LE MARCHÉ COMMUN EUROPÉEN

INTRODUCTION

La santé de l’économie européenne est à mettre à l’actif des PME qui constituent l’essentiel de son tissu économique . Mais, ce dynamisme est gangrené par l’épineux problème du retard des paiements.

Quelques chiffres statistiques donnent la primeur du caractère dévastateur des paiements tardifs: en Europe, une insolvabilité sur quatre est imputable au retard des paiements et provoque la perte des milliers emplois chaque année . Les dettes en souffrance liées à ce phénomène s’élèvent annuellement à 23,6 milliards. Dans le seul secteur commercial, les retards de paiement se chiffrent à 90 milliards d’euros par an et représentent 10,8 milliards d’euros d’intérêts perdus .

L’ampleur du phénomène est telle que la Directive sur le retard des paiements et les mesures prises par les Etats membres n’ont pu annihiler les effets, surtout dans les affaires présentant des éléments d’extranéité. Les mauvais payeurs y ont trouvé un nid de prédilection si bien que les créances internationales en souffrance ont connu une augmentation exponentielle. Cette situation s’explique aisément. La durée, le coût du recouvrement et les procédures intermédiaires auxquels il faut se soumettre pour exécuter une décision dans un autre Etat européen rebutent souvent les créanciers et les réduisent à l’inaction . A terme, les impayés relatifs au commerce international risquent de paralyser les échanges entre les pays de l’Union européenne.

La nécessité d’une action communautaire se faisait pressante et la Commission européenne a vu dans l’injonction de paiement, pratiquée dans plusieurs pays européens et africains, un instrument de recouvrement rapide qui pourrait être adapté aux litiges transfrontaliers. Elle a ainsi fait une Proposition de Règlement instituant une procédure d’injonction de paiement européenne qui a été adoptée le 12 décembre 2006 mais son application est retardée jusqu’en décembre 2008 .

La future injonction de paiement européenne est conçue comme une procédure simplifiée, facultative, introduite au moyen d’un formulaire-type et visant à obtenir de l’organe compétent, en l’absence de débat contradictoire, une décision portant condamnation du solvens à payer une certaine somme ou à la contester . Si le débiteur paie ou ne réagit pas, la procédure ne devrait durer que quelque jours ou semaines. En revanche, la contestation transforme l’injonction de paiement en une procédure ordinaire de recouvrement à moins que le demandeur s’y soit opposé .

La procédure ainsi décrite est à l’image de celle mise en place par les Etats africains regroupés au sein de l’OHADA et de certains Etats européens comme la France, la Belgique, l’Italie, la Grèce, le Luxembourg, l’Espagne, l’Allemagne, le Portugal, l’Autriche, la Finlande et la Suède. La Suisse dispose également d’une procédure de la même famille que l’injonction de paiement . Il convient de relever pour ne pas avoir à y revenir que le Mahnverfahren européen ne remplace et n’harmonise pas ces instruments nationaux de recouvrement de créances . L’injonction de paiement communautaire a donc un objet spécial qui est le recouvrement des créances monétaires internationales.

Après l’entrée en vigueur du Règlement portant création du titre exécutoire européen (TEE) , l’injonction de paiement européenne constitue la seconde étape d’un ensemble de programmes visant la suppression de l’exequatur dans l’exécution des jugements rendus dans l’Union européenne et à faciliter le recouvrement rapide des créances incontestées ou transfrontalières. Ces deux mesures sont l’expression de la recommandation par laquelle le Conseil européen de Tempere de 1999 invitait le Conseil et la Commission européenne à élaborer de nouvelles dispositions de droit procédural dans les affaires transfrontalières pour concrétiser l’application du principe de la reconnaissance mutuelle et de la coopération judiciaire, contenu dans les articles 61 et 65 du Traité d’Amsterdam instituant la Communauté européenne. Le point 38 des conclusions de ce Conseil mentionnait expressément l’injonction de paiement comme l’un des instruments permettant d’atteindre ce but. C’est donc sur ces bases que la Commission européenne a adopté, le 20 décembre 2002, un livre vert dans lequel elle étudie les différentes procédures nationales de recouvrement rapide en vue de créer une procédure uniforme pour toute l’Europe .

La quête d’une procédure à dimension européenne pour juguler la crise du non-paiement ne date pourtant pas de cette initiative puisqu’en 1993 le professeur STORME avait soumis à la Commission européenne un projet de proposition détaillant les grandes articulations d’une injonction de paiement harmonisée . Même si ces travaux n’ont pas eu de suite, ils ont constitué une source d’inspiration de grande valeur dans l’élaboration de ce nouvel instrument de recouvrement .

La voie choisie par le législateur européen ne laisse aucun doute sur la portée et les objectifs du Règlement. A la différence de la Directive sur le retard de paiement dont l’effectivité a nécessité sa transposition dans le droit interne des Etats membres, le Règlement, en raison de son applicabilité directe dans le système juridique interne des Etats, garantit l’uniformité des règles que les opérateurs économiques pourront évoquer dans les affaires transfrontalières. Mais, cette uniformisation est-elle complète ? Couvre-t-elle toutes les étapes de la procédure ?

L’analyse successive des quatre grandes articulations de la procédure mettra en évidence la réponse.

I. LES CONDITIONS DE DÉLIVRANCE D’UNE INJONCTION DE PAIEMENT EUROPÉENNE

L’obtention du titre injonctif de paiement européen est subordonnée à la présentation d’une demande (B) et d’une créance éligible à la procédure (A).
A. LES CREANCES ELIGIBLES A LA PROCEDURE

L’injonction de paiement européenne est réservée à un groupe de créances présentant un caractère précis (1). Les créanciers qui n’entrent pas dans le moule définit par le Règlement sont exclus de la procédure (2)

1. Caractères des créances

Les créances concernées sont circonscrites par l’article 2 § 2 (d) du Règlement. Cette disposition réserve la procédure européenne d’injonction de paiement au recouvrement des créances monétaires transfrontalières d’origine contractuelle ou résultant de la propriété conjointe d’un bien liquidé.

La notion de créance contractuelle doit, à la différence du droit de l’OHADA et du droit français , être entendue au sens large dans la mesure où le législateur européen vise non seulement les créances résultant d’un accord de volontés de deux ou de plusieurs personnes mais également celles issues d’un engagement unilatéral . La légistique utilisée pour définir le champ d’application du Règlement embrasse aussi de nombreuses pratiques commerciales que les articles 2-1 de l’AUVE et 1405 du NCPC français ont ignoré en retenant une assertion restrictive du contrat . Il en est ainsi des situations dans lesquelles les parties ont, par leur comportement, entendu prolonger une relation d’affaires ou se sont oralement engagées. On ne saurait interpréter autrement le second paragraphe lettre d (i) de l’article 2 rendant le Règlement inapplicable aux créances non contractuelles « à moins qu’elles aient fait l’objet d’un accord entre les parties (…)». L’existence d’un accord ne fait l’ombre d’aucun doute, même si en l’absence d’une convention écrite, les parties ont entendu se lier viva vox ou de façon tacite .

En revanche, n’entrent pas en ligne de compte, au sens de la disposition précitée les créances délictuelles, quasi-délictuelles et quasi-contractuelles en raison de ce qu’elles ont pour dénominateur commun l’absence d’un contrat. Cette affirmation suggère une précision supplémentaire qui tient à l’hypothèse d’un accord de paiement ou d’une reconnaissance de dette consécutif à une gestion d’affaire, à un enrichissement sans cause ou à un dommage. Dans tous ces cas, le Règlement est aussi applicable .

L’article 2 § 2 d (ii) du Règlement englobe une seconde catégorie de créances qui pourraient résulter de la vente d’un bien mobilier ou immobilier indivis ou conjointement acquis.

Un autre trait distinctif de la présente procédure tient à ce qu’elle est intrinsèquement consacrée au recouvrement des créances civiles et commerciales nées entre des personnes dont au moins une a « son domicile ou sa résidence habituelle dans un Etat autre que l’Etat membre de la juridiction saisie » . Autrement dit, le litige doit présenter un élément d’extranéité. La procédure est donc inapplicable si les parties sont situées dans le même ressort juridique. Dans ces cas, l’injonction de paiement de droit interne paraît plus indiquée d’autant que l’injonction de paiement européenne ne remplace pas et n’harmonise pas les mécanismes de recouvrement de créances incontestées prévus par les droits nationaux européens . Le moment approprié pour déterminer si le litige est transfrontalier est celui du jour où la demande est introduite devant l’organe compétent .

La créance dont le recouvrement est poursuivi doit en plus être cumulativement certaine, liquide et exigible . En règle générale, une créance éventuelle, conditionnelle ou affectée d’un terme ne peut donner lieu à aucune réclamation à moins que les parties aient prévu une clause de déchéance du terme .

En somme, le législateur européen a voulu ratisser large en combinant dans un subtil alliage la définition positive et négative du champ matériel. Il a ainsi évité de s’enfermer dans l’une ou l’autre de ces approches. Une définition positive conduit généralement à une restriction du champ d’application aux cas expressément prévus mais elle a l’avantage de la précision tandis que la seconde démarche aboutit souvent à une interprétation large puisqu’elle obéit au principe selon lequel « tout ce qui n’est pas interdit est permis ». Les auteurs du Règlement ont fait preuve d’une grande intelligence en contournant ces deux écueils dans l’identification des créances éligibles à la procédure. En effet, une bonne règle de droit doit être non seulement précise pour ne pas être un fourre-tout mais également large pour embrasser la réalité dans toute sa complexité. La technique législative utilisée concentre ces qualités et le résultat comblera à coup sûr les attentes des opérateurs économiques dans la mesure où elle permet de prendre en considération les créances courantes de la vie des affaires. Bon nombre de législateurs auraient tout intérêt à prendre exemple sur cette définition qui finalement n’exclue qu’un nombre limité de créances.

2. Créances exclues

Un certain nombre de créances sont aussi exclues de la procédure en raison de leur matière. Il en est ainsi des créances issues du mariage ou de communautés de vie analogues, des testaments, des successions, des procédures collectives et de la sécurité sociale . Les créances fiscales, douanières et plus généralement celles nées des actes ou omissions commis dans l’exercice de la puissance publique ne font pas non plus partie du champ matériel du Règlement .

Ces exclusions expresses appellent à s’interroger sur l’applicabilité de la procédure aux créances résultant des effets de commerce.

La question mérite d’être posée d’autant que la Commission européenne n’en a pas fait mention dans le domaine de définition de la procédure. Il peut paraître surprenant que ces instruments de paiement ou de mobilisation de crédits consacrés par la pratique commerciale aient été omis. Cet oubli est sans nul doute volontaire. En effet, à l’exception des législateurs français et de l’OHADA, la plupart des pays européens considèrent que l’injonction de paiement est inadaptée à la rigueur du droit cambiaire. Aussi ont-ils conçu, pour ces créances, des procédures spéciales, plus rapides et plus expéditives que l’injonction de paiement . A titre d’exemple, en Espagne, la procédure du proceso monitorio (injonction de payer) fait place au juicio cambiaro régi par les articles 819 et suivants de la loi de procédure civile. Les articles 602 et 605a du code de procédure civile allemand instituent une procédure spécifique pour le recouvrement des chèques et des effets de commerce impayés . La Suisse connaît une procédure comparable . En passant sous silence les effets de commerce, le législateur européen s’est aligné sur la position de ces pays. Les effets de commerce impayés ne peuvent donc justifier l’introduction d’une demande à fin d’injonction de paiement européenne.

B. L’INTRODUCTION D’UNE DEMANDE A FIN D’INJONCTION DE PAIEMENT

Le succès de la demande dépend du respect des conditions de forme et de fond (1) ainsi que de l’appréciation de l’organe compétent (2).

1. Forme et contenu de la demande

Ainsi qu’il résulte de l’article 7 du Règlement, la procédure est introduite au moyen d’un formulaire type structuré de manière à ce que le demandeur ait simplement à le remplir en indiquant les noms et les adresses des parties, la juridiction saisie, les chefs de compétence, le caractère transfrontalier du litige, le montant de la créance réclamée ainsi que ses accessoires, le fondement de la dette et une brève description des éléments de preuve dont il dispose sans les joindre à la demande . Le prétendu créancier doit en plus certifier de l’exactitude de ses déclarations et signer le formulaire.

Par ces exigences, le législateur européen introduit deux innovations majeures dans les conditions de forme et de fond de l’injonction de paiement.

D’abord, l’usage d’un formulaire-type uniforme comme mode introductif de la demande tranche avec la voie choisie par la plupart des Etats connaissant la procédure d’injonction de paiement. En France, en Italie, en Belgique et en Espagne, la procédure d’injonction de paiement est enclenchée au moyen d’une requête dont la rédaction est laissée au soin du plaignant. Les pays de l’OHADA se sont également conformés à cette tradition . Mais, l’irrecevabilité qui sanctionne l’omission d’une mention prescrite rend, aux yeux des justiciables, indispensable l’intervention d’un homme de la pratique même si son assistance n’est pas obligatoire dans la majorité des droits nationaux européens et en droit africain . La procédure interne ainsi introduite est de ce fait non seulement élitiste mais également dispendieuse. En optant pour une saisine par voie de formulaire-type, le législateur européen veut supprimer ces inconvénients et surtout démocratiser la procédure pour en faire un instrument de recouvrement massif de dettes internationales ou transfrontalières.

La seconde innovation, cette fois de fond, empruntée du Mahnverfahren allemand, vient de la consécration de l’injonction de paiement sans preuve dispensant le prétendu créancier de la production des documents justificatifs de sa demande. Cette nouvelle procédure n’a pas rencontré l’adhésion des pays pratiquant l’injonction de paiement documentaire . La France a fait remarquer que l’exigence de preuve permettrait d’éviter les demandes fantaisistes . Cette critique a abouti à une solution de synthèse maintenant qu’à défaut de preuve matérielle, le demandeur puisse offrir une description des éléments de preuve qui sous-tendent ses prétentions et qui pourraient être requis si le solvens les conteste. Cette condition est satisfaite si l’impétrant indique dans le formulaire le titre, le nom, la date ou le numéro de référence du document portant la créance . Il pourrait tout aussi s’agir de la mention du témoin de l’opération .

Cette solution coupant la poire en deux entre les systèmes d’injonction de paiement sans preuve, observés en Allemagne, en Autriche, en Finlande, en Suède, au Portugal et les modèles documentaires pratiqués en France, en Belgique, en Grèce, en Italie, en Espagne et au Luxembourg permet de concilier le besoin d’éviter les demandes abusives et la rapidité souhaitée de la procédure .

En effet, la procédure d’injonction de paiement sans preuve a deux avantages incontestables. Elle permet, de premièrement, le traitement électronique des données et de deuxièmement, le traitement rapide des demandes . A titre d’exemple, la procédure allemande dont s’est inspiré le législateur européen permet de traiter en moyenne plus de huit millions de demandes par an . La Commission européenne, a sans nul doute, voulu condenser ces avantages dans le nouvel instrument de recouvrement transfrontalier. Ce métissage pose cependant des problèmes qui tiennent à la détermination de la nature exacte de l’examen présidant à la délivrance d’un ordre de paiement.

2. Examen de recevabilité

Il convient de s’interroger sur la nature (a) et les issues de l’examen (b).

a. La nature de l’examen

L’examen de recevabilité est une étude de conformité de la réclamation aux exigences sus-indiquées. Cette analyse est-elle purement administrative ou juridique ?

L’article 8 du Règlement ne tranche pas de façon certaine cette question dont dépend pourtant la célérité la procédure qu’il introduit. Le point 16 de ses prolégomènes paraît plus explicite lorsqu’il précise que « la juridiction devrait examiner la demande, y compris la question de la compétence et la description des éléments de preuve, sur la base des informations fournies dans le formulaire de demande. Elle devrait ainsi être en mesure d’examiner prima facie le bien-fondé de la demande et notamment de rejeter les demandes manifestement non fondées ou irrecevables. Cet examen ne devrait pas nécessairement être effectué par un juge ».

Une exégèse de ces lignes permet de conclure que la Commission marque, peut-être inconsciemment, une propension pour un examen juridique . Ce contrôle semble cependant irréalisable tant en ce qui concerne son étendue que du choix de l’organe chargé d’y procéder.

D’abord l’étendue du contrôle. Il ne semble pas cohérent qu’après avoir opté pour un système d’injonction de paiement sans preuve , d’instituer un examen juridique qui conduit à analyser le bien-fondé de la demande. Le caractère apparemment fondé d’une créance résulte d’une appréciation de la fiabilité des documents produits à l’appui de la demande . En l’absence d’éléments de preuve matérielle, cet examen paraît donc impossible .

L’article 12 § 4a du Règlement semble mettre en cause la véracité de cette analyse en supputant que la juridiction ne vérifie pas les informations contenues dans le formulaire. Il porte à faire croire que l’examen dont il est question est une analyse purement administrative d’autant que les pays qui pratiquent cette forme d’examen s’abstiennent de tout examen du fond de l’affaire ou de son bien-fondé et se limitent à une analyse purement formelle . Mais, une lecture conjuguée de l’article 8 et du point 16 sus-cité révèle l’inopportunité de la teneur de l’article 12 § 4a et une fâcheuse contradiction dans l’usage des concepts. Le législateur européen ne peut expressément instituer une analyse du bien-fondé de la demande tout en professant maladroitement qu’aucun véritable contrôle de la pertinence de la créance n’est réalisé. Les auteurs du Règlement ne peuvent vouloir une chose et son contraire. Cette contradiction explique une autre erreur relative à l’identification de l’organe de contrôle.

Le point 16 in fine de l’introduction du Règlement explique également que le contrôle « ne devrait pas nécessairement être effectué par un juge ». Or, l’examen qu’institue l’article 8 requiert une certaine connaissance des méthodes d’analyse et d’interprétation qu’un non juriste ne peut avoir. Par exemple, la question de la compétence de la juridiction saisie impose des difficultés plus accrues surtout dans un contexte international. Il paraît dès lors absurde d’instituer un examen juridique tout en supposant qu’il pourrait être effectué par un organe administratif. Une partie de la doctrine pense, à juste raison, que « (…) certaines appréciations à porter semblent fondamentalement relever encore de la jurisdictio (…) » .

Il convient de rappeler que dans les procédures « sans preuve », l’évaluation de la demande est confiée aux instances administratives n’appartenant pas au pouvoir judiciaire ou aux greffiers en raison de l’absence d’un examen de fond. Il s’agit en particulier d’une analyse des faits ou de vérifier que le demandeur a bien rempli les cases du formulaire. C’est pourquoi d’ailleurs dans ce système, les demandes, à ce premier stade de la procédure, sont rapidement analysées et rarement rejetées .

En définitive, l’examen de recevabilité des demandes de recouvrement des créances transfrontalières est un tissu de contradictions . Le législateur européen fait un mélange indigeste de l’injonction de paiement documentaire et celle sans preuve, qui risque au final de mettre du plomb dans l’aile de la procédure. Les organes législatifs de l’Union européenne n’ont pas coutume de ces erreurs. La présente montre simplement que le métissage des deux types de procédure est un exercice difficile sinon insurmontable. Le contrôle qui sied à la procédure prise est un examen administratif. Volens nolens, le seul fait d’imposer une description des moyens de preuve dans le formulaire ne transforme pas la procédure en une injonction de paiement par preuve.

En dehors de cette confusion regrettable, la procédure communautaire ainsi que celles initiées par les Etats s’accordent sur les issues possibles du contrôle de recevabilité.

b. Les issues de l’examen

Les options ouvertes à l’organe saisi de la demande se déclinent de la façon suivante dans la majorité des pays pratiquant la procédure d’injonction de paiement ainsi que dans celle que proposent les autorités européennes.

Le tableau résume bien les hypothèses posées par les articles 10, 11 et 12 du Règlement.

Selon ces normes, l’examen de la demande devrait conduire à trois formes de décision : le rejet, l’acception partielle ou l’acception totale de la réclamation. Chacune de ces solutions emporte des conséquences spécifiques s’apparentant à celles prévues par les articles 1409 du NCPC français, 5 de l’AUVE de l’OHADA, 1342 et suivants du code judiciaire belge.

D’abord, lorsque la demande est rejetée, le prétendu créancier en est informé au moyen du formulaire type D . Cette décision de rejet est sans recours pour le demandeur , sauf à procéder au recouvrement par les voies ordinaires . Cette solution paraît nettement moins satisfaisante que celle prévue par l’article 821-3 de la loi espagnole de procédure civile (LEC). Cette disposition semble se soucier des cas d’égarement manifeste du premier juge et reconnaît au demandeur un droit de recours en cas de rejet de sa requête . L’inexistence d’un droit d’appel en droit international privé européen est néanmoins compensée par l’obligation faite à l’organe saisi de donner au demandeur la possibilité de compléter ou de corriger sa demande . Le législateur européen semble s’être inspiré de l’article 691 § 1 du code de procédure civile allemand disposant expressément que le requérant doit avoir la possibilité de corriger les défauts tant formels que substantiels avant le rejet de la demande. Même lorsque le prétendu créancier aura été définitivement débouté, le Règlement accorde, comme en droit français, italien, luxembourgeois, belge, allemand et grec , la possibilité d’introduire une nouvelle demande si les conditions sont réunies .

Ensuite, la situation est toute différente lorsque le rejet n’est que partiel . Tandis que l’article 691 du ZPO allemand n’autorise pas la satisfaction d’une partie seulement de la demande, l’instrument européen de recouvrement simplifié offre au créancier le choix, entre poursuivre le recouvrement partiel de la créance par la voie simplifiée ou procéder pour la totalité selon les voies de droit commun . Mais, l’option est lourde de conséquences : dans le premier cas, l’autorité de la chose jugée s’opposera au lancement d’un nouveau procès alors que dans le second, le demandeur a la libre disposition de ses droits et pourra rechercher une satisfaction intégrale par la voie ordinaire .

Enfin, lorsque la créance remplit toutes les conditions, l’organe compétent rend, au moyen du formulaire type E et dans un délai de trente jours , à compter de sa saisine, une injonction de paiement qui, dans la suite normale de la procédure, devrait être signifiée ou notifiée au débiteur.

II. LA SIGNIFICATION OU LA NOTIFICATION DE L’INJONCTION DE PAIEMENT

La signification est une étape importante de la procédure d’injonction de paiement puisqu’elle permet de renouer avec un principe cardinal du droit processuel qui interdit qu’une décision soit rendue sans audition de la personne qu’elle incrimine. L’injonction de paiement ayant été rendue sur la base des seules déclarations du prétendu créancier, la signification évite que la mesure ne devienne exécutoire sans que le débiteur n’ait eu la possibilité de se défendre .

L’exercice de ce droit suppose que le débiteur ait été bien informé tant d’un point de vue quantitatif et qualitatif (A) que par des moyens appropriés (B).
A. LES INFORMATIONS INDISPENSABLES AU DEBITEUR

Les informations indispensables à la détermination du débiteur sont contenues dans l’injonction de paiement . Elles sont de trois ordres. Il y est tout naturellement indiqué le montant de la condamnation, les alternatives qui s’offrent au débiteur et surtout les conséquences de son mutisme . A cette fin, il est informé qu’il peut se libérer de la dette ou la contester dans un délai de trente jours en formant, à l’aide d’un formulaire , une opposition qui a la vertu de transformer, ex tunc, la procédure simplifiée en une procédure ordinaire de droit commun à moins que le prétendu créancier ait expressément demandé qu’il soit mis fin à l’instance en cas de contestation .

Dans le but de mettre une emphase sur sa nature juridique, l’injonction de paiement européenne doit aussi indiquer qu’elle a été émise sur le seul fondement des déclarations du demandeur et non vérifiées par la juridiction .

Cette précision empruntée de l’article 692 ZPO allemand a pour objectif d’inciter le débiteur à s’opposer à la demande dans la mesure où l’injonction émise n’est pas une décision de justice incontestable mais donne, selon l’expertise du professeur Roger PERROT, « (…) à penser que la prétention du créancier n’est pas dépourvue de tout fondement (…) » . D’autres la considèrent comme « une mise en demeure conditionnelle du débiteur » ou comme un simple ticket ouvrant la procédure accélérée afin de provoquer la réaction du débiteur .

Si en dépit de toutes ces indications, le débiteur régulièrement informé reste inactif, l’injonction de paiement devient exécutoire .

C’est donc en raison de ces conséquences que le mode d’acheminement de l’injonction de paiement devient un enjeu majeur dans la procédure simplifiée de recouvrement européenne.

B. LE MODE D’ACHEMINEMENT DE L’INJONCTION DE PAIEMENT

Le véhicule de l’ordre de payer a une résonance toute particulière en procédure simplifiée de recouvrement dans mesure où il doit garantir que le débiteur a été touché par l’acte. Pour atteindre ce résultat, les Etats européens, ayant institué des procédures similaires, connaissent une pratique hétérogène. En voudrait-on des preuves qu’on les retrouverait dans les règles de procédure allemandes, britanniques, belges et françaises.

Les droits français et belge consacrent l’acte d’huissier comme le principal moyen de signification de l’injonction de paiement . La fiabilité de ce moyen de signification explique le choix de ces législateurs. Mais, le recours à l’exploit d’huissier présente l’inconvénient d’alourdir les coûts de la procédure. Le Royaume-Uni a opté, à cet égard, pour une approche économique en généralisant l’envoi postal avec ou sans accusé de réception . Les droits allemand et espagnol participent de la même logique lorsqu’ils imputent la charge de la notification de l’injonction de paiement au tribunal ou au greffe . Cette mission est, comme en droit anglais, confiée aux agents de la poste .

Le Règlement européen relatif à l’injonction de paiement épouse cette diversité des moyens de signification ou de notification et renvoie sur ce sujet au droit national de chaque Etat requis . La signification ou la notification de l’instrument européen de recouvrement pourrait ainsi être faite par l’une des voies suivantes selon qu’elle ait été prévue par le droit interne des Etats requis : dépôt dans la boîte aux lettres, courrier postal normal ou par lettre recommandée, acte d’huissier, moyen électronique .

Le recours au droit national révèle, néanmoins, l’incomplétude de l’uniformisation avec des conséquences insoupçonnées. Il pourrait conduire à imposer des conditions de signification rigoureuses et onéreuses pour les uns tandis que d’autres bénéficieront de la souplesse de leur législation nationale. Les frais de signification seraient par exemple dérisoires au Royaume-Uni alors que la procédure serait dispendieuse pour les Etats privilégiant la signification par voie d’huissier. On observera les mêmes phénomènes au sujet du délai de signification ou de notification puisqu’il est également régi par le droit national. En France, il est de six mois , trois mois en Italie . Le Code judiciaire belge prescrit pour sa part que l’injonction de paiement doit être signifiée dans l’année de son émission .

Ces disparités conduisent inéluctablement à une rupture du principe de l’égalité de traitement que prétend pourtant instituer la norme communautaire afin d’éviter des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur .

En raison de ces considérations et de l’importance de la signification dans la procédure, il aurait été souhaitable que le législateur européen harmonise sa pratique comme l’a fait le législateur de l’OHADA en édictant des règles de signification pour l’ensemble des Etats membres .

Cette uniformisation aurait évité au créancier de devoir rechercher, dans le droit interne des Etats, les moyens et les délais légaux dans lesquels il doit sommer le débiteur de se déterminer sur sa réclamation.

III. L’INTERVENTION DU DEBITEUR DANS LA PROCEDURE

Le débiteur est le personnage central de la procédure. S’il s’oppose à l’injonction de paiement, la procédure se métamorphose en une procédure ordinaire de recouvrement (A). Les règles nationales reprennent de ce fait leur droit. Cette subite transformation est-elle souhaitable dans une procédure qui se veut rapide (B)?
A. LA CONTESTATION DE L’INJONCTION DE PAIEMENT

Le débiteur, une fois informé, peut adopter trois attitudes résumées dans le tableau ci-après.

La première hypothèse où le débiteur paie volontairement ne mérite pas d’observations particulières puisqu’elle met fin à l’action en recouvrement et éteint la dette. Mais, s’il ne réagit pas à l’injonction de paiement, le créancier est autorisé à demander l’apposition de la formule exécutoire . Enfin, la troisième hypothèse, la plus redoutée, est celle dans laquelle le solvens décide d’intervenir dans la procédure en formant opposition .

Cette réplique devrait être diligentée à l’aide d’un formulaire-type annexé à l’injonction de paiement . Le document ainsi préparé peut être introduit par tous moyens, au besoin par voie électronique . Sur le fond, le débiteur n’est pas obligé de motiver sa décision mais il doit indiquer clairement son intention de contester la créance . Par exemple, la demande d’un délai supplémentaire de paiement ne constitue pas une opposition.

Qu’il s’agisse des conditions de forme ou de fond de l’opposition, il est visible que le législateur européen a allégé les conditions de recevabilité pour faciliter l’intervention du débiteur qui, par ailleurs, n’est pas obligé de se faire assister ou représenter par un avocat .

La seule véritable condition qu’un débiteur diligent n’aura aucun mal à remplir est l’exigence que la contestation soit faite dans un délai de trente jours, à compter de la signification ou de la notification de l’injonction de paiement . Une opposition formulée hors ce délai sera irrecevable et la juridiction d’origine doit, au moyen d’un formulaire-type , déclarer l’injonction de paiement exécutoire . Le porteur d’un tel titre pourrait ainsi entamer les actes d’exécution.

Le législateur européen a néanmoins prévu des hypothèses dans lesquelles l’opposition est prise en compte même si elle est intervenue tardivement . Ces cas qui pourraient entraîner la nullité de l’injonction de paiement sont au nombre de quatre :
1- la signification ou la notification a été faite par un moyen non assorti de la preuve de sa réception par le solvens,
2- l’opposition tardive est justifiée par un cas de force majeure ou des circonstances extraordinaires, sans qu’il y ait une faute imputable au défendeur et pour autant qu’il agisse rapidement,
3- le débiteur, en raison de la distance, n’a pas été à temps informé pour préparer sa défense,
4- il apparaît que l’injonction de paiement a été émise à tort, par exemple sur la base de fausses déclarations ou renseignements.

Si les trois derniers cas peuvent paraître justifiés, le premier, en revanche, ne s’explique que par la méfiance des promoteurs du Règlement à l’égard des moyens de signification ou de notification ne présentant pas un gage de fiabilité supérieur. Dès lors n’aurait-il pas été plus judicieux de les supprimer plutôt que d’en faire une cause d’ouverture d’opposition tardive qui n’aura d’autres avantages que d’engendrer des procès artificiels et abusifs ? Le deuxième et le troisième cas de réexamen soulèvent également quelques craintes dans la mesure où ils peuvent conduire à une indétermination en terme de concept et de délai. D’abord, quels évènements peuvent être considérés comme des circonstances extraordinaires ? Dans quel délai, l’opposant tardif peut être reconnu comme ayant agi avec diligence et rapidité ? C’est ce genre d’imprécision qu’affectionnent les débiteurs retardataires et de mauvaise foi pour contourner les délais de forclusion et instituer une discussion permanente même si le créancier est nanti d’un titre exécutoire.

Des cas similaires de réexamen sont également prévus par les articles 10 alinéa 2 de l’Acte uniforme de l’OHADA sur les procédures simplifiées, 645 à 650 du code de procédure civile italien et 1416 NCPC français. Mais, à l’opposé du droit européen, ils ont circonscrit le risque dans le temps à défaut de l’enrayer totalement. Ainsi, dans ces droits, l’opposition tardive est irrecevable 10 à 15 jours après l’expiration du délai prévu ou après le premier acte d’exécution .

Le législateur européen pourrait s’inspirer de ces pratiques s’il ne veut pas indéfiniment offrir au débiteur retardataire un nouveau plancher de contestation dans une procédure prétendue rapide.
B. LA SIMPLIFICATION DU CONTENTIEUX

Le besoin de simplification des voies de contestation et de recours n’a pas préoccupé la Commission européenne et les Etats ayant une longue tradition de l’injonction de paiement. Les Etats européens et ceux de l’OHADA ont concentré l’essentiel de leurs efforts sur la phase introductive qu’ils ont voulu expéditive tout en revenant à la procédure ordinaire de droit commun dès l’opposition du débiteur . Finalement, dès l’intervention du défendeur, l’injonction de paiement bascule à nouveau dans les lenteurs de la procédure ordinaire de droit commun caractérisée par des renvois, des appels et la cassation . Ce choix s’explique par des données statistiques révélant que la phase de contestation est rarement mise en oeuvre . Une étude européenne corrobore cette thèse en montrant que le pourcentage des demandes non contestées oscille entre 50% et plus de 80% du total des affaires traitées par les tribunaux civils ordinaires de première instance .

Ces résultats statistiques, au lieu de répondre à la question de savoir si la métamorphose de l’injonction de paiement en voie ordinaire de recouvrement est souhaitable dans une procédure qui se veut rapide, la renforcent au contraire en mettant en évidence que 20% à 50% des demandes sont contestées. Un autre fait symptomatique que révèle une communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen est que 35 % des retards de paiement sont intentionnels et font, selon Jean BASTIN, « partie intégrante de la gestion financière dite inventive de la trésorerie (…) » adoptée par les grandes entreprises .

Le recoupement de ces données montre non seulement une troublante corrélation entre le pourcentage des retards intentionnels et la population de débiteurs qui sont supposés contester l’injonction de paiement mais également une profonde transformation de la société à laquelle l’on assiste en toute impuissance. Jadis, le retard de paiement était dû à des difficultés économiques. De nos jours, l’économie moderne a mis sur le marché des débiteurs d’un genre nouveau qui font du retard de paiement un instrument de gestion de leur trésorerie . On en déduit que les mauvais payeurs intentionnels n’hésiteront pas à contester l’injonction dans le seul but de repousser dans le temps la date fatidique du paiement ou de ne pas payer du tout. Pour atteindre cette fin, rien de plus facile. Il suffit de trouver des arguments fallacieux de contestation pour transformer la procédure d’injonction de paiement en procédure ordinaire de recouvrement et bénéficier ainsi des renvois et des voies de recours . La procédure dite rapide s’enlise ainsi et dure des années. Cette triste destinée des procédures d’injonction de paiement conduit souvent les spécialistes du recouvrement à conseiller à leurs clients d’entamer directement la procédure ordinaire de recouvrement s’il existe des indices sérieux que le débiteur s’opposera à l’injonction de paiement .

Ces analyses montrent les faiblesses qui présagent de l’inefficacité de l’injonction de paiement européenne face aux débiteurs qui ne veulent pas payer . Cela d’autant qu’elle ne contient aucun corps de règles dont l’application pourrait dissuader les solvens de mauvaise foi.

L’évitement des contestations dilatoires est la principale vertu vers laquelle devrait donc tendre l’injonction de paiement européenne ainsi que les procédures prévues par le droit interne des Etats dont elle est la fille.

Le problème pourrait se résumer en la question de savoir comment respecter les droits de la défense tout en conservant à la procédure son caractère spécifique.

L’importance de cette interrogation n’a pas échappé aux auteurs du Règlement qui l’ont fortement débattu dans le livre vert . Mais ils n’ont formulé aucune proposition concrète, sans nul doute en raison des inextricables préoccupations qu’elle soulève. Pourtant, des pistes de solutions raisonnables et respectueuses des droits du défendeur existent.

La simplification peut commencer par l’abandon des délais d’opposition préfixés et fermes au profit d’un délai flexible. Tout délai ferme pourrait être préjudiciable aux intérêts des parties : un temps d’opposition large contrevient à la célérité de la procédure tandis que s’il est trop abrégé, l’injonction de paiement serait le symbole d’une justice expéditive. L’une des voies de garder le juste milieu ne serait-elle pas de définir un délai indicatif en laissant au juge le soin de l’adapter selon la complexité du litige ? Le juge déterminerait ainsi le délai de façon casuistique sans jamais dépasser le maximum fixé par le législateur. En Italie, par exemple, le délai d’opposition préfixé de quarante jours peut être adapté aux exigences de l’affaire pour être réduit à dix jours au minimum ou étendu à soixante jours au maximum . Cette pratique est transposable dans les affaires internationales.

Certains pays européens ont institué un système de filtrage de l’intervention du débiteur en interdisant de transférer l’affaire en procédure ordinaire si le défendeur ne fourni pas des motifs raisonnables de contestation. En Suède et Finlande, l’opposition peut être rejetée si elle est manifestement non fondée . Certains Etats africains comme le Togo avaient institué des dispositions comparables . Les instances de la communauté européenne et de l’OHADA n’ont pas fait ce choix mais il a l’avantage d’éviter les contestations dilatoires.

A défaut de solution appropriée, le législateur de l’OHADA a vu dans la conciliation un moyen d’amener les parties à un règlement négocié de la dette . L’objectif poursuivi par le législateur africain est d’éviter de tomber dans la procédure ordinaire, synonyme de lenteur et d’abréger ainsi le procès. Mais, cette méthode alternative de règlement des litiges aurait été efficace si elle n’était pas infectée de deux tares majeures : elle est obligatoire et n’est pas enfermée dans un intervalle de temps précis.

Les instances de l’Union européenne pourraient s’inspirer de ces approches de solution sans perdre de vue la possibilité d’imposer des délais d’exercice des voies de recours plus courts que ceux du droit commun ou l’exécution immédiate du jugement rendu sur opposition .

Il est regrettable que sur l’ensemble de ces questions d’importance majeure, la Commission européenne ait renvoyé au droit national de chaque Etat membre, instituant ainsi un système de « deux poids deux mesures » dans l’espace européen.

Dans certains pays européens, l’exécution immédiate des jugements a connu une évolution spectaculaire. En Espagne, le nouveau code de procédure civile en vigueur depuis le 7 janvier 2001 prévoit que les juridictions civiles doivent ordonner l’exécution provisoire de leurs décisions lorsque la demande leur en est faite et il est impossible de s’opposer à l’exécution provisoire d’une condamnation financière . Depuis le 1er janvier 1993, les décisions des juridictions civiles de première instance sont, selon l’article 282 du code de procédure civile, immédiatement exécutoires en Italie. Dans ce pays, dès son émission, le decreto (injonction de payer) peut même revêtir provisoirement la formule exécutoire si la créance est fondée sur un effet de commerce ou s’il existe un risque de préjudice grave dans le retard de l’exécution . En France, le décret publié au journal officiel le 29 décembre 2005 procède à un important toilettage du NCPC notamment ses dispositions relatives à l’exécution provisoire . Les nouvelles dispositions en vigueur depuis le 1er mars 2006 introduisent dans le NCPC un nouvel article 526 qui subordonne l’appel d’une décision assortie de l’exécution provisoire à l’exécution de ladite décision.

Ces pays tentent de se rapprocher de la Grande Bretagne et du pays de Galles où, traditionnellement, les décisions de première instance sont immédiatement exécutoires et l’appel n’a pas d’effet suspensif . Cette pratique présente un relief particulier dans la procédure de summary judgement où le tribunal n’accorde le droit à se défendre contre une ordonnance de summary judgement que si le défendeur paie la réclamation .

Par contre, dans les pays qui ne connaissent pas une telle évolution, les créanciers devront attendre que le débiteur épuise toutes ses voies de recours pour enfin transformer l’injonction de paiement en un titre définitif dont il peut requérir l’exécution.

IV. L’EXÉCUTION DE L’INJONCTION DE PAIEMENT DANS L’ESPACE EUROPÉEN

L’injonction de paiement obtenue dans un Etat de l’Union européenne est transportable dans les autres Etats membres si un certain nombre de conditions sont réunies (A). Ils peuvent néanmoins s’opposer à son exécution si elle est incompatible avec une décision antérieure (B).
A. LES CONDITIONS DE L’EXÉCUTION

Au stade de l’exécution, le recouvrement international ou transfrontalier de créance de sommes d’argent se heurte souvent à un principe de droit international public qui confère à l’Etat le monopole de l’exécution forcée sur son territoire . Cette exclusivité inhérente au principe de la territorialité nationale se manifeste à un double niveau.

D’abord, les mesures d’exécution sont régies par le droit de l’Etat d’exécution. Le Règlement ne déroge pas à cette règle . Ensuite, un titre exécutoire étranger ne peut être exécuté sur le territoire d’un autre Etat qu’après avoir fait l’objet de l’exequatur. Cette procédure, en raison de ce qu’elle est souvent longue et très dispendieuse a été supprimée, par le Règlement portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (TEE) après une expérience décevante de la procédure d’exequatur même allégée . Ce Règlement permet, moyennant le respect des normes minimales, au porteur d’un titre exécutoire de le faire certifier comme titre exécutoire européen puis de requérir son exécution dans tout Etat membre sans passer par l’exequatur . Il suffit, ainsi qu’il résulte de l’article 20 du nouveau Règlement sur le TEE, de fournir « aux autorités chargées de l’exécution dans l’Etat membre d’exécution : une expédition de la décision (…) et une expédition du certificat du titre exécutoire européen (…) » . Ce titre exécutoire certifié pourrait être obtenu à la suite d’une procédure d’injonction de paiement introduite selon les normes nationales.

Lorsque le litige contient un élément d’extranéité ou porte sur une créance transfrontalière, la procédure introduite par le Règlement paraît plus appropriée. Son article 19 prescrit que l’injonction de paiement européenne devenue exécutoire dans un Etat membre d’origine sera reconnue et exécutée dans les autres Etats membres, sans qu’aucune déclaration constatant sa force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance . Les conditions d’exécution d’un tel titre dans un autre Etat ont leur source dans l’article 21 du même instrument. Il postule que le demandeur doit fournir aux autorités de l’Etat d’exécution : une copie de l’injonction de paiement déclarée exécutoire par la juridiction d’origine et réunissant les conditions nécessaires pour en établir son authenticité et, le cas échéant, une traduction de l’injonction de paiement européenne dans la langue officielle de l’Etat d’exécution.

Ces normes et principalement l’article 22 § 3 du Règlement interdisent un réexamen au fond du Mahnverfahren européen dans l’Etat requis. La qualité d’étranger ou le défaut de domicile ou de résidence ne peut non plus contraindre un Etat à subordonner l’exécution de la décision à la constitution d’une caution ou d’un dépôt.

Des raisons spécifiques peuvent néanmoins justifier un refus d’exécution.
B. LE REFUS D’EXÉCUTION

Un Etat requis peut, à la demande du défendeur s’opposer à l’exécution de l’injonction de paiement européenne si celle-ci est incompatible avec une décision rendue ou une injonction de paiement émise antérieurement dans tout Etat membre ou tiers . Cependant, l’article 22 § 1 du Règlement pose trois conditions cumulatives :
– la décision antérieure doit avoir été rendue entre les mêmes parties dans un litige ayant le même objet et la même cause,
– cette décision devrait réunir les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’Etat d’exécution,
– l’incompatibilité des décisions n’aurait pas pu être invoquée au cours de la procédure judiciaire dans l’Etat d’exécution.

Mise à part l’incompatibilité, l’exécution peut être refusée si le défendeur a versé au demandeur le montant fixé dans l’injonction de paiement européenne .

CONCLUSION

Le Règlement retient l’attention par sa technicité et les problèmes pratiques résolus.

Deux enseignements supplantent les nombreux mérites du Règlement.

D’abord, par un savant alliage des techniques législatives, le Règlement, a permis d’ouvrir la procédure aux créances courantes de la vie des affaires. Le législateur européen a aussi résolu l’épineux problème de la circulation du titre injonctif exécutoire dans l’espace européen. Ainsi, tout créancier, porteur d’un tel titre, peut le mettre à exécution dans tous les Etats membres, sans être astreint à une procédure d’exéquatur dans l’Etat d’exécution.

En dehors de ces vertus incontestables, l’injonction de paiement européenne souffre d’une tare congénitale. L’intervention ou l’opposition du débiteur met, comme en droit de l’OHADA, fin à la procédure simplifiée. Les parties retombent ainsi dans les lenteurs de la procédure ordinaire de recouvrement et le dédale des droits nationaux. Cette métamorphose de la procédure est due au fait que le législateur européen, à l’image de son homologue africain, s’est attelé à uniformiser la phase introductive de la procédure sans simplifier la phase contentieuse. Les espoirs suscités par l’injonction de paiement européenne risquent donc d’être déçus en raison de l’incomplétude du travail d’uniformisation entrepris . L’évitement de cette fin appelle à davantage de simplification de la phase contentieuse tant en droit européen qu’en droit de l’OHADA.