ETUDE SUR LES DIFFICULTES DE RECOUVREMENT DES CREANCES DANS L’ESPACE UEMOA : CAS DU BENIN, BURKINA-FASO, MALI ET SENEGAL

RESUME DE L’ETUDE

L’étude sur les difficultés de recouvrement des créances des entreprises dans l’espace UEMOA se situe dans la même ligne droite que la récente littérature sur le recouvrement des créances et toute la documentation sur l’efficacité des Actes Uniformes de l’OHADA.

Elle a été réalisée par l’équipe de recherche du Centre de Recherche d’Etude et de Documentation de l’ERSUMA appuyée par trois jeune consultants juristes et économistes, avec le financement du Fonds pour l’Amélioration du Climat des Investissements en Afrique de la Fondation Trust-Africa, basée à Dakar, Sénégal.

L’étude démarre par une revue documentaire sur les textes, la bibliographie et la jurisprudence existante en matiére de recouvrement des créances. Dans une deuxiéme étape, des enquêtes sur le terrain ont été effectuées par l’équipe de recherche, sur la base d’un questionnaire et d’un guide d’entretien, auprès des responsables d’entreprises et autres acteurs du monde judiciaire.

L’échantillon est constitué de petites et moyennes entreprises des secteurs concurrentiels. Les enquêtes auprés de ces entreprises ont été complétées par des entretiens semi-directifs avec les huissiers de justice, les magistrats, les syndics, les avocats, les commissaires priseurs, ainsi que les responsables des services de recouvrement des banques et institutions de microfinance.

L’étude démarre par une présentation de l’environnement juridique et économique des quatres pays étudiés, à savoir le Bénin, le Burkina Faso, le Mali et le Sénégal. Ces pays présentent les caractéristiques communes d’être à la fois membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine ( UEMOA) et parties au Traité de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique ( OHADA). C’est sous l’empire de l’OHADA, qu’a été adopté l’Acte Uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement des créances et les voies d’exécution, dont l’application se trouve au centre de l’étude. Quant à l’UEMOA, elle a proposé des solutions alternatives en adoptant un Règlement sur la titrisation des créances.

L’état des lieux des difficultés de recouvrement des créances des entreprises relate les perceptions des établissements financiers, des entreprises et des acteurs du monde judiciaire dans les différents pays retenus par l’étude. De façon générale, les personnes enquêtées soulignent le formalisme très lourd, l’absence de célérité, la complexité des procédures et les dilatoires qui se traduisent, en fait, par une protection des débiteurs indélicats en face de créanciers presque désarmés et peu confiants à l’égard du système judiciaire. Quant aux acteurs du monde judiciaire, ils se révèlent être très critique à l’endroit des procédures légales qui s’avèrent être plus complexes et pointent le doigt sur l’insuffisance des moyens et la confusion des rôles. Les points de vue divergent selon que les perceptions de l’environnement du crédit sont formulées par les banques ou établissements financiers et les entreprises bénéficiaires du crédit. Dans tous les pays visités, les difficultés de recouvrement des créances publiques envers l’Etat et les entreprises publiques sont évoquées, les procédures de compensation prévues par les textes de l’OHADA étant sans effet devant l’immunité de juridiction ou d’exécution dont bénéficient ces institutions publiques nationales ou internationales comme l’UEMOA.

L’étude procède ensuite à une typologie des difficultés rencontrées par les entreprises en distinguant les créances publiques d’une part, et les créances d’origine privée, d’autre part. Sur cette base les difficultés sont analysées selon qu’elles tiennent à la complexité des textes juridiques ou aux pratiques en cours dans les différents pays. De manière quasi-unanime, les acteurs rencontrés conviennent que l’OHADA, a introduit des innovations substantielles dans la législation jusque-là connue et pratiquée. Seulement, il est fréquent de remarquer que l’application est très divergente sur bien d’aspects d’un pays à un autre, et même quelquefois, au sein d’une même juridiction. Cette situation n’est que la conséquence d’une absence de préparation efficiente des acteurs. Une bonne imprégnation des acteurs aurait eu l’avantage de leur faciliter la compréhension des textes pour une justice utile et efficace, ce qui suppose des décisions juridiquement correctes dans un délai raisonnable. Enfin, un effort soutenu de vulgarisation de la position et des arrêts de la CCJA permettrait de réduire les disparités d’interprétation.

L’étude traite, par la suite, l’impact des difficultés de recouvrement des créances au double plan macro et micro économique. Les difficultés de recouvrement des créances des entreprises ont certainement des répercussions sur les entreprises. Mais puisque ces dernières évoluent dans un environnement macroéconomique, ces difficultés ne manquent pas d’affecter le reste des acteurs. L’étude identifie ces impacts sur les entreprises elles-mêmes, sur le plan social, sur les recettes fiscales et enfin sur l’environnement économique global.

L’étude poursuit le diagnostic par l’énonciation de recommandations pour faire face aux difficultés de recouvrement des créances. Les recommandations générales portent, pour l’essentiel, sur la prévention des difficultés et la gestion du portefeuille des créances alors des recommandations plus spécifiques sont faites aux établissements financiers et aux entreprises et à l’endroit des acteurs du monde judicaire.
Des propositions de modifications de textes portant surtout sur l’Acte uniforme de l’OHADA relatif au recouvrement des créances et voies d’exécution montrent les problèmes d’interprétation que soulèvent les textes actuels.

Enfin, l’étude se termine par la présentation des mécanismes alternatifs comme l’assurance –crédit, la titrisation, l’affacturage, la création de marchés hypothécaire et les difficultés de leur mise en œuvre dans le contexte des pays de l’UEMOA.

CONTEXTE ET IMPORTANCE DE L’ETUDE

L’intégration économique régionale nécessite la création d’un espace économique moderne impulsé par le crédit. Cet espace doit disposer de mécanismes de règlement des créances et de régles juridiques effectives pour assurer de maniére prévisible, transparente et peu coûteuse, le recouvrement par les entreprises des créances qui leur sont dues par les débiteurs. De cette maniére, les entreprises pourront surmonter les difficultés de trésorerie provenant des problèmes de recouvrement des créances, causes fréquentes de leur insolvabilité.

Avant 1998, dans la plupart des Etats membres de l’UEMOA, les procédures de recouvrement des créances existantes, empruntées aux vieilles règles du droit civil français, étaient complexes et dépassées ; les contentieux de recouvrement pouvant se dérouler sur plusieurs années. Pour pallier à ces inconvénients, dans le cadre de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique (OHADA), les Etats-parties au Traité de l’OHADA, dont ceux de l’UEMOA, ont adopté, en 1998, l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution. A travers cet Acte Uniforme, le législateur a consacré le droit à l’éxécution forcée, reconnu au créancier, par les nombreuses procédures qui lui sont proposées pour assurer le recouvrement de sa créance. Au nombre de celles-ci, les procédures d’injonction de payer, de délivrer ou de restituer méritent tout particulièrement d’être relevées. A ces procédures, le législateur a voulu imprimer une certaine célérité en rendant plus souples les conditions de saisine de la juridiction.

Si ce dispositif simplifié de recouvrement est entré en vigueur dans tous les Etats, l’application effective de l’Acte uniforme se heurte à de nombreux obstacles en raison des difficultés consubstantielles à la loi elle-même, des divergences d’interprétation et d’application. Par ailleurs, nombre d’acteurs et des PME sont peu informés des nouvelles règles de procédure. Il reste aussi à évaluer la mise en œuvre de ces procédures par les juridictions nationales et par les juridictions communautaires, et le niveau d’information des acteurs économiques ; évaluation d’autant plus nécessaire que le recouvrement des créances est un problème crucial pour le refinancement des entreprises, et particuliérement des PME.

Les difficultés de recouvrement ont des causes diverses :
• Les obstacles tenant aux textes juridiques (lois, decrets et règlements) ;
• Les obstacles tenant à la pratique judiciaire :
– absence d’un cadre juridique efficace et contraignant à l’égard des débiteurs en dépit des réformes apportées par l’OHADA ;
– obstacles juridiques et judiciaires au recouvrement des créances contre l’Etat et les personnes publiques du fait de la règle de l’immunité d’exécution, étendue dans la jurisprudence de certains pays aux entreprises publiques, pourtant soumises à une gestion de droit privé ;
– absence de dispositif de gestion et de cession des créances ;
– déficiences dans l’organisation interne des entreprises créancières pour le suivi du contentieux de recouvrement ;
– inefficacité des procédures de prévention et de traitement de l’insovabilité.

Pour créer un nouveau cadre de financement des entreprises, l’UEMOA a adopté, avec le concours de la BCEAO, le Règlement n°02/2010/CM/UEMOA relatif aux fonds communs de titrisation de créance et aux opérations de titrisation dans l’UEMOA. La titrisation des créances est un mécanisme consistant pour les établissements de crédit, à transformer leurs créances en titres (prêts immobiliers, prêts à la consommation en titres négociables). La mise en place du dispositif communautaire doit concourir à la création de marchés hypothécaires et l’institutionnalisation de fonds communs de titrisation des créances, ayant pour objet d’acquérir des créances et leurs accessoires, en échange de parts et des titres représentant ces créances. L’efficacité de ce nouveau dispositif nécessite un assainissement de l’environnement juridique des affaires qui suppose un cadre juridique simple, moderne et sécurisé pour le recouvrement des créances dues aux entreprises.

L’étude proposée a pour objectif général d’analyser les difficultés de recouvrement des créances dans quatre pays de l’UEMOA : Bénin, Burkina-Faso, Mali et Sénégal. Il s’agira de rechercher les types de difficultés rencontrées par les entreprises, notamment par les PME, pour le recouvrement des créances qui leur sont dues par l’Etat ou par les entreprises publiques et privées, les causes, les solutions et l’impact des créances non recouvrées ou provisionnées sur la solvabilité des entreprises.

Quant aux objectifs spécifiques, ils se déclinent de la manière suivante :
1- relever les insuffisances des textes de lois existants en particulier l’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution, l’Acte Uniforme portant organisation des Sûretés et l’Acte Uniforme portant organisation des Procédures Collectives d’Apurement du Passif ;
2- indiquer les pistes de réformes de ces Actes Uniformes ;
3- analyser l’articulation entre les Actes Uniformes et les lois nationales, en particulier celles relatives aux procédures civiles en matière de recouvrement ;
4- identifier les obstacles internes et externes au recouvrement efficace des créances, et procéder à la typologie des difficultés de recouvrement ;
5- esquisser des solutions, à la fois juridiques et institutionnelles, qui permettront de mesurer l’opérationnalisation des fonds communs de titrisation des créances, prévue par le Règlement n°02/2010/CM/UEMOA relatif aux fonds communs de titrisation de créance et aux opérations de titrisation dans l’UEMOA et les préalables à mettre en place au niveau de chaque pays ;
6- identifier d’autres alternatives de gestion ou de cession de créance (affacturage, assurance caution et assurance crédit).

CRITIQUE DES OPTIONS DE POLITIQUE JURIDIQUE

L’OHADA s’est engagée dans une politique d’harmonisation des règles légales en matière de recouvrement des créances applicables dans les seize Etats parties. En vertu de l’article 10 du Traité de l’OHADA et des dispositions de l’Acte uniforme adopté à cet effet, les règles qui étaient en vigueur, sous l’empire des lois nationales antérieures, sont désormais abrogées ; mais elles cohabitent avec les règles de procédure qui continuent à régir les actes de procédure. Les nouvelles dispositions introduites par l’OHADA avaient pour vocations de simplifier et d’accroître la célérité des procédures de recouvrements. Elles n’ont pas atteint ce résultat comme il apparait des entretiens que l’équipe de recherche a eu avec différentes catégories d’acteurs, lesquelles estiment que les procédures sont devenues plus complexes. L’enquête a visé dans les quatre pays les établissements financiers, les entreprises et les acteurs du monde judiciaire.

Par les établissements financiers

Les décisions de justice ne sont souvent pas rédigées dans les délais raisonnables. Dans ces conditions, il est difficile d’exercer les voies de recours en l’absence de jugements ou arrêts : parfois les décisions attendent 2 à 3 ans avant d’être rédigés. Les lenteurs judiciaires sont aussi liées aux renvois des audiences sur de longs délais, favorisant ainsi l’organisation par le débiteur de son insolvabilité.

Les établissements bancaires estiment aussi que les magistrats n’ont pas une formation spécialisée en matière bancaire et financière, ce qui ne leur permet pas de comprendre les spécificités de ce secteur. Les recours aux expertises sont très fréquents. Enfin, les comportements ethniques sont souvent décriés dans le corps de la magistrature et des auxiliaires judiciaires.

Les ventes immobilières sont souvent bloquées en raison de la lenteur de l’administration à produire les TF ; ainsi les procédures de saisie immobilières sont compromises pour défaut de TF. L’alinéa 1 de l’article 253 permet d’initier la procédure si l’on justifie avoir requis l’immatriculation de l’immeuble. Toutefois, l’alinéa 2 du même texte dispose que la vente ne peut avoir lieu qu’après délivrance du titre foncier. Dans la pratique, les banques requièrent l’immatriculation et entament la procédure de saisie-immobilière en espérant obtenir le titre foncier avant l’audience d’adjudication. On note aussi la lourdeur, la longueur et le coût exorbitant de la procédure de saisie immobilière, même en cas d’hypothèque conventionnelle. Or, l’administration peut mettre du temps dans la délivrance du TF. Comme conséquence, après plusieurs reports de l’audience d’adjudication, le juge finit par radier l’affaire.

Les difficultés portent également sur l’interprétation de certaines dispositions relatives aux saisies. Le débiteur saisi doit pouvoir faire des opérations sur le surplus de la provision du compte après le cantonnement de la somme saisie et la déclaration de créance faite au saisissant, sans qu’il y ait besoin de mainlevée à accorder. Mais dans la pratique, les banques maintiennent tout le contenu des comptes bloqués craignant une sanction du juge. II en est de même pour les Avis à Tiers Détenteur (ATD) pour le recouvrement des créances compromises, les établissements de crédit procèdent le plus souvent à la saisie-attribution des créances des clients débiteurs et ce en vertu de la convention notariée de compte courant revêtue de la forme exécutoire. Cependant, les juridictions procèdent à l’annulation systématique de l’acte de saisie-attribution dés qu’elles sont saisies par le débiteur, au motif que la convention de compte courant n’est pas un titre exécutoire au sens de l’article 33 de l’Acte uniforme, interprétation contestée par les banques.

L’intervention judiciaire dans les procédures collectives est destinée à arbitrer les intérêts en présence, à assurer la moralisation de la procédure et à favoriser l’apurement du passif. Or, dans la pratique, la balance judiciaire a tendance à se pencher au profit du débiteur et non des créanciers. En effet, les délais imposés par l’Acte uniforme pour les différentes phases de la procédure ne sont toujours pas respectés, permettant à certains débiteurs de bénéficier, sur une durée anormalement longue, de la suspension des poursuites individuelles au détriment des créanciers.
Dans les procédures concordataires, il arrive que les banques soient contraintes d’abandonner 30% du montant de la créance sans être assurées d’être payées.

Par les entreprises

La plupart des entreprises sont des SARL ou fonctionnent dans le secteur informel. Le poids de la culture et des traditions oblige à privilégier la confiance, la réputation et les liens de parenté qui constituent des obstacles au recouvrement forcé des créances.

Les entreprises sont également confrontées à une méconnaissance des règles juridiques, à la complexité des procédures, aux pratiques dilatoires encouragées par les multiples possibilités de recours ouvertes aux débiteurs. Les pratiques de corruption et de prévarication se sont généralisées et touchent tous les secteurs y compris les milieux judiciaires. « L’honnêteté est devenue un délit », selon les responsables d’entreprises rencontrées ; les entreprises prête-nom appartenant à des fonctionnaires foisonnent, ainsi les transporteurs se sentent relégués derrière des entreprises prête-nom qui appartiennent à des personnes ayant acquis des véhicules remorques et des camions citernes en utilisant les moyens de l’Etat. .

Les petites et moyennes entreprises reprochent également aux banques de ne pas leur faciliter la tâche, les procédures d’octroi de crédit sont trop longues et les garanties exigées trop lourdes. L’entreprise qui sollicite une caution bancaire pour l’obtention de marché peut attendre deux à trois mois, de sorte que le prêt accordé ne servira pas à la réalisation de l’ouvrage et l’entrepreneur va chercher d’autres moyens pour commencer les travaux.

Les difficultés rencontrées par les entreprises portent également sur les contraintes fiscales, notamment les droits d’enregistrement qui sont passés à 30% et l’obligation d’acquitter la TVA un mois après l’établissement de la facture alors que cette dernière peut revenir impayée.

Concernant les créances dues par l’Etat et ses démembrements, les petites et moyennes entreprises se trouvent dans l’impossibilité de procéder à leur recouvrement , du fait des règles légales instituant une immunité d’exécution en faveur de l’Etat, des collectivité locales et des autres personnes morales de droit public.

Les difficultés de recouvrement se situent également à d’autres niveaux dont les deux plus importants concernent l’administration. Une faiblesse numérique d’agents, à certains niveaux du circuit de dépense, se combine à une absence de maîtrise des procédures par les agents administratifs. La complexité des procédures et le nombre de pièces à fournir ouvre la porte à la corruption, du fait du pouvoir d’appréciation détenu par l’agent administratif. Enfin, le troisième niveau de faiblesse concerne les acteurs du secteur privé et à leur faible maîtrise du respect de la procédure à ses différentes étapes

Par les acteurs du système judiciaire

Les huissiers de justice jouent un rôle très important dans les procédures de recouvrement des créances. La plupart des huissiers rencontrés affirment que le droit OHADA contient des règles trop favorables aux débiteurs indélicats. Les difficultés de recouvrement se présentent à tous les niveaux de la procédure de recouvrement.

Concernant la procédure d’injonction de payer, une première difficulté à laquelle les huissiers sont confrontés est celle de la localisation géographique du débiteur. La signification de l’acte d’huissier doit être faite, autant que possible, à personne, ou à domicile. Le plus souvent, les huissiers rencontrent d’énormes difficultés à localiser le débiteur.

De façon générale, les huissiers estiment que les juges sont trop enclins à protéger les débiteurs : par exemple dans les procédures d’injonction de payer le juge ne devrait pas, en cas de sommation, exiger la preuve du fondement de la créance car la sommation est souvent accompagnée des factures et/ou d’une reconnaissance de la dette. Dans l’Acte uniforme, les mentions requises « à peine de nullité » ou « à peine d’irrecevabilité » foisonnent et servent la cause des débiteurs indélicats.

Les avocats abusent avec les demandes de renvois et les oppositions non fondées qui sont utilisées pour retarder l’issue du procès. Les banquiers protègent abusivement leurs clients qu’ils informent en servant aux huissiers les formules « réponse suivra » ou « sous réserve des opérations en cours ». Le détournement d’objets saisis est devenu fréquent et non sanctionné, de sorte que personne ne fait plus de saisie-vente, le débiteur ayant tout le temps de déménager rapidement.

Le texte de l’AURVE a par ailleurs le défaut d’accroître les lenteurs judiciaires. Avant l’avènement du droit OHADA, on pouvait faire le commandement et 24 heures après procéder à la saisie, le délai de huitaine prévu par l’AURVE est une faveur accordée au débiteur qui diminue le caractère dissuasif du commandement.

Atelier de restitution par visioconférence Ces lenteurs sont expliquées, selon les greffiers, par le fait que souvent les requêtes aux fins d’injonction de payer sont présentées par les huissiers, sans les pièces originales, avec seulement des photocopies et sans la formule finale, de sorte que le Président du tribunal a dû mettre à la disposition des greffiers un modèle de requête, pour diminuer les rejets devenus trop nombreux. En cas de rejet, le Président du tribunal mentionne sur la chemise les points à reprendre et les pièces à reproduire mais il arrive que les dossiers reviennent sans aucun changement.

Les greffiers imputent également les lenteurs au manque de moyens mis à leur disposition. Par exemple, bien qu’il leur incombe de procéder à l’insertion des décisions de justice en matière de procédures collectives dans les journaux d’annonces légales, ils sont obligés de recourir aux avocats et aux parties pour y procéder.

Les magistrats sont confrontés aux mêmes problèmes de moyens, ils sont peu nombreux pour répondre de façon diligente aux nombreuses demandes. Relativement aux dispositions des Actes uniformes, ils trouvent le nombre de nullités excessif dans l’AURVE.

RECOMMANDATIONS

Prévention des difficultés

Pour éviter les difficultés inhérentes au recouvrement des créances, les entreprises gagneront à prendre certaines précautions avant l’octroi de crédit à tout client quel qu’il soit.

Identification du client et la connaissance de sa situation financière

La première des précautions, est de bien se renseigner sur le profil juridique de son futur client (dénomination, siège social, adresse effective de son exploitation, nom des dirigeants, date de création). Il faudra également s’assurer au préalable qu’il est fiable et solvable. Pour finir, il faudra s’interroger sur sa situation financière au cours des dernières années.

La négociation de garanties

Pour tout type de créance, surtout celles dont la valeur est importante il est indispensable de négocier des garanties.

À titre de garantie, vous pouvez par exemple demander à vos clients qu’une autre personne s’engage à payer à leur place en cas de défaut de paiement, ou faire en sorte de pouvoir être payé sur leurs biens.

Gestion du portefeuille de créances

Elle passe par une organisation rigoureuse de tous les circuits et acteurs concernés par le recouvrement des créances au sein des entreprises; en partant de la naissance des créances jusqu’à leur dénouement. L’objectif est de limiter au maximum les failles qui pourraient mettre en péril le recouvrement des créances.

La matérialisation des conditions générales de ventes

Elle permet à l’entreprise d’informer ses clients sur les modalités inhérentes à ses ventes de biens ou de services ; elle pourrait également les faire figurer sur la facture ou à son verso dans les cas où les opérations commerciales ne s’accompagnent pas de contrats rédigés en bonne et due forme. Le client devra y apposer la mention « lu et approuvé » pour matérialiser qu’il en a pris connaissance et qu’il est consentant.

Il est également possible d’insérer dans les CGV une clause pénale (qui prévoit le versement d’une certaine somme d’argent par le client à l’entreprise en cas de retard ou de défaut de paiement) ou une clause suspensive ou résolutoire qui autorise la suspension ou l’annulation des commandes en cours si le client tarde à régler ses factures voire une clause de déchéance du terme qui prévoit que, dans le cadre d’un échéancier de paiements, tout incident de paiement à l’une des échéances rend exigible le paiement intégral des créances restant dues

La mise en place d’un système de suivi des créances

Chaque facture doit mentionner la date à laquelle elle à été émise ainsi que le type et le délai de paiement concédé au client ; il sera aisé de calculer pour chacune d’elles la date d’échéance. On pourra par date suivre les encaissements et donc gérer les relances. Pour chaque étape du suivi des créances, il serait convenable de s’appuyer sur des sociétés spécialisées comme les sociétés de recouvrement ou les avocats ou les huissiers de justice. A défaut, il est préférable de confier le dossier à un service indépendant et totalement différent de celui qui met en place le crédit ou qui procède à la vente et la facturation, pour un meilleur suivi et une plus grande transparence.

Le recouvrement amiable

Malgré les mesures préventives et le suivi du portefeuille, des difficultés de recouvrement de créances peuvent survenir. Dans ce cas, les responsables des entreprises peuvent toujours essayer de recouvrer leurs fonds sans avoir recours à la procédure judiciaire. A cet effet, le recouvrement amiable reste l’ultime recours.

Il présente, avant tout, l’avantage de préserver les relations commerciales. C’est aussi un moyen efficace pour comprendre les raisons de l’absence de paiement et pour instaurer un dialogue constructif avec le débiteur.

Deux procédés peuvent être mis en œuvre : la relance et la mise en demeure. Ils n’ont pas la même force contraignante, la relance précède souvent la mise en demeure, elle-même ultime recours avant l’introduction d’une procédure judiciaire.

Recommandations aux banques

Pour optimiser les chances de recouvrement de leurs créances, les banques doivent s’astreindre aux exigences de leur secteur d’activité. Elles doivent notamment :
– mettre une plus grande rigueur dans la constitution et l’étude du dossier préalablement à la mise en place effective du crédit et éviter les crédits de complaisance ;
– faire une enquête sur le débiteur qui doit être rigoureuse et les banques doivent, dans la mesure du possible, évincer les clients qui ont des antécédents financiers non encore dénoués avec d’autres banques ou institutions financières à la date où le prêt est sollicité ;
– opter pour une plus grande opérationnalisation de la centrale des risques de la BCEAO et une actualisation permanente du fichier des débiteurs dont les créances ont été mal dénouées ou non encore dénouées ;
– éviter autant que possible de mettre de la liquidité en place pour le client, mais préférer les prêts à mettre en place de façon progressive en suivant un planning rigoureux pour les dépenses à effectuer. Mettre en place un suivi post-installation de crédit qui permet au gestionnaire de compte de contrôler l’utilisation faite du crédit et d’alerter très tôt sur les fuites de fonds ;
– ne mettre en place les crédits que si le demandeur offre des sûretés. A ce niveau, il faut relever que certaines sûretés sont inefficaces telles que les sûretés personnelles. Il faut alors préférer les sûretés réelles sur des immeubles munis d’un titre de propriété définitif. Autant que possible, les garanties doivent être constituées sur des immeubles propriétés du demandeur ;
– la banque doit avoir une procédure d’alerte efficace pour détecter très tôt les clients présentant des signes de difficultés par le non respect d’une ou de deux échéances impayés. La mise en œuvre précoce des procédures de recouvrement pour éviter que l’impayé n’atteigne un seuil trop élevé ce qui rend difficile et trop souvent impossible un recouvrement efficace.

Recommandations aux entreprises

Les dirigeants d’entreprises ne devraient pas confondre les intérêts sociaux avec leurs intérêts privés propres. Bien souvent, il y a une confusion entre le patrimoine de la société et celui du promoteur. Les engagements pris par la société ne peuvent être honorés qu’à la condition que la gestion financière de l’entreprise soit saine. Pour garantir une exploitation durable, les entreprises devraient mettre plus de rigueur dans leur gestion financière et combattre les malversations. En somme, il faut une législation adaptée aux réalités de l’Afrique et non une réception mal négociée d’un droit étranger alors que les réalités sociales sont complètement différentes.

Recommandations aux acteurs judiciaires

Les Actes uniformes de l’OHADA, sont assurément une avancée législative dans les pays membres, mais il faut que le législateur, fasse un effort d’adaptation des mécanismes reçus et qui sont le fruit d’un processus et d’un niveau de maturation que les acteurs n’ont pas encore. Ceci oblige à revoir certaines dispositions qui paraissent inappropriées au contexte africain. Il faut penser à renforcer les capacités des acteurs par une formation continue. Et il faut une plus grande vulgarisation des arrêts et avis de la CCJA auprès des acteurs concernés.

Recommandations aux autorités politiques

– Réviser l’Acte uniforme sur les procédures simplifiées de recouvrement de créances et voies d’exécution.
– Harmoniser et rendre plus effectives les procédures de règlement des dettes de l’Etat, des collectivités locales et des personnes publiques envers les petites et moyennes entreprises.
– Prendre des mesures en vue de réduire les lenteurs judiciaires et supprimer les contraintes de coût de recouvrement.
– Adopter des mesures de lutte efficaces contre la corruption.