LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU BANQUIER DISPENSATEUR DE CRÉDIT À UNE ENTREPRISE EN DIFFICULTÉ EN DROIT OHADA À LA LUMIÈRE DU DROIT FRANÇAIS

INTRODUCTION

1. La responsabilité peut être définie comme l’ensemble des règles qui s’attache à l’étude et à la détermination des conséquences des faits illicites ou fautes qui causent un dommage à autrui. C’est le fait pour une personne d’être obligée de réparer le dommage qu’il cause à autrui par sa faute . Une étude de la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit à une entreprise en difficulté portera donc sur l’obligation de la banque de répondre des dommages qu’elle a causés par son fait. Encore faut-il déterminer le comportement fautif du banquier et son lien de cause à effet avec le préjudice subi par l’entreprise en difficulté.

2. Cette étude sera menée sous l’angle du droit positif burkinabè et du droit communautaire . En outre, il sera largement fait appel à titre de droit comparé à la doctrine et à la jurisprudence française en raison du fait que le problème se pose dans les mêmes termes et que nos juridictions s’inspirent beaucoup de la jurisprudence française.

3. Le terme de « banquier » recouvre juridiquement tous les établissements soumis à la loi bancaire , à savoir « les personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque », exception faite de certains organismes limitativement énumérés . L’activité bancaire se réalise par des opérations de banques au nombre de trois que sont : la réception de fonds du public, les opérations de crédit, et la mise à disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement. Le banquier joue, par ses activités, le rôle de commerçant, au sens de l’article 3 alinéa 1er de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général puisqu’il a la qualité d’intermédiaire entre l’épargnant, celui qui possède de l’argent, et celui qui a en besoin . C’est ainsi d’ailleurs que le banquier est défini comme « un commerçant qui spécule sur l’argent et le crédit » .

4. L’activité bancaire constitue aujourd’hui un élément indispensable au développement de l’économie. En effet, le banquier a reçu la mission principale de fournir des financements aux entreprises pour le développement de leurs activités. Mais les entreprises qui ont le plus besoin du concours financiers des banques sont celles qui connaissent certaines difficultés. Compte tenu de cette situation difficile, ces entreprises ont besoin d’une prise en charge particulière dans le traitement des difficultés. Le terme « entreprises en difficulté » est pris au sens large et concerne non seulement les entreprises qui sont en état de cessation des paiements mais aussi celles qui connaissent une procédure de prévention telle que le règlement préventif.

Le droit des entreprises en difficulté a connu une évolution mouvementée tant en droit français qu’en droit de l’OHADA. En effet, en France, du droit de la faillite, on a abouti aujourd’hui au droit de sauvegarde des entreprises en passant par celui des procédures collectives . Le droit des procédures collectives antérieurement à l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (AUPC) a subi une certaine évolution avant que l’harmonisation ne soit consacrée par l’avènement de l’OHADA . Cette histoire mouvementée montre à suffisance l’incapacité du droit à juguler les difficultés des entreprises, mais une tendance se dessine nettement en faveur de la diversification des procédures préventives pour le redressement ou le sauvetage des entreprises en difficulté en cherchant au mieux des solutions adaptées à la situation de chaque entreprise. C’est dans ce contexte que s’inscrivent désormais les rapports bancaires avec leur corolaire de fourniture de crédit qui génère le plus de contentieux. En effet, par la conclusion du contrat de prêt se crée un rapport créancier-débiteur et avec lui apparaissent d’éventuels problèmes de solvabilité du débiteur dans la mesure où la banque est susceptible de voir sa créance non remboursée. Confronté à ce risque, les banques ont pris l’habitude de prendre des précautions particulières en matière de crédit, surtout à l’égard des entreprises traversant des difficultés.

En effet, face aux entreprises en difficulté, le banquier dispose généralement de trois possibilités. En premier lieu, il peut décider de rompre les crédits fournis. Mais si des dommages ont été causés à son client, le banquier peut voir sa responsabilité engagée pour rupture abusive de crédit. En second lieu, il peut être tenté de donner des conseils de gestion à son client. Mais il pourrait, en cas d’échec du redressement de la situation, se voir reprocher une immixtion fautive de gestion en sa qualité de dirigeant de fait. Enfin, le banquier peut poursuivre la fourniture de concours à l’entreprise soit en le maintenant, soit même en lui accordant de nouveaux afin de lui permettre de surmonter la situation difficile.

5. La responsabilité du banquier que l’on voit se dessiner de cette distribution de crédit n’avait été très tôt réglementée, au plan civil par le législateur de 1804 qui n’appréhendait d’aucune sorte les risques bancaires et financiers . Il est donc revenu à la jurisprudence de combler le vide juridique en décidant de condamner pour la première fois le banquier au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice découlant de la « prospérité fictive » créée par les agissements du banquier . Mais les condamnations du banquier à cette époque restaient exceptionnelles.

C’est dans la seconde moitié du 20ème siècle que l’on a vu s’accentuer un mouvement tendant à la responsabilité du banquier distributeur de crédit. Plusieurs ouvrages, articles, chroniques ont ainsi été consacrés à la question . Un tel intérêt pour le banquier s’explique sans doute par son rôle fondamental dans le développement économique d’un pays et un auteur a écrit que « le banquier est le moteur de toutes les activités de son temps » . En effet, les entreprises, à chaque étape de leur vie, ont besoin de financements nécessaires au développement de leurs activités. Ce sont les banques qui sont souvent au premier plan pour leur procurer ces différents financements, par le truchement notamment des crédits à durée indéterminée, tels les découverts ou les facilités d’escomptes .

Face au rôle grandissant des banques et de leur pouvoir implicite sur les entreprises pour le financement de leur activité, la doctrine et la jurisprudence ont dû développer « un ensemble de règles de prudence que doit observer le banquier lors de l’octroi de crédit » . Par cette réaction, doctrine et jurisprudence entendaient appliquer au mieux la volonté du législateur dont l’ambition affichée était de promouvoir la sauvegarde des entreprises. Ce sauvetage devait passer par la détermination des facteurs déclencheurs des difficultés insurmontables de l’entreprise parmi lesquels l’on peut mentionner les concours bancaires. En effet, lorsque le crédit est accordé à une entreprise éprouvant des difficultés de trésorerie, cela peut accentuer ces difficultés et entraîner l’ouverture d’une procédure collective. La société subit un dommage, et ses créanciers, désormais soumis aux règles des procédures collectives également. Or, comme le précise l’article 1382 du Code civil, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Le banquier est ainsi devenu, selon un auteur « un acteur principal mais en même temps un responsable idéal » . De son côté, la jurisprudence s’est attachée à moraliser la vie des affaires en y mêlant le banquier aboutissant à mettre en place ce que l’on peut appeler la responsabilité pour rupture ou soutien abusif à une entreprise en difficulté.

6. Le banquier se trouve dès lors devant un dilemme qui tient à ce qu’on voudrait lui imposer vis-à-vis du crédité des devoirs en fait contradictoires. En effet, d’un côté le banquier ne pourrait mettre fin à la relation de crédit ou réduire son concours lorsque la situation générale de son client tend à devenir moins bonne que d’une manière progressive. En agissant autrement, il commettrait une faute contractuelle à l’égard du crédité qui pourrait lui reprocher sa brutalité si cette décision aboutit à sa cessation des paiements.

D’un autre côté, le banquier n’aurait pas non plus la liberté de maintenir les crédits lorsque l’entreprise bénéficiaire a cessé d’être digne de crédit. C’est ici l’intérêt des tiers qui est en cause. Ceux qui avaient été conduits à initier ou même à intensifier un mouvement d’affaires avec l’entreprise sur la base de l’apparence de crédit ainsi créée et, par la suite, à en subir les pertes seraient alors fondés à en demander réparation au donneur de crédit sur la base des articles 1382 et suivants du code civil. Ainsi, en permettant la continuation d’une exploitation dans des conditions artificielles, le banquier lèse les autres créanciers de l’entreprise qui se trouvent ainsi devant un passif sans avoir pu prendre conscience à temps des difficultés de leur débiteur.

7. Ces différentes mises à l’index des banquiers dans l’octroi du crédit ne les laisseront pas indifférents. Un ensemble d’arguments ont alors été développés pour faire échec à l’action du syndic agissant pour le compte de la masse des créanciers, arguments qui ont, un temps, été accueillis favorablement par la jurisprudence. On faisait notamment valoir que le syndic au nom de la masse des créanciers ne peut exercer des actions qui ne profitent pas à la totalité de la masse et qu’il ne saurait agir contre certains créanciers composant en partie cette masse. L’irrecevabilité de l’action du syndic se fondait ainsi sur deux considérations complémentaires, à savoir la nécessité d’un préjudice atteignant la totalité des créanciers composant la masse et la diversité des situations individuelles des créanciers au regard du préjudice à réparer.

Concernant la première considération, il semble que l’action ne peut être intentée au nom de la masse que si tous les créanciers ont été trompés et ont subi un préjudice, ce qui est presqu’impossible. Plusieurs décisions françaises font application de cette règle. Ainsi, par un arrêt rendu le 9 juin 1969 par la chambre commerciale de la Cour de cassation française, il avait été déclarée irrecevable l’action exercée par le représentant de la masse à l’encontre d’une banque. Celui-ci reprochait à la banque d’avoir permis, par son comportement fautif, la prolongation artificielle de la vie commerciale du failli et l’accroissement de son passif. En confortant la position des juges d’appel, la Cour de cassation avait estimé que « ces derniers avaient usé de leur pouvoir souverain d’appréciation en disant que les agissements de la banque n’avaient pu causer un préjudice à la totalité des créanciers représentés par la masse ». Dans une autre espèce semblable, la même cour de cassation avait retenu que « le syndic de la faillite d’un commerçant n’a qualité pour agir en responsabilité contre un tiers dont les agissements auraient permis à ce commerçant d’exercer ou de poursuivre une activité dommageable pour ses créanciers que si ces agissements ont été la source d’un préjudice subi par tous les créanciers de la masse » .

S’agissant de la seconde considération, il est admis que les créanciers n’ont pas nécessairement souffert d’une manière égale du comportement reproché au banquier. En effet, il importe d’opérer une distinction entre deux situations. La première concerne le créancier dont le droit est né avant l’ouverture du crédit critiqué, celui-ci ne pouvant se plaindre que de la perte d’une partie de son gage. La seconde concerne le créancier dont le droit est né postérieurement à l’ouverture fautive du crédit. Celui-ci peut, au contraire, soutenir qu’il aurait pu échapper au préjudice subi dont il se prévaut si le crédit n’avait pas été accordé ou avait cessé à temps . Dès lors, une grande partie de la doctrine observe que le dommage n’est pas subi uniformément par l’ensemble des créanciers. Cette position doctrinale se trouve être confortée par un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation française dans lequel il avait été jugé irrecevable l’action intentée par les syndics car il ne leur « appartenait pas… d’introduire, au nom et pour l’ensemble des créanciers formant la masse contre (la banque), ….une action en responsabilité dont l’exercice individuel n’avait pas été suspendu et que chacun desdits créanciers, dans la mesure où il était personnellement fondé à se plaindre, restait libre d’intenter en vue d’être entièrement indemnisé de son préjudice » .

8. Cette position de la jurisprudence appuyée par une partie de la doctrine a été sévèrement critiquée par un autre courant doctrinal qui trouvait que la position de la jurisprudence déboutant le syndic pour favoriser les actions individuelles manquait de pragmatisme. Pour ces auteurs même si les créanciers disposent de la possibilité de se retourner individuellement contre le banquier afin d’obtenir réparation de leur préjudice particulier, cela reste cependant exceptionnel dans les faits. La raison est que seul le syndic dispose des informations nécessaires pour apprécier les responsabilités encourues par les tiers, notamment les banques. En outre, la majorité des créanciers, surtout les plus faibles économiquement, ne sont pas en mesure de supporter les conséquences financières d’un procès souvent long et couteux. Pour cette partie de la doctrine, l’irrecevabilité de l’action du syndic aboutissait, en fait, à l’irresponsabilité des banques.

Face à la pertinence de ces critiques, la Cour de cassation française a dû reconnaître dans un arrêt de principe que « le syndic trouve dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi qualité pour exercer une action en paiement de dommages-intérêts contre toute personne, fût-elle créancière dans la masse, coupable d’avoir contribué, par des agissements fautifs, à la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif » .

9. La responsabilité qu’encourt le banquier, à raison du financement d’une entreprise en difficulté, peut être pénale, disciplinaire ou civile. Mais le plus souvent, le soutien artificiel du crédit de l’entreprise est simplement constitutif d’une faute civile. C’est pourquoi, cette étude se limitera à la responsabilité civile du banquier qui soutient abusivement son client ou qui commet un abus dans la rupture de ses concours financiers.

Le soutien abusif peut être défini comme la faute du banquier qui, en continuant d’octroyer du crédit, permet la prolongation artificielle d’une activité dont la continuité était déjà compromise et contribue ainsi à l’augmentation du passif ou à la diminution de l’actif, tout en laissant paraître une fausse apparence de prospérité. La rupture abusive de crédit consiste, au contraire, à fermer brusquement les ouvertures de crédit antérieurement consenties, de telle sorte à précipiter la chute financière de l’entreprise, le conduisant ainsi à un état de cessation des paiements.

Dans les deux cas, la faute du banquier consiste en l’abus d’un droit et la responsabilité qu’il encourt est le corollaire de la liberté dont il bénéficie d’octroyer ou de rompre ses concours financiers. Cette responsabilité est contractuelle envers le client et délictuelle envers les tiers .

10. Les actions en responsabilité délictuelle sont généralement engagées par le syndic, tenté de se retourner contre le banquier qui reste souvent le plus « solvable » . Il n’en demeure pas moins toutefois qu’une mise en cause systématique de la responsabilité du banquier ne peut qu’avoir des effets économiques néfastes déjà très tôt dénoncés par la doctrine . Les banquiers ont toujours mal ressenti les limites que l’on pose à leur liberté d’appréciation des risques liés aux crédits qu’ils consentent dans la mesure où cela remet en cause ce qui semble « constituer l’un des fondements de l’activité bancaire et l’âme même du métier de banquier » , d’autant plus qu’il n’existe, dans les Etats membres de l’OHADA et au Burkina Faso en particulier, que très peu de magistrats formés à la matière financière maîtrisant le métier de banquier dans ses subtilités et ses contraintes quotidiennes. Le banquier ne se trouve-t-il donc pas dans une certaine « insécurité judiciaire » et économique à chaque fois qu’il offre son concours à une entreprise ? Cette situation ne risque-t-elle pas d’amener les banques « à une politique restrictive, nuisible aux clients sur lesquels les pouvoirs publics comptent le plus pour animer la croissance économique, les PME/PMI, voire les consommateurs » ?

Toutefois, il convient de mentionner que l’octroi de crédit inconsidéré comporte des risques qui peuvent être encore plus lourds de conséquence pour l’économie en général. En effet, si le crédit est nécessaire, voire indispensable pour l’entreprise, il n’en demeure pas moins que celui-ci comporte des dangers lorsqu’il est consenti de façon inconsidérée. Tel est le cas lorsque l’intervention de la banque ne fait qu’aggraver le passif et fabrique une apparence de solvabilité trompeuse pour les créanciers qui continuent à faire confiance à un débiteur dont la situation sans issue se révèle trop tard, faisant ainsi augmenter le nombre de créanciers pendant que la situation financière de l’entreprise se détériore.

Ainsi, pour ne pas perturber le dispositif juridique de crédit aux entreprises, les contours de la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit doivent être bien définis. Autrement dit, à partir de conditions de fond (I) établies, le syndic doit pouvoir engager l’action en responsabilité contre le banquier dispensateur de crédit à l’entreprise en difficulté (II).

I. LES CONDITIONS DE FOND DE L’ACTION EN RESPONSABILITE DU BANQUIER DISPENSAEUR DE CREDIT A L’ENTREPRISE EN DIFFICULTE

11. Dans un arrêt du 22 mars 2005 , la chambre commerciale de la Cour de cassation française, cassant un arrêt d’appel, jugeait que les motifs retenus étaient « impropres à faire apparaître que la banque avait ou bien pratiqué une politique de crédit ruineux pour l’entreprise devant nécessairement provoquer une croissance continue et insupportable de ses charges financières, ou bien apporté un soutien artificiel à une entreprise dont elle connaissait ou aurait dû connaître, si elle était informée, la situation irrémédiablement compromise » . Il ressort de cette jurisprudence deux fautes susceptibles d’engager la responsabilité du banquier. En effet, soit le banquier a mené à la ruine l’entreprise en lui consentant des crédits dont elle ne pouvait assumer le remboursement, soit il l’a artificiellement soutenue, alors qu’elle était en situation compromise. Mais « ne constitue pas un comportement fautif le seul fait pour une banque d’accorder un crédit de trésorerie à une entreprise, avant toute activité, pour en permettre le démarrage afin de financer son activité d’achat et de revente de produits » . Seulement, si la détermination de la faute du banquier dispensateur de crédit est nécessaire (A), les principes de la responsabilité civile rendent tout autant indispensable la démonstration d’un préjudice (B) et d’un lien de causalité (C) comme cela est prévu par les articles 1382 et suivants du Code civil.
A. UN COMPORTEMENT FAUTIF DU BANQUIER

12. La définition de la faute a toujours posé quelques difficultés . Le Professeur G. Viney disait à ce propos que « les rédacteurs du Code civil ont posé aux juristes, en particulier aux tribunaux, un problème qui s’est avéré, par la suite redoutable, celui de la définition de cette fameuse notion de faute dont ils ont voulu faire sinon la seule, du moins la principale source de la responsabilité civile » . Mais lorsque l’entreprise traverse des difficultés, la faute du banquier va consister soit dans l’octroi abusif du crédit (1), soit dans la rupture abusive de celui-ci (2).

1. L’octroi abusif du crédit à une entreprise en situation irrémédiablement compromise

13. En faisant crédit à une entreprise dont la situation est irrémédiablement compromise, le banquier masque la réalité, prolonge artificiellement la vie de l’entreprise et diffère l’ouverture d’une procédure collective de redressement ou de liquidation des biens, ce qui conduit nécessairement à augmenter les pertes de l’entreprise et donc à diminuer les chances des créanciers de voir leurs créances honorées . La faute est établie dès lors que deux conditions sont remplies : la situation financière obérée de l’entreprise (a) et la connaissance de celle-ci par le banquier (b).

a. L’existence d’une situation irrémédiablement compromise

14. La notion de situation irrémédiablement compromise est une notion économique assez difficile à cerner. Au départ, les juges, afin d’apprécier la faute du banquier, se fondaient sur la notion de cessation des paiements , de sorte que si un crédit avait été octroyé à une entreprise en état de cessation des paiements, le banquier était susceptible d’être condamné pour soutien abusif. La situation irrémédiablement compromise se caractériserait selon un auteur par « la situation d’une entreprise dans l’incapacité, faute de perspectives commerciales et/ou de gestion sérieuses et réalistes, de maintenir ou de rétablir son équilibre financier sans être contrainte de se soumettre à une procédure collective » . Le banquier commettait donc une faute « si l’activité de l’entreprise qu’il persiste à soutenir en lui renouvelant ou en augmentant les concours présente des signes évidents et irréversibles de déclin, c’est-à-dire si la poursuite de l’activité s’inscrit dans le cadre de difficultés insurmontables ne pouvant objectivement aboutir à un redressement économique » .

L’appréciation de la faute s’est affinée par la suite, se détachant de la notion de cessation des paiements au profit de celle de « situation irrémédiablement compromise », de « situation sans issue », de « situation désespérée » ou encore de « situation définitivement compromise ». Mais, malgré la diversité des termes employés par la jurisprudence et la doctrine, la situation irrémédiablement compromise ne saurait recouvrir le cas de la situation simplement « difficile », dans la mesure où l’une des fonctions essentielles des banques est de permettre aux entreprises de franchir certains caps . En outre, cette hypothèse ne se présente pas lorsque le débiteur subit simplement une insuffisance de trésorerie, même grave et prolongée , ou s’est vu consentir un crédit d’une certaine importance . La situation n’est pas non plus désespérée lorsque les pouvoirs publics soutiennent un plan de redressement . L’hypothèse de situation irrémédiablement compromise n’est pas également à confondre avec la cessation des paiements qui signifie qu’il est impossible pour l’entreprise de faire face au passif exigible avec l’actif disponible . En effet, la jurisprudence admet la faute du banquier pour l’octroi du crédit non seulement après la cessation des paiements, mais aussi avant cet état . Par exemple, l’entreprise sera en situation irrémédiablement compromise mais pas en état de cessation des paiements « si elle dispose temporairement d’un actif suffisant pouvant lui permettre de faire face au passif exigible et surtout exigé » . Autrement dit, « le concours est légitime si l’entreprise a, grâce à lui, des chances de se redresser et il ne l’est pas si la liquidation est inévitable » .

Force est donc de constater que la jurisprudence s’attache à distinguer une situation irrémédiablement compromise de la situation difficile ayant des chances d’être surmontée, afin de permettre aux juges d’apprécier la faute du banquier. Cette faute existe lorsque la situation de l’entreprise est désespérée au moment du soutien bancaire. Ainsi la responsabilité de la banque s’apprécie-t-elle en fonction de la situation apparente du bénéficiaire du crédit au moment de son octroi, et non en fonction de l’évolution ultérieure de la situation ou de la situation réelle qui se révèle, après coup, à l’ouverture de la procédure collective. L’appréciation semble donc délicate pour les juges du fond qui, avec, le cas échéant, l’aide experts, doivent se livrer à un pronostic rétrospectif pour se demander si, au moment où le crédit a été accordé, l’entreprise était en mesure de se redresser.
Qu’à cela ne tienne, le banquier ne sera tenu responsable que s’il avait connaissance de la situation de l’entreprise.

b. La connaissance par le banquier de la situation irrémédiablement compromise

15. Il n’est pas simple d’établir la connaissance par le banquier de la situation irrémédiablement compromise de l’entreprise. On l’a souvent fondé sur des règles déontologiques qui s’imposent au banquier. En effet, en tant que professionnel, le banquier doit chercher à se protéger. L’exercice de l’activité bancaire n’est pas sans risques. Les opérations bancaires sont parfois effectuées au détriment d’un client de la banque, de l’établissement de crédit et même d’un tiers. Ces risques justifient que le banquier ait une mission de contrôle des opérations qu’il exécute à la demande de ses clients. On parle de devoir de vigilance ou d’obligation de surveillance et de prudence.

Les obligations du banquier au titre de ce devoir de vigilance résultent de la jurisprudence et des textes qui prévoient des obligations ponctuelles, comme celles de s’assurer, au moment de nouer une relation ou d’assister la préparation ou la réalisation d’une transaction, de l’identité du client , de la détection des opérations suspectes et du suivi des opérations atypiques . Le devoir de vigilance peut résulter aussi de recommandations formulées par l’autorité de contrôle. Ainsi, une banque qui recourt à un réseau d’agents indépendants se doit d’assurer une surveillance vigilante des intermédiaires commerciaux qu’elle mandate .

16. Lorsque le banquier décèle une anomalie apparente, il doit tout mettre en œuvre pour qu’aucun préjudice ne soit subi, ni par son cocontractant ni par le tiers. Dans certains cas, le banquier doit procéder à des investigations supplémentaires pour réagir adéquatement à une situation spécifique. Une réaction adéquate peut consister en un refus d’exécuter l’opération. A cet égard, une simple information ou un conseil peut suffire. A défaut d’une telle initiative, la banque peut engager sa responsabilité. Si le banquier ne découvre pas d’anomalie apparente, il ne peut engager sa responsabilité, sauf dérogation légale. Si l’anomalie n’est pas apparente, le banquier ne peut être tenu responsable du dommage qui s’est produit. La victime en supportera les conséquences .

Il existe certaines circonstances dans lesquelles la situation du client ne peut être légitimement ignorée du banquier, notamment, lorsque ce dernier détient une participation au capital de la société bénéficiaire. On présume alors, que le banquier a toute latitude pour accéder aux informations. Pour autant, si la banque est extérieure à l’entreprise, elle ne peut soutenir qu’elle ignorait la situation réelle. En effet, tenue d’une obligation de vigilance, elle doit s’informer sur la situation du client en prenant divers types de renseignements sur ses capacités financières ou l’évolution de ses affaires . Par exemple, le banquier peut commettre une faute en n’exigeant pas que les documents soient certifiés ou, encore, en ne prenant pas connaissance du rapport établi par le commissaire aux comptes, avant d’accorder son soutien ou de le conforter.

17. Si sur cette question de connaissance de la situation irrémédiablement compromise et même du problème central de la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit, les exemples abondent dans la jurisprudence française , il n’en est pas de même au Burkina Faso où les juridictions connaissent rarement de la question . Les causes de cette quasi-absence de jurisprudence au Burkina Faso peuvent être recherchées, principalement au niveau des clients du banquier mais ce dernier n’est pas du tout exempt de reproches.

En effet, malgré les efforts récents en faveur de la bancarisation, la profession de banquier reste encore mystérieuse pour beaucoup de clients. En effet, beaucoup se plaignent des conditions qu’on leur impose pour l’obtention de concours. Le taux élevé du crédit, les délais de mise en place des fonds, l’importance des sûretés exigées sont le plus souvent évoqués. Il ne semble pas non plus exister de discussion franche entre le banquier et son client qui dispose de peu de connaissances sur les exigences du domaine bancaire. Le banquier exerce très peu son rôle de conseiller du client. Pire, il accepte son ignorance et tente de l’exploiter à son profit. Or, il devrait bien éclairer le client sur ses droits et devoirs, pour l’amener à contracter en toute connaissance de cause.

Le handicap majeur des clients se trouve aussi dans l’analphabétisme de la plupart d’entre eux. Les textes de lois, tant de droit commun que de droit bancaire, sont souvent ignorés, ce qui met le banquier toujours en position de force vis-à-vis du client. Conscients de cette faiblesse, les clients se refusent, bien souvent, malgré la déconfiture de leurs affaires à rechercher une quelconque faute de leur banquier. Cette peur peut se justifier dans la mesure où le banquier reste le seul recours des opérateurs économiques et engager la responsabilité d’une banque peut créer une certaine méfiance de la part des autres qui sont encore en nombre limités au Burkina Faso.

Toutefois, dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Ouagadougou a eu à condamner une banque à payer des dommages et intérêts pour réparer ses fautes contractuelles parce qu’elle a refusé de mettre « en place le crédit qu’elle s’était librement engagée à mettre à la disposition de la société EROH suivant attestation du 10 septembre 2002, lui faisant perdre un marché et subir des pénalités sans oublier le préjudice moral et économique résultant de la saisie de ses comptes pour une prétendue créance qui n’existe pas » .

Qu’à cela ne tienne et pour revenir à la question de la connaissance de la situation irrémédiablement compromise, on retient que, dans son principe, le banquier qui accorde un crédit doit faire attention à ne pas permettre à une personne d’entreprendre une activité ou de réaliser une opération déraisonnable. Il doit éviter de créer ou de contribuer à créer une apparence de prospérité trompeuse à son client en lui octroyant un crédit qu’il ne mérite pas. Le banquier ne peut pas aider une personne à continuer des activités irrémédiablement déficitaires en maintenant indûment son concours. Le banquier a un devoir de vigilance qui consiste en une obligation d’investigation qui varie en fonction de la nature et de l’importance du crédit et de la taille et donc des moyens du banquier . Son obligation de surveillance dépend en outre de la nature de l’entreprise, de l’étendue des risques courus et l’évolution de l’affaire . Le banquier n’assume cependant qu’une obligation de moyens en ce qui concerne la récolte des informations auprès du contractant potentiel. Si le dispensateur de crédit doit vérifier, dans une certaine mesure, les données que le client lui communique, il doit faire confiance en la justesse des données, informations et pièces qui lui sont remises par celui-ci. Il n’est pas tenu de faire des investigations supplémentaires qui porteraient atteinte à la vie privée de l’emprunteur. Seul le crédité est responsable des réticences dolosives concernant les informations remises au moment de la conclusion du contrat .

L’examen de la situation financière du crédit précédant l’octroi du crédit doit être effectué même si le banquier, par les garanties consenties, a la certitude qu’il sera remboursé. L’obligation de vérification doit être maintenue pendant toute la durée du crédit et, de la même façon qu’elle peut obliger le banquier à refuser le crédit, elle peut le conduire à devoir le dénoncer. Le client, quant à lui, ne peut pas forcer le banquier à restructurer un crédit lorsque ce crédit était adapté aux besoins du client au moment de son octroi .

Le devoir de vérification est généralement invoqué par les tiers, souvent les créanciers du crédité, qui font grief au banquier de ne pas avoir procédé à l’examen de la situation financière du crédité ou de ne pas avoir, alors qu’il avait effectué un tel examen, refusé le crédit, et d’avoir ainsi contribué à l’accroissement du passif de la société en lui permettant de poursuivre des activités déficitaires, ou encore d’avoir créé une apparence de solvabilité dans le chef du crédité les incitant ainsi à contracter avec lui.

18. Un autre tiers qui pourrait invoquer à son profit la violation de cette obligation est la caution , qui reprochera au banquier d’avoir accepté le crédit alors que la situation financière du crédité ne l’autorisait pas. Bien entendu, la caution ne saurait s’engager à la légère sans commettre elle-même de faute et le banquier peut démontrer qu’elle est en tout ou en partie responsable, par exemple, parce qu’elle n’a elle-même procédé à aucune vérification sur la situation financière de la personne qu’elle s’engageait à garantir.

Il faut dire que le banquier est tenu de s’informer sur son client. Il se doit, en effet, préalablement à l’octroi du crédit, de procéder à l’examen de la situation personnelle comme financière du crédité et, le cas échéant, de refuser le crédit. Le banquier doit examiner si la capacité de l’entreprise cliente paraît suffisante pour mener son projet à bien . Le banquier qui n’a pas examiné la solvabilité du client avant l’octroi du crédit peut engager sa responsabilité .

Si la responsabilité du banquier peut être recherchée à l’occasion d’un soutien intempestif à une entreprise dont il ne fait que prolonger l’agonie, cette responsabilité peut également découler d’une suspension des concours, suspension qui va hâter l’ouverture de la procédure collective.

2. La rupture abusive de crédit à l’entreprise en difficulté

19. La rupture du crédit est une hypothèse fréquente. En effet, une banque consent tacitement, et souvent pendant longtemps, un découvert à une entreprise. Puis, tout à coup, elle refuse de payer des chèques ou des traites et de prendre des effets à l’escompte. Si les critères d’application de cette responsabilité peuvent partir d’un délai de préavis (a), il reste que le caractère fautif de la rupture demeure une donnée variable (b).

a. Les critères d’application à partir d’un délai de préavis

20. Ces critères n’appellent pas beaucoup de développements. On notera simplement que la nécessité d’un préavis autorise à prendre en compte la permanence des relations avec un établissement bancaire qui a accepté le fonctionnement continuel d’un compte courant en ligne débitrice . Le caractère durable de ces concours, hormis la répétition dans le temps , découlera d’indices établissant une volonté manifeste d’institutionnaliser ce qui n’était au départ qu’une simple facilité de caisse accordée de manière ponctuelle. Ainsi, la jurisprudence a-t-elle reconnu que la constitution de sûretés au profit de la banque constituait bien la preuve d’une volonté d’accorder un soutien durable . De même il a été jugé que l’existence d’une caution accordée par le président d’une société témoignait du caractère non occasionnel du concours consenti par la banque .

En matière d’autorisation de découvert, un arrêt de la Cour de cassation française du 02 octobre 1990 illustre bien la responsabilité du banquier en cette matière. En effet, il ressort de cette espèce qu’un client avait ouvert un compte courant auprès d’une banque. Ce compte n’avait fait l’objet d’aucune autorisation conventionnelle de découvert. Mais, dès la première année, ce compte avait été en découvert, découvert qui s’était accru pendant six années ultérieures sans que la banque n’intervienne. Au bout de six ans, la banque interrompt l’autorisation et rejette les chèques tirés sur ce compte.

Le client agit alors en responsabilité à l’encontre de la banque pour rupture brutale de crédit. La Cour d’appel le déboute aux motifs que la tolérance de la banque ne saurait obliger celle-ci indéfiniment et que l’accroissement de découvert constitue un abus de la part de celui-ci. Cet arrêt est cassé pour manque de base légale au visa de l’article 1147 du Code civil. La Haute cour énonce que « la banque aurait dû rechercher si elle avait adressé un avertissement à son client avant de mettre fin au crédit ». De cette espèce, il est possible de faire deux observations.

Premièrement, le découvert d’un compte courant, même non autorisé par une convention expresse des parties, s’analyse bien en un crédit dès lors qu’il a une certaine récurrence. Il n’est pas exigé que le compte soit en permanence à découvert mais uniquement que le découvert ait été tacitement autorisé plusieurs fois. Il appartient alors aux juges de déterminer quel est le montant de l’autorisation de découvert tacite qui n’est pas nécessairement égale au plus fort taux de découvert. Deuxièmement, la banque n’a pas à maintenir le découvert en permanence ; elle doit seulement donner un juste préavis pour y mettre fin. Ce qu’il faut, c’est de ne pas surprendre le débiteur qui peut subir un préjudice du fait d’une rupture brutale de l’autorisation. Si un tel préavis n’est pas donné, le débiteur pourra, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, demander à la banque des dommages et intérêts pour compenser le dommage subi du fait de la rupture brutale.

Le banquier peut donc engager sa responsabilité en cas de suspension brutale et sans motif d’un crédit consenti à un client pour une durée indéterminée. Ainsi, il a été jugé abusif, par exemple, le retrait d’un découvert et l’exigibilité du solde du compte courant sous 48 heures alors que la banque connaissait les problèmes financiers du client et que le découvert maximum consenti n’était pas atteint . De même, en cas de rejet systématique et sans aucun préavis de leurs chèques ou traites et des refus de prendre des effets remis à l’escompte des clients bénéficiant de facilités de caisse permanentes, la banque peut engager sa responsabilité. Toutefois, il peut y avoir faute dans la rupture brutale du crédit en l’absence de préavis suffisant , notamment lorsque le client n’a pas eu le temps suffisant de prendre une disposition de relai . Il peut s’agir de la suppression totale des crédits précédemment accordés ou simplement de leur réduction .

Toujours est-il que c’est au demandeur que revient la charge de démontrer l’existence de l’ouverture de crédit. Cette preuve pourra être déduite, par exemple, de la permanence des relations entre le banquier et son client . Il faudra établir le montant du crédit. Sa nature et son importance doivent être recherchées notamment dans l’évolution du compte et dans les garanties, le cas échéant, accordées en l’absence d’accord écrit. Le crédit promis peut être déterminé par le plus fort découvert antérieur .

Ces différents critères d’appréciation doivent logiquement se poursuivre par la preuve du caractère fautif de la rupture du crédit.

b. Le caractère fautif de la rupture du crédit

21. La faute peut résulter du défaut de paiement d’une traite pour absence de provision du fait de la réduction de l’ouverture de crédit ou du non-paiement d’un chèque provisionné lors de la présentation . Ce qui est fautif, ce n’est pas tant la rupture du crédit elle-même que les conditions suivant lesquelles elle intervient. Si la rupture a été faite suivant des conditions normales, elle ne peut être jugée fautive. Il en est ainsi si la banque a régulièrement averti son client de l’arrêt du découvert, a fortiori en ce cas, si le découvert n’était que ponctuel . Il n’y a pas de faute dans la non-prorogation à l’échéance d’un contrat de crédit à durée déterminée . Le banquier n’engage pas sa responsabilité si l’ouverture de crédit était subordonnée à la condition de fournir des garanties qui n’ont pas été obtenues . Bien entendu, le banquier peut rejeter les chèques et traites si le client a dépassé le montant du découvert autorisé . Il n’y a pas davantage de faute dans l’attitude d’une banque qui, après plusieurs mises en garde consistant en l’interruption momentanée du crédit, afin que la gestion de la société soit assurée plus efficacement, interrompt définitivement ses crédits après avoir constaté le caractère vain de ses mises en gardes préalables. Il a été jugé que si les sommes ont été promises non par le banquier mais par son préposé, le non-octroi du crédit n’engageait pas la responsabilité du banquier . Cette solution est discutable car les représentants et employés des établissements de crédit engagent ceux-ci. Enfin, on ne peut reprocher à un banquier de cesser son soutien dès lors que celui-ci est immérité compte tenu de la situation de l’entreprise . Le banquier doit cependant faire preuve d’une certaine déontologie dans le retrait de son crédit .

Ainsi, pris entre le marteau du soutien abusif et l’enclume de la rupture abusive, le banquier est dans une situation périlleuse . Il ne doit cesser son soutien ni trop tôt ni trop tard. S’il décide de maintenir ou d’augmenter les crédits, il doit le faire selon un plan de financement cohérent tout en évitant de se comporter en dirigeant de fait.

Cependant, il faut noter qu’un droit n’est rien sans la preuve de l’acte ou du fait dont il dérive. À peine de devoir le considérer comme juridiquement inexistant, il convient d’en rapporter la preuve, à savoir « la démonstration de la vérité d’un fait ou d’un acte juridique dans les formes admises par la loi ». Cela découle de deux articles du Code civil et du Code de procédure civile. L’article 1315 du Code civil dispose que : « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ». L’article 25 du Code de procédure civile de formule un principe identique en posant qu’« il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention». Le principe est clair : le demandeur démontre la naissance de son droit et, s’il y parvient, le défendeur doit alors démontrer qu’il en est libéré. Si le client lésé par le comportement fautif de sa banque y parvient, dans ce cas, il obtiendra réparation en justice du préjudice subi.

Pour l’essentiel donc, la faute du banquier résultera aussi bien de l’octroi abusif que du refus excessif de crédit. Cependant, pour qu’elle puisse entraîner la responsabilité du banquier, elle doit avoir causé un préjudice à l’entreprise ou aux créanciers de cette dernière.

B. UN PREJUDICE NE DU COMPORTEMENT FAUTIF DU BANQUIER

22. Comme précisé plus haut, la faute à elle seule ne peut suffire à faire engager la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit. Il faut, en plus, que le demandeur démontre que le comportement fautif du banquier lui a causé un préjudice. Le préjudice peut-être subi par l’entreprise (1) ou par les tiers (2).

1. Le préjudice subi par l’entreprise

23. Lorsque l’entreprise est en redressement judiciaire ou en liquidation des biens, c’est le syndic qui agit généralement au nom et pour le compte du débiteur lorsqu’un préjudice a été subi par l’entreprise débitrice. Les préjudices les plus souvent évoqués sont la survenance de la cessation des paiements (a) et l’atteinte au crédit de l’entreprise (b).

a. La survenance de la cessation des paiements

24. On se retrouve ici dans l’hypothèse du retrait de crédit à l’entreprise. On suppose que l’entreprise est dans une situation difficile mais non irrémédiablement compromise et qu’elle a besoin plus que jamais que le concours du banquier soit maintenu. Or, c’est précisément à ce moment que le banquier tente de mettre un terme à la relation. La métaphore que l’on utilise souvent à ce propos est d’ailleurs très révélatrice : « le banquier prête un parapluie à son débiteur quand il fait beau, mais lui retire dès qu’il commence à pleuvoir, c’est-à-dire précisément au moment où il en aura véritablement besoin » . Le banquier ne peut donc retirer son concours que s’il est établi que la situation est irrémédiablement compromise, c’est-à-dire que l’entreprise est vouée irrémédiablement à la liquidation des biens ou lorsqu’elle ne peut mettre en œuvre les mesures nécessaires à un retour à des conditions normales d’exploitation, en dehors d’une procédure de redressement judiciaire .
25. En dehors de ces conditions, si le banquier rompt brutalement son concours précipitant ainsi la survenance de la cessation des paiements de l’entreprise, sa responsabilité pourra être engagée. Il faut dire que la position du banquier est ici très délicate . En même temps qu’on lui demande de ne pas soutenir une entreprise dont la situation est définitivement obérée, en même temps, on lui dit de ne pas retirer son concours à l’entreprise lorsque les difficultés n’ont pas encore atteint un certain degré de gravité. Le critère de choix entre situation irrémédiablement compromise et cessation des paiements semble donc difficile à opérer. Des auteurs estiment que pour apprécier ce critère, il faut rechercher « si l’entreprise est ou sera rentable. L’entreprise qui ne peut poursuivre son exploitation qu’au prix de la protection du tribunal ou autrement dit qui ne peut par ses seuls moyens éviter le dépôt de bilan est dans une situation irrémédiablement compromise. Mais seul le tribunal appréciera si, au prix de « remèdes » importants, elle pourra continuer à vivre » . Si donc l’entreprise a besoin de remèdes importants pour que sa situation difficile ne se transforme pas en cessation des paiements, le banquier sera en faute si le retrait du crédit précipite cette situation. Mais, lorsque le refus du crédit est motivé par la situation irrémédiablement compromise de l’entreprise ou sa mauvaise gestion, le banquier n’encourt aucune responsabilité.

26. Tout de même, le banquier est assez réconforté du fait que l’échec financier d’une entreprise provient non pas, le plus souvent, d’une faute unique mais d’une multitude de maladresses, imprudences, actes illicites du commerçant aux abois. La faute du banquier, remarque un auteur , « a tout au plus hâté la réalisation du dommage ». Ainsi, sentant les difficultés venir, le dirigeant social, en gestionnaire avisé aurait pu et dû rechercher les moyens propres à parer à une éventuelle rupture du crédit. En s’abstenant de le faire, il ne devrait s’en prendre qu’à lui-même du préjudice de la survenance du dépôt de bilan. Mais, bien souvent, on aboutira à un partage de responsabilité si, en plus, le comportement du banquier a été fautif.

Par ailleurs, on sait qu’une entreprise qui se retrouve en cessation des paiements peut voir sa crédibilité sérieusement entamée auprès de ses partenaires commerciaux. Cette situation mérite examen.

b. L’atteinte au crédit de l’entreprise

27. Le crédit de l’entreprise peut se définir comme étant la confiance qui s’attache à la société en raison de son capital social, de la nature de ses affaires et de sa bonne marche. Cette confiance peut être fragilisée par les rumeurs de difficultés insurmontables de l’entreprise et surtout par sa déclaration de cessation des paiements. Même, si l’entreprise parvient à se redresser malgré ses difficultés, il peut y avoir une remise en cause de sa crédibilité ou de sa réputation professionnelle. La rétractation du crédit par le banquier ayant entraîné la cessation des paiements peut provoquer la réticence des anciens fournisseurs et clients à traiter avec l’entreprise. Pour engager la responsabilité du banquier, l’entreprise peut soutenir, par exemple, que ses agissements, notamment la suppression brutale du crédit, ont porté un préjudice tel à son crédit qu’elle ne peut trouver ailleurs un crédit de remplacement.

En réalité, un tel argumentaire pourrait prospérer difficilement car il n’y a pas de solution type à une demande de crédit qui dépend du critère de distribution choisi par l’organisme de crédit. En effet, lorsqu’une demande de crédit est effectuée par la même entreprise auprès de plusieurs banques dans les mêmes conditions, les réponses éventuelles qu’elle obtient sont toujours très diverses. Dans bien de cas, les modalités des accords de crédit varient en fonctions de certains éléments comme l’utilisation des fonds, la durée, le taux, les garanties et la personnalité du donneur de crédit, c’est-à-dire la situation ou les objectifs de la banque. On ne saurait donc, objectivement imputer au banquier le sort malheureux réservé à ces autres demandes de crédits auprès d’autres banques. Néanmoins, si malgré tout, le débiteur parvient à rapporter toutes les preuves nécessaires, on aboutirait à la conclusion que l’impossibilité de trouver un autre prêteur a conduit l’entreprise à la cessation des paiements.

Par ailleurs, l’entreprise peut invoquer aussi une atteinte à sa réputation professionnelle. Elle soutiendra alors par exemple, que les soucis causés par le procès devant un tribunal correctionnel lorsque ses effets de commerce ou ses chèques ont été rejetés par la banque ou bien que les répercussions de la rupture inconsidérée de crédit sur sa réputation professionnelle, lui ont causé un préjudice moral et commercial certain en entachant l’honneur de l’entreprise. La preuve de telles allégations peut être apportée par des éléments tels la diminution du chiffre d’affaires, la fuite de la clientèle, la résiliation de contrats ou marchés importants, etc.

Au-delà du préjudice subi par l’entreprise, il y a aussi et surtout le préjudice dont se plaignent les tiers.

2. Le préjudice subi par les tiers

28. On entend par tiers tous ceux qui ont souffert du comportement fautif du banquier vis-à-vis de l’entreprise avec laquelle ils peuvent se prévoir d’un droit de créance. Il s’agit des créanciers (a), d’une part, et de la caution (b), d’autre part.

a. Le préjudice subi par les créanciers

29. Le préjudice subi par les créanciers diffère sensiblement selon que leur droit est né antérieurement ou postérieurement à la faute du banquier.

30. Le préjudice dont les créanciers antérieurs à la faute du banquier dispensateur de crédit se plaignent bien souvent est l’atteinte portée à leur droit de gage général sur le patrimoine de l’entreprise débitrice . On invoque le fait que le crédit fourni par le banquier a permis à l’entreprise de continuer son exploitation, ce qui a augmenté en conséquence son passif. Un auteur relevait déjà : « les créanciers antérieurs peuvent se plaindre de ce que le crédit a permis au débiteur de différer l’ouverture de sa faillite et a rendu possible, soit la diminution ou le dépérissement de tout ou partie de l’actif, soit la continuation d’une exploitation déficitaire qui fait naître de nouvelles dettes ». Le préjudice des créanciers antérieurs est donc égal à la différence entre ce qu’ils perçoivent effectivement au terme de la procédure collective qui a été retardée par l’action du banquier et ce qu’ils auraient perçu si la procédure avait été mise en œuvre avant le soutien abusif du banquier . Autrement dit, leur préjudice est égal à l’augmentation de l’insuffisance d’actif et non pas à l’insuffisance d’actif dans son ensemble comme il avait été jugé en 1992 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation française qui affirmait que « ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 1351 et 1382 du Code civil la cour d’appel qui condamne une banque à payer une somme en principal équivalente à la totalité de l’insuffisance d’actif d’un débiteur au motif que dans un précédent arrêt il n’avait à aucun moment été envisagé une quelconque limitation de responsabilité et que la réparation du préjudice causé à la masse des créanciers doit nécessairement incomber en totalité à la banque sans caractériser le lien de causalité entre la faute et le dommage et alors que cet arrêt avait seulement énoncé que le préjudice devait être apprécié par rapport au montant de l’insuffisance d’actif ».

31. Par ailleurs, lorsqu’une instruction de la banque centrale impose un seuil à ne pas dépasser, le dépassement de ce seuil est une faute susceptible de causer un préjudice aux créanciers. Ce préjudice sera égal à la différence entre le montant global dépassé et celui autorisé par l’organisme instructeur. En tout cas, c’est ce qui a été invoqué par le syndic dans l’espèce dont a connu le Tribunal de première instance de Ouagadougou en 1984 . Le syndic avait fait savoir que la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) avait accordé dans le cadre des dossiers de la Société Africaine de Fabrication Industrielle (SAFI) une autorisation préalable d’un montant global de 267,5 millions de francs à ne pas dépasser par les banques et se répartissant comme suit : BIV : 155 millions francs en court terme ; BICIA : 25 millions de francs en court terme ; BND : 20 millions de francs en court terme et 67,5 millions de francs moyen terme. Les banques n’ont pas respecté ces prescriptions et sont trouvées pénalisées. Il poursuit en écrivant que la BIV, postérieurement à la date de cessation des paiements, permettait à la SAFI d’utiliser des sommes allant jusqu’à 478 millions de francs au 31 août 1978 et 499 millions de francs au 2 janvier 1980 pour un découvert autorisé de 70 millions de francs ; que la BND qui bénéficiait d’un plafond autorisé de 87.500.000 francs se trouvait également en dépassement en produisant pour 137.600.000 francs…

Compte tenu de ses agissements fautifs et même frauduleux des banques, le syndic a soutenu devant le tribunal que « par l’octroi de crédits illégaux et sans aucune mesure avec la capacité financière réelle de la SAFI, les banques ont entretenu une confiance factice auprès des créanciers de cette dernière, causant ainsi un grave préjudice à la masse des créanciers ; que ce préjudice subi par la masse des créanciers s’élève à la somme de 455.861.382 francs représentant la différence entre le montant global de la production des trois banques mises en cause et celui autorisé par la Banque centrale ». Le dommage, qui fixe la limite des prétentions est évalué ici de manière assez semblable à ce qu’il en est par la jurisprudence française : ce n’est pas toute l’insuffisance d’actif ni même toute la production des banques mais seulement une partie d’elle, à savoir celle qui excède le plafond de crédit autorisé par la Banque centrale.

32. Pour les créanciers postérieurs à la faute du banquier, l’apparence trompeuse de solvabilité que le crédit fautif leur a révélé constitue un préjudice qui doit être réparé. Ils soutiennent que sans ce crédit, la procédure collective aurait été ouverte plus tôt et ils n’auraient pas contracté avec le débiteur. Ce préjudice des créanciers postérieurs est donc égal à la différence entre le montant de leur créance et ce qu’ils perçoivent à l’issue de la procédure . Toutefois, compte tenu du fait que le préjudice ici invoqué peut être aussi lié à d’autres facteurs que le seul comportement fautif du banquier, la jurisprudence n’accorde aux créanciers une réparation intégrale que dans la mesure où ils n’ont pas commis eux-mêmes une faute. Bien volontiers, la jurisprudence affirme que « les créanciers ont eu eux-mêmes tort de faire une confiance aveugle à la prospérité de la société… alors que leur structure, leur organisation, leur spécialisation et leur expérience en affaires qui ne pouvait leur laisser ignorer l’existence des aléas de la vie économique, ils auraient pu, et même dû, veiller eux-mêmes de temps à autres à leurs propres intérêts en se renseignant sur la réalité de cette apparente prospérité… » . Cette situation permet au banquier dispensateur de crédit de bénéficier d’une exonération partielle de responsabilité.

Mais qu’en est-il du préjudice subi par la caution ?

b. Le préjudice subi par la caution

33. La caution est la personne qui s’engage à payer la dette du débiteur principal en cas de défaillance de celui-ci. En principe, avec l’ouverture de la procédure collective, il y a suspension des poursuites individuelles mais cette suspension ne concerne que le débiteur et ne fait pas obstacle à ce que le créancier poursuive la caution en paiement de la dette. Or, de plus en plus, il est fréquent que la caution poursuivie tente de se soustraire à son engagement de garantie en invoquant une faute du banquier envers le débiteur ou directement envers elle-même.

Pour se décharger en raison d’une faute du banquier envers le débiteur, la caution peut soulever toutes les exceptions inhérentes à la dette principale en application de l’article 29 de l’Acte uniforme portant organisation des sûretés et, en particulier, la responsabilité du banquier dans la rupture de ses concours financiers. Il peut s’agir notamment de la rupture brutale de crédit rendant impossible la recherche en temps utile d’un nouveau partenaire ou du maintien abusif du crédit malgré la situation immédiatement obérée . La caution peut se fonder également sur un manquement par la banque créancière à son obligation de prudence et de conseil . En outre, la caution peut obtenir décharge de son obligation de garantie par compensation avec sa créance de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de renseignement de l’établissement de crédit qui a omis d’informer la caution de l’arrêt, par le débiteur principal, du paiement des cotisations d’une assurance de groupe couvrant les risques invalidités-décès, le mettant dans l’impossibilité de se substituer dans le paiement des cotisations et donc de maintenir le contrat .

Toutefois pour les cautions, dirigeants de la société cautionnée, on ne saurait invoquer le caractère abusif du soutien de la société par la banque créancière, ce qui serait se prévaloir de sa propre turpitude en application de la règle « nemo auditur » . En effet, la caution dirigeant de la société débitrice est présumée être informée de la situation financière de la société et des perspectives d’évolution, de même qu’elle a conscience des effets du crédit accordé par la banque sur la trésorerie de la société, ainsi que des capacités de remboursement de cette dernière . Dans le même sens, il a été jugé que « doit être rejetée la demande de la caution dès lors qu’en sa qualité de dirigeant de l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée garantie, elle était une caution initiée, parfaitement informée de la situation financière de l’entreprise, et que le créancier n’avait aucun devoir de mise en garde à l’égard de la caution » .

34. Par ailleurs, l’octroi imprudent d’un financement permet à la caution de rechercher la responsabilité de la banque créancière. A titre illustratif, une banque avait octroyé à un emprunteur déjà lourdement endetté un prêt de 1.250.000 F dont le remboursement représentait près de la moitié du chiffre d’affaires d’un commerce déjà déficitaire ; ce prêt était cautionné par une personne âgée de 18 ans à laquelle il était réclamé finalement 2.364.895 F ; la cour fixe à 1.500.000 F le montant des dommages-intérêts à verser à cette personne à titre de réparation du préjudice subi par elle dans ses rapports avec la banque . Dans une autre espèce, une banque a été sanctionnée en raison d’un crédit octroyé à une société dont le déficit s’accroissait régulièrement. En effet, se déterminant non au vu des résultats d’exploitation mais uniquement en considération des garanties offertes par la caution, cette banque causait à cette dernière un préjudice en lui faisant perdre une chance de ne pas être inquiétée . Dans un sens proche, la banque créancière qui maintient dans un premier temps les concours accordés au débiteur pour ne cesser son soutien qu’après avoir obtenu un cautionnement manque à son obligation de contracter de bonne foi à l’égard de la caution . Est également constitutif d’une faute le fait pour la banque d’engager la caution pour la totalité des sommes prêtées, sans avoir vérifié son patrimoine en vérité inexistant, le préjudice étant évalué ici à la moitié des sommes dues . De plus, est fautif le fait de ne pas présenter à la caution tous les risques qu’elle prend en signant un cautionnement d’un million de francs alors qu’elle n’est ni dirigeante ni salariée ni associée de la société débitrice dont le créancier connaissait les difficultés financières.

35. La caution semble donc, au regard de la jurisprudence dans une situation confortable lorsque le comportement fautif du banquier poursuivant lui cause un préjudice, mais encore faut-il qu’elle rapporte, à l’instar du créancier qui se plaint dudit comportement, la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice subi.

c. Un lien de causalité entre la faute du banquier et le préjudice subi

36. Les principes généraux de la responsabilité civile imposent que soit mis en évidence un lien de causalité entre le préjudice résultant de l’octroi ou du refus de crédit et la faute du banquier (1). Le lien de causalité soulève de grandes difficultés. A bien y observer, il est à peu près impossible de déterminer, dans l’ensemble des événements qui ont précédé un dommage, qui l’ont préparé et qui y ont concouru, celui d’entre eux qui a vraiment joué le rôle de cause. En général, tous se combinent si bien entre eux que sans l’un d’eux, apparemment secondaire, la chaîne aurait été rompue et le dommage ne se serait pas produit, d’où la notion de pluralité de liens de causalité (2) qui va décharger totalement ou partiellement la banque de sa responsabilité.

3. La mise en évidence du lien de causalité

37. Dans le domaine de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit, la jurisprudence applique les principes du droit commun de la responsabilité civile. En effet, elle exige constamment que le lien de causalité soit caractérisé (a). Mais en pratique, il est assez difficile d’en faire la preuve (b).

a. L’existence du lien de causalité

38. Il est fondamental que la personne qui se plaint d’un préjudice du fait du banquier dispensateur de crédit d’établir l’existence d’une relation certaine, immédiate et directe de cause à effet entre la faute et le dommage . Pour faire la preuve d’un tel lien, la jurisprudence admet que l’on s’inspire du principe posé en matière de responsabilité contractuelle par l’article 1151 du Code civil selon lequel « dans le cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur, les dommages et intérêts ne doivent comprendre à l’égard de la perte éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». S’il est vrai que cet article n’a pas vocation à s’appliquer à une action délictuelle, on retient tout de même que tout préjudice immédiat et direct doit être réparé et, en conséquence, la règle vaut pour la responsabilité délictuelle. C’est notamment ce que la cour d’appel de Paris rappelle in fine lorsqu’elle déclare : « si elle est recevable… l’action en responsabilité que peuvent engager les syndics au nom de la masse des créanciers contre les banquiers de la société demeure strictement soumise aux règles des articles 1382 et 1383 du Code civil ; qu’à supposer leur faute établie, ces derniers (les banquiers) ne peuvent donc être tenus qu’à la réparation du préjudice en rapport de causalité avec celle-ci, et notamment dans la seule mesure où ils ont contribué, par leurs agissements coupables, à la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif… » .

39. Dans l’hypothèse du maintien ou de l’octroi d’un concours, le lien de causalité résidera dans la constatation que ledit concours a engendré un accroissement de l’insuffisance d’actif et contribué ainsi à la création d’une illusion de solvabilité . Cette illusion, en ce qu’elle retarde le prononcé de la procédure collective, induit un accroissement des pertes , accroissement dont les créanciers sont fondés à réclamer réparation . Bien évidemment, l’influence exercée par le maintien du crédit sur le dépôt de bilan doit être appréciée in concreto. Devront être écartées les demandes n’établissant pas clairement un rapport entre le dommage subi et le fait fautif. En effet, dans l’exemple du tribunal de première instance de Ouagadougou du 13 juin 1984, il a été décidé qu’il n’y a aucun rapport entre le dommage subi par la masse des créanciers et les faits fautifs des banques dans la mesure où les éléments évoqués relèvent des rapports personnels entre la Banque centrale et les défenderesses et « ne peuvent constituer une faute… pouvant engager leur responsabilité dans la faillite SAFI ». Le tribunal ajoute que « le dépassement du plafond autorisé aurait pu être sanctionné même si la partie bénéficiaire des crédits n’avait pas été dans une situation financière difficile ou en état de cessation des paiements ». Cette argumentation est étonnante à plus d’un titre.

On admet avec cet auteur qu’elle conduit à cette situation paradoxale suivante : si la banque a accordé ou maintenu des crédits en contravention avec la réglementation bancaire, elle ne peut être inquiétée au plan de la responsabilité civile parce que cela relève de ses rapports personnels avec la Banque centrale ; si, en revanche, la réglementation bancaire est respectée, sa responsabilité pourrait être recherchée. L’argumentation du tribunal prête finalement à confusion et aboutit à l’irresponsabilité de fait des banques fautives sur la base du prétendu non-établissement du lien de causalité. Il va sans dire que si l’on peut retenir la responsabilité du banquier qui consent du crédit, même suivant des procédures parfaitement licites , il est encore plus indiqué de l’admettre lorsque la faute civile se double d’une infraction pénale, comme c’est le cas en l’espèce.

40. On remarquera cependant que la Cour de cassation française , dans une espèce où l’un des créanciers demandeurs avait lui aussi soutenu l’activité du débiteur au-delà du raisonnable, a néanmoins condamné la banque à indemniser ce dernier. La motivation de cette décision est la suivante : « … la banque, responsable du préjudice collectif subi par les créanciers, était tenu de le réparer en totalité, sauf son recours contre le créancier à qui elle imputait une part de responsabilité ». Au nom de l’intérêt collectif des créanciers, la Cour évalue le préjudice globalement, faisant ainsi peser sur la banque le risque de voir un coauteur insolvable profiter de son « parapluie financier ». Si elle se confirmait, une telle attitude empêcherait, au travers de la recherche du lien de causalité, tout partage de responsabilité lorsque le créancier demandeur à l’action a lui-même été imprudent.

Diverses décisions rejettent tout comportement fautif lorsque l’analyse de la situation du débiteur aurait nécessité le recours à un analyste financier , lorsque la dégradation de la situation a été subite , ou bien encore lorsque la banque s’est engagée avec le soutien de l’Etat . Lorsque, au contraire, on reprochera à un établissement bancaire d’avoir trop tôt suspendu ses concours, le lien de causalité reposera sur la constatation du fait que « sans la rupture brutale du crédit bancaire, la cessation des paiements, qui avait dû être déclarée immédiatement, eût pu être évitée » . Dans tous les cas, il appartient au demandeur d’apporter la preuve de l’existence du lien de causalité, ce qui n’est pas aisé à faire.

b. La difficulté d’établissement du lien de causalité

41. Comment évaluer le rapport de causalité dans le domaine du droit des entreprises en difficulté quant on sait que de multiples causes sont parfois à l’origine du préjudice prétendu? Les approches ont semble-t-il évoluer dans le temps. En effet, dans certaines hypothèses, les juges admettaient une présomption du lien de causalité, de sorte que le cumul de l’accroissement du passif et d’une faute de la banque suffisait à prouver le lien de causalité . Mais cette situation n’était qu’exceptionnellement admise car la preuve d’un lien de causalité direct est indispensable. On dit que « la légèreté blâmable par laquelle le banquier a accordé le crédit ne peut, à elle seule justifier la condamnation de la banque » . En réalité, la relation causale semble dépendre des circonstances de l’espèce. Certains auteurs ont estimé que le lien de causalité, s’il n’est pas présumé, peut en revanche être « aisément établi » lorsque le préjudice résulte d’une faute exclusive du banquier. Il sera en revanche moins évident lorsque le demandeur a également commis une faute dans la mesure où il n’est pas certain que la faute du banquier soit ici à l’origine du préjudice subi. Le juge procède à l’évaluation du lien de causalité en fonction de nombreux paramètres tels que l’ampleur de la faute du banquier ou les circonstances dans lesquelles le préjudice est survenu, ou d’éléments de droit, comme par exemple la qualité du demandeur .

Mais la Cour de cassation française a fini par poser qu’il faut un rapport nécessité entre le fait générateur, c’est-à-dire, la faute et le préjudice nuançant ainsi le critère de la présomption de lien de causalité. Aussi, le fait reproché au banquier doit avoir été nécessaire à la réalisation du dommage, il doit en être la condition sine qua non. Dès lors, si, sans le fait reproché au défendeur, le dommage aurait pu se produire, l’action en responsabilité doit être rejetée par les juges.

Tout de même, les juges requièrent parfois bien plus que la nécessité, à savoir l’adéquation, de sorte que lorsque les causes du dommage sont multiples, seule la cause adéquate peut être retenue. Cela signifie que certains faits générateurs peuvent être écartés comme ne constituant pas la cause adéquate du dommage. La faute causale est alors empreinte d’une certaine relativité. Selon certains auteurs , il semble, dans certains cas, que, lorsque « le fait du défendeur ne semble pas en adéquation suffisante avec le dommage au sens où il ne peut fournir aucune explication rationnelle de l’enchaînement causal qui y a conduit », la causalité n’est pas établie. Les juges appliquent le principe de l’adéquation en retenant que : « la responsabilité civile s’encourt dès que le dommage allégué se trouve lié à la faute établie par un rapport de causalité adéquate ; un tel rapport existe lorsque la faute a constitué le facteur qui, parmi ceux en cause, a joué un rôle véritablement perturbateur, ne laissant aux autres, même lorsqu’ils ont faiblement concouru au dommage, qu’un caractère secondaire » . Ce principe d’adéquation, applicable en matière de responsabilité médicale, est également appliqué dans le cadre de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit. Ainsi, la Cour de cassation française a-t-elle pu écarter le lien de causalité lorsque compte tenu de sa faible importance, le crédit n’a pu contribuer à tromper les tiers , lorsque le dépôt de bilan de l’entreprise était inéluctable lors de la constatation de la faute de la banque, ou encore lorsque le préjudice résultant de la situation est antérieur à la faute de celle-ci . Les circonstances ayant concouru au dommage sont également un élément majeur de l’appréciation du lien de causalité par le juge. Ainsi, un créancier-fournisseur a pu voir sa responsabilité engagée à l’égard des autres créanciers pour soutien abusif. En effet, étant le fournisseur exclusif et connaissant par conséquent le caractère obéré de la situation financière de son client, il a conclu avec ce dernier une transaction dont l’objet était de mettre fin à une action en paiement par laquelle le client s’engageait à continuer à se fournir exclusivement auprès de ce fournisseur ainsi qu’à le payer intégralement. Par ce comportement, le fournisseur a favorisé le maintien de la situation pendant de nombreuses années, créant ainsi une apparence factice de bonne santé économique de l’entreprise . Le lien de causalité était donc patent en l’espèce puisque sans ces agissements fautifs du fournisseur, la procédure collective allait s’ouvrir plus tôt. Mais, il reste vrai qu’avec le critère de la causalité adéquate qui est de plus en plus admise par les tribunaux, les chances du demandeur d’obtenir des dommages-intérêts restent faibles.

4. La pluralité de liens de causalité

42. Il est un peu délicat d’apprécier la part de responsabilité à imputer au banquier lorsque plusieurs causes sont à l’origine du dommage subi par le demandeur. En effet, une multitude d’évènements peuvent avoir concouru à la réalisation du dommage avec des liens plus ou moins étroit. Parmi ces causes souvent évoquées, l’on retient celles liées à l’évolution de l’environnement et à la conjoncture internationale (a) et celles relatives à mauvaise gestion de l’entreprise (b).

a. L’évolution de l’environnement et de la conjoncture internationale

43. La conjoncture est une occasion, une situation résultant d’un concours de circonstances. Le terme est souvent utilisé pour désigner l’ensemble des éléments dont découle une situation économique, politique ou sociale. Elle a une connotation économique, désignant l’ensemble des conditions qui caractérisent l’état d’un marché. On l’évoque souvent comme cause probable des difficultés des entreprises. A ce propos, on peut relever, entre autres l’accroissement brusque du coût des inputs que sont les matières premières, les consommables, l’énergie (pétrole et gaz surtout)…, ce qui peut réduire la marge bénéficiaire, voire provoquer des pertes. A titre d’exemple, une société de droit togolais, en l’occurrence la Société Togolaise de Commercialisation des Produits Agricoles a relevé dans une requête en date du 15 septembre 2005, qu’elle a accumulé de lourdes pertes à cause de la concurrence accrue que subissent les produits tropicaux africains sur les marchés internationaux, ce qui a conduit à sa cessation des paiements . La modification de la réglementation dans un sens défavorable est aussi citée en exemple comme cause de défaillance des entreprises. En ce sens, l’on peut donner l’exemple de la COMANI SA du Niger dont la déconfiture a été imputée pour partie à la « dénonciation par les armateurs capitalistes du code de conduite initié dans les années 1990 par le CNUCED », ce qui a conduit le tribunal à ne pas condamner les dirigeants sociaux à combler l’intégralité du passif social, mais seulement une partie .

Ces causes peuvent créer des difficultés de tous ordres aux entreprises qui, pour envisager une sortie de crise , vont souvent faire appel au crédit bancaire. Le banquier ainsi sollicité ne doit pas se cacher derrière un climat de marasme économique pour refuser son appui aux entreprises en détresse, au contraire, il doit apporter son concours aux entreprises qui sont en mesure d’être redressées tout en évitant de s’engager dans les causes perdues. Mais, si malgré toute la diligence et la bonne volonté du banquier, l’entreprise périclite à cause des difficultés liées à la conjoncture économique, la banque sera libérée de toute responsabilité. En revanche, il y aura partage de responsabilité si, en plus des causes liées à la conjoncture économique, la preuve de la faute du banquier a été établie.

Dans certaines autres hypothèses, les difficultés du client relèvent plutôt de la manière dont il exploite et gère son entreprise.

b. La mauvaise gestion de l’entreprise

44. La mauvaise gestion de l’entreprise figure en bonne place parmi les causes pouvant provoquer des difficultés à l’entreprise. Les causes des difficultés liées à la mauvaise gestion de l’entreprise sont particulièrement nombreuses dans nos pays où la gestion des entreprises est peu élaborée. On peut notamment noter que dans beaucoup d’entreprises africaines la comptabilité est mal tenue ou n’est pas suffisamment élaborée, au regard de la taille de l’entreprise, si bien qu’elle ne permet pas de connaître les échéances ni a fortiori les prix et coûts de revient. Ainsi, l’entreprise n’est pas en mesure d’honorer ponctuellement ses engagements ou bien elle vend à perte sans le savoir, si bien que plus son chiffre d’affaires s’accroît plus son passif augmente. On note aussi, une certaine confusion de patrimoines (entre d’un côté le patrimoine personnel ou familial et de l’autre le patrimoine de l’entreprise ou de la société) aussi bien dans les entreprises individuelles que dans les entreprises revêtant la forme de société. Cela rend difficile l’appréciation de la gestion de l’entreprise et entraîne que certains événements, notamment familiaux, touchant l’entrepreneur ou le dirigeant de société, peuvent mettre l’entreprise en difficulté : les mariages, spécialement polygamiques, l’accroissement des charges de famille dû aux nombreuses naissances, les funérailles, les pèlerinages chrétiens ou musulmans…

De même, on note bien souvent que fonds propres sont insuffisants. Les fonds propres comprennent le capital et les réserves, c’est-à-dire tous les fonds qui appartiennent à l’entreprise ou à la société. Lorsque les fonds propres sont insuffisants, l’entreprise risque d’être trop endettée et de perdre son autonomie. L’endettement n’est rentable que dans la mesure où le taux de rentabilité des investissements est supérieur au taux d’intérêt débiteur. L’on note à cet égard que « l’insuffisance des fonds propres et corrélativement le recours excessif à l’endettement sont à l’origine de presque toutes les défaillances d’entreprises » .

La présence de l’une de ces causes entraine une rupture du lien de causalité débouchant ainsi sur un partage de responsabilité car il est rare que l’intervention d’une autre cause présente les caractères de la force majeure libérant le banquier fautif de toute responsabilité.

45. Par ailleurs, il peut arriver que ce soit un autre créancier qui a concouru à la faute invoquée par le demandeur. Il en est ainsi lorsque, par son soutien, il a contribué à présenter l’entreprise sous un jour faussement favorable. Pour autant, la Cour de cassation française considérait que « le banquier responsable d’un préjudice collectif subi par les créanciers de la société débitrice du fait de son soutien abusif, est tenu de le réparer en totalité, sauf son recours contre le créancier à qui il imputait une part de responsabilité dans la survenance de ce préjudice » . La banque était donc responsable in solidum avec le tiers responsable, ce qui ne lui laissait qu’un recours pour la répartition de la charge des réparations en fonction de la gravité des fautes respectives. Dans son dernier état, la jurisprudence française semble avoir évolué sur la question et admet désormais un partage de responsabilité entre la banque et le tiers fautif. Ainsi a-t-il été décidé un partage de responsabilité entre une banque ayant versé des fonds directement à un promoteur et non au notaire, et ce dernier n’ayant pas vérifié la réception des fonds sur le compte de l’étude . Dans tous les cas, il est généralement soutenu que la relation causale est plus difficile à établir en cas d’octroi de crédit à un commerçant « indigne » si bien que, c’est sur ce terrain que le banquier trouvera les meilleurs moyens de défense.

II. L’ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE CAUSE PAR LE BANQUIER DISPENSATEUR DE CREDIT A L’ENTREPRISE EN DIFFICULTE

46. Les éléments de la responsabilité civile qui viennent d’être exposés sont les conditions cumulatives qui doivent servir de tremplin à l’action en responsabilité proprement dite contre le banquier dispensateur de crédit. Dans le cadre des entreprises en difficulté, cette action est exercée en justice par le syndic au nom et pour le compte de la masse des créanciers (A) et produira un certain nombre de conséquences (C). Mais, avant tout, le banquier va chercher à résister à la prétention du syndic (B).

A. L’EXERCICE DE L’ACTION EN JUSTICE

47. Aux termes de l’article 118 alinéa 1 de l’AUPC, il revient au syndic de mettre en mouvement l’action contre le banquier dispensateur de crédit dans l’intérêt collectif des créanciers. Cette action en justice obéit à un certain nombre de règles, notamment de saisine (1) et de preuve (2).

1. La saisine du tribunal

48. Aucune disposition de l’AUPC ne précise les conditions de saisine du tribunal. En conséquence, il est indispensable de faire référence au droit commun de la responsabilité civile. Mais, puisque dans le cadre de relations avec les entreprises en difficulté, le droit des procédures collectives prend le pas et impose ses règles, on doit dès lors noter que les modalités d’exercice de l’action en responsabilité sont étroitement liées à l’ouverture de la procédure de traitement des difficultés du débiteur. Ces particularismes sont notamment visibles lors de la saisine du tribunal compétent (a). En revanche, le demandeur ne dispose d’aucune précision quant aux délais auxquels se conformer pour cette saisine (b).

a. Le tribunal compétent

49. La responsabilité bancaire à raison de concours, bien que fondée sur le droit commun de la responsabilité civile, s’intègre à la législation du droit des entreprises en difficulté. En effet, lors de l’exercice de l’action, le débiteur se trouve soumis à une procédure de traitement des difficultés qui se déroule devant le tribunal compétent pour connaître de celles-ci. Or cette compétence est dévolue à la juridiction compétente en matière commerciale . C’est la compétence d’attribution qui est attribuée sans tenir compte de la nature commerciale ou non de la personne concernée. Dans la plupart des Etats membres de l’OHADA en général, c’est la juridiction qui connaît des affaires civiles et commerciales qui est la juridiction compétente. Il s’agit, suivant les Etats, du Tribunal de première instance ou du Tribunal de grande instance ou du Tribunal régional. Toutefois, quelques Etats ont créé des tribunaux de commerce. C’est le cas du Burkina Faso avec la loi n°022-2009/AN du 12 mai 2009. L’article 2, alinéa 4, de cette loi attribue expressément la compétence en matière de procédures collectives au tribunal de commerce. Par ailleurs, aux termes de l’article 4 alinéa, 1er de l’AUPC, « la juridiction territorialement compétente pour connaître des procédures collectives est celle dans le ressort de laquelle le débiteur a son principal établissement ou, s’il s’agit d’une personne morale, son siège ou, à défaut de siège sur le territoire national, son principal établissement. Si le siège social est à l’étranger, la procédure se déroule devant la juridiction dans le ressort de laquelle se trouve le principal centre d’exploitation situé sur le territoire national » .

Pour ce qui est de la détermination du tribunal compétent pour connaître de l’action en responsabilité contre le créancier dispensateur de crédit, l’alinéa 2 de l’article 3 de l’Acte uniforme précité attribue cette compétence au tribunal de la procédure . C’est l’extension jurisprudentielle de compétence de la juridiction compétente qui a ainsi été légalisée pour permettre à la juridiction qui ouvre la procédure de connaître de toutes les contestations qui y touchent, sauf les affaires relevant, en vertu d’une disposition d’ordre public, d’une autre juridiction. Entre dans cette extension de compétence, entre autres , l’action en responsabilité exercée contre des tiers suspectés d’avoir accru le passif ou diminué l’actif, en l’occurrence contre le banquier dispensateur de crédit.

b. Le délai de saisine

50. Le syndic doit exercer l’action en responsabilité avant qu’elle ne soit prescrite. Or, l’action en responsabilité pour rupture ou octroi abusif de crédit étant une action en responsabilité civile, celle-ci suit les règles du droit commun. C’est dire que le délai de prescription, en vertu de l’article 16 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général est de cinq ans et l’article 17 du même Acte uniforme, reprenant en des termes presque identique la formulation de préciser que « … le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire du droit d’agir a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action ». Cet article reproduit presque identiquement la formulation de la loi française du 17 juin 2008 qui a modifié les règles de la prescription en matière civile afin de les simplifier. Cette prescription des actions permet d’éviter les revendications tardives, elle est garante de l’ordre social. Le législateur estime, en effet, qu’au-delà d’un certain temps pendant lequel le titulaire du droit s’est abstenu d’agir, ce droit ou cette action s’éteignent .

Mais dans l’application de cette règle, les juridictions, notamment françaises , semblent faire courir le délai de prescription à partir de la manifestation du dommage. En effet, selon un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 26 novembre 2004 , « le point de départ de la prescription court à compter du jour de la connaissance par les créanciers du principe du dommage et de l’imputabilité de ce dommage aux concours financiers consentis par les banques, c’est-à-dire lorsqu’ils ont eu connaissance de la situation irrémédiablement compromise de leur débiteur, provoquée par les établissements bancaires qui ont contribué, par leur agissements fautifs, à la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif ». La prescription court, dès lors, à compter de la manifestation du dommage, et non de la connaissance de la commission des faits. Plus récemment encore, la Cour de cassation française a consacré cette solution dans un arrêt du 10 juin 2008 . Elle retient dans un attendu de principe que « la prescription d’une action en responsabilité extra-contractuelle court à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation ». Concernant une action en soutien abusif exercée par une caution, la Cour de cassation a également rappelé que « la cour d’appel, saisie d’une action en responsabilité engagée à titre principal par des cautions contre une banque pour soutien abusif de crédit, a exactement décidé que le point de départ du délai de prescription de l’article 189 bis de l’ancien Code de commerce, devenu l’article L.110-4 du Code de commerce, doit être fixé au jour où les cautions ont su que les obligations résultant de leurs engagements étaient mises à exécution du fait de la défaillance du débiteur principal, en l’espèce le 10 avril 1986, date à laquelle l’assignation en paiement leur a été délivrée, en sorte que la prescription n’était pas acquise lorsque les cautions ont engagé leur action en responsabilité » .

Par ailleurs, certains évènements peuvent modifier le cours du délai. En effet, la prescription peut être suspendue, ce qui a pour effet d’arrêter « temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru » , ou encore interrompue, l’interruption ayant pour effet d’effacer le délai de prescription acquis, un délai d’une même durée que l’ancien courant de nouveau . Diverses causes de suspension ou d’interruption du délai sont prévues par la loi respectivement aux articles 21, 23 et 24 de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général. L’article 21 précise notamment que la prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation ou, à défaut d’accort écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation ou de conciliation. Cette hypothèse est nouvelle en droit OHADA et permet de promouvoir les modes alternatifs de règlement des conflits. Les articles 23 et 24 évoquent les cas d’interruption de la prescription et prévoient respectivement la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait et un acte d’exécution forcée. Ces mesures permettent au banquier de ne pas rester exposé à des recours sans limitation de durée, ce qui confirme la tendance actuelle du législateur à privilégier la sécurité juridique .

Une fois son action rendue possible, le syndic va devoir rapporter la preuve du préjudice subi par la masse des créanciers.

2. L’administration de la preuve

51. Cette partie n’appelle pas de longs développements. On se contentera simplement d’indiquer à qui incombe la charge de la preuve (b). Mais auparavant, il conviendra d’indiquer les moyens de preuve (a).

a. Les moyens de preuve

52. Contrairement au droit civil où la preuve est réglementée, le droit commercial préconise le principe de la liberté de preuve des actes juridiques. Ainsi, l’article 5, alinéa 1er, de l’Acte uniforme relatif au droit commercial général dispose-t-il que « les actes de commerce se prouvent par tous les moyens même par voie électronique à l’égard des commerçants ». Il découle de ce principe que la preuve d’une obligation commerciale peut être faite par tous moyens tels les factures, les livres et documents comptables, le témoignage et les présomptions quel que soit le montant de la valeur en cause. En outre, même lorsque les parties ont dressé un écrit, la preuve peut être faite contre les mentions de cet écrit. Ce principe a également pour conséquence d’évincer les formalités prescrites aux articles 1325 et 1326 du Code civil (formalité du double et mention manuscrite de la somme par le souscripteur). Par ailleurs, les livres de commerce régulièrement tenus ainsi que les états financiers de synthèse sont également admis comme moyens de preuve.

Ainsi, en matière de responsabilité du banquier pour octroi ou refus de crédit, la preuve est libre. Les parties peuvent donc utiliser tous les moyens de preuves prévus par la loi comme l’écrit, le témoignage, les présomptions, l’aveu, le serment , etc.

b. La charge de la preuve

53. Le banquier, dans ses rapports avec sa clientèle, a une obligation de moyens et cela le place dans une position plus confortable que s’il avait une obligation de résultat. En effet, avec l’obligation de moyens, la charge de la preuve pèse sur le client. C’est donc à ce dernier, par l’intermédiaire du syndic de faire la preuve de la faute du banquier et du préjudice qui en résulté. Mais dans certains cas, il peut en être autrement, notamment avec la connaissance du devoir de mise en garde du banquier dispensateur de crédit à l’égard de son client, c’est-à-dire l’établissement de crédit supporte la charge de la preuve de l’exécution de son devoir de mise en garde .

Cette solution a été consacrée par deux arrêts de chambre mixte de la Cour de cassation française du 29 juin 2007. La première espèce concerne un agriculteur ayant souscrit au fil des ans une quinzaine de prêts. Pour s’affranchir du paiement des sommes dues à la banque, celui-ci soutenait que la banque avait manqué à son devoir de conseil et d’information. La cour d’appel n’a pas été sensible à ces arguments et a condamné l’agriculteur à payer au motif que la banque « n’avait pas d’obligation de conseil à l’égard de l’emprunteur professionnel ». La seconde espèce concerne une institutrice co-emprunteuse de sommes aux côtés de son mari en vue de l’ouverture du restaurant de celui-ci. L’institutrice se prévalait d’un manquement de la banque à son obligation d’information et la cour d’appel a rejeté cette demande en prenant en compte l’expérience professionnelle du mari.

Dans les deux cas, la Cour de cassation a censuré les cours d’appel au motif qu’elles auraient dû rechercher si les emprunteurs étaient avertis ou non, et, dans l’affirmative, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue lors de la conclusion du contrat, si la banque justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts. Toutefois, la banque n’assume qu’une obligation de moyens en ce qui concerne la récolte des informations auprès du contractant potentiel. Si le dispensateur de crédit doit vérifier, dans une certaine mesure, les données que le client lui communique, il doit faire confiance en la justesse des données, informations et pièces qui lui remises par celui-ci. Il n’est pas tenu de faire des investigations supplémentaires qui porteraient atteinte à la vie privée de l’emprunteur. Seul le crédité est responsable des réticences dolosives concernant les informations remises au moment de la conclusion du contrat .

L’action en responsabilité civile, si elle prospère, va entraîner des conséquences qui sont pour le moins redoutables pour le banquier dispensateur de crédit. C’est pourquoi, il tentera toujours de résister à la prétention du demandeur en développant des moyens de défense qui ont évolué dans le temps.
B. LES MOYENS DE DEFENSE DU BANQUIER DISPENSATEUR DE CREDIT

54. En face des diverses mises en causes, le banquier est tenté de développer un certain nombre d’arguments en défense. Si aujourd’hui de nouveaux moyens de défense sont invoqués (2), il y a eu, par le passé, des moyens de défense qui ont prospéré avant d’être abandonnés (1).

1. Les moyens de défense abandonnés

55. Avant le célèbre arrêt de la Cour de cassation française du 7 janvier 1976, les banquiers avaient toujours réussi à faire déclarer l’action du syndic irrecevable pour des raisons diverses (a). Mais les critiques de la doctrine ont eu raison de cette vision des choses, finalement consacrée par la jurisprudence à travers la formule de l’arrêt ci-cité : « Le syndic trouve dans les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi, qualité pour exercer une action en paiement de dommages et intérêts contre toute personne, fût-elle créancière dans la masse, coupable d’avoir contribué par des agissements fautifs, à la diminution de l’actif ou à l’aggravation du passif ». Il ne serait, peut-être pas inintéressant de présenter les raisons de ce revirement jurisprudentiel (b).

a. L’exposé des moyens de défense abandonnés

56. Le banquier a bénéficié, pendant une longue période, d’une certaine immunité lorsque sa responsabilité était recherchée par le syndic représentant la masse des créanciers. A ce titre, un auteur a estimé qu’il existait une astuce de procédure que les banques exploitaient afin d’échapper à une condamnation éventuelle. En effet, le fait de se retrouver dans la masse en tant que créancier permettait au banquier d’échapper aux condamnations de la justice, car pour les juges le syndic est censé représenter les intérêts de tous les créanciers parmi lesquels figure le banquier, par conséquent, le syndic n’était pas fondé à intenter une telle action. Le banquier se dit en droit d’attendre du syndic qu’il défende ses intérêts en lui obtenant un bon dividende et non qu’il intente une action tendant à le condamner à payer des dommages-intérêts au profit de la masse des créanciers.

D’autres arguments étaient avancés par le banquier.

Il y a eu d’abord l’absence d’un intérêt propre de la masse des créanciers, en ce sens que la masse est seulement chargée de la défense des intérêts de chacun des créanciers qui la composent. Elle n’a pas de personnalité juridique donc et ne saurait se retourner contre l’un quelconque des créanciers. A ce propos, un auteur a pu écrire que : « la masse n’est que le total d’une addition, une addition ne saurait avoir de personnalité ». De même, un autre auteur avait souligné que la personnalité juridique n’existe que par et pour l’intérêt commun. Qu’ainsi, on peut, à la rigueur, admettre la personnalité juridique de la masse en tant qu’elle groupe les créanciers en face du débiteur commun, mais comment concevoir, sans texte, la personnalité quand les intérêts des créanciers ne sont pas concurrents mais contradictoires ? Pour l’auteur, la personnalité juridique de la masse est un mythe que, ni les textes, ni la volonté des parties ne justifient .

Egalement, le fait que les créanciers formant la masse ne subissent pas le préjudice invoqué de la même façon et les mêmes proportions. En effet, selon des auteurs comme Gavalda et Stoufflet , tous les créanciers « n’ont pas nécessairement souffert d’une manière égale du comportement reproché au banquier. Celui dont le droit est né avant l’ouverture du crédit critiqué ne peut se plaindre que de la perte d’une partie de son gage. Celui dont le droit est né postérieurement peut au contraire soutenir que si le crédit n’avait pas été accordé, l’activité à l’occasion de laquelle il s’est engagé n’aurait pu être exercée ou aurait dû cesser à temps pour qu’il ne traite pas avec le crédité » . Il en résulte l’inadéquation de l’action collective et l’adéquation des actions individuelles à la réparation du préjudice subi .

Enfin l’inapplicabilité du principe de suspension des poursuites individuelles. En effet, le jugement d’ouverture entraîne suspension de toutes les poursuites individuelles des créanciers qu’elles soient engagées antérieurement ou non, que le créancier soit ou non muni de titre, qu’il s’agisse d’une voie d’exécution ou non. Mais cette suspension ne vaut qu’à l’égard du débiteur. Elle ne profite pas aux tiers. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de poursuites contre des tiers dont la banque, faisant ou non partie de la masse, leur exercice est possible. C’est sur cette base que la Cour de cassation française a décidé qu’il n’appartenait pas au syndic d’introduire une action contre le Crédit Lyonnais car chaque créancier ayant subi un préjudice peut exercer l’action en réparation du préjudice contre la banque .
Tel était, en tout cas la position de la jurisprudence française jusqu’à l’arrêt de principe du 7 janvier 1976. Cette position a dû être abandonnée pour plusieurs raisons.

b. Les raisons de l’abandon

57. Plusieurs raisons ont motivé l’abandon des arguments invoqués par le banquier dispensateur de crédit pour faire échec à l’action du syndic dans le cadre de la mise cause de sa responsabilité civile.

En premier lieu, on a fait valoir que la masse, en tant que personne morale, subit un préjudice propre du fait de l’aggravation du passif ou de la diminution de l’actif. Elle est, en effet, outre la collectivisation des poursuites, chargée de procurer le dividende le plus élevé possible à ses membres. L’action de la masse n’empêche pas les créanciers qui subissent un préjudice propre ou qui entendent obtenir une réparation complémentaire d’exercer des actions individuelles. C’est dans ce sens que s’est prononcé la Cour de cassation française dans un arrêt du 25 avril 1974 lorsqu’elle relève que : « si des créanciers, dont certains ont agi à titre individuel, ont souffert d’un préjudice qui leur a été propre, les agissements de D… ont causé préjudice à tous les créanciers faisant partie de la masse et que l’action du syndic tendait à la réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs de ladite masse ». Mais, il reste que le créancier qui voudra agir au titre de l’action individuelle, « se heurtera à de grandes difficultés pour faire la preuve du préjudice spécial qu’il a personnellement souffert » , le préjudice dont il pourrait être demandé réparation n’étant pas le même selon qu’il s’agisse d’un créancier postérieur ou antérieur au crédit fautif. D’autres auteurs ont ajouté que : « le représentant des créanciers, représentant légal, a mission d’assurer la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et l’intérêt collectif n’est pas l’addition des intérêts individuels, il les transcende, et à ce titre le représentant des créanciers tient de la loi le pouvoir de poursuivre toute personne serait-elle parmi les créanciers représentés, pour qu’elle soit condamnée à réparer le préjudice qu’elle a occasionné à l’ensemble » .

En second lieu, l’irrecevabilité de l’action de masse exercée par le syndic aboutit à une irresponsabilité de fait du banquier dispensateur fautif de crédit. Il est vrai que les créanciers formant la masse peuvent agir individuellement afin d’obtenir réparation du dommage personnellement subi. « Mais en fait ces actions individuelles restent exceptionnelles. Seul, en effet, le syndic possède les informations permettant d’apprécier les responsabilités encourues, soit par les dirigeants sociaux, soit par les tiers. En outre, la plupart des créanciers, et surtout les plus faibles sur le plan économique, hésitent à faire les frais d’un procès long et difficile, et à consigner la provision de l’expert qui est généralement à désigner » .

Au total, aucune de ces raisons tendant à déclarer l’action du syndic irrecevable n’est vraiment valable et l’on a fini par consacrer que le syndic a la possibilité d’agir en réparation du préjudice causé à la masse contre tout fautif, notamment le banquier dispensateur de crédit.
Compte tenu de cette situation, le banquier a dû développer de nouveaux moyens de défense.

2. Les nouveaux moyens de défenses du banquier dispensateur de crédit

58. Les moyens de défense qui sont aujourd’hui invoqués par le banquier dispensateur de crédit vont de l’évocation de l’ignorance de la situation désespérée (a) au respect du principe de non-immixtion dans les affaires du client (b).

a. L’évocation de l’ignorance de la situation désespérée

59. Le banquier pourra se décharger de sa responsabilité s’il parvient à démontrer une ignorance de la situation désespérée. Cette ignorance est donc toujours invoquée en défense, qu’il s’agisse de la situation de l’entreprise, du caractère inapproprié du crédit, de la destination des fonds ou des difficultés de surveillance.

Ainsi dans l’espèce de l’Arrêt n° 255 du 29 juin 2007 , on note que le pourvoi soutenait que « la caisse avait accepté les dossiers de crédit après avoir examiné les éléments comptables de l’exploitation et l’état du patrimoine de M. X…, dont il ressortait que ce dernier était, au 30 juin 1998, propriétaire d’un cheptel d’une valeur dépassant le montant total des emprunts, qu’il était acquis que les trois prêts octroyés en 1987 et 1988 avaient été régulièrement remboursés jusqu’en 2000 et 2001 et qu’en dépit de la multiplicité des crédits accordés entre 1997 et 1998 qui n’était pas significative dès lors qu’elle résultait du choix des parties de ne financer qu’une seule opération par contrat, il n’était pas démontré que le taux d’endettement de M. X… qui avait d’ailleurs baissé, ait jamais été excessif, l’entreprise n’étant pas en situation financière difficile… ».

Dans l’espèce considérée, l’argument en défense de la Caisse n’a pas prospéré, la Cour de cassation ayant censuré la cour d’appel au motif « Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si M. X… était un emprunteur non averti et, dans l’affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la caisse justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l’emprunteur et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

Cette décision de principe clarifie désormais les choses et interdit au banquier d’octroyer un crédit à un client en pensant qu’il y a des chances qu’elle se rembourse en mettant « son contractant sur la paille » sans le mettre en garde.

La tromperie est aussi souvent évoquée. En effet, selon un auteur, « lorsque les affaires vont mal, l’honnêteté et la franchise se marginalisent tandis que la qualité de la sincérité des comptes tend à se détériorer » .

En illustration, l’on peut évoquer cette espèce connue par le TGI de Ouagadougou où un plaideur a engagé la responsabilité de la Banque Internationale du Burkina (BIB) pour divers motifs dont l’octroi excessif de crédit. Il était notamment reproché à la BIB l’octroi de crédit excessif et démesuré à un client illettré ne disposant pas d’une organisation et d’un système comptable. Si le TGI de Ouagadougou s’est déclaré incompétent en raison d’une clause compromissoire insérée dans la convention de consolidation de crédit à court terme entre le plaideur et la BIB (cette dernière avait déjà introduit une citation directe devant la chambre correctionnelle du TGI de Ouagadougou en date du 09 juin 2008 contre Kiendrebeogo Rayi Jean pour escroquerie), il n’est pas dénué d’intérêt d’évoquer ici l’argument en défense développé par la BIB.

Elle faisait notamment valoir, d’une part, « que pour la convaincre à la signature de la convention de crédit court terme de consolidation en date du 11 août 2004, monsieur Kiendrebeogo Rayi Jean a accordé à la banque une hypothèque portant sur la parcelle O du lot 317 situé dans le quartier Goughin dans l’arrondissement de Baskuy, commune de Ouagadougou, lequel immeuble est estimé à la somme de un milliard cent deux millions quatre cent cinquante mille (1.102.450.000 ) F CFA selon un rapport technique d’expertise immobilière effectué par l’agence Faso KANU Développement à la demande de Kiendrebeogo Rayi Jean et, d’autre part, « sur sa demande, ledit immeuble, qui s’est révélé être un terrain nu a été évalué par l’agence GELPAZ à la somme de cinq millions neuf cent trente mille cent trente cinq (5.930.135) F.CFA ». Aussi apparait-il que c’est sur la base d’un faux rapport que Kiendrebeogo Rayi Jean a réussi à tromper la banque et à lui faire consentir la signature de la convention de crédit court terme de consolidation. En clair, en victime de l’escroquerie du client, elle ne saurait être tenue responsable du préjudice issu de l’octroi de crédit en raison de cet état de fait. Si ces données avancées par la banque, si elles s’avèrent fondées, vont lui permettre d’échapper à une éventuelle condamnation à des dommages-intérêts pour cause de concours fautif de crédit.

Un autre moyen de défense couramment évoqué par le banquier est le respect du principe de non-immixtion.

b. Le respect du principe de non-immixtion

60. Le principe de non-immixtion encore dénommé principe de non-ingérence est une défense qui également invoquée le banquier. Il est protecteur des intérêts du banquier et lui permet de ne pas intervenir dans les affaires du client, même au prix d’une entorse au devoir de mise en garde.

D’une part, le principe permet d’écarter la responsabilité de l’établissement de crédit lorsqu’elle est recherchée par ses clients en raison d’opérations qu’ils ont eux-mêmes accomplies et qui se sont révélées préjudiciables. Dans l’exemple cité par M. Th. Bonneau , l’argument du client qui estimait que le banquier aurait dû le dissuader d’effectuer l’opération de crédit a été écartée parce que le banquier, qui n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client, n’a pas à apprécier l’opportunité des crédits qu’il consent et de ce fait ne peut être tenu pour responsable du mauvais usage du crédit.

D’autre part, le principe de non-immixtion permet d’écarter la responsabilité du banquier pour certaines opérations effectuées par leurs clients au préjudice des tiers. Ainsi, dans une espèce , la Cour de cassation française a pu décider « qu’ayant relevé que les chèques présentés à l’encaissement par le titulaire d’un compte avaient une apparence de régularité parfaite et que rien ne permettait de déceler la fraude, la banque n’ayant pas à procéder à des investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés par ledit titulaire sur son compte, la Cour d’appel a pu retenir que celle-ci n’a commis aucune faute ». Tout compte fait, le domaine du principe semble circonscrit. Il concerne d’abord le service de caisse, c’est-à-dire les dépôts, les retraits et les encaissements. Il concerne en outre, les opérations de crédit en ce sens que le banquier n’a pas à apprécier l’opportunité de l’affectation du crédit. Contrairement à M. Th. Bonneau qui considère que le principe étant général en raison de fondement , il est permis d’émettre une réserve à une telle affirmation. En effet, le principe se heurte aujourd’hui à la question du professionnel averti qui tend à mettre en cause l’argument en défense du banquier consistant dans l’évocation du principe de non-immixtion. A ce propos, l’attendu de l’arrêt n° 256 du 29 juin 2007 de la Cour de cassation française est illustratif à plus d’un titre : « Attendu que pour rejeter la demande en dommages-intérêts présentée par Mme Y…, l’arrêt retient que les coemprunteurs étaient en mesure d’appréhender, compte tenu de l’expérience professionnelle de M. Y…, la nature et les risques de l’opération qu’ils envisageaient et que la banque qui n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de ses clients et ne possédait pas d’informations que ceux-ci auraient ignorées, n’avait ni devoir de conseil, ni devoir d’information envers eux ; Qu’en se déterminant ainsi, sans préciser si Mme Y… était non avertie et, dans l’affirmative, si, conformément au devoir de mise en garde auquel elle était tenue à son égard lors de la conclusion du contrat, la banque justifiait avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de Mme Y… et des risques de l’endettement né de l’octroi des prêts, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».

C’est dire que le principe de non-immixtion, pour aussi prisé qu’il soit par le banquier, demeure limité dans la mesure où le devoir d’information et de discernement semble prendre le dessus. En effet, les arrêts de condamnation ne relèvent pas seulement que le banquier connaissait la situation compromise ou l’inadéquation du crédit, beaucoup se contentent de relever que le banquier « ne pouvait pas l’ignorer », ou « ne pouvait pas raisonnablement l’ignorer » ou « aurait dû le savoir » ou des indices auraient dû alerter sa vigilance de sorte qu’elle aurait pu connaître la situation s’il s’était informé .

Il apparaît finalement que la jurisprudence est particulièrement sévère à l’égard du banquier dispensateur de crédit. Il appartient alors à ce dernier d’être particulièrement précautionneux et de travailler avec professionnalisme pour amoindrir au maximum sa mise en cause dans le cadre des actions en responsabilité civile, le plus souvent intentée par un partenaire en proie à des difficultés.

Qu’à cela ne tienne, si l’action du syndic prospère, il va en découler un certain nombre de conséquences.

C. LES CONSEQUENCES DE L’ACTION EN RESPONSABILITE

61. Lorsque l’action en responsabilité civile prospère, le banquier dispensateur de crédit sera sanctionné, c’est-à-dire qu’il devra réparer le préjudice causé par sa faute. L’alinéa 2 de l’article 118 de l’AUPC autorise la juridiction compétente à choisir la solution la plus appropriée contre l’auteur du préjudice, à savoir, soit l’attribution de dommages-intérêts (1), soit la déchéance de leurs sûretés pour les créanciers munis de sûretés (2).

1. L’attribution de dommages-intérêts

62. La première sanction à laquelle le banquier est susceptible d’être condamné, réside dans le paiement de dommages-intérêts. Il s’agit en fait de la sanction de droit commun lorsque la responsabilité d’une personne est reconnue. C’est ce qu’édicte l’article 1382 du Code civil lorsqu’il dispose que : « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Cet article prévoit ainsi une sanction-réparation afin de rétablir l’harmonie qui existait avant que le préjudice ne soit infligé à la victime. En outre, il pose le principe de la réparation intégrale comme l’affirme un auteur qui estime que : « le propre de la responsabilité civile est de rétablir, aussi exactement que possible, l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se trouvait si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ». Le caractère intégral de la réparation est apprécié in concreto, les juges devant tenir compte des éléments propres au préjudice subi par la victime , ce qui rend ce type de sanction particulièrement effectif. Elle se traduit par une réparation en nature, qui constitue la « forme idéale de réparation, puisqu’elle procure à la victime une satisfaction identique à ce qu’elle pouvait ressentir avant la survenance du dommage » , ou, quand cela est impossible, une réparation par équivalent, par l’octroi de dommage-intérêts. C’est ce dernier type de réparation qui est le plus souvent utilisé par les juges, la réparation en nature étant particulièrement délicate. Très peu de situations permettent d’appliquer une réparation en nature, c’est notamment le cas de la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit. Le préjudice subi par la victime, consistant le plus souvent en un préjudice pécuniaire, l’octroi de dommages-intérêts en est, dès lors, la seule solution possible. Mais en la matière se posent des questions relativement à l’évaluation de l’indemnisation (a) et à l’affectation du produit de la réparation (b).

a. L’évaluation de l’indemnisation du préjudice

63. La réparation par équivalent qui est la sanction la plus appliquée en cas de responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit pose un certain nombre de difficultés liées, d’une part, à la date à prendre en compte pour la fixation des dommages-intérêts et, d’autre part, à l’évaluation proprement dite de l’indemnisation.

Relativement à la question de la détermination de la date à partir de laquelle doit s’effectuer le décompte, et de la date à laquelle l’évaluation du passif aggravé doit être stoppée, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation française, dans un arrêt du 09 juillet 1993 , a essayé de trancher la question en indiquant que le décompte devait débuter à partir de la date à laquelle a été commis le premier fait fautif (en l’occurrence, la remise d’un bilan non visé par le commissaire aux comptes), cette évaluation du passif devant être arrêtée à la date d’ouverture de la procédure collective. Il fut également préciser à cette occasion que le fait pour la banque d’avoir cessé son concours durant cet intervalle était sans influence, dans la mesure où les concours consentis antérieurement continuaient de produire tous leurs effets.

Le banquier est généralement réputé fautif à partir du jour où il a eu des éléments indiquant que la dégradation de l’entreprise rendait la continuation impossible. Ces éléments concernent principalement le passif social et fiscal dont l’augmentation met en péril de façon irréversible l’existence de l’entreprise. Pour illustrer l’importance de cette date, certains auteurs considèrent que dès sa connaissance le banquier devrait pouvoir rompre ses concours sans que cela puisse lui être reproché dès lors qu’une continuation du soutien financier est susceptible d’engager sa responsabilité.

Les juges adoptent, souvent, une approche rétrospective de la situation de l’entreprise car, compte tenu du fait que la faute du banquier n’est recherchée en pratique qu’à l’issue d’une tentative de sauvetage infructueuse, les juges se préoccupent de savoir si au moment où les concours financiers ont été accordés l’entreprise avait une chance, même minime, d’être redressée. A contrario, le dispensateur de crédit ne serait en faute lorsqu’à cette date les concours accordés pouvaient assurer des chances réelles de redressement à l’entreprise. Néanmoins, l’appréciation de la date de la connaissance par le banquier des difficultés de son débiteur soulève une difficulté pratique. En effet, cette appréciation se fait-elle en se plaçant du côté du banquier ou bien de celui des créanciers de l’entreprise emprunteuse ?

Pour une partie de la doctrine , cette date doit être appréciée du point de vue du banquier et non de celui des créanciers du débiteur. En conséquence, cette date doit intervenir dès lors que le dispensateur de crédit perd tout espoir de remboursement décent . A l’inverse, les juges sont plutôt du côté des créanciers. En effet, ils supposent la date de la connaissance du banquier car ils considèrent que celui-ci dispose de moyens humains et financiers qui lui permettent d’être le premier à être au courant des difficultés des clients qu’il finance . Cette rigueur se justifie par l’obligation de vigilance mise à la charge du banquier et qui lui impose d’être toujours au contact de ses clients afin de garder avec eux des relations privilégiées en vue de détecter toute difficulté à temps. Toutefois, cette rigueur est tempérée par la preuve mise à la charge du demandeur de la condamnation du dispensateur de crédit. Celui-ci est en effet tenu d’apporter la preuve de la connaissance effective des déboires de l’entreprise par le banquier et sa volonté de continuer de soutenir financièrement celle-ci en dépit de cette connaissance .
64. Une fois déterminée la période à prendre en considération se pose la question de l’évaluation. En la matière, les solutions les plus diverses ont été retenues . Ainsi, il a été jugé que la banque se devait de supporter un pourcentage du passif suite au préjudice personnel subi par les créanciers à raison des crédits accordés . De plus, la Cour de cassation française a eu à admettre que « l’insuffisance d’actif était égale à la différence entre la valeur de réalisation de l’actif et le montant du passif admis à la liquidation des biens ».

Par rapport à l’arrêt de l’Assemblée plénière ci-dessus évoquée, cette décision ne s’attarde pas sur le fait générateur, mais sur ses seules conséquences dommageables. On soulignera qu’en matière d’interruption d’un crédit tacitement accordé (fonctionnement continuel en ligne débitrice) se pose la question du montant du crédit ainsi consenti. En effet, deux théories se sont affrontées à ce sujet, la première favorable à une évaluation à hauteur du plus fort découvert accordé, tandis que la seconde préférait la notion de découvert moyen. Il semblerait que la jurisprudence ait consacré cette seconde analyse , l’évaluation de cette moyenne relevant du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

Un arrêt du 4 mars 1997 paraît cependant remettre en cause cette méthode d’évaluation en énonçant que c’est à juste titre que la cour d’appel « … ne s’est pas fondée, pour fixer le montant du découvert convenu, sur des méthodes de calcul abstraites, telles que celles dites du plus fort découvert ou du découvert moyen… ». La Haute juridiction approuve, au contraire, les juges du fond d’avoir concrètement recherché « la commune intention des parties à travers l’analyse des variations du solde débiteur du compte courant depuis 1987, du comportement de M. Leclercq ».

Une fois l’évaluation de l’indemnisation opérée, il reste à régler la question de son affectation.

b. L’affectation du produit de la réparation

65. L’article 118 de l’AUPC précise bien que l’action vise à réparer le préjudice subi par la masse sur action du syndic agissant dans l’intérêt collectif des créanciers. Dès lors, il est indéniable que le produit de la réparation va contribuer à l’actif de la masse. L’Acte uniforme s’inscrit ainsi dans la même logique que la jurisprudence française qui préconisait de faire entrer les émoluments issus de la condamnation du banquier dans le patrimoine de la masse pour être répartis ensuite entre les créanciers à pied d’égalité. Les créanciers de la masse sont donc les premiers créanciers appelés à participer dans la distribution de l’actif.
Cette position a fait l’objet de nombreuses critiques de la part de la doctrine, notamment française. Ainsi a-t-on pu faire remarquer que cette hypothèse n’est pas d’une évidence absolue car les créanciers de la masse ne sont pas toujours les premiers arrivés pour participer à cette distribution. En effet, les sommes alloués au titre des dommages-intérêts ne serviront pas forcément à accroître le dividende distribué aux créanciers composant la masse . A titre d’exemple, un établissement bancaire qui accorde des avances à la masse afin d’exiger l’exécution des contrats en cours servant à la continuation de l’activité du débiteur, il serait là indispensable de tenir compte des contractants de l’entreprise qui vont exécuter ces contrats. Le syndic serait obligé de payé l’intégralité des contreparties pécuniaires prévues par lesdits contrats et correspondant à l’exécution postérieure du jugement déclaratif . Il s’agit là des clauses de préférence dont l’existence est indiscutable en droit des procédures collectives.

Il est donc admis que les créanciers bénéficiant d’un privilège général et les créanciers bénéficiant d’un privilège spécial soient payés avant les autres créanciers. A cet égard, la doctrine enseigne que dans la réparation du produit qu’elle a obtenu de l’action contre le banquier fautif, la masse confère le droit aux créanciers munis d’un privilège général d’être payés avant les créanciers chirographaires. Cette position est également celle d’une certaine jurisprudence qui, pour sacrifier les créanciers chirographaires, proclame l’appartenance des créanciers bénéficiaires d’un privilège général à la masse, ce qui leur permettra d’exercer leur sûreté sur les sommes réparties par le syndic entre les créanciers dans la masse . L’écrasement des créanciers chirographaires par cette jurisprudence n’a pas eu les faveurs d’une certaine doctrine . Celle-ci fait remarquer que les actions contre les dirigeants sociaux ou contre les tiers fautifs, notamment le dispensateur de crédit, sont destineés à alimenter le patrimoine de la masse pour préserver les droits des créanciers chirographaires. Pour remédier à cette solution contreproductive, elle appelle à une distribution égalitaire du produit de l’action de masse contre le banquier. Dans cette optique, tous les créanciers devaient prendre une part égale dans la distribution sans qu’aucun de ceux-ci ne puisse invoquer la sûreté dont il pourrait être titulaire. Pour appuyer leur thèse, les détracteurs de la jurisprudence suscitée affirment qu’il s’agit uniquement d’un revirement jurisprudentiel inopportun qui ne survivra pas trop longtemps, les juges étant très attachés à la règle de paiement égalitaire des créanciers dans leur grande majorité.

Cette prédiction n’a d’ailleurs pas tardé à se réaliser puisque que la Cour d’appel de Paris a jugé dans cette direction en retenant que : « si le syndic agit le premier, chaque créancier ne pourra personnellement poursuivre que la réparation du supplément du préjudice subi sans y comprendre le montant impayé de sa créance admise au passif ; que, si le créancier agit avant le syndic, en conservant pour lui les dommages-intérêts obtenus sur sa propre action, le tiers condamné sur l’action du syndic serait en droit de faire déduire du montant de la condamnation le total des créances produites par les créanciers ayant antérieurement exercé leur action individuelle » . Cette solution jurisprudentielle semble ainsi conforme à la philosophie de la masse qui est placée sous le critère de l’égalité entre les créanciers. Il n’est pas impossible que les sommes versées ou susceptibles d’être versées à un créancier dépasseraient le préjudice subi par ce créancier. Dans cette hypothèse, les juges ont pu décider que le créancier qui reçoit le paiement intégral de sa créance de la banque, devra reverser l’intégralité des répartitions dont il pourrait bénéficier de la liquidation car il a obtenu satisfaction .

2. La déchéance des sûretés pour le banquier-créancier

66. Le Code de commerce en vigueur dans de nombreux Etats avant l’entrée en vigueur de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif faisait état de nullité mais seulement à l’égard de la masse. Désormais, les articles 67 et suivants de l’AUPC parlent d’inopposabilité. En effet, l’inopposabilité se dit d’un acte juridique dont la validité en tant que telle n’est pas contestée mais dont les tiers peuvent écarter les effets. Appliquée aux procédures collectives, l’inopposabilité permet à la masse d’ignorer certains actes faits par le débiteur pendant la période suspecte afin que soit respecté le principe « d’égalité des créanciers mais également pour favoriser la reconstitution du patrimoine du débiteur » . Cette finalité apparaît comme un véritable mode de réparation et de sanction à l’encontre du créancier dispensateur de crédit qui souhaite la constitution de sûretés. Il serait peut-être utile d’exposer les contours de la notion de déchéance (a) avant de voir ses effets (b).

a. La notion de déchéance

67. La déchéance d’un droit est le fait de ne plus pouvoir en obtenir la reconnaissance en justice. Ainsi, lorsqu’il est prévu que la sûreté confère à son titulaire, la préférence d’être payé avant tout autres créanciers, cela signifie que, du fait de son fait, le titulaire de la sûreté a perdu le droit de se faire payer par avance. La déchéance vient ici en quelque sorte sanctionner au sens de « répression », comme peut le faire la responsabilité. Mais leur finalité et leurs effets sont quelque peu différents. Si la déchéance tend directement à la suppression d’un droit, la responsabilité tend à la suppression de la conséquence du comportement fautif du banquier. Il en résulte dès lors, une différence d’effets. La déchéance, qui vise à supprimer une situation de droit, agit sur les conséquences juridiques de l’acte, la responsabilité tend, plus modestement à supprimer une situation de fait, c’est-à-dire le préjudice subi du fait de la conclusion du contrat . La déchéance poursuit donc un but objectif, alors que la responsabilité poursuit un but davantage subjectif.

Par ailleurs, la sanction édictée dans le second alinéa de l’article 118 de l’AUPC revêt un champ d’application étendu. Sont concernées par la déchéance toutes les garanties que le créancier dispensateur de crédit s’est vu consentir, peu importe le comportement qui a conduit à la recevabilité de l’action ou la faute qui a conduit à l’établissement de sa responsabilité. Toutefois, cette sanction, qui s’applique d’ailleurs de plein droit, est rarement retenue par le juge afin de ne pas dissuader les créanciers dans la fourniture de crédit.

Mais si la déchéance est prononcée, quels peuvent en être les effets ?

b. Les effets de la déchéance

68. Les effets pour le banquier-créancier sont considérables. En effet, si la déchéance des garanties est prononcée, il perd le bénéfice de ses sûretés, qui lui permettait de se trouver en position de force par rapport aux autres créanciers parties à la procédure collective. Il perd son rang et devient créancier chirographaire, se retrouvant dès lors soumis à la loi du concours entre créanciers . Il perd ainsi de grandes chances de voir sa créance remboursée. Mais la perte de l’ensemble des garanties, par l’application de la déchéance, dans un large domaine peut conduire à sanctionner trop sévèrement le banquier, alors que la faute commise n’est pas très grave. De même, elle peut légitimer le refus du juge de retenir une responsabilité de la banque au seul motif que la sanction qui s’en déduirait serait trop pénalisante pour le fournisseur de crédit. Néanmoins, lorsque le banquier est reconnu responsable dans le cadre de l’article 118 de l’AUPC, cela signifie qu’il a eu un comportement au contraire très grave en soutenant abusivement l’entreprise débitrice.

Cependant, il convient de mentionner que la déchéance est une solution qui semble moins sévère que celle qui consiste au paiement de dommages-intérêts. En effet, avec cette formule, le banquier évite de devoir supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif du débiteur et garde espoir quant au paiement de sa propre créance vis-à-vis de l’entreprise en difficulté.

Il reste entendu qu’il ne peut y avoir compensation entre la dette délictuelle du banquier et sa créance sur le débiteur en état de cessation des paiements. En effet, la compensation ne peut s’opérer qu’entre deux obligations existant au profit ou à l’encontre des mêmes personnes. Or, ici, si le tiers fautif est bien créancier de l’entreprise débitrice, il est aussi débiteur de la masse des créanciers. La compensation ne peut jouer car les créances et les dettes existant en sens inverse n’ont pas le même caractère. Elles ne sont pas connexes ; l’une d’entre elles est antérieure au jugement d’ouverture et on sait que les dispositions de l’article 75 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif interdisent, sous peine de sanctions pénales, les paiements de dettes antérieures au jugement d’ouverture.

En France, la responsabilité pour soutien abusif est désormais encadrée : « les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude ou d’immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours sont nulles » . Il conviendrait peut-être d’encadrer de la même manière cette responsabilité dans l’AUPC.

CONCLUSION

69. Au terme de cette étude, il convient de noter que le banquier a un rôle essentiel à toutes les étapes de la vie de l’entreprise, que ce soit lors de sa création, au cours de son développement ou au moment des difficultés. Dans ce dernier cas, l’intervention du banquier peut être nécessaire, voire indispensable, au sauvetage de l’entreprise. Toutefois, le banquier se trouve face à un dilemme puisque sa responsabilité peut être recherchée tant pour octroi inconsidéré de crédit, lorsque l’entreprise n’a pas de perspective ou de plan sérieux de redressement, que pour rupture abusive ou brutale de crédit, lorsqu’il met fin au crédit antérieurement accordé.

Cependant, la responsabilité civile du banquier ne peut être engagée à n’importe quel prix. Elle suit les règles classiques posées par l’article 1382 du Code civile, à savoir que l’on doit établir à l’encontre du dispensateur de crédit la preuve de l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. Rapportée au droit de l’entreprise en difficulté, le banquier sera condamné pour soutien abusif, si son comportement révèle une faute d’une particulière gravité, c’est-à-dire si le concours a été octroyé en connaissance de la situation irrémédiablement compromise de l’entreprise finalement soumise à une procédure collective. Par ailleurs, le banquier peut être condamné au titre d’une rupture abusive de concours à l’entreprise en situation difficile mais non irrémédiablement compromise, précipitant en conséquence sa chute. Dans les cas, le syndic, en charge de la protection de l’intérêt collectif des créanciers, peut engager l’action en responsabilité civile afin que soit réparée l’atteinte portée au patrimoine du débiteur et donc au gage des créanciers. Le préjudice allégué, vis-à-vis du débiteur, peut consister dans la survenance de la cessation des paiements. Du côté des créanciers et s’agissant spécialement des crédits imprudemment octroyés, le concours bancaire peut, selon des auteurs avisés , « compromettre la sécurité des relations commerciales, augmenter le nombre de ses créanciers et l’importance de son passif et donc permettre à l’entreprise de continuer pendant quelque temps son exploitation, créant ainsi une apparence de solvabilité susceptible de faire de nouvelles victimes. Les créanciers du crédité, victimes de cette fausse apparence, perdront finalement leur créance dans la disparition inéluctable de l’entreprise ; ils peuvent légitiment demander réparation de ce préjudice ».

Toutefois, le phénomène de la responsabilité civile du banquier doit être appréhendé sans passion afin de situer objectivement les responsabilités. Ainsi, la responsabilité du banquier à l’égard de son client doit être atténuée ou exclue lorsque le dommage résulte d’une mauvaise gestion de l’entreprise ou d’une cause liée à la l’évolution de la conjoncture économique. Le banquier sera alors déchargé de toute responsabilité s’il est totalement étranger audit dommage, mais il y aura partage de responsabilité si, en plus du fait du débiteur, le banquier a commis une faute.

Mais, on note de toute évidence que la jurisprudence est particulièrement sévère vis-à-vis du banquier dispensateur de crédit en raison, peut-être des moyens d’investigations dont il dispose. Pèse notamment sur le banquier un certain nombre de devoirs dont le devoir de conseil , de vigilance et de diligence. Ainsi, lors de toute demande de crédit destinée à financer un projet, le banquier devrait conseiller la prudence. Dans ce cadre, les diligences du banquier doivent porter, en premier lieu, sur le projet à financer, c’est-à-dire sur la situation de l’emprunteur au moment du financement, mais aussi, sur l’évolution de la situation, en tenant compte de l’impact du crédit sur cette dernière. Autrement dit, le banquier doit s’informer sur les capacités de remboursement de l’entreprise, en tenant compte notamment du niveau des fonds propres dont elle dispose, mais également des perspectives de rentabilité. L’analyse de la rentabilité du projet du banquier doit être dynamique par le suivi de son évolution. Elle doit, en outre, être prospective en envisageant les perspectives d’avenir. Par ailleurs, le banquier devra s’informer sur l’emprunteur lui-même. En particulier sur son expérience, celle-ci étant le seul moyen de préjuger de la capacité du crédité à mettre en œuvre le projet financé. L’analyse du banquier portera, en outre sur l’environnement du projet à financer, c’est-à-dire sur le contexte économique, le secteur d’activité, la concurrence, etc.

Toutefois, si la compétence du banquier doit sécuriser l’opération, elle ne doit en aucun cas être assimilée à une assurance « tout risque » se substituant à celles d’éventuels intervenants. A ce titre, il est intéressant de rappeler cette jurisprudence du tribunal de commerce de Nivelles qui a décidé que « le banquier doit fournir à sa clientèle une information technique complète et précise […]. Le devoir du banquier, sauf convention contraire, ne va pas au-delà. Il n’a pas à surveiller ou s’intégrer dans la gestion de l’entreprise de son client […], celui-ci étant censé disposer des compétences requises pour mener à bien ses affaires et étant tenu de s’informer personnellement quant à la portée des engagements qu’il souscrit » .
Seulement, comme tout professionnel honnête et avisé, le banquier ne doit pas prêter la main à des manœuvres frauduleuses ou illicites ni négliger les précautions élémentaires en usage dans la profession. Sa responsabilité peut être engagée lorsqu’il accorde un soutien dans une situation définitivement et irrémédiablement compromise. En revanche, une entreprise en difficulté peut être soutenue par une banque sans que celle-ci engage sa responsabilité dès lors que sa situation n’est pas sans issue et que les perspectives de redressement existent raisonnablement, peu important qu’elle soit ultérieurement déclarée en cessation des paiements.

En définitive, la mise en jeu de la responsabilité civile du banquier dispensateur de crédit est une question délicate en droit et en fait. En droit, en raison notamment de la difficulté de démontrer la réunion des trois éléments classiques de la responsabilité civile, couplée avec des éléments spécifiques propres à la profession du banquier . En fait, parce que s’il est bon que chacun réponde du dommage causé par sa faute, il est à craindre que la mise en jeu fréquente de la responsabilité des banques ne les amène à priver de leurs concours les entreprises qui en ont le plus besoin, à savoir celles qui connaissent des difficultés. Dans tous les cas, il appartient aux établissements de crédit, compte tenu de la tendance jurisprudentielle actuelle à une certaine sévérité à leur égard, de prendre des précautions pour travailler avec professionnalisme. Un code de bonne conduite devrait être adopté. Les services juridiques, financiers et comptables des banques devraient voir leurs capacités organisationnelles renforcées pour une plus grande efficacité dans l’analyse des dossiers de prêts. Par ailleurs, la vigilance demandée au banquier ne dispense pas les autres participants aux affaires de faire preuve eux aussi de discernement. En bref, tous les acteurs doivent jouer pleinement leur partition, la loyauté devant être toujours de mise dans les relations de crédit en raison de son caractère absolument indispensable dans les affaires.